Il pleut sur le Davos du vin. Une belle pluie d’automne tenace et persistante qui ne ternit pas la bonne humeur des 250 participants. Il faut dire que certains lacs alpins (Annecy, Majeur, Côme, Garde, Constance) ont cette politesse d’être aussi charmants sous la pluie qu’en plein soleil. Rien n’abîme ces petits miracles de la géologie.
Le dîner d’hier soir
Feu d’artifice de vins rares ou juste impressionnants. Le plus rare sortait bien évidemment des caves du généreux Laurent Vialette dont c’est le métier, un porto Quinta do Noval 1880. Mais aussi des gevreys admirables apportés par Éric Rousseau et Arnaud Mortet, un romanée du Comte Liger-Belair, merci Louis-Michel, un vieux trévallon et un caberlot 02, danke Moritz, et même une modeste mondeuse 89 sortie du manteau d’Oliv (LPV), un vin magnifique qui démontrait l’aptitude au vieillissement remarquable de ce vin de Savoie ou encore un château-du moulin-à-vent 79 qui prouvait tout le bien qu’on pense du gamay dans ses grands âges, bravo Edouard Parinet. Jérôme Perez (LPV) avait sorti une chaussette pour jouer aux devinettes avec une très jolie chose, un blanc très aromatique, une sorte de perfection à moins de dix euros, il était ravi de son effet. Sont passés par là un pingus ou encore un bâtard-montrachet de Ramonet, on ne savait plus où donner du verre. Pour la fin de la soirée, ce qui se passe à la Villa d’Este reste à la Villa d’Este (smiley ravi).
Ce matin
Deux conférences importantes. L’une réunissait Olivier Duha, important web-entrepreneur, et Hubert de Boüard, vigneron. Le sujet est délicat. Duha expose la théorie des NPS, l’équilibre entre les promoteurs des marques et leurs détracteurs. S’agissant de vin et d’Internet, les gars de La passion du vin et moi, nous étions très attentifs. Je publierai ici les minutes de cette conférence. La seconde intervention, c’était Aubert de Villaine nous exposant les secrets de la Romanée-Conti et ses pratiques dans ce petit vignoble historique. C’est peu dire que le grand homme a posé une ou deux petites bombes dans cet univers feutré des grands vins. Mais avant cela, il nous a raconté une histoire très drôle. La voici. « Un jour, je reçois une lettre en provenance des Etats-Unis. Elle contenait un peu de terre, deux ou trois petits cailloux et une feuille manuscrite pliée en quatre. Un voyageur américain me disait qu’il s’était promené dans la parcelle de la Romanée-Conti et y avait pris cette terre et ces cailloux. Et qu’alors, une suite d’ennuis s’était abattue sur lui. Sa voiture de location était tombée en panne sur l’autoroute, son avion avait failli s’écraser, sa femme et ses enfants ont eu divers problèmes de santé plus ou moins graves et qu’enfin, il avait bien l’impression d’avoir commis un sacrilège en emportant cette terre millénaire et que si je voulais bien la remettre à sa place, peut-être que ses ennuis s’arrêteraient… » Il a conclu sur le caractère sacrée de cette parcelle qui n’a connu que six propriétaires en mille ans. En s’exprimant précisément, mais sans entrer dans le détail, sur les méfaits de la vendange en vert sur l’équilibre de la plante et sur les avantages des maladies dans les vignobles en bio-dynamie en termes d’éclaircissage naturel, on a bien senti que quelques-uns des vignerons présents tordaient le nez. A-t-il raison ? Je ne peux pas en juger. C’est une conversation qui ne concerne que des vignerons ayant une très grande pratique de leurs terres. Mais le débat est lancé et son discours était passionnant. Le Davos du vin, c’est surtout ça, ces moments de grâce.
Cet après-midi
Dégustation de trois vins du DRC, grands-échézeaux et richebourg dans les millésimes 09, 99, 79, 66 et bâtard-montrachet 07. Là, il s’agit de se demander quelles différences et quelles ressemblances existent entre les deux rouges. Même pratiques culturales, proximité des parcelles, vinifications et élevages aussi soignés.
Les couleurs.
Chaque paire de vins dans chacun des quatre millésimes présente la même robe. Sauf 79, gros écart. Le richebourg (R) est beaucoup plus orangé que le grands-échézeaux (GE). En examinant les étiquettes (qui portent le nombre de bouteilles produites), on s’aperçoit qu’à la différence des autres millésimes, il y a eu moitié moins de bouteilles de R en 1979. Que s’est-il passé, Aubert ? Un grand coup de grêle au moment de la fleur sur la parcelle, 8 hl/ha seulement, des vins élevés sans le moindre soutirage jusqu’à la mise. Pour le millésime 66, c’est le contraire, le GE est un tout petit peu plus orangé que le R.
Le nez.
Pour chaque millésime, ma préférence va au R, toujours plus flatteur, à l’expression plus fine, plus élégante, aux arômes plus subtils.
Les températures.
Une fraîcheur exquise qui donne toutes leurs chances aux deux vins.
En bouche.
09 : la jeunesse n’est pas un problème, c’est une caractéristique. À ce point, c’est franchement rare. Très légère préférence au GE. Vingt minutes plus tard : le R l’emporte de peu.
99 : grandiose, très jeune, une palette de saveurs qui va des fleurs à la confiture (le GE) dans un enchevêtrement compliqué de fruits rouges (foncés quand même) et noirs. Le R a sans doute un peu plus de profondeur, de rigueur que le GE. Pour être plus élégant, le R est moins « immédiat » que son confrère de cave. Vingt minutes après : pareil.
79 : le GE est sublime, mais le R est mieux. Plus de séduction avec le GE, plus de classe avec le R. Et toujours pas de vieux vins, François Audouze a bien fait de ne pas venir (smiley affectueux). Vingt minutes plus tard : le R confirme sa courte tête d’avance.
66 : GE au mieux de sa forme, une sorte d’apogée, mais au fond, je n’en sais rien. Peut-être sera-t-il encore meilleur dans dix ans. Le R est superbe de charnu, de matière raffinée. Ces vins n’ont pas vieilli ou si peu. Impossible, à l’aveugle, sauf grosse expérience du DRC, de jurer que ce sont des vins des années 60. On parierait plutôt sur les années 90, deuxième moitié. Vingt minutes plus tard : je siffle les deux verres sans autre forme de procès.
Cette dégustation dure longtemps dans un silence recueilli, parfois ponctué du tintement des verres qui s’effleurent. Plus de cinquante personnes sont réunies, on entendrait un vin « nature » pétiller. Quand François Mauss tente de lancer le débat, il fait un bide, personne ne moufte. Chacun est en communion avec ses verres, le bâtard-montrachet vient d’être servi, pas question de se laisser distraire. Ce bâtard agit comme un drapeau à damier, nous venons de passer la ligne d’arrivée, ce vin est si puissant, si aromatique, qu’il ne facilite pas le retour aux finesses subtiles des rouges. Le débat s’engage finalement. Ça plane à 15 000. Philippe Bourguignon (restaurant Laurent) : « Mon sommet ce soir est le grands-échézeaux 79. C’est le plus élégant. Il développe de très subtiles notes de violette, c’est le mouchoir de dame dont parlait Lucien Legrand. » Chacun d’y aller d’un sourire nostalgique. Moi, je n’ai pas vu passer le mouchoir de dame. Le problème, c’est que les dames d’aujourd’hui utilisent des kleenex. Cécile Bonnefond (Charles Heidsieck, Piper-Heidsieck) a eu la bonne idée de doubler la dégustation. Finement, elle a fait une verticale de chaque grand cru, puis l’horizontale, millésime par millésime, comme tout le monde. C’est malin. Elle parle d’une double émotion avant de coller Enzo Vizzari au mur, qui avait caractérisé le GE de « féminin » et le R de « masculin ». Elle, elle trouve que c’est le contraire. Ne jamais s’engager sur ces terrains minés, Enzo, tu devrais le savoir. Il est amusant de constater comme les verres sont vides et les crachoirs… aussi.
Et Aubert de Villaine de conclure sur le 66. Il dit qu’il est parfaitement ouvert, il s’engage dans une comparaison dangereuse entre la chair, l’ouverture et le plaisir, ne sait pas trop comment s’en sortir, il n’est pas familier de la fine blague à double sens, Mauss le sauve du dérapage et clap de fin.
Plus tard, Mauss remettra le prix Lalique décerné à un vigneron qui doit réunir toutes sortes de qualités, l’assemblée sait que ce prix va récompenser Aubert de Villaine, l’assemblée se trompe. C’est Helmut Dönhoff, vigneron allemand, qui remporte la timbale. Plus à venir ici dans quelques jours sur cet homme.
Le grand dîner du WWS
Immense suite de grands vins, un festival de raretés comme jamais dans ma vie. J’ai bien fait de venir.
La dernière nuit tombe sur le Davos du vin et sous la pluie |
Le Davos du vin, jour 2, ici
Le Davos du vin, jour 1, là
tu as bien de la chance! Profite bien.
RépondreSupprimerNe pas faire de vendange en vert, grâce à l'équilibre de la plante je rejoins totalement Mr de Villaine
Comme tu l'as lu, je trouve très difficile d'avoir une opinion pour ceux qui ne sont pas vignerons
SupprimerPeut-on tout ramener à une règle de trois ?
RépondreSupprimerPas compris
SupprimerAvec des participants de toutes les nationalités, quelle est la langue du Davos du Vin? On pense à l'anglais bien sûr, mais la citation de Philippe Bourguignon, c'etait du français assurément...
RépondreSupprimerMerci pour cette série d'articles
L'anglais est la langue officielle. Tout le monde parle anglais, sauf les Français et le Italiens qui parlent français, les Chinois qui parlent chinois et les Russes qui parlent russes. Sans compter ceux qui ne parlent pas. Bref, c'est pas simple.
SupprimerNicolas,
RépondreSupprimerQuelle était cette merveille aromatique à moins de 10 euros ?
Moi, j'ai servi Pingus 2000 sous chaussette et mes hôtes, des experts, ont trouvé le vin rigolo !
D'accord avec eux pour trouver que ce tempranillo épouvantablement cher ne cassait pas trois pattes à un canard.
L'aveugle est implacable !
Bu un auslese GK 2005 de Dönnhoff la semaine dernière (Niederhauser Hermannshöle) : grand vin de la Nahe !
12 novembre
Je ne sais plus… Va voir sur LPV, ils n'auront pas manqué d'en parler, je pense.
SupprimerEt moi, j'ai le souvenir d'un pingus 95 à l'aveugle en comparaison avec un cheval-blanc 95, le pingus l'emportait (très) haut la main. Comme quoi…
Tant pis ...
RépondreSupprimerBu Cheval-Blanc 1995 il y a peu : un grand vin, racé, très fin.
J'imagine assez bien qu'il puisse se faire dominer par un Pingus 1995.
Et puis il y a ensuite l'état de chaque flacon.
Bonsoir Nicolas, bonsoir Laurent,
RépondreSupprimerLe très joli blanc servi à l'aveugle par Jérôme (et que j'ai pris pour un excellent sauvignon typé Dagueneau...) était le Jurançon Clos Thou, Guilhouret 2010.
Un vin que j'ai trouvé très élégant.
Amicalement,
Oliv
Oliv,
RépondreSupprimerBeau domaine ...
Souvenir d'un remarquable moelleux de Mme Hégoburu, pour René 1996, hommage très "Joliette".
La Marie-Kattalin est régulièrement magnifique.
Gros manseng et sauvignon proches parfois, en acidité citronnée végétale (jamais trouvé les vins de Dagueneau très minéraux, pour ma part).
Vous avez du passer de biens beaux moments ...