Quand je me retourne sur les bouteilles vides qui jonchent le sillage, de ce fameux magnum de rosé 1989 vidé avec bonheur l’an dernier jusqu’à tous les bruts Souverain et les millésimes des Enchanteleurs en autant de pierres blanches, il y a une constante dans l’extrême qualité de la production des champagnes Henriot. Convoqués pour découvrir la nouveauté de l’année, Michel Bettane et moi n’y sommes pas allés à reculons. Si tant est que le mot
« nouveauté » soit applicable en l’espèce.
En remettant au goût du jour une pratique ancienne (c’est la mode en ce moment) et mise à mal par la modernité et les contingences, la famille Henriot prend date.
De quoi s’agit-il ?
D’un champagne issu d’une solera commencée en 1990. Ce vin sera commercialisé à raison de 1 000 magnums pour le monde et par an. Ne me demandez pas le prix, vous allez vous faire peur et, d’ailleurs, je n’en sais rien et Henriot non plus, pour l’instant. Ne me demandez pas non plus le nom de cette cuvée, rien n’est encore définitif.
Qu’est-ce qu’une solera ?
Chaque année depuis 1990, le chef de caves (Laurent Fresnet aujourd'hui) ajoute quelques hectolitres de chardonnay issus des beaux terroirs de Champagne (Avize, Chouilly, Oger et Mesnil-sur-Oger) dans une cuve de 400 hectolitres qui contient déjà les vins (clairs, bien sûr) des années antérieures. Une solera consiste à faire élever les vins jeunes par des vins plus anciens pour les siècles des siècles. Chaque année depuis 1990, le chef de caves soutire 3 à 20 % de sa solera pour l’assemblage des bruts et des blancs de blancs de la maison. Depuis 2008, il a commencé à tirer aussi 1 500 litres pour confectionner 1 000 magnums par an. Cette première solera que nous avons goûtée contient les vins de tous les millésimes de 1990 à 2007. La solera commercialisée l’année prochaine contiendra tous les millésimes de 1990 à 2008, etc.
C’est bon, une solera ?
C’est mieux que ça, c’est stupéfiant. D’abord, la couleur est très jeune. En bouche, la première impression est une suavité inconnue jusqu’alors. Ensuite, il y a une sorte de double effet entre l’évolution et la fraîcheur. L’une arrondissant l’autre et l’autre entraînant l’une. Un peu comme les couples à grande différence d’âge, si vous voyez ce que je veux dire. C’est un champagne d’une très parfaite subtilité, pas un machin de boîte de nuit.
Ce vin destiné aux grands amateurs a été voulu par Joseph Henriot, son fils Stanislas a continué quand il était aux commandes de Champagnes Henriot et Thomas, le petit frère aujourd’hui DG de la maison a la grande chance de le sortir enfin. Il devrait être commercialisé vers la fin du second semestre 2014.
Le nom, l'étiquette et le prix de cette cuvée, ici
Le blog de Nicolas de Rouyn
Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées. Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui. (Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées. Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui. (Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn
dimanche 29 juin 2014
samedi 28 juin 2014
Caroline en Duo
C’est une cuvée de la plus haute confidentialité. Caroline Frey en produit 140 bouteilles, autant de magnums et quelques grands formats de plus. Comme il y en a très peu, c’est à peine en vente dans deux ou trois points de vente autour du monde. Le reste est à fond de cave pour vieillir. Quel plaisir de retrouver tout ça dans dix ans.
Au-delà de la bonne idée, on peut penser à une sorte de double rituel. D’abord célébrer cette sorte de grand écart qui consiste à faire du vin dans le Médoc et sur la colline de l’Hermitage, une vie d’aller-retour. Ensuite, rappeler des usages disparus. En effet, Duo est un assemblage d’assemblages. De Tain, l’assemblage de parcelles de syrah – Méal et Bessards – qui entrent dans la composition de la cuvée icône de la maison Paul Jaboulet Aîné, l’hermitage la-chapelle. De Ludon, l’assemblage des cépages qui composent le vin du Château La Lagune, cru classé en 1855, c’est-à-dire cabernet-sauvignon, cabernet franc, merlot et petit-verdot. Bref, un bordeaux hermitagé, comme autrefois, avant l’apparition des appellations d’origine.
Ce vin qui existe depuis 2006, je l’ai goûté dans une verticale 06, 07, 10, 11 et 12. Pas de 2008, puisque Caroline n’a pas produit la-chapelle en 2008. Et pas de 2009, intégralement (et imprudemment) vendu à un grand collectionneur asiatique. Gros avantage, nous l’avons goûté à table au cours d’un dîner mémorable à L’Évasion, la bonne adresse de l’église Saint-Augustin. Une des très belles caves de Paris et une assiette franche, sincère, la gastronomie française de base, mais très bien faite. Le patron de l’endroit est membre de toutes sortes d’associations de gens qui aiment le bon goût des vraies tables, un bon vivant certifié.
Alors, ce Duo ? C’est une bouche admirable, une texture soyeuse sur une trame serrée, des saveurs encore jeunes, de la longueur, un très beau vin à la fin. Des cinq bouteilles goûtées, j’ai préféré de loin le 2007 et, pour l’expérience, j’ai emmené ce qu’il en restait pour le goûter le lendemain. 24 heures après, le vin avait pris de l’ampleur et l’oxydation ayant fait son office, il avait vieilli un peu, mais pas trop, j’étais ravi.
On se prendrait à rêver d’un gros volume de Duo, d’une mise en marché, de caisses de douze bien serrées dans ma cave. Ce ne sera pas le cas. Pour l’instant, il y a Évidence, un assemblage syrah du Rhône, cabernet du Médoc. On en parlait ici.
Au-delà de la bonne idée, on peut penser à une sorte de double rituel. D’abord célébrer cette sorte de grand écart qui consiste à faire du vin dans le Médoc et sur la colline de l’Hermitage, une vie d’aller-retour. Ensuite, rappeler des usages disparus. En effet, Duo est un assemblage d’assemblages. De Tain, l’assemblage de parcelles de syrah – Méal et Bessards – qui entrent dans la composition de la cuvée icône de la maison Paul Jaboulet Aîné, l’hermitage la-chapelle. De Ludon, l’assemblage des cépages qui composent le vin du Château La Lagune, cru classé en 1855, c’est-à-dire cabernet-sauvignon, cabernet franc, merlot et petit-verdot. Bref, un bordeaux hermitagé, comme autrefois, avant l’apparition des appellations d’origine.
Ce vin qui existe depuis 2006, je l’ai goûté dans une verticale 06, 07, 10, 11 et 12. Pas de 2008, puisque Caroline n’a pas produit la-chapelle en 2008. Et pas de 2009, intégralement (et imprudemment) vendu à un grand collectionneur asiatique. Gros avantage, nous l’avons goûté à table au cours d’un dîner mémorable à L’Évasion, la bonne adresse de l’église Saint-Augustin. Une des très belles caves de Paris et une assiette franche, sincère, la gastronomie française de base, mais très bien faite. Le patron de l’endroit est membre de toutes sortes d’associations de gens qui aiment le bon goût des vraies tables, un bon vivant certifié.
Alors, ce Duo ? C’est une bouche admirable, une texture soyeuse sur une trame serrée, des saveurs encore jeunes, de la longueur, un très beau vin à la fin. Des cinq bouteilles goûtées, j’ai préféré de loin le 2007 et, pour l’expérience, j’ai emmené ce qu’il en restait pour le goûter le lendemain. 24 heures après, le vin avait pris de l’ampleur et l’oxydation ayant fait son office, il avait vieilli un peu, mais pas trop, j’étais ravi.
vendredi 20 juin 2014
Moi en Prud’homme de Saint-Émilion
avec une cape rouge
Dans un instant, ça va commencer. |
Un matin d’été, pas trop chaud, du vent, du soleil, des nuages délicats. Les vignes ondulent sur le coteau. Une petite foule se rassemble dans les jardins de la mairie, c’est jour de Jurade. Je suis à Saint-Émilion où, par la grâce de mon nouvel ami le jurat Michaël Thureau (Châteaux et domaines Castel), je vais être intronisé prud’homme de Saint-Émilion.
C’est un honneur, oui.
La Jurade de Saint-Émilion rassemble les représentants des châteaux de l’appellation et de ses satellites. Ils sont environ 140 jurats. Cette organisation très ancienne a vu le jour en des temps obscurs où il fallait défendre les hommes et les domaines, au creux d’un Moyen-Âge assez piquant. On est en 1199. Huit siècles plus tard, cette tradition chrétienne de haute histoire est toujours vaillante et son interprétation contemporaine n’en a rien altéré, c’est ma première surprise.
Dans le vacarme du grand poulailler, on entend clairement les voix des ricaneurs. Vous pensez, des gens déguisés dans de longs manteaux rouges, un cérémonial qui passe par l’église, un langage et des motivations d’un autre âge, nos modernes calés sur leurs certitudes se gaussent. Ils sont les seuls. Le public de touristes qui envahit quotidiennement les ruelles en pente de la petite cité ne rigole pas, il est comme moi, impressionné. Tout, des processions à la grande messe chantée et jusqu’au banquet, en passant bien sûr par la cérémonie d’intronisation a beaucoup de tenue. C’est une réalité solide dans ce monde en manque de repères qui fait le lit de l’émotion, exclusivement, au lieu de faire le détour par la réflexion. Là, on parle de travail et de mérite, on parle des siècles, de l’histoire, de la lente construction qui a permis à Saint-Émilion d’être Saint-Émilion, dans sa gloire et son décor uniques. À la différence d’autres confréries, tout se passe à la lumière, en plein ciel et au soleil, au vu et au su de qui passe. Mais peut-être n’est-ce qu’une question de climat.
De gauche à droite, le frère et la sœur auteurs des Gouttes de Dieu, le manga qui cartonne, un bon copain qui bosse dans la région et Jean-François Quenin, président du syndicat. |
Me voilà intronisé Prud’homme de Saint-Émilion sous l’œil bienveillant de notre cher Hubert de Boüard, premier jurat. Ce qui s’accompagne de l’obligation de chanter la gloire de Saint-Émilion, charge légère dont je m’acquitte depuis longtemps déjà et avec gourmandise.
À propos de gourmandise, j'ai bu ça au déjeuner qui a suivi l'intronisation. C'était la première fois et j'ai failli tomber de ma chaise. |
Clinet by Ronan
D’un château, Clinet n’a rien. Une allure d’école de filles époque Jules Ferry, une petite gare de basse province, ce genre de bâtiment municipal, ce charme-là. Un château, non. On est loin des édifices destinés à impressionner le travailleur des vignes et le client de passage. Le chai, récent, a une modernité, mais enfin, ce n’est ni Nouvel ni Portzamparc. Et on fait du vin quand même ? Oui et du bon. Château-Clinet met en marché un grand pomerol et deux vins de négoce, de fins breuvages dont les propriétaires n’ont qu’à se féliciter et nous aussi. Décryptage avec Ronan Laborde, un jeune homme pas si classique et très volontaire.
Les propriétaires
Clinet a été acquis par le père de Ronan Laborde en 1999. Ronan passait son bac et savait depuis l’âge de 15 ou 16 ans que sa voie passait par le fond d’un verre de vin. « Nous avons fait un grand tour en Argentine, je ne m’y suis pas senti chez moi. Je suis Parisien, Bordelais, pas du tout Argentin. » Ce sera Pomerol et c’est aussi la Hongrie avec deux propriétés. Ronan possède 71 % de la nue-propriété de Clinet, son père en a l’usufruit et sa sœur, les derniers 29 % que Ronan s’applique à racheter, petit bout par petit bout. C’est lui qui a la responsabilité du lieu et de son développement. Il a de cette charge une haute idée, de celles qu’on ne croise pas à tous les coins de château, de plateau. Il pousse l’engagement jusqu’à organiser aujourd’hui son déménagement personnel dans les vignes du plateau pomerolais, « La vie est courte, c’est pour ça qu’on s’installe à Clinet, pour être au plus près de ce que l’on fait. » Ils ne sont pas nombreux, les propriétaires qui habitent le vignoble, mais il ne sera pas seul, la famille Techer habite en face toute l’année, à Gombaude-Guillot. « Ils sont en bio, eux. Ils font bien. Gombaude-Guillot, c’est très bon depuis un moment. » C’est une caractéristique de Ronan Laborde, il aime bien la plupart de ses voisins, il a du respect et une forme d’admiration pour le travail entrepris, les résultats obtenus. Il encave des caisses et des caisses de leurs vins, parfois il échange avec d’autres, mais c’est compliqué les exigences, la parité n’est jamais vraiment respectée, il y a ceux qui veulent trois caisses contre une, alors il préfère acheter. Avoir tout ce qui se fait de bien comme autant d’exemples. Et du passé de Clinet, il ne fait pas table rase, il sait les grands millésimes d’avant, il cherche à s’en inspirer sans pour autant renier ce qu’il fait depuis dix ans. De son père, de la place qu’il occupe, il a une conscience nette. « Je suis la première génération à gérer ce qu’il a acquis. Ce ne sont pas ses affaires au quotidien. Nous n’avons pas cinq siècles d’histoire familiale dans le vignoble bordelais, alors il s’intéresse, mais c’est moi qui fais. »
La propriété
11,27 hectares, une bonne taille à l’échelle de la Rive droite. Elle a été agrandie de trois hectares depuis 1999, « Mais je n’irai pas au-delà, nous n’avons pas de volonté expansionniste. Le terroir de Clinet est assez unique et il n’est pas simple de trouver des parcelles disponibles à la vente et aussi qualitatives. » En arrivant à Clinet, il a arraché et replanté 20 % du vignoble et il se félicite de l’avoir fait. Aujourd’hui, ces vignes arrivent en pleine production et château-clinet s’améliore chaque année. Le vignoble est planté à assez faible densité de 6 500 à 7 200 pieds à l’hectare. On est loin des 10 000 pieds de certaines propriétés. « Le terroir de Clinet est exceptionnel et il porte ce qu’il faut de vignes. Nous récoltons chaque année entre 38 et 47 hectolitres / hectare. Je ne suis pas fou des petits rendements, il y a un équilibre que la plante doit atteindre. » Ronan est un des très rares propriétaires de grande étiquette à travailler sans consultant. Même pas peur. « Michel Rolland s’est occupé de Clinet de 1973 à 2008. Et puis, on a fini par se séparer. J’ai pensé que nous avions des compétences en interne avec Leonardo Izzo, notre directeur technique. Il est probable aussi que Michel et moi ne partagions pas la même vision de ce que devait être le vin de Clinet. »
Les vins
Trois étiquettes à Clinet. Le grand vin, c’est château-clinet pour 60 000 bouteilles, « On vend en primeurs avec le négoce bordelais, on fait partie des quelques grands crus qui ont ce privilège. À notre niveau de prix, on peut toucher tout le monde, c’est un grand vin qui n’est pas inabordable. » L’autre vin, fleur-de-clinet, n’est pas à proprement parler un second vin. C’est un vin de négoce, plutôt, même si 10 % de la récolte du domaine lui est destiné, « 20 % en 2013, hein. » Fleur-de-clinet représente 40 000 bouteilles et il y a ronan-by-clinet, un bordeaux de négoce aussi, pour 360 000 bouteilles environ en année pleine.
La Hongrie
Les deux propriétés hongroises gagnent « un tout petit peu d’argent depuis trois ans », une performance assez peu partagée puisque deux affaires sur les seize qui comptent sont déclarées rentables. À Tokay comme à Pomerol, Ronan Laborde a innové. D’abord, sur les 700 000 bouteilles produites, seulement 100 000 sont des azsu, des liquoreux. Le reste est du vin sec et, pour 10 % de la production, un produit nouveau, un late harvest à l’alsacienne qui a très vite trouvé son public. Avant de prendre l’avion pour ailleurs, là où on vend du pomerol de belle origine, Ronan Laborde tient à expliquer qu’un vignoble est une entreprise comme une autre dont l’objectif n’est pas de frauder, mais de faire en sorte que tout le monde soit payé à la fin du mois, « Les hélicoptères de la MSA qui survolent les vignes pour repérer l’employé non-déclaré, vous trouvez ça sérieux ? Personne ne joue à ça à Pomerol, mais c’est pratique pour les gens de la MSA de justifier leur salaire en faisant de l’hélico. Je ne suis pas contre le système, je suis contre ses excès et ses facilités. Les moyens mis en œuvre contre nous, deux années de suite, sont aussi inutiles que coûteux pour les contribuables que nous sommes. Il n’y a rien à découvrir. » C’est dit, c’est écrit. Nous quittons Ronan, si peu héritier et si attentif à ce qu’il fait, avec le sentiment d’avoir croisé quelqu’un doté d’une énergie inhabituelle. D’ailleurs, avant l’avion, il a une réunion de chantier à quelques centaines de mètres de Clinet. C’est là qu’un nouveau chai va sortir de terre « pour les vins de négoce, pas pour clinet », qui sera aussi le siège de l’entreprise. Clinet avance.
Les photos : sont signées Patrick Cronenberger. Cet article a été publié sous une forme différente dans Mes dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche en date du 15 juin 2014.
Ronan Laborde (n'est pas en sucre) |
Les propriétaires
Clinet a été acquis par le père de Ronan Laborde en 1999. Ronan passait son bac et savait depuis l’âge de 15 ou 16 ans que sa voie passait par le fond d’un verre de vin. « Nous avons fait un grand tour en Argentine, je ne m’y suis pas senti chez moi. Je suis Parisien, Bordelais, pas du tout Argentin. » Ce sera Pomerol et c’est aussi la Hongrie avec deux propriétés. Ronan possède 71 % de la nue-propriété de Clinet, son père en a l’usufruit et sa sœur, les derniers 29 % que Ronan s’applique à racheter, petit bout par petit bout. C’est lui qui a la responsabilité du lieu et de son développement. Il a de cette charge une haute idée, de celles qu’on ne croise pas à tous les coins de château, de plateau. Il pousse l’engagement jusqu’à organiser aujourd’hui son déménagement personnel dans les vignes du plateau pomerolais, « La vie est courte, c’est pour ça qu’on s’installe à Clinet, pour être au plus près de ce que l’on fait. » Ils ne sont pas nombreux, les propriétaires qui habitent le vignoble, mais il ne sera pas seul, la famille Techer habite en face toute l’année, à Gombaude-Guillot. « Ils sont en bio, eux. Ils font bien. Gombaude-Guillot, c’est très bon depuis un moment. » C’est une caractéristique de Ronan Laborde, il aime bien la plupart de ses voisins, il a du respect et une forme d’admiration pour le travail entrepris, les résultats obtenus. Il encave des caisses et des caisses de leurs vins, parfois il échange avec d’autres, mais c’est compliqué les exigences, la parité n’est jamais vraiment respectée, il y a ceux qui veulent trois caisses contre une, alors il préfère acheter. Avoir tout ce qui se fait de bien comme autant d’exemples. Et du passé de Clinet, il ne fait pas table rase, il sait les grands millésimes d’avant, il cherche à s’en inspirer sans pour autant renier ce qu’il fait depuis dix ans. De son père, de la place qu’il occupe, il a une conscience nette. « Je suis la première génération à gérer ce qu’il a acquis. Ce ne sont pas ses affaires au quotidien. Nous n’avons pas cinq siècles d’histoire familiale dans le vignoble bordelais, alors il s’intéresse, mais c’est moi qui fais. »
La propriété
11,27 hectares, une bonne taille à l’échelle de la Rive droite. Elle a été agrandie de trois hectares depuis 1999, « Mais je n’irai pas au-delà, nous n’avons pas de volonté expansionniste. Le terroir de Clinet est assez unique et il n’est pas simple de trouver des parcelles disponibles à la vente et aussi qualitatives. » En arrivant à Clinet, il a arraché et replanté 20 % du vignoble et il se félicite de l’avoir fait. Aujourd’hui, ces vignes arrivent en pleine production et château-clinet s’améliore chaque année. Le vignoble est planté à assez faible densité de 6 500 à 7 200 pieds à l’hectare. On est loin des 10 000 pieds de certaines propriétés. « Le terroir de Clinet est exceptionnel et il porte ce qu’il faut de vignes. Nous récoltons chaque année entre 38 et 47 hectolitres / hectare. Je ne suis pas fou des petits rendements, il y a un équilibre que la plante doit atteindre. » Ronan est un des très rares propriétaires de grande étiquette à travailler sans consultant. Même pas peur. « Michel Rolland s’est occupé de Clinet de 1973 à 2008. Et puis, on a fini par se séparer. J’ai pensé que nous avions des compétences en interne avec Leonardo Izzo, notre directeur technique. Il est probable aussi que Michel et moi ne partagions pas la même vision de ce que devait être le vin de Clinet. »
Les vins
Trois étiquettes à Clinet. Le grand vin, c’est château-clinet pour 60 000 bouteilles, « On vend en primeurs avec le négoce bordelais, on fait partie des quelques grands crus qui ont ce privilège. À notre niveau de prix, on peut toucher tout le monde, c’est un grand vin qui n’est pas inabordable. » L’autre vin, fleur-de-clinet, n’est pas à proprement parler un second vin. C’est un vin de négoce, plutôt, même si 10 % de la récolte du domaine lui est destiné, « 20 % en 2013, hein. » Fleur-de-clinet représente 40 000 bouteilles et il y a ronan-by-clinet, un bordeaux de négoce aussi, pour 360 000 bouteilles environ en année pleine.
La Hongrie
Les deux propriétés hongroises gagnent « un tout petit peu d’argent depuis trois ans », une performance assez peu partagée puisque deux affaires sur les seize qui comptent sont déclarées rentables. À Tokay comme à Pomerol, Ronan Laborde a innové. D’abord, sur les 700 000 bouteilles produites, seulement 100 000 sont des azsu, des liquoreux. Le reste est du vin sec et, pour 10 % de la production, un produit nouveau, un late harvest à l’alsacienne qui a très vite trouvé son public. Avant de prendre l’avion pour ailleurs, là où on vend du pomerol de belle origine, Ronan Laborde tient à expliquer qu’un vignoble est une entreprise comme une autre dont l’objectif n’est pas de frauder, mais de faire en sorte que tout le monde soit payé à la fin du mois, « Les hélicoptères de la MSA qui survolent les vignes pour repérer l’employé non-déclaré, vous trouvez ça sérieux ? Personne ne joue à ça à Pomerol, mais c’est pratique pour les gens de la MSA de justifier leur salaire en faisant de l’hélico. Je ne suis pas contre le système, je suis contre ses excès et ses facilités. Les moyens mis en œuvre contre nous, deux années de suite, sont aussi inutiles que coûteux pour les contribuables que nous sommes. Il n’y a rien à découvrir. » C’est dit, c’est écrit. Nous quittons Ronan, si peu héritier et si attentif à ce qu’il fait, avec le sentiment d’avoir croisé quelqu’un doté d’une énergie inhabituelle. D’ailleurs, avant l’avion, il a une réunion de chantier à quelques centaines de mètres de Clinet. C’est là qu’un nouveau chai va sortir de terre « pour les vins de négoce, pas pour clinet », qui sera aussi le siège de l’entreprise. Clinet avance.
Les photos : sont signées Patrick Cronenberger. Cet article a été publié sous une forme différente dans Mes dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche en date du 15 juin 2014.
mardi 17 juin 2014
« Boire du vin, c’est aimer »
Deux esprits libres, un grand acteur et un grand vigneron, deux hommes engagés, zélateurs de la cause du vin, font un état des lieux de cette passion de moins en moins franco-française. L’agriculture concernée, la culture partagée, l’initiation transmise, l’obsession prohibitionniste sont abordées dans cet éloge d’un gai savoir lucide, généreux, tolérant et responsable. Un bel échange mené de main de maître par mon cher ami Jean-Luc Barde. Attention, c’est un long texte d'intelligence. Pas un tweet.
Voici l'intégrale de la conversation Arditi-Deiss.
Pierre, dans votre famille d’artistes où l’on buvait peu de vin, il semble que ce soit le théâtre qui vous y ait conduit, c’est vrai ?
Pierre Arditi : on buvait du mauvais vin, proche du vinaigre, je ne comprenais pas l’intérêt d’avaler ça. Mon père qui était amateur de charcuterie allait au coin de la rue. Il y achetait ce qu’il considérait être du vin, du Canteval qui coûtait 4 Francs, il y a de cela 50 ans. C’était imbuvable mais lui trouvait ça très bon. C’est en allant travailler chez Marcel Maréchal à Lyon que j’ai fréquenté les « bouchons ». Là, je buvais des côtes-du-rhône, de bons beaujolais. Je me suis dit « si c’est ça le vin, alors j’aime le vin. » J’avais 20 ans. À l’époque, on faisait tout, on construisait les décors, en tournée on conduisait les camions, on bossait une partie de la nuit. Le matin, on buvait un p’tit coup de mâcon pour se réveiller. Lors d’une tournée, je jouais Feydeau avec Maurice Baquet. Lassé de la mode des côtes-du-rhône, il réclamait du beaujolais. C’étaient des vins simples et délicieux. C’est Jean Poiret qui m’a emmené à la Cave Legrand, une vraie rencontre. Lucien Legrand et Francine m’ont fait découvrir le côte-rôtie, le condrieu. À l’époque, ça ne coûtait rien. Le fait d’être un peu connu m’a fait rencontrer des vignerons. Les sommeliers m’ont apporté leur savoir et ma culture s’est peu à peu constituée. Je bois du vin parce que c’est bon, pas pour faire le malin. Je fais du théâtre pour embrasser le monde et, quand je bois du vin, je continue de l’embrasser. Le vin est un titilleur de l’imaginaire, un affriolant de la conscience du monde.
Partagiez-vous votre passion du vin avec Alain Resnais ?
P.A. : Resnais ne buvait pas de vin, mais il adorait le sentir. C’est un homme qui a toujours été curieux du monde. Parler du vin le passionnait, le mystère de la vinification, l’élevage l’intéressaient, mais en boire ne lui était pas bénéfique. Au fait qu’est-ce qu’on boit, Jean-Michel ?
Jean-Michel Deiss : un langenberg 2011, c’est un terroir de granit. Langenberg signifie « la longue colline ». C’est une vigne assez complexe, encore jeune qui donne un vin minéral, assez gras.
Pour vous, Jean-Michel, l’approche du vin est plus évidente, non ?
J.M.D. : il y a, bien sûr, une prédestination familiale, mais le véritable point de départ c’est la rencontre avec mon maître Jean Hugel à Riquewihr. Un jour, il est entré en colère dans son bureau, j’y rédigeais mon rapport de stage, rempli de statistiques. Jean pesait, mesurait tout, il savait au gramme près combien un pied avait porté telle année, c’était saisissant. Il s’est mis à crier : « ce sont des salopards, l’Alsace ne sera jamais une grande région. Chaque matin, il y a un mec qui se lève pour faire presque aussi bien que le voisin, mais légèrement moins cher. » Pour moi, ces mots ont fait l’effet d’un choc qui m’a propulsé dans l’envie de mieux faire, de me lever tôt pour éprouver cette joie de progresser. Ma première grande passion est la langue et son corollaire, la lecture. Dans ma vie de vigneron, la recherche intellectuelle prévaut, c’est un regret de constater que dans nos chères appellations on parle surtout d’argent. Ce vin simple que nous buvons là contient sa part de relâchement, d’humanité, de bonheur de l’autre, j’éprouve là un sentiment littéraire.
Qu’est-ce qu’un vigneron ?
P.A. : ne m’étant jamais guéri d’une frénésie d’existence, je suis d’une impatience crasse. Au contraire, le cœur du vigneron bat au vrai tempo de la vie, c’est un maître du temps. Impossible de sauter les étapes, de courir après je ne sais quoi. Si un vigneron agit comme ça, il fait de la piquette. Il est censé maîtriser des matériaux peu prévisibles qui ne disent jamais rien. Je me sers d’éléments que je peux saisir. Je vais dans des imaginaires pour dire le monde, mais ce sont des mondes transposés. Le vigneron ne transpose qu’à la fin avec le vin qui est sa création.
J.M.D. : un vigneron est dans la soumission à des forces, des influences, des intuitions souterraines. Je m’angoisse pour une cuvée, une vigne me parle, elle m’appelle comme une maîtresse exigeante. À mon sens, ces éléments dont Pierre dit qu’ils sont muets, parlent au vigneron. Ils sont tout le temps là, puissants, prégnants. Ils montrent le chemin, le fruit, la plante, le ciel, la terre, l’histoire, les anciens. Tout ce cortège d’énergie me pousse en avant, j’y suis soumis. Il y a donc un malentendu, notre temps n’associe pas la notion de soumission à celle de liberté. Or, la soumission mène à la liberté. La littérature, la musique avec leurs règles précises, rigoureuses, chaque mot, chaque note doivent être à leur place pour conduire à une harmonie totale. C’est tout à fait l’image du vin, c’est une grande discipline qui mène à la liberté.
Un texte, un terroir, ça s’interprète ?
P.A. : le texte oui, le terroir aussi, j’imagine. Si on fait dire un texte par des acteurs différents, chacun amène son inspiration. Chez Jean-Michel, c’est le terroir ; chez moi, ce sont des terroirs littéraires. Quand Jean-Michel interprète un terroir, il l’incarne.
J.M.D. : la sensibilité du vigneron est inscrite dans le droit viticole qui définit le terroir. C’est la différence avec un projet industriel qui maîtrise toutes les caractéristiques du produit, un brevet qui protège une pratique et vise à reproduire un objet dont la valeur soit proche de zéro. Le terroir est l’espace où la liberté, rêve de chacun, peut s’exprimer y compris celle du consommateur.
P.A. : le consommateur, c’est un peu le public du vigneron. Jouvet disait : « le public, c’est magnifique, mais il faut s’en méfier, il peut devenir le pire ennemi de l’acteur » et l’entraîner vers des zones de lui-même qui ne sont pas forcément les plus nobles.
J.M.D. : il faut veiller à cette exigence culturelle, éviter de tomber sous la dictature du plus grand nombre. Par exemple, les grands amers sont un objet d’apprentissage qui n’est pas inné. On n’est pas naturellement poussé vers ces saveurs.
À propos de soumission et de liberté, Emmanuel Giboulot*, vigneron bourguignon, refuse de répandre des pesticides sur ces vignes. Ce choix l’a conduit au tribunal. Qu’en pensez-vous ?
P.A. : je n’ai pas les tenants et les aboutissants, mais instinctivement, j’irai plutôt défendre un type qui dit : « je fais pas, ça tue les abeilles. » Quand elles meurent, la mort de l’homme n’est plus loin.
J.M.D. : Giboulot est un homme sensé, révolté contre une autorité administrative qui lui enjoint de traiter alors qu’il n’y a pas de maladie. Sans quoi, il l’eût fait, il l’a affirmé au juge et, j’imagine, avec un produit biologique. C’est une réaction raisonnable. Il a montré les limites du principe de précaution qui est un concept fasciste, stalinien. Avec ça, on peut tout démolir. Une fois, je me suis trouvé menotté au radiateur d’un commissariat parce que j’avais pratiqué la complantation de cépages différents dans une parcelle. Le tribunal a fini par reconnaître le bien fondé de ma démarche.
Vivons-nous dans un univers liberticide ?
P.A. : liberticide, non. Nous avons été confrontés à des hygiénistes, des adeptes de la prohibition. À les écouter, tout est risqué. Ce n’est pas la peine de se réveiller puisque commencer la journée, c’est trop dangereux. Mais enfin, le premier risque, c’est la vie. Cette société « sécuritariste » où il ne faudrait plus prendre le risque de vivre est insupportable. Je fais partie d’une génération qui ne s’est protégée de rien et sûrement pas de la vie. C’est pas comme à la Caisse d’Épargne, quand on économise on vous sert pas d’intérêts à l’arrivée, il vaut mieux avoir dépensé sa vie avant. Le discours adressé aux jeunes sur le vin dangereux est déplacé. Ils ne boivent pas de vin, mais des alcools frelatés, dégueulasses, pour perdre conscience d’un monde qui ne leur ouvre pas ses portes. Boire du vin, c’est le contraire, c’est avoir une perception accrue du monde qui nous entoure, ça n’est pas pour le perdre de vue.
JMD : historiquement, l’AOC* est un cadre à l’adresse de la collectivité des acteurs. Mais, depuis 1935, le niveau technologique est en hausse, le savoir des vignerons plus vaste, plus précis. Je prêche pour l’introduction du droit à l’innovation, fruit de la sensibilité individuelle qui invente, imagine, crée. Sans cela, l’AOC devient un espace verrouillé, incapable d’évoluer. La première réforme à faire, c’est celle de l’INAO* imprégné d’une pensée féodale insoluble dans le monde d’aujourd’hui où les prescripteurs individuels postent leur avis sur Facebook. La décision pyramidale de ce qui doit être la norme est devenu inaudible, il faut rendre la parole aux vignerons. Même si je n’en fais pas, je soutiens ceux qui élaborent du vin sans soufre, ils sont à la frontière, dans cette marge qui cherche, innove, avance. Cependant, on ne peut pas se passer d’une éthique, je la souhaite ouverte, tolérante, respectueuse des différences, un lieu qui réunisse les hommes. En ce sens, l’agriculture est le respect du sol nourricier, c’est aussi celui où l’on retourne, c’est notre culture.
PA : la première éthique est de laisser l’homme fréquenter des zones qui enrichissent ceux qui l’entourent. Notre époque étouffe l’initiative atypique. On t’a menotté pour ce geste d’agriculteur sensé, mais encore inhabituel. L’éthique consisterait à accueillir les nouvelles démarches. Je n’ai pas envie que l’on coupe les têtes qui dépassent. À un moment donné, les garde-fous deviennent fous. Vigneron, comédien, nous sommes dans des métiers cousins germains où le droit de s’exprimer doit prévaloir. La France a toujours été iconoclaste, c’est son honneur. Son talent à imaginer d’autres manières de faire fut souvent copié. Tout ce qui nous entoure aujourd’hui est fait pour réduire nos capacités à inventer, à devenir ce que Louis Guilloux appelait « l’homme nouveau ».
Le retour des cépages oubliés et le travail effectué dans la superbe collection ampélographique de Vassal*, est-ce important ?
J.M.D. : Cette collection est la mémoire végétale de la viticulture mondiale, plantée franc de pied sur des sables près de Sète. L’INRA a décidé de la déplacer. Ça n’est pas possible de déménager le Louvre surtout en y introduisant la possibilité presque assumée de supprimer les réserves. Les mêmes ont un projet, on pourrait appeler ça « les cépages résistants à peu près à tout », des cépages industriels qui sont une nouvelle camisole de force.
P.A. : on risque donc de balayer d’un revers de main, l’essence même de ce qui s’est fait jusqu’ici. Supprimer la diversité, c’est s’éloigner de la vie.
J.M.D. : d’ici 20 ans, la preuve sera faite que les végétaux proposés seront incapables de vivre tout simplement. Tout le vignoble français est greffé à 99% avec quatre porte-greffes américains qui sont des clones. C’est un peu comme si l’homme nouveau ne disposait pour s’exprimer dans sa nouvelle langue que de quatre signes dans son alphabet.
P.A. : autrement dit, on garde Homère, Euripide, Racine, Molière et le reste, on s’en fout.
J.M.D.: ça arrive aujourd’hui parce que le vignoble français est en pénurie, il n’y a pas de vin, la vigne est dans un modèle eugénique absurde, elle est incapable de produire autrement que dans la simplification et la norme. Dès qu’un nuage passe, elle ne sait plus faire, les vignerons font du vin une année sur trois. Pour les vignobles du Moyen-Âge et avant le phylloxera, la vigne franche de pied plus faible était récoltée plus tôt, dans la souffrance de son fruit. Le greffage augmente la foliation, la croissance, mais diminue la reproduction, change le goût. On a des vins moins digestes, moins mûrs. De nos jours, un raisin mûr est considéré comme un risque, il est complexe, alors on en revient à la dictature de la langue à quatre signes, le vin Coca-Cola à peine un peu amélioré.
Votre rotenberg 2000, peut-on dire qu’il aurait été différent avant la crise phylloxérique observée en France à partir de 1863 ?
J.M.D. : il aurait une meilleure acidité, serait plus rassemblé, il aurait une tension, une énergie différentes. À Bergheim, la colline de calcaire jurassique formée sous un climat tropical est comme une proue de navire face au sud, le sol est rouge comme du sang et reçoit une énorme énergie du matin au soir, c’est un endroit torride qui transporte dans le fruit, l’agrume, la mandarine, le pamplemousse. Le côté glorieux du raisin mûr est là à 15,5 ou 16°, ce riesling, ce pinot gris ne peuvent pas faire du vin sec. Il faut assumer le terroir et le vin qu’il donne. Ce raisin a le droit d’aller jusque-là, je ne vais pas l’apprêter au marché, le rendre conforme. J’assume la folie de son être.
L’agriculture sera bio ou ne sera plus ?
J.M.D. : l’agriculture, c’est prolonger la vie des sols. Le paysan accompagne cette période du mariage intime de l’humus et du minéral qui édifie le sol avant qu’il retourne à l’état de roche. Il est entretenu, fonctionne et vit du respect que l’homme lui témoigne. La bio est le minimum de cette attention qui lui est due. Je n’utilise pas d’éléments qui risquent de détruire le sol. Je travaille actuellement avec des ingénieurs sur un projet de mécanisation pour éloigner les mastodontes de 3 à 12 tonnes qui garrotent le sol. Je cherche un système qui pèse 125 g au cm2, c’est le poids d’un homme au pas. Il est possible de faire mieux qu’un cheval. Si un sol est compacté, on empêche la circulation de l’énergie qui donne l’oxygène. C’est un exemple où le paysan reprend le pouvoir.
Et la permaculture* qui prône par exemple l’abandon du labour ?
J.M.D. : je me suis engagé depuis plusieurs années dans les Techniques Culturales Simplifiées, on utilise comme une charrue la racine des adventices*. Je sème aussi du seigle qui plonge ses racines à 1,65 m de profondeur. Aucun outil ne sait faire ça. C’est l’art de remettre un sol en circulation par un couvert fleuri avec une trentaine d’espèces, ça s’appelle le modèle forestier. Une terre mise à nu monte à 42° en été. À cette température, les bactéries et les champignons nourriciers disparaissent, il n’y a plus de vie. Sur une parcelle de vigne avec plusieurs cépages, j’ai planté des arbres. Au bout, j’ai installé un pierrier, les reptiles s’y logent et attirent les rapaces. J’y ai ajouté une ruche. Le taux de cuivre dans ces sols baisse. On accuse les bios d’être irresponsables dans l’usage du cuivre, voici la preuve du contraire. Nous sommes là dans un système vertueux.
P.A. : on est du côté concerné, celui de la conscience du vivant. C’est un engagement.
Justement, pourquoi avoir accepter, à la demande d’Alain Juppé, d’être avec Robert Parker l’un des ambassadeurs de la Cité des civilisations du vin à Bordeaux ?
P.A. : c’est le pluriel des vins qui m’a séduit. Le vin ne vient pas de nulle part, il s’inscrit dans l’histoire des hommes, dans leur culture. Quand on boit du vin, on boit l’humanité. Je m’insurge contre la diabolisation du vin. Les gens qui prétendent ériger des murs autour de ce haut lieu de civilisation nient ce qui les a précédé. Songez aux moines cisterciens qui ont inventé la culture des climats et l’œnologie. Les gens comme Jean-Michel Deiss poursuivent ces gestes vignerons. Ce projet a des vertus éducatives et universelles. Ce n’est pas un engagement politique, il est culturel. Je suis une caution d’enthousiasme, un amateur, un homme aimable au sens du XVIIIe siècle, et quand j’aime, je défends la cause. Ce que le vin dit du monde, je l’espère par ma voix s’entendra.
Faut-il boire avec modération ?
P.A. : Non, il faut boire avec raison. Boire du vin, c’est aimer. Aime-t-on avec modération ? La meilleure réponse à l’hypothèse que le vin pourrait provoquer des désordres dans la vie des jeunes, c’est l’initiation, c’est-à-dire la culture du père, celle qui transmet. Ne plus parler de vin est une aberration. Certes, à la belle ivresse peut succéder la dérive moche qui abîme, comme l’amour peut abîmer, mais il ne viendrait à l’idée de personne de dire : « n’aimez plus »
J.M.D. : ce que nous tenions comme l’éloge de l’ivresse culturelle, initiatique s’est transformé en 20 ans en condamnation prohibitionniste terrifiante.
Que penser de la loi Evin ?
J.M.D. : l’hygiénisme n’est pas socialiste, il se développe sur un terreau social. Un député m’a affirmé que nous sommes au bord de l’explosion sociale qui nécessite l’éradication des signes identitaires, d’appartenance religieuse. À ma grande stupéfaction, il a ajouté, « c’est par le vin que l’on a commencé. »
P.A. : cette loi ne fait pas de détail, ne cherche pas à différencier le vin de certains alcools. Je veux bien que l’on essaye de réguler, de sauver des gens malgré eux. Mais faire de nous des irresponsables est choquant. On fait porter au vin un costume qui est beaucoup trop large pour lui. Réglons les vrais problèmes de société, celui de l’emploi, de la dignité par le travail, le logement, on s’apercevra alors que les problèmes d’addiction diminueront.
Jean-Michel, votre rotenberg est un vin d’élite, qu’en est-il des vins populaires ?
J.M.D. : on en fait à peu près 3 500 bouteilles.
P.A. : Jean-Michel fait acte d’initiation à l’UGV*. Les amateurs découvrent pour cinquante euros les plus grands vins. La romanée-conti, par exemple que Jean-Michel partage avec eux. On ne peut pas aller vers le bon vin si on ne l’a jamais goûté.
J.M.D. : je ferai du grand vin accessible, moralement défendable dans cette société inégalitaire tant que mes salariés pourront se payer la bouteille, soit au domaine 23 euros dans le millésime en cours, le 2000 coûte autour de 40 euros. De l’antiquité jusqu’en 1880, l’écart de prix entre le vin quotidien et le grand vin est de 1 à 10. De 1880 et 2000, c’est passé de 1 à 100. Depuis, c’est de 1 à 1000.
Y-a-t-il une esthétique du vin ?
P.A. : la seule esthétique qui vaille, c’est le paysage viticole. Quand on boit du vin, on boit l’architecture, les vignes, la géographie. Dans les crayères de Champagne, c’est le mystère des grandes pyramides. À la sortie, les vignes montent jusqu’au ciel. J’ai l’impression d’être invité à boire un coup avec Dieu.
J.M.D. : à l’UGV, nous avons dégusté la-tâche 99 avec Aubert de Villaine. J’ai eu la sensation d’une proportion, de pénétrer l’architecture d’un palais, une esthétique, quoi. Un peu plus tard, Michel Bettane est venu à l’Université, ce vin était à nouveau au programme. Pendant sa visite, un ami nous présente une carafe au contenu douteux, une mixture inquiétante. Méfiants, on goûte ce truc qui avait un aspect visuel démoli, une tête de boxeur groggy. Il déployait une esthétique élevée, sensible, dans une troublante filiation de beauté. C’était la-tâche 1926, le vin était encore complètement construit.
Un verre de vin ou un vers de Baudelaire ?
J.M.D. et P.A. : les deux.
P.A : ils mènent à la belle ivresse.
Propos recueillis par Jean-Luc Barde, photographies de Mathieu Garçon.
Entretien réalisé avec l’aimable complicité du restaurant Taillevent à Paris.
*Marcel Maréchal : comédien, metteur en scène, écrivain
*Maurice Baquet : acteur, violoncelliste
*Alain Resnais : réalisateur décédé le 1er mars 2014, son dernier film : « Aimer, boire et chanter »
*Emmanuel Giboulot : vigneron bio à Beaune, condamné le 7 avril à Dijon pour son refus de se soumettre à l’arrêté préfectoral imposant un traitement aux pesticides contre la flavescence dorée.
*AOC : Appellation d’origine contrôlée.
*INAO : Institut national de l’origine et de la qualité, l’instance gouvernementale du vin en France.
*INRA Domaine de Vassal, centre de ressources génétiques de la vigne. Des milliers de variétés de cépages y sont conservées.
*Permaculture : pratiques visant à une production agricole durable.
*Adventice : plante herbacée, ligneuse assimilée aux mauvaises herbes.
*UGV : Université des grands vins, elle siège en Alsace, ouvre à la découverte par la dégustation géo-sensorielle et la rencontre de grands vignerons.
Biographies
Pierre Arditi : né le 1 décembre 1944 à Paris. Acteur de théâtre, de cinéma, de télévision. Débute en 1965 au théâtre du Cothurne à Lyon avec Marcel Maréchal. Interprète fétiche de Alain Resnais, il obtient le César du meilleur acteur en 1994. Crée La Vérité de Florian Zeller en 2011 au théâtre Montparnasse. Interprète Le Sang de la vigne, série télé consacrée au vin et signe une chronique dans Terres de Vin.
Jean-Michel Deiss : né le 17 avril 1954 à Colmar. Formation chez les pères marianites. Lycée agricole de Rouffach. BTS Viti-œno à Beaune en 1972. Fait sa révolution culturelle en 1986, s’oriente vers une viticulture réfléchie. Passage en bio en 1994. Président-fondateur de l’UGV, lieu de culture et d’intelligence dédié aux grands vins.
Une partie de ce texte a été publiée le 15 juin 2014 et sous une forme différente dans Mes dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche.
Voici l'intégrale de la conversation Arditi-Deiss.
Jean-Michel Deiss et Pierre Arditi chez Taillevent, à Paris |
Pierre, dans votre famille d’artistes où l’on buvait peu de vin, il semble que ce soit le théâtre qui vous y ait conduit, c’est vrai ?
Pierre Arditi : on buvait du mauvais vin, proche du vinaigre, je ne comprenais pas l’intérêt d’avaler ça. Mon père qui était amateur de charcuterie allait au coin de la rue. Il y achetait ce qu’il considérait être du vin, du Canteval qui coûtait 4 Francs, il y a de cela 50 ans. C’était imbuvable mais lui trouvait ça très bon. C’est en allant travailler chez Marcel Maréchal à Lyon que j’ai fréquenté les « bouchons ». Là, je buvais des côtes-du-rhône, de bons beaujolais. Je me suis dit « si c’est ça le vin, alors j’aime le vin. » J’avais 20 ans. À l’époque, on faisait tout, on construisait les décors, en tournée on conduisait les camions, on bossait une partie de la nuit. Le matin, on buvait un p’tit coup de mâcon pour se réveiller. Lors d’une tournée, je jouais Feydeau avec Maurice Baquet. Lassé de la mode des côtes-du-rhône, il réclamait du beaujolais. C’étaient des vins simples et délicieux. C’est Jean Poiret qui m’a emmené à la Cave Legrand, une vraie rencontre. Lucien Legrand et Francine m’ont fait découvrir le côte-rôtie, le condrieu. À l’époque, ça ne coûtait rien. Le fait d’être un peu connu m’a fait rencontrer des vignerons. Les sommeliers m’ont apporté leur savoir et ma culture s’est peu à peu constituée. Je bois du vin parce que c’est bon, pas pour faire le malin. Je fais du théâtre pour embrasser le monde et, quand je bois du vin, je continue de l’embrasser. Le vin est un titilleur de l’imaginaire, un affriolant de la conscience du monde.
Partagiez-vous votre passion du vin avec Alain Resnais ?
P.A. : Resnais ne buvait pas de vin, mais il adorait le sentir. C’est un homme qui a toujours été curieux du monde. Parler du vin le passionnait, le mystère de la vinification, l’élevage l’intéressaient, mais en boire ne lui était pas bénéfique. Au fait qu’est-ce qu’on boit, Jean-Michel ?
Jean-Michel Deiss : un langenberg 2011, c’est un terroir de granit. Langenberg signifie « la longue colline ». C’est une vigne assez complexe, encore jeune qui donne un vin minéral, assez gras.
Pour vous, Jean-Michel, l’approche du vin est plus évidente, non ?
J.M.D. : il y a, bien sûr, une prédestination familiale, mais le véritable point de départ c’est la rencontre avec mon maître Jean Hugel à Riquewihr. Un jour, il est entré en colère dans son bureau, j’y rédigeais mon rapport de stage, rempli de statistiques. Jean pesait, mesurait tout, il savait au gramme près combien un pied avait porté telle année, c’était saisissant. Il s’est mis à crier : « ce sont des salopards, l’Alsace ne sera jamais une grande région. Chaque matin, il y a un mec qui se lève pour faire presque aussi bien que le voisin, mais légèrement moins cher. » Pour moi, ces mots ont fait l’effet d’un choc qui m’a propulsé dans l’envie de mieux faire, de me lever tôt pour éprouver cette joie de progresser. Ma première grande passion est la langue et son corollaire, la lecture. Dans ma vie de vigneron, la recherche intellectuelle prévaut, c’est un regret de constater que dans nos chères appellations on parle surtout d’argent. Ce vin simple que nous buvons là contient sa part de relâchement, d’humanité, de bonheur de l’autre, j’éprouve là un sentiment littéraire.
Qu’est-ce qu’un vigneron ?
P.A. : ne m’étant jamais guéri d’une frénésie d’existence, je suis d’une impatience crasse. Au contraire, le cœur du vigneron bat au vrai tempo de la vie, c’est un maître du temps. Impossible de sauter les étapes, de courir après je ne sais quoi. Si un vigneron agit comme ça, il fait de la piquette. Il est censé maîtriser des matériaux peu prévisibles qui ne disent jamais rien. Je me sers d’éléments que je peux saisir. Je vais dans des imaginaires pour dire le monde, mais ce sont des mondes transposés. Le vigneron ne transpose qu’à la fin avec le vin qui est sa création.
J.M.D. : un vigneron est dans la soumission à des forces, des influences, des intuitions souterraines. Je m’angoisse pour une cuvée, une vigne me parle, elle m’appelle comme une maîtresse exigeante. À mon sens, ces éléments dont Pierre dit qu’ils sont muets, parlent au vigneron. Ils sont tout le temps là, puissants, prégnants. Ils montrent le chemin, le fruit, la plante, le ciel, la terre, l’histoire, les anciens. Tout ce cortège d’énergie me pousse en avant, j’y suis soumis. Il y a donc un malentendu, notre temps n’associe pas la notion de soumission à celle de liberté. Or, la soumission mène à la liberté. La littérature, la musique avec leurs règles précises, rigoureuses, chaque mot, chaque note doivent être à leur place pour conduire à une harmonie totale. C’est tout à fait l’image du vin, c’est une grande discipline qui mène à la liberté.
Un texte, un terroir, ça s’interprète ?
P.A. : le texte oui, le terroir aussi, j’imagine. Si on fait dire un texte par des acteurs différents, chacun amène son inspiration. Chez Jean-Michel, c’est le terroir ; chez moi, ce sont des terroirs littéraires. Quand Jean-Michel interprète un terroir, il l’incarne.
J.M.D. : la sensibilité du vigneron est inscrite dans le droit viticole qui définit le terroir. C’est la différence avec un projet industriel qui maîtrise toutes les caractéristiques du produit, un brevet qui protège une pratique et vise à reproduire un objet dont la valeur soit proche de zéro. Le terroir est l’espace où la liberté, rêve de chacun, peut s’exprimer y compris celle du consommateur.
P.A. : le consommateur, c’est un peu le public du vigneron. Jouvet disait : « le public, c’est magnifique, mais il faut s’en méfier, il peut devenir le pire ennemi de l’acteur » et l’entraîner vers des zones de lui-même qui ne sont pas forcément les plus nobles.
J.M.D. : il faut veiller à cette exigence culturelle, éviter de tomber sous la dictature du plus grand nombre. Par exemple, les grands amers sont un objet d’apprentissage qui n’est pas inné. On n’est pas naturellement poussé vers ces saveurs.
À propos de soumission et de liberté, Emmanuel Giboulot*, vigneron bourguignon, refuse de répandre des pesticides sur ces vignes. Ce choix l’a conduit au tribunal. Qu’en pensez-vous ?
P.A. : je n’ai pas les tenants et les aboutissants, mais instinctivement, j’irai plutôt défendre un type qui dit : « je fais pas, ça tue les abeilles. » Quand elles meurent, la mort de l’homme n’est plus loin.
J.M.D. : Giboulot est un homme sensé, révolté contre une autorité administrative qui lui enjoint de traiter alors qu’il n’y a pas de maladie. Sans quoi, il l’eût fait, il l’a affirmé au juge et, j’imagine, avec un produit biologique. C’est une réaction raisonnable. Il a montré les limites du principe de précaution qui est un concept fasciste, stalinien. Avec ça, on peut tout démolir. Une fois, je me suis trouvé menotté au radiateur d’un commissariat parce que j’avais pratiqué la complantation de cépages différents dans une parcelle. Le tribunal a fini par reconnaître le bien fondé de ma démarche.
Vivons-nous dans un univers liberticide ?
P.A. : liberticide, non. Nous avons été confrontés à des hygiénistes, des adeptes de la prohibition. À les écouter, tout est risqué. Ce n’est pas la peine de se réveiller puisque commencer la journée, c’est trop dangereux. Mais enfin, le premier risque, c’est la vie. Cette société « sécuritariste » où il ne faudrait plus prendre le risque de vivre est insupportable. Je fais partie d’une génération qui ne s’est protégée de rien et sûrement pas de la vie. C’est pas comme à la Caisse d’Épargne, quand on économise on vous sert pas d’intérêts à l’arrivée, il vaut mieux avoir dépensé sa vie avant. Le discours adressé aux jeunes sur le vin dangereux est déplacé. Ils ne boivent pas de vin, mais des alcools frelatés, dégueulasses, pour perdre conscience d’un monde qui ne leur ouvre pas ses portes. Boire du vin, c’est le contraire, c’est avoir une perception accrue du monde qui nous entoure, ça n’est pas pour le perdre de vue.
JMD : historiquement, l’AOC* est un cadre à l’adresse de la collectivité des acteurs. Mais, depuis 1935, le niveau technologique est en hausse, le savoir des vignerons plus vaste, plus précis. Je prêche pour l’introduction du droit à l’innovation, fruit de la sensibilité individuelle qui invente, imagine, crée. Sans cela, l’AOC devient un espace verrouillé, incapable d’évoluer. La première réforme à faire, c’est celle de l’INAO* imprégné d’une pensée féodale insoluble dans le monde d’aujourd’hui où les prescripteurs individuels postent leur avis sur Facebook. La décision pyramidale de ce qui doit être la norme est devenu inaudible, il faut rendre la parole aux vignerons. Même si je n’en fais pas, je soutiens ceux qui élaborent du vin sans soufre, ils sont à la frontière, dans cette marge qui cherche, innove, avance. Cependant, on ne peut pas se passer d’une éthique, je la souhaite ouverte, tolérante, respectueuse des différences, un lieu qui réunisse les hommes. En ce sens, l’agriculture est le respect du sol nourricier, c’est aussi celui où l’on retourne, c’est notre culture.
PA : la première éthique est de laisser l’homme fréquenter des zones qui enrichissent ceux qui l’entourent. Notre époque étouffe l’initiative atypique. On t’a menotté pour ce geste d’agriculteur sensé, mais encore inhabituel. L’éthique consisterait à accueillir les nouvelles démarches. Je n’ai pas envie que l’on coupe les têtes qui dépassent. À un moment donné, les garde-fous deviennent fous. Vigneron, comédien, nous sommes dans des métiers cousins germains où le droit de s’exprimer doit prévaloir. La France a toujours été iconoclaste, c’est son honneur. Son talent à imaginer d’autres manières de faire fut souvent copié. Tout ce qui nous entoure aujourd’hui est fait pour réduire nos capacités à inventer, à devenir ce que Louis Guilloux appelait « l’homme nouveau ».
Le retour des cépages oubliés et le travail effectué dans la superbe collection ampélographique de Vassal*, est-ce important ?
J.M.D. : Cette collection est la mémoire végétale de la viticulture mondiale, plantée franc de pied sur des sables près de Sète. L’INRA a décidé de la déplacer. Ça n’est pas possible de déménager le Louvre surtout en y introduisant la possibilité presque assumée de supprimer les réserves. Les mêmes ont un projet, on pourrait appeler ça « les cépages résistants à peu près à tout », des cépages industriels qui sont une nouvelle camisole de force.
P.A. : on risque donc de balayer d’un revers de main, l’essence même de ce qui s’est fait jusqu’ici. Supprimer la diversité, c’est s’éloigner de la vie.
J.M.D. : d’ici 20 ans, la preuve sera faite que les végétaux proposés seront incapables de vivre tout simplement. Tout le vignoble français est greffé à 99% avec quatre porte-greffes américains qui sont des clones. C’est un peu comme si l’homme nouveau ne disposait pour s’exprimer dans sa nouvelle langue que de quatre signes dans son alphabet.
P.A. : autrement dit, on garde Homère, Euripide, Racine, Molière et le reste, on s’en fout.
J.M.D.: ça arrive aujourd’hui parce que le vignoble français est en pénurie, il n’y a pas de vin, la vigne est dans un modèle eugénique absurde, elle est incapable de produire autrement que dans la simplification et la norme. Dès qu’un nuage passe, elle ne sait plus faire, les vignerons font du vin une année sur trois. Pour les vignobles du Moyen-Âge et avant le phylloxera, la vigne franche de pied plus faible était récoltée plus tôt, dans la souffrance de son fruit. Le greffage augmente la foliation, la croissance, mais diminue la reproduction, change le goût. On a des vins moins digestes, moins mûrs. De nos jours, un raisin mûr est considéré comme un risque, il est complexe, alors on en revient à la dictature de la langue à quatre signes, le vin Coca-Cola à peine un peu amélioré.
Votre rotenberg 2000, peut-on dire qu’il aurait été différent avant la crise phylloxérique observée en France à partir de 1863 ?
J.M.D. : il aurait une meilleure acidité, serait plus rassemblé, il aurait une tension, une énergie différentes. À Bergheim, la colline de calcaire jurassique formée sous un climat tropical est comme une proue de navire face au sud, le sol est rouge comme du sang et reçoit une énorme énergie du matin au soir, c’est un endroit torride qui transporte dans le fruit, l’agrume, la mandarine, le pamplemousse. Le côté glorieux du raisin mûr est là à 15,5 ou 16°, ce riesling, ce pinot gris ne peuvent pas faire du vin sec. Il faut assumer le terroir et le vin qu’il donne. Ce raisin a le droit d’aller jusque-là, je ne vais pas l’apprêter au marché, le rendre conforme. J’assume la folie de son être.
L’agriculture sera bio ou ne sera plus ?
J.M.D. : l’agriculture, c’est prolonger la vie des sols. Le paysan accompagne cette période du mariage intime de l’humus et du minéral qui édifie le sol avant qu’il retourne à l’état de roche. Il est entretenu, fonctionne et vit du respect que l’homme lui témoigne. La bio est le minimum de cette attention qui lui est due. Je n’utilise pas d’éléments qui risquent de détruire le sol. Je travaille actuellement avec des ingénieurs sur un projet de mécanisation pour éloigner les mastodontes de 3 à 12 tonnes qui garrotent le sol. Je cherche un système qui pèse 125 g au cm2, c’est le poids d’un homme au pas. Il est possible de faire mieux qu’un cheval. Si un sol est compacté, on empêche la circulation de l’énergie qui donne l’oxygène. C’est un exemple où le paysan reprend le pouvoir.
Et la permaculture* qui prône par exemple l’abandon du labour ?
J.M.D. : je me suis engagé depuis plusieurs années dans les Techniques Culturales Simplifiées, on utilise comme une charrue la racine des adventices*. Je sème aussi du seigle qui plonge ses racines à 1,65 m de profondeur. Aucun outil ne sait faire ça. C’est l’art de remettre un sol en circulation par un couvert fleuri avec une trentaine d’espèces, ça s’appelle le modèle forestier. Une terre mise à nu monte à 42° en été. À cette température, les bactéries et les champignons nourriciers disparaissent, il n’y a plus de vie. Sur une parcelle de vigne avec plusieurs cépages, j’ai planté des arbres. Au bout, j’ai installé un pierrier, les reptiles s’y logent et attirent les rapaces. J’y ai ajouté une ruche. Le taux de cuivre dans ces sols baisse. On accuse les bios d’être irresponsables dans l’usage du cuivre, voici la preuve du contraire. Nous sommes là dans un système vertueux.
P.A. : on est du côté concerné, celui de la conscience du vivant. C’est un engagement.
Justement, pourquoi avoir accepter, à la demande d’Alain Juppé, d’être avec Robert Parker l’un des ambassadeurs de la Cité des civilisations du vin à Bordeaux ?
P.A. : c’est le pluriel des vins qui m’a séduit. Le vin ne vient pas de nulle part, il s’inscrit dans l’histoire des hommes, dans leur culture. Quand on boit du vin, on boit l’humanité. Je m’insurge contre la diabolisation du vin. Les gens qui prétendent ériger des murs autour de ce haut lieu de civilisation nient ce qui les a précédé. Songez aux moines cisterciens qui ont inventé la culture des climats et l’œnologie. Les gens comme Jean-Michel Deiss poursuivent ces gestes vignerons. Ce projet a des vertus éducatives et universelles. Ce n’est pas un engagement politique, il est culturel. Je suis une caution d’enthousiasme, un amateur, un homme aimable au sens du XVIIIe siècle, et quand j’aime, je défends la cause. Ce que le vin dit du monde, je l’espère par ma voix s’entendra.
Faut-il boire avec modération ?
P.A. : Non, il faut boire avec raison. Boire du vin, c’est aimer. Aime-t-on avec modération ? La meilleure réponse à l’hypothèse que le vin pourrait provoquer des désordres dans la vie des jeunes, c’est l’initiation, c’est-à-dire la culture du père, celle qui transmet. Ne plus parler de vin est une aberration. Certes, à la belle ivresse peut succéder la dérive moche qui abîme, comme l’amour peut abîmer, mais il ne viendrait à l’idée de personne de dire : « n’aimez plus »
J.M.D. : ce que nous tenions comme l’éloge de l’ivresse culturelle, initiatique s’est transformé en 20 ans en condamnation prohibitionniste terrifiante.
Que penser de la loi Evin ?
J.M.D. : l’hygiénisme n’est pas socialiste, il se développe sur un terreau social. Un député m’a affirmé que nous sommes au bord de l’explosion sociale qui nécessite l’éradication des signes identitaires, d’appartenance religieuse. À ma grande stupéfaction, il a ajouté, « c’est par le vin que l’on a commencé. »
P.A. : cette loi ne fait pas de détail, ne cherche pas à différencier le vin de certains alcools. Je veux bien que l’on essaye de réguler, de sauver des gens malgré eux. Mais faire de nous des irresponsables est choquant. On fait porter au vin un costume qui est beaucoup trop large pour lui. Réglons les vrais problèmes de société, celui de l’emploi, de la dignité par le travail, le logement, on s’apercevra alors que les problèmes d’addiction diminueront.
Jean-Michel, votre rotenberg est un vin d’élite, qu’en est-il des vins populaires ?
J.M.D. : on en fait à peu près 3 500 bouteilles.
P.A. : Jean-Michel fait acte d’initiation à l’UGV*. Les amateurs découvrent pour cinquante euros les plus grands vins. La romanée-conti, par exemple que Jean-Michel partage avec eux. On ne peut pas aller vers le bon vin si on ne l’a jamais goûté.
J.M.D. : je ferai du grand vin accessible, moralement défendable dans cette société inégalitaire tant que mes salariés pourront se payer la bouteille, soit au domaine 23 euros dans le millésime en cours, le 2000 coûte autour de 40 euros. De l’antiquité jusqu’en 1880, l’écart de prix entre le vin quotidien et le grand vin est de 1 à 10. De 1880 et 2000, c’est passé de 1 à 100. Depuis, c’est de 1 à 1000.
Y-a-t-il une esthétique du vin ?
P.A. : la seule esthétique qui vaille, c’est le paysage viticole. Quand on boit du vin, on boit l’architecture, les vignes, la géographie. Dans les crayères de Champagne, c’est le mystère des grandes pyramides. À la sortie, les vignes montent jusqu’au ciel. J’ai l’impression d’être invité à boire un coup avec Dieu.
J.M.D. : à l’UGV, nous avons dégusté la-tâche 99 avec Aubert de Villaine. J’ai eu la sensation d’une proportion, de pénétrer l’architecture d’un palais, une esthétique, quoi. Un peu plus tard, Michel Bettane est venu à l’Université, ce vin était à nouveau au programme. Pendant sa visite, un ami nous présente une carafe au contenu douteux, une mixture inquiétante. Méfiants, on goûte ce truc qui avait un aspect visuel démoli, une tête de boxeur groggy. Il déployait une esthétique élevée, sensible, dans une troublante filiation de beauté. C’était la-tâche 1926, le vin était encore complètement construit.
Un verre de vin ou un vers de Baudelaire ?
J.M.D. et P.A. : les deux.
P.A : ils mènent à la belle ivresse.
Propos recueillis par Jean-Luc Barde, photographies de Mathieu Garçon.
Entretien réalisé avec l’aimable complicité du restaurant Taillevent à Paris.
*Marcel Maréchal : comédien, metteur en scène, écrivain
*Maurice Baquet : acteur, violoncelliste
*Alain Resnais : réalisateur décédé le 1er mars 2014, son dernier film : « Aimer, boire et chanter »
*Emmanuel Giboulot : vigneron bio à Beaune, condamné le 7 avril à Dijon pour son refus de se soumettre à l’arrêté préfectoral imposant un traitement aux pesticides contre la flavescence dorée.
*AOC : Appellation d’origine contrôlée.
*INAO : Institut national de l’origine et de la qualité, l’instance gouvernementale du vin en France.
*INRA Domaine de Vassal, centre de ressources génétiques de la vigne. Des milliers de variétés de cépages y sont conservées.
*Permaculture : pratiques visant à une production agricole durable.
*Adventice : plante herbacée, ligneuse assimilée aux mauvaises herbes.
*UGV : Université des grands vins, elle siège en Alsace, ouvre à la découverte par la dégustation géo-sensorielle et la rencontre de grands vignerons.
Biographies
Pierre Arditi : né le 1 décembre 1944 à Paris. Acteur de théâtre, de cinéma, de télévision. Débute en 1965 au théâtre du Cothurne à Lyon avec Marcel Maréchal. Interprète fétiche de Alain Resnais, il obtient le César du meilleur acteur en 1994. Crée La Vérité de Florian Zeller en 2011 au théâtre Montparnasse. Interprète Le Sang de la vigne, série télé consacrée au vin et signe une chronique dans Terres de Vin.
Jean-Michel Deiss : né le 17 avril 1954 à Colmar. Formation chez les pères marianites. Lycée agricole de Rouffach. BTS Viti-œno à Beaune en 1972. Fait sa révolution culturelle en 1986, s’oriente vers une viticulture réfléchie. Passage en bio en 1994. Président-fondateur de l’UGV, lieu de culture et d’intelligence dédié aux grands vins.
Une partie de ce texte a été publiée le 15 juin 2014 et sous une forme différente dans Mes dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche.
mercredi 11 juin 2014
Le champagne a-t-il un avenir ?
Oui, le champagne est un vin et un grand. Il gagnerait à s’en souvenir au moment où il est attaqué de toutes parts. Les cavas espagnols, le prosecco d’Italie, les sparklings de toutes provenances lui font de plus en plus d’ombre au pied de l’échelle de l’argent et du goût. Et ce qui fait toute la différence entre nos beaux vins de Champagne et ces productions, c’est l’aptitude unique du champagne à vieillir en toute harmonie.
Le grand public l’ignore encore et toujours, mais le champagne est le vin qui vieillit le mieux avec les liquoreux et les vins fortifiés.
Une énième preuve nous a été administrée à l’occasion d’un déjeuner avec Anne Malassagne et son frère Antoine, co-propriétaires des champagnes A.R. Lenoble, petite maison de Chouilly. Au motif de faire le tour de leurs vins, de leurs méthodes, nous avons goûté un grand nombre de champagnes, les uns élevés en cuves et les autres, en foudres ou en barriques. Certains étaient encore au stade « vin clair », d’autres étaient assemblés. Il y avait, par exemple, un formidable blanc de noirs 2013. L’appellation impose un vieillissement minimum en caves avant la mise sur le marché et l‘on se prend à rêver d’un vin de France effervescent de la maison Lenoble, quelques milliers de bouteilles pour les amateurs de champagnes tranchants et nerveux, vifs de leur extrême nouveauté, hors appellation, pas grave, c’était excellent.
À table, encore un vin trop jeune, mais quelle beauté, un blanc de blancs 08. Et puis, en un contrepoint saisissant, un blanc de blancs 1959, frais comme un gardon, les arômes d’abricot sec, de miel, de noix encore en formation, un vin insolent de jeunesse. Voilà le chemin tracé et cette voie est libre.
Dire que le champagne est un vin, c’est-à-dire un breuvage qui va durer une vie entière en évoluant au cours du temps et en développant des plaisirs nouveaux chaque fois. Qu’il ait cinquante ans ou six mois, il est là fort de son caractère et de ses caractéristiques, un vin à nul autre pareil et c’est ce qui justifie tout. Et son prix. Redire encore que le prix bas n’est pas un absolu. Trois bouteilles d’un brut de chez Lenoble coûtent le même prix qu’un seul plein d’essence pour l’auto ou une cartouche de marlboros pour le cendrier.
Quoi le prix ?
Une énième preuve nous a été administrée à l’occasion d’un déjeuner avec Anne Malassagne et son frère Antoine, co-propriétaires des champagnes A.R. Lenoble, petite maison de Chouilly. Au motif de faire le tour de leurs vins, de leurs méthodes, nous avons goûté un grand nombre de champagnes, les uns élevés en cuves et les autres, en foudres ou en barriques. Certains étaient encore au stade « vin clair », d’autres étaient assemblés. Il y avait, par exemple, un formidable blanc de noirs 2013. L’appellation impose un vieillissement minimum en caves avant la mise sur le marché et l‘on se prend à rêver d’un vin de France effervescent de la maison Lenoble, quelques milliers de bouteilles pour les amateurs de champagnes tranchants et nerveux, vifs de leur extrême nouveauté, hors appellation, pas grave, c’était excellent.
À table, encore un vin trop jeune, mais quelle beauté, un blanc de blancs 08. Et puis, en un contrepoint saisissant, un blanc de blancs 1959, frais comme un gardon, les arômes d’abricot sec, de miel, de noix encore en formation, un vin insolent de jeunesse. Voilà le chemin tracé et cette voie est libre.
Dire que le champagne est un vin, c’est-à-dire un breuvage qui va durer une vie entière en évoluant au cours du temps et en développant des plaisirs nouveaux chaque fois. Qu’il ait cinquante ans ou six mois, il est là fort de son caractère et de ses caractéristiques, un vin à nul autre pareil et c’est ce qui justifie tout. Et son prix. Redire encore que le prix bas n’est pas un absolu. Trois bouteilles d’un brut de chez Lenoble coûtent le même prix qu’un seul plein d’essence pour l’auto ou une cartouche de marlboros pour le cendrier.
Quoi le prix ?
lundi 9 juin 2014
Éloge d’un tout petit vin
Vers Istanbul. Trois heures et quelques de vol au-dessus d’un tas de pays. Un plateau-repas. Pourquoi ai-je demandé du vin rouge ? Un vieux réflexe de province ? Non, non. Un goût immodéré pour l’expérimentation même si, même si.
Finalement, non, ce n’était pas couru d’avance.
Cette grosse mignonnette en plastique dur contenait un vin honnête, un vin
« loyal et marchand » comme on dit dans les lois. Un vin de syrah baptisé
« Réserve de Tholomiès » embouteillé par Grand Chais de France. Bravo à eux d'avoir ce genre de ressources. Oh bien sûr, pas question de bombe de fruits, de persistance interminable, d’ampleur admirable. Juste un bon petit jaja sans l’ombre d’une ambition, un de ces petits jus de comptoir comme on aimerait s’en voir servir plus souvent. Il a sauvé cette histoire de repas on-board à l’aller comme au retour. Et comme le vol contenait beaucoup de ces musulmans qui ne boivent pas de vin en faisant la gueule et en parlant fort, j’ai pu en avoir une deuxième tournée. Merci les gars.
Je ne dirai rien de la folle tornade de grêle qui a ratatiné mon jardin la nuit dernière, les vrais problèmes sont dans le vignoble.
Et juste un mot à celui qui nous a consacré quarante-huit heures pleines pour, à force de promenades, de science et de culture, lever un coin de voile sur l'immense Istanbul, ses dix-sept millions d'habitants, le Bosphore, l'Histoire antique, Kemal et Erdogan. Merci, A.
Finalement, non, ce n’était pas couru d’avance.
Cette grosse mignonnette en plastique dur contenait un vin honnête, un vin
« loyal et marchand » comme on dit dans les lois. Un vin de syrah baptisé
« Réserve de Tholomiès » embouteillé par Grand Chais de France. Bravo à eux d'avoir ce genre de ressources. Oh bien sûr, pas question de bombe de fruits, de persistance interminable, d’ampleur admirable. Juste un bon petit jaja sans l’ombre d’une ambition, un de ces petits jus de comptoir comme on aimerait s’en voir servir plus souvent. Il a sauvé cette histoire de repas on-board à l’aller comme au retour. Et comme le vol contenait beaucoup de ces musulmans qui ne boivent pas de vin en faisant la gueule et en parlant fort, j’ai pu en avoir une deuxième tournée. Merci les gars.
Je ne dirai rien de la folle tornade de grêle qui a ratatiné mon jardin la nuit dernière, les vrais problèmes sont dans le vignoble.
Et juste un mot à celui qui nous a consacré quarante-huit heures pleines pour, à force de promenades, de science et de culture, lever un coin de voile sur l'immense Istanbul, ses dix-sept millions d'habitants, le Bosphore, l'Histoire antique, Kemal et Erdogan. Merci, A.
mardi 3 juin 2014
La bouteille noire d’Angélus
Notre cher Hubert de Boüard a décidé de faire fort, une fois de plus. Voilà qu’il embouteille son très joli 2012 dans une bouteille noire avec une typo appliquée à même le verre à la façon d’un émail et couverte d’or 21,7 carats. Cet habillage d’un seul millésime devrait faire un tabac sur les marchés.
Deux raisons.
D’abord, sa fille Stéphanie qui faisait carrière dans la finance à Londres est venue le rejoindre au domaine en 2012 et en a pris les rênes. « Dans les pas de mon père » a-t-elle expliqué au négoce londonien vendredi dernier.
Ensuite, souvenons-nous que 2012 est l’année du classement qui a vu Angélus accéder au rang de saint-émilion premier cru classé "A". En même temps que son ami Perse à Pavie, il a rejoint le saint des saints aux côtés de Cheval Blanc et Ausone.
Bref, tout ceci méritait bien de se pencher sur la boîte à outils du service marketing. Pour une fois qu’un vigneron s’en sert intelligemment, le résultat est là dans le droit fil du nouveau chai construit à l'ancienne et qui est une réussite.
La bouteille est parfaite d’élégance, c’est un objet de désir renouvelé et c’est le but. Nul doute qu’on verra de grands formats (jusqu’à l’impériale de six litres) faire des bonds dans les salles de vente aux enchères dans les années qui arrivent. Enthousiasmons-nous pour cette façon de travailler qui sert de locomotive à tout le secteur et, en particulier, à Saint-Émilion.
FYI : j’ai bu aujourd’hui angélus 06 et 07. Le 06 arrive à maturité et il est divin. Moi, ravi (j’en ai quelques-unes).
Deux raisons.
D’abord, sa fille Stéphanie qui faisait carrière dans la finance à Londres est venue le rejoindre au domaine en 2012 et en a pris les rênes. « Dans les pas de mon père » a-t-elle expliqué au négoce londonien vendredi dernier.
Ensuite, souvenons-nous que 2012 est l’année du classement qui a vu Angélus accéder au rang de saint-émilion premier cru classé "A". En même temps que son ami Perse à Pavie, il a rejoint le saint des saints aux côtés de Cheval Blanc et Ausone.
Bref, tout ceci méritait bien de se pencher sur la boîte à outils du service marketing. Pour une fois qu’un vigneron s’en sert intelligemment, le résultat est là dans le droit fil du nouveau chai construit à l'ancienne et qui est une réussite.
La bouteille est parfaite d’élégance, c’est un objet de désir renouvelé et c’est le but. Nul doute qu’on verra de grands formats (jusqu’à l’impériale de six litres) faire des bonds dans les salles de vente aux enchères dans les années qui arrivent. Enthousiasmons-nous pour cette façon de travailler qui sert de locomotive à tout le secteur et, en particulier, à Saint-Émilion.
FYI : j’ai bu aujourd’hui angélus 06 et 07. Le 06 arrive à maturité et il est divin. Moi, ravi (j’en ai quelques-unes).
dimanche 1 juin 2014
Taittinger ne lâche rien
On le sait peu, mais Taittinger est devenu cet hiver le champagne officiel de la Coupe du monde de football au Brésil, cet été. Ce coup de projecteur aussi global que formidable sur l’une des marques les plus emblématiques de l’excellence française est totalement occulté par l’interdiction faite à la maison rémoise d’exploiter – en France – ce partenariat.
Bien sûr, la stupide loi Evin a encore frappé. Seulement voilà. Les dispositions de cette loi n’empêchent pas Taittinger de tourner autour grâce à une arme d’adhésion massive qui n’est jamais assez utilisée. L’humour.
À partir de mercredi, voici ce que les passants du boulevard de la Madeleine à Paris pourront voir sur la vitrine de Lavinia. C’est bien joué et même mieux. Bravo à tous ceux qui ne baissent pas les bras face aux lobbies prohibitionnistes.
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À partir de mercredi, voici ce que les passants du boulevard de la Madeleine à Paris pourront voir sur la vitrine de Lavinia. C’est bien joué et même mieux. Bravo à tous ceux qui ne baissent pas les bras face aux lobbies prohibitionnistes.
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