Entretien avec Benjamin Fourmon, président de la maison de champagne Joseph Perrier
Benjamin Fourmon sous les arcades de l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris |
La Champagne compte trois maisons comportant le nom « Perrier » : Joseph Perrier, Laurent-Perrier et Perrier-Jouët. Sont-elles la partition en trois entités d’une même famille ?
Notre maison a été créée en 1800 sous le nom de Perrier Fils & Compagnie. Elle change de nom en 1825 et devient Joseph Perrier. Le plus vieux document juridique que nous avons retrouvé provient d’un K-bis de 1885. Une seule et même famille, deux entités différentes, Joseph Perrier et Perrier-Jouët. Le père de Joseph Perrier, François-Alexandre Perrier, avait un frère Nicolas qui a fondé Perrier-Jouët en se mariant avec Adélie de Jouët. Ces deux familles de la Côte des Blancs n’ont en revanche pas de lien exact et vérifié avec la maison Laurent-Perrier. Cette dernière a historiquement été fondée par la réunion d’un notable de la région, un monsieur Perrier, avec la maison de champagne Laurent, créant ainsi la maison Laurent-Perrier.
Un lien de filiation entre la famille Fourmon et Joseph Perrier ?
Les Fourmon descendent directement de la famille Pithois qui était celle de ma grand-mère. C’est par le rachat en 1860 d’une maison bordée de vignes, à Cumières, que Paul Pithois s’intéresse à la fabrication du champagne et échange avec Louis Pasteur en 1865 sur le procédé de stabilisation d’une mousse crémeuse. Il s’implante ensuite à Châlons-en-Champagne en 1888 par le rachat de la maison Joseph Perrier auprès de son cousin Émile Hermond-Perrier, fils de Joseph Perrier.
À la fin des années 1990, une partie de la famille de ma grand-mère a voulu vendre cette propriété et cette réorganisation capitalistique est restée familiale puisque nous sommes désormais associés avec nos cousins, les Thiénot.
Et vous, qui êtes-vous ?
Je suis Benjamin Fourmon, 36 ans, président de la maison Joseph Perrier à la suite de mon père Jean-Claude qui l’était lui-même après son oncle. Mon parcours n’a rien de celui d’un vigneron. J’ai choisi pour mes études une école de commerce pendant laquelle j’ai eu l’occasion de voyager, notamment en Chine. À la fin de cette école, je suis entré chez Accenture, cabinet de conseil américain.
C’est à l’occasion des 90 ans de ma grand-mère, Paulette Pithois, que mon parcours croise enfin celui de ma famille. À cette époque, je goûtais les champagnes de la maison sans rien savoir de leur élaboration. Ma grand-mère, dont je suis l’unique petit-fils et donc seul héritier de cette branche, m’a conseillé : « Benjamin, je sais que tu aimes boire du Joseph Perrier, ce ne serait pas idiot de savoir comment on le fait ». Suite à cette parole d’évangile, je m’inscris à Avize pour préparer mon brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole et viticole à distance, pendant mes deux dernières années chez Accenture (2013 et 2014). Ce dernier est nécessaire pour acquérir la capacité d’exploiter, c’est-à-dire d’être gérant d’une société civile d’exploitation viticole.
Je n’avais pas prévu d’entrer chez Joseph Perrier dès la fin de mon contrat. Mais après quatre ans chez Accenture, j’avais envie d’autre chose. Je suis donc allé consulter le conseil d’administration de la maison pour discuter de mon intégration. Nous avons établi ensemble un programme sur six ans, avec plusieurs étapes nécessaires. Je ne connaissais pas le métier de la vente. La première consistait à aller frapper aux portes pour vendre les champagnes Joseph Perrier dans les restaurants parisiens. Cette confrontation à la réalité du terrain m’a permis de prendre conscience de mes faiblesses et de les travailler.
Une expérience à l’étranger pendant deux ans. De retour en France, je me suis installé avec ma famille à Reims. C’était une période de transition pendant laquelle j’ai effectué ce que mon père ne voulait plus faire, la finance, les ressources humaines. Il est parti à la retraite en décembre 2018 en m’accompagnant un an de plus.
Je suis agréablement surpris par sa capacité à me laisser la liberté dont j’ai besoin, qui est sans doute due à sa belle intelligence. Sa parfaite connaissance de chacun de nos clients l’inclut encore dans les décisions stratégiques et je lui demande toujours conseil.
Vos études vous ont d’abord orienté vers la finance et le consulting stratégique. Une première carrière financière utile dans votre travail aujourd’hui ?
La finance n’est évidemment pas un passage obligé lorsque l’on veut travailler dans la filière viticole. Je me suis rendu compte que cela me permettait d’être plus rapide sur certaines décisions. Une maison de champagne reste une entreprise, il est important de savoir lire un bilan, un compte de résultats et ne pas être désarmé face aux décisions financières ou de gestion.
Les maisons de champagne sont également largement tributaires des banques sachant que 50 à 60 % de nos stocks sont portés par ces dernières, et mon profil financier les rassure plus que celui d’un commercial, ils sont souvent contents d’avoir en face d’eux quelqu’un qui parle la même langue.
La période que l’on vient de vivre nous a prouvé que les mouvements économiques sont aujourd’hui très violents et qu’il est important de savoir s’orienter grâce à des compétences de gestion financière.
Joseph Perrier, combien de divisions ?
La maison produit aujourd’hui entre 700 et 800 000 bouteilles par an, avec un objectif à 2030 d’un million de bouteilles pour 30 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’arrivée en 2017 de Nathalie Laplaige, notre chef de caves, va dans ce sens. Nous travaillons ensemble pour réaliser cet objectif, avec la certitude cependant que nous n’irons jamais au-delà. Cette maison reste donc réservée à des petits volumes de grande qualité.
Notre vignoble en propre compte 23 hectares et nous nous approvisionnons sur environ 80 hectares. Le vignoble est aujourd’hui 100 % certifié, avec sept hectares en agriculture biologique depuis 2016 et le reste en viticulture durable en champagne. Au niveau des approvisionnements, nous avons la volonté d’accompagner nos livreurs à une certification même si ce chemin est plus complexe.
Notre horizon le plus important, celui qui sort des chiffres et des montants, est le bicentenaire de la maison en 2025. J’y travaille depuis que je suis arrivé avec de beaux projets liés à cette célébration.
Décrivez-nous le style des vins de la maison
La Cuvée Royale brut non millésimé porte à merveille le style de la maison Joseph Perrier qui s’apparente à un champagne frais, agréable et fin, avec une belle minéralité accompagnée d’une acidité toute aussi agréable. La finale citronnée relève encore la fraîcheur de ce champagne qui peut se boire à n’importe quel moment de la journée.
On retrouve dans cette cuvée les caractéristiques des trois cépages propres à la Champagne : la minéralité du chardonnay, la puissance du pinot noir, le fruit du meunier.
Nous conservons la tradition des 48 mois de vieillissement en cave pour la Cuvée Royale brut. Ils apportent une touche fruitée, une rondeur délicate que nous aimons trouver dans nos vins. Le dosage côtoie l’extra-brut avec une teneur en sucre comprise entre cinq et six grammes par litre de vin.
La fermentation malolactique n’est pas une composante intangible du style des champagnes de la maison, notre chef de cave Nathalie Laplaige y réfléchit chaque année au moment de la dégustation pour choisir si cette étape garantira ou non l’équilibre du vin.
Ce changement de présidence au sein de la maison Joseph Perrier s’accompagne d’un changement de génération, ce qui n’est pas le cas dans toutes les maisons de Champagne. Quels sont les objectifs d’un président de 36 ans ?
Mon objectif principal est d’être un « passeur de temps », d’assurer la continuité d’une maison riche de 200 ans d’histoire, de culture et de viticulture. Je ne travaille pas pour moi, mais pour la suite.
Je me dois de relever le plus gros challenge auquel les producteurs de vin font face aujourd’hui, produire l’excellence en étant irréprochable dans la gestion du vignoble. Les défis sont nombreux, le durable est au cœur des préoccupations, il faut penser économie circulaire, écologie, pour répondre aux attentes des consommateurs.
Alors que les générations passées associaient les enjeux écologiques à une perte de rentabilité, je suis fier d’appartenir à une génération qui ose faire autrement, qui étend le champ des possibles de la vinification. Nous apportons une vision moderne au sein d’une société, dans laquelle le chef d’entreprise se nourrit de la voix de tous ses collaborateurs pour parvenir à une activité propre, durable, visionnaire.
Le but ultime : être neutre en carbone, dans les vignes, dans le chai et réduire nos déchets et notre consommation d’eau. Cette vision presque surréaliste nous permet néanmoins d’avancer vers la durabilité, de conférer à chaque pas son importance.
Joseph Perrier est la seule maison de Champagne à Châlons-en-Champagne
Nous avons toujours voulu continuer à Châlons-en-Champagne, une idée de mon père Jean-Claude qui voulait que la maison reste ici quoi qu’il arrive. Pour confirmer cette pérennité, nous avons entrepris des travaux considérables dans les bâtiments, les jardins et la cour.
Cette motivation n’était pas sans raison. Nos caves gallo-romaines de plain-pied ne cessent d’attirer les visiteurs.
Je préfère être le roi à Châlons que l’un des petits princes ailleurs. Cette position exclusive nous confère une légitimité et une reconnaissance plus difficile à acquérir en d’autres lieux. De plus, notre position au confluent de la Marne est finalement stratégique puisque nous sommes plus proches d’Ambonnay qu’Épernay ne l’est. Notre triangle d’or à nous relie donc Châlons à Epernay et Reims.
Les photos sont signées Mathieu Garçon