Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 28 juin 2022

Les champagnes Joseph Perrier,
une génération plus loin

 

Entretien avec Benjamin Fourmon, président de la maison de champagne Joseph Perrier

Benjamin Fourmon sous les arcades de l'Hôtel de la Marine,
place de la Concorde à Paris


La Champagne compte trois maisons comportant le nom « Perrier » : Joseph Perrier, Laurent-Perrier et Perrier-Jouët. Sont-elles la partition en trois entités d’une même famille ?

Notre maison a été créée en 1800 sous le nom de Perrier Fils & Compagnie. Elle change de nom en 1825 et devient Joseph Perrier. Le plus vieux document juridique que nous avons retrouvé provient d’un K-bis de 1885. Une seule et même famille, deux entités différentes, Joseph Perrier et Perrier-Jouët. Le père de Joseph Perrier, François-Alexandre Perrier, avait un frère Nicolas qui a fondé Perrier-Jouët en se mariant avec Adélie de Jouët. Ces deux familles de la Côte des Blancs n’ont en revanche pas de lien exact et vérifié avec la maison Laurent-Perrier. Cette dernière a historiquement été fondée par la réunion d’un notable de la région, un monsieur Perrier, avec la maison de champagne Laurent, créant ainsi la maison Laurent-Perrier.

 

Un lien de filiation entre la famille Fourmon et Joseph Perrier ?

Les Fourmon descendent directement de la famille Pithois qui était celle de ma grand-mère. C’est par le rachat en 1860 d’une maison bordée de vignes, à Cumières, que Paul Pithois s’intéresse à la fabrication du champagne et échange avec Louis Pasteur en 1865 sur le procédé de stabilisation d’une mousse crémeuse. Il s’implante ensuite à Châlons-en-Champagne en 1888 par le rachat de la maison Joseph Perrier auprès de son cousin Émile Hermond-Perrier, fils de Joseph Perrier.

À la fin des années 1990, une partie de la famille de ma grand-mère a voulu vendre cette propriété et cette réorganisation capitalistique est restée familiale puisque nous sommes désormais associés avec nos cousins, les Thiénot.

 

Et vous, qui êtes-vous ?

Je suis Benjamin Fourmon, 36 ans, président de la maison Joseph Perrier à la suite de mon père Jean-Claude qui l’était lui-même après son oncle. Mon parcours n’a rien de celui d’un vigneron. J’ai choisi pour mes études une école de commerce pendant laquelle j’ai eu l’occasion de voyager, notamment en Chine. À la fin de cette école, je suis entré chez Accenture, cabinet de conseil américain.

C’est à l’occasion des 90 ans de ma grand-mère, Paulette Pithois, que mon parcours croise enfin celui de ma famille. À cette époque, je goûtais les champagnes de la maison sans rien savoir de leur élaboration. Ma grand-mère, dont je suis l’unique petit-fils et donc seul héritier de cette branche, m’a conseillé : « Benjamin, je sais que tu aimes boire du Joseph Perrier, ce ne serait pas idiot de savoir comment on le fait ». Suite à cette parole d’évangile, je m’inscris à Avize pour préparer mon brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole et viticole à distance, pendant mes deux dernières années chez Accenture (2013 et 2014). Ce dernier est nécessaire pour acquérir la capacité d’exploiter, c’est-à-dire d’être gérant d’une société civile d’exploitation viticole.

Je n’avais pas prévu d’entrer chez Joseph Perrier dès la fin de mon contrat. Mais après quatre ans chez Accenture, j’avais envie d’autre chose. Je suis donc allé consulter le conseil d’administration de la maison pour discuter de mon intégration. Nous avons établi ensemble un programme sur six ans, avec plusieurs étapes nécessaires. Je ne connaissais pas le métier de la vente. La première consistait à aller frapper aux portes pour vendre les champagnes Joseph Perrier dans les restaurants parisiens. Cette confrontation à la réalité du terrain m’a permis de prendre conscience de mes faiblesses et de les travailler.

Une expérience à l’étranger pendant deux ans. De retour en France, je me suis installé avec ma famille à Reims. C’était une période de transition pendant laquelle j’ai effectué ce que mon père ne voulait plus faire, la finance, les ressources humaines. Il est parti à la retraite en décembre 2018 en m’accompagnant un an de plus.

Je suis agréablement surpris par sa capacité à me laisser la liberté dont j’ai besoin, qui est sans doute due à sa belle intelligence. Sa parfaite connaissance de chacun de nos clients l’inclut encore dans les décisions stratégiques et je lui demande toujours conseil.

 

Vos études vous ont d’abord orienté vers la finance et le consulting stratégique. Une première carrière financière utile dans votre travail aujourd’hui ?

La finance n’est évidemment pas un passage obligé lorsque l’on veut travailler dans la filière viticole. Je me suis rendu compte que cela me permettait d’être plus rapide sur certaines décisions. Une maison de champagne reste une entreprise, il est important de savoir lire un bilan, un compte de résultats et ne pas être désarmé face aux décisions financières ou de gestion.

Les maisons de champagne sont également largement tributaires des banques sachant que 50 à 60 % de nos stocks sont portés par ces dernières, et mon profil financier les rassure plus que celui d’un commercial, ils sont souvent contents d’avoir en face d’eux quelqu’un qui parle la même langue.

La période que l’on vient de vivre nous a prouvé que les mouvements économiques sont aujourd’hui très violents et qu’il est important de savoir s’orienter grâce à des compétences de gestion financière.

 

Joseph Perrier, combien de divisions ?

La maison produit aujourd’hui entre 700 et 800 000 bouteilles par an, avec un objectif à 2030 d’un million de bouteilles pour 30 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’arrivée en 2017 de Nathalie Laplaige, notre chef de caves, va dans ce sens. Nous travaillons ensemble pour réaliser cet objectif, avec la certitude cependant que nous n’irons jamais au-delà. Cette maison reste donc réservée à des petits volumes de grande qualité.

Notre vignoble en propre compte 23 hectares et nous nous approvisionnons sur environ 80 hectares. Le vignoble est aujourd’hui 100 % certifié, avec sept hectares en agriculture biologique depuis 2016 et le reste en viticulture durable en champagne. Au niveau des approvisionnements, nous avons la volonté d’accompagner nos livreurs à une certification même si ce chemin est plus complexe.

Notre horizon le plus important, celui qui sort des chiffres et des montants, est le bicentenaire de la maison en 2025. J’y travaille depuis que je suis arrivé avec de beaux projets liés à cette célébration.

 

 

Décrivez-nous le style des vins de la maison

La Cuvée Royale brut non millésimé porte à merveille le style de la maison Joseph Perrier qui s’apparente à un champagne frais, agréable et fin, avec une belle minéralité accompagnée d’une acidité toute aussi agréable. La finale citronnée relève encore la fraîcheur de ce champagne qui peut se boire à n’importe quel moment de la journée.

On retrouve dans cette cuvée les caractéristiques des trois cépages propres à la Champagne : la minéralité du chardonnay, la puissance du pinot noir, le fruit du meunier.

Nous conservons la tradition des 48 mois de vieillissement en cave pour la Cuvée Royale brut. Ils apportent une touche fruitée, une rondeur délicate que nous aimons trouver dans nos vins. Le dosage côtoie l’extra-brut avec une teneur en sucre comprise entre cinq et six grammes par litre de vin.

La fermentation malolactique n’est pas une composante intangible du style des champagnes de la maison, notre chef de cave Nathalie Laplaige y réfléchit chaque année au moment de la dégustation pour choisir si cette étape garantira ou non l’équilibre du vin.

 

Ce changement de présidence au sein de la maison Joseph Perrier s’accompagne d’un changement de génération, ce qui n’est pas le cas dans toutes les maisons de Champagne. Quels sont les objectifs d’un président de 36 ans ?

Mon objectif principal est d’être un « passeur de temps », d’assurer la continuité d’une maison riche de 200 ans d’histoire, de culture et de viticulture. Je ne travaille pas pour moi, mais pour la suite.

Je me dois de relever le plus gros challenge auquel les producteurs de vin font face aujourd’hui, produire l’excellence en étant irréprochable dans la gestion du vignoble. Les défis sont nombreux, le durable est au cœur des préoccupations, il faut penser économie circulaire, écologie, pour répondre aux attentes des consommateurs.

Alors que les générations passées associaient les enjeux écologiques à une perte de rentabilité, je suis fier d’appartenir à une génération qui ose faire autrement, qui étend le champ des possibles de la vinification. Nous apportons une vision moderne au sein d’une société, dans laquelle le chef d’entreprise se nourrit de la voix de tous ses collaborateurs pour parvenir à une activité propre, durable, visionnaire.

Le but ultime : être neutre en carbone, dans les vignes, dans le chai et réduire nos déchets et notre consommation d’eau. Cette vision presque surréaliste nous permet néanmoins d’avancer vers la durabilité, de conférer à chaque pas son importance.

 

Joseph Perrier est la seule maison de Champagne à Châlons-en-Champagne

Nous avons toujours voulu continuer à Châlons-en-Champagne, une idée de mon père Jean-Claude qui voulait que la maison reste ici quoi qu’il arrive. Pour confirmer cette pérennité, nous avons entrepris des travaux considérables dans les bâtiments, les jardins et la cour.

Cette motivation n’était pas sans raison. Nos caves gallo-romaines de plain-pied ne cessent d’attirer les visiteurs.

Je préfère être le roi à Châlons que l’un des petits princes ailleurs. Cette position exclusive nous confère une légitimité et une reconnaissance plus difficile à acquérir en d’autres lieux. De plus, notre position au confluent de la Marne est finalement stratégique puisque nous sommes plus proches d’Ambonnay qu’Épernay ne l’est. Notre triangle d’or à nous relie donc Châlons à Epernay et Reims.


 

Les photos sont signées Mathieu Garçon

mardi 21 juin 2022

Qui veut danser sous la grêle ?

 

Faisons simple.
Quand il pleuvait, ma maman me mettait un imperméable pour aller à l’école. Ce qui ne provoquait pas de débat, pas même une conversation. Et quand il faisait froid, j’étais bien avisé de mettre un pull sans discuter. Même la dame du bout de la rue mettait un petit manteau à son teckel. La vie normale, quoi. La vie équipée, standard, banale, organisée. Une vie pour garantir une suite.

Quand il gèle, il y a des vignerons qui veulent mettre un petit manteau sur leurs vignes pour les protéger. Ah non. Ce n’est pas permis. S’ils le font, ils ne seront pas battus ou emprisonnés, ils perdront l’appellation, seront déclassés. Le déclassement guette au nom des grands principes édictés par l’administration. Une bâche sur les vignes provoque une modification de l’écosystème et ce n’est pas bien du tout. Pourtant, c’est assez efficace. Pas totalement, mais déjà pas mal. Protéger ses vignes, c’est garantir une production au bout de l’année, si le reste des fondamentaux se déroule à peu près proprement tout au long de l’année. Garantir une production, c’est pérenniser une exploitation, des emplois, une vie. D’ailleurs, toutes sortes de choses sont autorisées. Des bougies, par exemple, pour réchauffer l’atmosphère entre les rangs de vignes, des bottes de paille en feu, aussi. Ou des éoliennes qui dissipent les blocs d’air glacé. Ou encore des câbles chauffants fixés aux palissages. Tout ceci avec des résultats divers. C’est comme pour la grêle. Il y a des canons qui shootent des vapeurs d’iodure d’argent dans les nuages pour transformer les grêlons en pluie, c’est mieux. Sous réserve, naturellement, que le villageois, le riverain, accepte d’être sorti du sommeil par le gros boum, une ou deux nuits par an. Ce n’est pas toujours le cas. Toutes ces solutions sont autorisées. Elles ont le même impact sur l’environnement de la plante, sur l’écosystème, qu’une simple bâche tendue sur les vignes. Elles les transforment de la même manière. Pourtant, c’est permis. Les vignerons, vous, moi, tous, nous avons le droit de ne pas comprendre.


 

Poussons le raisonnement.

Ces bâches prohibées auraient l’intense défaut de modifier le millésime que produiront peut-être les vignes protégées. Est-ce que tout le monde s’en moque ou bien ? Déjà, de plus en plus de bouteilles ne portent de millésime que sur la contre-étiquette. Est-ce pour réaliser une petite économie d’étiquettes principales ? Non, bien sûr. La plupart des restaurants considèrent le millésime comme un embarras de trop, veulent des vins prêts à boire, pas des vins à faire vieillir, des vins aussitôt achetés, aussitôt vendus. C’est dire si le millésime les passionne. Le grand public, qui ne garde pas ses vins, n’y comprend rien. Reste une poignée d’amateurs, ici et là, surtout chez les riches étrangers. On m’objectera qu’on peut protéger quelques parcelles, pas cent hectares d’un seul tenant. Sûrement. Mais sur un vignoble, tout est différemment gélif. Oui, mais ce qui n’était pas gélif le devient et le contraire marche aussi. Ok, ok, l’idée centrale est de protéger au mieux, le plus possible, à commencer par la vie du vigneron.

 

Par quelle passion triste l’administration, d’où qu’elle vienne, s’acharne sur le vigneron ? Pourquoi se jeter sur un métier pour le rendre impossible ? Pourquoi ce désir fou d’être détestable – et détesté ? Pourquoi cette administration fait-elle avec autant d’application le lit de nos concurrents internationaux qui ne s’imposent pas des handicaps pareils ? Pour les faire rire ? Pour punir tout un secteur coupable de produire de l’alcool (quelle horreur) ? Où sont les « chocs de simplification » mille fois promis par les politiques de tous bords, jamais tenus par aucun ? Pourquoi compliquer la vie du deuxième contributeur à la balance des paiements derrière l’aéronautique, devant la cosmétique ? On a trop d’exportateurs performants ? Pourquoi personne ne répond jamais à ces questions ?

 


 

mercredi 8 juin 2022

Mes magnums (169)
Le saint-émilion d'une grande dame des vignes

 

Château Corbin, saint-émilion grand cru classé 2019





Pourquoi lui
Il y a longtemps que nous connaissons le chemin qui mène au château Corbin et nous l’empruntons chaque fois avec infiniment de plaisir. Anabelle Cruse, propriétaire et œnologue (oui, elle fait son vin elle-même), habite les lieux depuis longtemps avec sa famille, vraie rareté dans le tout petit monde des propriétaires bordelais et légitimité supplémentaire. Le niveau d’exigence, voire d’intransigeance, d’Anabelle propulse ses vins vers les sommets à toute allure sans jamais laisser place à l’approximation, au moyen. Pour exemple, elle n’a pas millésimé 2017. Tri sévère sur vendange de tout petit volume et voilà, pas de vin à la sortie. Il faut avoir les nerfs solides. Anabelle is strong.

 

Avec qui, avec quoi

Corbin, comme tous les saint-émilion de son niveau, s’attend. Un millésime aussi réussi avec 24 mois d’élevage, ne se traite pas d’un tire-bouchon désinvolte. Rien avant 2029, même si c’est déjà bon.

 

Combien et combien

760 magnums.

65 à 70 euros, selon les points de vente.

 

Ce qu’en dit le Nouveau Bettane+Desseauve

Extraction douce, fruit pur et frais. Avec ce millésime, la propriété inaugure les wineglobes pour les élevages. Vin raffiné, aux accents floraux avec un bel élan final.

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