Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



samedi 18 mars 2023

Ma bande de chouchous
(quatrième et dernière)

 Suite et fin de cette volée de vins adorables, tout ceux qui m'ont enchanté ces temps-ci.

Sant Armettu
L’Ermite, IGP Île de Beauté 2017
Là dans le sud de l’île, le cépage qui va bien, c’est le sciacarellu. Gilles Seroin, vigneron épatant, propose avec son Ermite un vin d’une grande finesse, un vin convaincant, bien fait, très bon. Le reste de la gamme est à l’avenant. Mon préféré en Corse.

 

 

Champagne Tarlant
Zéro, rosé brut nature
Benoît Tarlant a un vrai sens du champagne et, singulièrement, du rosé. Voilà une exécution de nature, ah, ah, à enchanter les amateurs de champagnes inhabituels. Pas dosé du tout (sans sucre ajouté), il a une structure imparable qui laisse toute la place à une aromatique splendide. Bravo.

 


Domaine du Trapadis
Les Adrès, rasteau 2017
Helen (prononcez É-lun, c’est un garçon) Durand et son domaine du Trapadis sont considérés comme les meilleurs de l’appellation. Voilà un vin presque prêt, fin, agréable. Carignan, grenache noir, mourvèdre, c’est intéressant. Un mariage heureux de pruneaux, les fruits noirs, la pointe de truffe, c’est le sud, un sud très provençal.

 


Triennes
Rosé 2019
Quand le propriétaire de la Romanée-Conti, Aubert de Villaines, s’en va faire du vin en Provence, on se doute que l’affaire est sérieuse. Elle l’est. Avec son associé Jacques Seysses (Domaine Dujac), ils produisent ce rosé parfaitement réussi. Existe dans les trois couleurs.

 



Bouchard Père & Fils
Volnay Les Caillerets premier cru
Avec le célèbre beaune premier cru Vigne de l’enfant-jésus, ce Caillerets est l’autre chouchou de Frédéric Weber, très talentueux vinificateur de la maison. Du volnay, il a tout ce qu’on aime, un vin de finesse, d’extraction douce à la limite de l’infusion. Très réussi.

 

  

 

Valentin Zusslin
Ophrys, alsace 2019
Jean-Paul Zusslin est à mes yeux le créatif le plus doué de sa génération. Avec sa sœur Marie, ils ont propulsé le domaine, familial depuis la nuit des temps, sur le devant de la scène. Cette cuvée Ophrys est un modèle de pinot noir comme on n’en voit peu. Même pas cher. Magnum indispensable, comme sur la photo.

 


 

Égly-Ouriet
Cuvée des Grands Côtés
Coteaux-champenois 2016
Chez Bettane+Desseauve, Francis Égly est un vigneron de référence. Pour Michel Bettane, cette cuvée de pinot noir tranquille est l’équivalent du meilleur de la Bourgogne. Considérons qu’il s’agit d’une très grande bouteille pour le prix d’une plus petite. Achetez tout ce que vous pouvez.



  

Stéphane Sérol
Chez Muron 2019
Un extrait de la parcelle Millerand, vinifié et élevé en amphore, plus de finesse, moins de matière. Pourtant plus large que la cuvée d’origine. On attendra ce beau gamay quelques temps ou on l’ouvrira en prenant de l’avance et une carafe. La côte roannaise commence à prendre la lumière. Ce n’est que justice.

 

 


 

2929 Haut du formulaiForadori
Sgarzon 2016

Tout le monde aime Elisabetta Foradori, moi aussi. Dans le nord de l’Italie, sur les pentes des Dolomites, elle exploite un vignoble surtout planté de teroldego, cépage rouge local. Tout ce qu’elle touche est réussi, adorable, on en veut, on y retourne, elle a aussi un vignoble en Toscane. En plus, c’est bien distribué en France.

mercredi 8 mars 2023

Ma bande de chouchous
(et de 3) (sur 4)

 


Paul Jaboulet Aîné

La Maison Bleue

Hermitage

Si la-chapelle assemble des parcelles haut de gamme, maison-bleue est un assemblage de parcelles de l’est de la colline de l’Hermitage, qui donnent des vins plus souples. Maison-bleue est aussi trois ou quatre fois moins cher, un marchepied bienvenu vers les finesses des grands de l’hermitage et, surtout, de la-chapelle, même maison. 

 

 



Joseph Perrier
La Côte à Bras
Champagne brut nature 2012
Une maison historique qui lance un champagne de vigneron. Très inhabituel. Une parcelle, un cépage, un millésime. Loin de l’assemblage champenois. Joseph Perrier dans la transgression, surprise. Réussite, aussi. Cette cuvée nature (non dosée) a l’énergie, la droiture, les saveurs. Bien joué de la part de la nouvelle génération de la maison. 

 

 



Domaine de la Bégude

Thyrsus 2020
Encore une fois, Guillaume Tari sort du très exigu sentier tracé par l’appellation bandol en produisant un rouge élevé en amphores. Ce qui n’est pas permis. On se demande bien pourquoi ; partout ailleurs en France, c'est possible. Évidemment, c’est une expression nouvelle du mourvèdre et ce bandol n’est pas un bandol. 

 

 



Klein Constantia

Vin de Constance 2018

Ce vin issu d’une des plus belles propriétés du monde en Afrique du Sud existe depuis si longtemps que même Napoléon qui en buvait beaucoup ne s’en souvient pas. C’est un muscat de Frontignan léger en liqueur. Domaine conseillé par Hubert de Boüard, aussi copropriétaire. Mérite d’être attendu.

 

 


 

Laherte Frères
Ultradition

Champagne extra-brut
Tu demandes un champagne, voilà une splendeur, un truc inconnu, tu voudrais en avoir plein ta cave, en boire toute ta vie. Autour de la table, une tension monte, l’enthousiasme est là. Big up pour Aurélien, le sommelier du Sergent Recruteur.

 

 



Château Mangot

Distique 9

Saint-émilion grand cru

Chez les Todeschini, on s’affranchit des codes. Là, le millésime ne figure pas, c’est le 9 qui désigne le neuvième tirage de vins élevés en barriques assemblés à d’autres en amphores. Les Todeschini font aussi des rosés, des vins sans soufre et toutes sortes d’inventions. Ce vignoble en hémicycle, très spectaculaire à Saint-Émilion, vaut tous les détours.

 

 



Le Brun de Neuville

Autolyse rosée

Champagne brut

Ce qui séduit d’abord, c’est la couleur de ce rosé, ce feu, cette fulgurance, cette lumière. La bouche suit le mouvement avec talent. Tous les autres vins de cette gamme subtile et complète sont des succès. Même la contre-étiquette est un modèle dans le genre informative. Le Brun de Neuville, petite coopérative du Sézannais, porte haut les couleurs de la coopération.

 

 



PietraDolce

Etna Rosso 2018

Ce vin de Sicile découvert chez Sormani à Paris (grande carte des vins et assiette très soignée) est une rareté. Comprendre un vin pâle, à peine extrait, léger en bouche, aromatique comme on l’aime. Loin des vins noirs auxquels l’île italienne nous a habitué. J’en connais qui diront que ce vin manque de corps. C’est vrai, c’est aussi pour ça qu’on l’aime.

 

 



Résonance Vineyard

Yamhill-Carlton

Pinot noir 2014

La maison beaunoise Louis Jadot possède deux domaines dans la Willamette Valley. L'un s'appelle Découverte ; l'autre, que voici, Résonance. Un 2014, excellent millésime en Oregon. C'est un pinot noir planté franc de pied. Un vin avec une matière, un nez épatant, une couleur limpide. 

 

 



Penfolds

Saint-Henri shiraz 2018

Si la star de la gigantesque maison Penfolds à Adélaïde (et presque partout dans le monde) est le très fameux Grange, vedette mondiale depuis soixante ans, la cuvée Saint-Henri le talonne de près. Peter Gago, l’inventif winemaker capable de toutes les créativités, sait aussi donner une leçon de syrah de temps en temps. Saint-Henri, c’est ça. Mon préféré dans la gamme.

 

mardi 28 février 2023

Le Guide Michelin fait sa pub
sur le dos de Guy Savoy

 

Guy Savoy dans sa tenue quotidienne
 

Le Michelin fait sa chochotte en retirant une étoile à Guy Savoy. Sérieux ? Ils n’ont pas été déjeuner chez Savoy ? Le gars, l’inspecteur avait le covid, plus de goût, plus d’odorat ? Il lui faut quoi de plus au Michelin ? Voilà un restaurant d’exception dans un lieu de grand prestige, une déco Wilmotte à la pointe, une assiette hors normes, une sommellerie de premier ordre, un chef présent à tous les services qui accueille lui-même ses clients, des salons de grand confort pour les clients. Alors, quoi ? Il lui faut Guy Savoy en tutu qui récite le catéchisme woke ?  
Non, ceux du Michelin retirent une étoile au chef encensé par toute la planète food uniquement pour faire les malins, pour faire le buzz, pour que la sortie du Guide soit l’objet d’une controverse propice à la diffusion de l’opus annuel. C’est leur lancement à eux, ils sont pitoyables. Et, bien sûr, ce faisant, ils garantissent à l’adorable Guy Savoy l’affection éternelle de sa clientèle. Il y a déjà longtemps qu’on s’en fout du nombre d’étoiles. Ce ne sont pas ces étoiles-là qui nous guident dans le ciel gastronomique.

 

 

dimanche 26 février 2023

Ma bande de chouchous
(deuxième livraison, 2 de 4)

 

Voilà les neuf suivants dune sélection de 35 vins. Tout ceux que jai adoré ces temps derniers. À suivre très vite sur ce blog. 

 


Christian Gosset
Champagne A01 rosé grand cru
Ce Gosset-là vient de la famille Gosset-Brabant. Avec ses cinq hectares et son indépendance, le voilà néo-vigneron à 50 ans. Pas tellement néo, en fait. Un talent fou et le savoir-faire. Ce rosé issu d’une petite parcelle est une réussite cinglante. Le plaisir est au bout du verre. Et, pour lui, du rêve.

 

 

Le Clos du Caillou
Le bouquet des garrigues, côtes-du-rhône 2017
D’un domaine surtout connu pour ses sublimes châteauneuf-du-pape, ce côtes-du-rhône joue de sa finesse, d’une belle élégance. Une expression du grenache (majoritaire dans l’assemblage) qui privilégie la fraîcheur. On en rêve tous.

 

 


Jean-Luc Colombo
Le Pavillon des courtisanes, cairanne 2019
L’homme est surtout connu pour ses admirables cornas, son appellation chérie. Il intervient aussi tout autour de chez lui et jusqu’au bord de la Méditerranée. Même s’il est déjà bon, ce cairanne profitera pleinement de quelques années (deux ou trois, pas plus) de repos à fond de cave.

 

 

 

Domaine de l’A
Bordeaux blanc 2017
J’ai découvert ce vin à l'aveugle, penché sur un verre de blanc. Au nez, extase immédiate. C’est un chardonnay d’une qualité incroyable. D’où ? Personne n’a su le dire. De Bordeaux, chère madame. Surprise et joie. Sur la Rive droite, ils sont quelques-uns (peu nombreux) à nous émouvoir avec leurs chardonnays. Dont les Derenoncourt.

 

 
Domaine Decelle & Fils

Beaune premier cru Les Teurons 2018
Un jour, Thierry Desseauve arrive au bureau en se félicitant à grands cris d’avoir bu cette bouteille. De superlatifs en superlatifs, il n’avait pas de mots trop forts, la conviction gagne. J’ai fait pareil à toute allure. J’ai adoré. C’est à vous, maintenant.

 

Chante Cocotte
La Cocotte Rose 2015, La Cocotte Blanche 2013
Régis Franc n’est pas un vigneron, pas plus un vinificateur. C’est un auteur de vins bien entouré et doté d’un sixième sens pour dénicher des parcelles incroyables qui produisent des vins de belle garde, même en rosé. Il fait aussi plusieurs rouges et même un clairet parfait, à tous les étages de l’argent.

 


Drouhin Oregon
Roserock, pinot noir 2014
L’autre propriété de la famille Drouhin en Oregon et mon préféré. Un pinot noir tout en ciselures, d’une finesse peu commune. Un terroir de fou planté sur un coteau abrupt en face de la chaîne des volcans. Le grand vin à vue d’œil. Il laisse dans le sillage plein d’autres pinots noirs. Leçon. Existe aussi en blanc.

 



Champagne Henriot
L’Inattendue, blanc de blancs grand cru 2016
Voilà que le président de la maison Henriot (avec la nouvelle chef de caves) décide de produire une cuvée hors gamme bien à lui. L’Inattendue arrive sur le marché. Un blanc de blancs grand cru, faiblement dosé, aussi réussi que le reste de la production avec une personnalité différente. C’était l’idée.

 


Famille Brunier
Piedlong, châteauneuf-du-pape 2014
Piedlong est le nom d’une parcelle, proche de Pignan dont quelques raisins complètent l’assemblage. C’est l’aristocratie, ou l’une des, de Châteauneuf-du-Pape. Et voilà un grenache très pur, infusé, aux tanins polis comme un galet roulé, la finesse en bandoulière. Tout s’explique.

 

dimanche 19 février 2023

Ma bande de chouchous (1 de 4)

Voilà les six premiers dune sélection de 35 vins. Pas les plus grands, juste tout ceux que jai adoré ces temps derniers. À suivre très vite sur ce blog. 

 

Château Climens
Asphodèle 2019
Blanc sec de Barsac
Impossible de faire vivre une propriété du Sauternais sans un blanc sec. Bérénice Lurton n’échappe pas à la règle et s’en sort avec les honneurs et cet Asphodèle 100 % sémillon, rondeur et suavité hors-norme, un modèle de vin aimable, l
avantage du sémillon. Et puis, Bérénice a vendu Climens…

 

Clos des Fées
Œil-de-perdrix,
rosé de pinot noir 2020
Hervé Bizeul a fait du rosé par hasard. Une cuve de pinot noir qui vit sa vie dans un coin et bim, voilà du rosé. C’est un raccourci, mais le résultat est là, c’est très bon. Il s’appelle Œil-de-perdrix, un nom ancien pour désigner la couleur du vin, plutôt très élégante. Le hasard fait bien les choses.

 

Graeme et Julie Bott

Kamaka

Terroir de Seyssuel 2018

Le premier tirage de la syrah plantée sur le terroir de Seyssuel, nouvelle star du nord de Vienne, une terrasse en surplomb du Rhône bientôt en AOP, par Graeme et Julie Bott.
700 bouteilles hors commerce, acquises par ceux qui ont aidé Graeme et Julie à acquérir le matériel pour planter. Oui, il y a des gens comme ça.

 

 

 

Boris Champy

Coteaux-bourguignons 2019
Ma première bouteille signée Boris Champy. Ce coteaux-bourguignons issu du gamay, tonique, précis, parfait. Après une belle carrière (son interview dans EnMagnum n°28), il a repris le domaine Montchovet, pionnier historique du bio en Bourgogne. Reste une gamme à découvrir, j’ai déjà commencé.

 

 


Château de Chamirey

Clos du Roi, mercurey 2019

La Bourgogne, c’est le sujet de ce numéro. La côte-chalonnaise, la valeur refuge pour tous les amateurs de bourgognes. Et ce clos-du-roi de l’excellent château de Chamirey, une chance inouïe de boire un grand pinot noir au prix d’un petit, un peu plus au nord de cette même Bourgogne.

 

 


Hubert de Boüard
Chardonnay 2018
Hubert de Boüard s’intéresse à tout, dont le chardonnay qu’il plante sur ses terres de Lalande-de-Pomerol. Ce vin est très réussi avec son aromatique chantante, ses complexités et sa persistance interminable. C’est très beau. Cette passion fait plaisir à voir et à boire, déjà. 

 

 

La liste complète a été publiée dans EnMagnum n°29 sous une forme différente.

mardi 14 février 2023

Caroline Frey n'arrête jamais (+ un scoop)

Caroline Frey photographiée tout en haut de la colline de l'Hermitage

 


 

Vous faites votre première vinification chez Denis Dubourdieu en 2002. Deux ans plus tard, vous prenez les commandes d’un grand cru classé en haut-médoc, le château La Lagune. Quel est votre état d’esprit à ce moment-là ?

Avec le recul, je me dis que j’étais complètement inconsciente. J’étais jeune, je n’ai pas réalisé les enjeux, c’est sûrement pour ça que tout s’est très bien passé. L’enthousiasme avait pris le pas sur le reste. J’ai géré les vinifications de A à Z, ce ne sont que d’excellents souvenirs. Denis Dubourdieu, qui savait ce qui m’attendait, m’avait bien préparé à cette prise de fonctions. Il consultait pour La Lagune à ce moment-là.

En 2006, votre père acquiert Paul Jaboulet Aîné. Avec seulement deux ans d’expérience et en plus du château La Lagune, vous dirigez ce grand négociant du Rhône avec un patrimoine de vignes important.

En arrivant au pied de la colline de l’Hermitage, j’ai ressenti une certaine intimidation, j’étais mieux consciente de l’enjeu qu’en 2004. Un univers de vignes et de cépages dont j’ignorais tout. Comme toujours, j’étais motivée par l’envie de bien faire, de me rapprocher des vignerons locaux, l’écoute et le respect. Les changements n’ont jamais été rapides ou brutaux, je préfère laisser le temps. Je n’étais pas seule, j’ai toujours gardé le lien avec Denis et il m’a rejoint dès le début.

Pourtant Denis Dubourdieu n’a pas été très bien accueilli sur les collines de l’Hermitage.

Oui. À l’époque, on nous reprochait de faire des syrahs trop bordelaises. Je me rappelle même ce que Michel Bettane, sur une de ses vidéos de dégustation, avait dit de notre hermitage : « C’est merveilleux, il y a presque cette classe bordelaise ». Sans doute, mais un très grand vin n’a pas vraiment de frontière. Denis le savait et m’a appris ce qu’est un très grand vin. À partir du moment où j’ai eu cet objectif, je savais où j’allais et c’était bien plus facile de chercher cette excellence.

En 2013, je me souviens que vous aviez reçu Jancis Robinson et qu’elle avait commis dans le Financial Times un article désagréable sur la-chapelle. Vous m’aviez accordé une interview pour lui répondre. Vous ne compreniez pas la manière dont elle envisageait la-chapelle, vous aviez le sentiment qu’un changement de style s’était doucement opéré d’un millésime à l’autre. Et pas elle.

C’est vrai. Je suis habituée à ce genre de situation, maintenant. Ça arrive, rien de grave. Cela fait un certain nombre d’années que je suis là, je m’approprie ce terroir, je déguste régulièrement les vieux millésimes, je m’imprègne de ce vin, de ce terroir, de cet univers et, tous les ans, je cherche le petit détail pour faire toujours mieux. Discuter du rendu pour des questions de goût, je peux le comprendre. Mais on ne peut pas me reprocher de ne pas tout faire pour la-chapelle. J’ai un gros degré d’exigence et je pense être une des personnes qui connaît le mieux ce vin et ce terroir. J’y consacre ma vie. Ce vin est le projet de ma vie.

À propos d’exigence, je me souviens que vous n’aviez pas millésimé 2008. Il n’était pas à la hauteur d’excellence que vous voulez pour cette cuvée.

Oui. Aujourd’hui, nous sommes très respectueux de ce terroir. Moi, je n’ai pas eu besoin de faire une demande d’irrigation malgré l’intensité de la sécheresse en 2022. Nous travaillons en biodynamie depuis un moment, pas sur les raisins de négoce, c’est impossible, mais sur l’ensemble de notre vignoble. Nous sommes sans cesse en train d’apprendre. Cette philosophie de la biodynamie me plaît, elle s’attache aux sols et aux plantes, c’est-à-dire sur le travail en amont avant de devoir intervenir mécaniquement. Cette approche fonctionne ; vous auriez dû voir Le Méal (une parcelle de l’Hermitage, NDLR) cette année : la vigne y est belle et verdoyante alors que c’est une parcelle plantée sur un coteau de cailloux plein sud et qu’elle a subi cette année une chaleur infernale sans une goutte d’eau. Les raisins sont beaux et pas flétris – une preuve que l’on commence à comprendre comment faire fonctionner le terroir à son optimum.

Quelques années plus tard, en 2015, vous arrivez en Bourgogne.

Et comme à chaque fois que j’ai changé de région, je suis arrivée avec une étiquette.  Aucune importance, je sais où je veux aller et je cherche une fois de plus à faire ce qu’il y a de mieux. Il y avait beaucoup de travail, la vigne n’avait pas été très travaillée et il fallait remettre une partie du vignoble en ordre. Sur les sept hectares dont nous disposons, nous avons dû replanter l’équivalent d’un hectare. C’est considérable et cela prend du temps ; il ne faut pas être pressé.

Parlez-moi de votre jardin secret dans le Valais. D’où vous est venue cette idée folle ?

J’y ai fait mon premier millésime en 2016. J’avais besoin de retrouver cette proximité avec la vigne. Les choses, mon travail, ont beaucoup évolué depuis mes débuts à La Lagune. Je ne peux plus ouvrir et fermer la cave tous les jours comme je le faisais à Bordeaux. Il y a aussi Jaboulet et Corton. Je ne peux plus assurer toute la partie représentation et commerciale qui est gérée par une équipe qui s’en occupe très bien. Je travaille quotidiennement avec mes équipes techniques, mais le vignoble a pris une dimension qui a complètement bousculé mon rapport à la vigne et au vin, et j’avais besoin de me dire que j’allais retailler, et faire tous ces travaux inhérents à la vigne. Et puis il y a la petite arvine. Denis aimait beaucoup ce cépage, on en buvait ensemble et il en parlait comme un des plus grands cépages au monde. Dans un des derniers échanges que nous avons eus, il m’a félicité pour ce courage que j’avais de tout reprendre à zéro. Ce même courage m’a permis de me rapprocher énormément de mes équipes. Seule sur ma montagne, je peux faire des tests et trouver ce qu’il y a de mieux pour mes raisins. Ainsi, le fait d’essayer de nouvelles techniques me permet d’avoir des réponses aux questions et des solutions pour la mise en œuvre. Je suis venue au vin parce que j’aime être dehors, travailler la terre, me promener en forêt, courir en montagne. Ces choses me constituent, cette vigne me permet de m’y retrouver.

Cela fait 18 ans que vous produisez les vins de grands vignobles, vous êtes encore très jeune. Ça va durer longtemps ? Vous allez faire du vin toute votre vie ?

J’ai bien l’impression, oui. Je ne peux pas imaginer de mon vivant qu’il y ait un millésime à La Lagune, à Corton ou à La Chapelle qui me soit étranger.

Un projet de plus à venir ?

C’est possible. Un projet affectif. La magie des réseaux sociaux permet aussi de belles rencontres et c’est ainsi que j’ai discuté avec un historien du vin du Val d’Aoste. J’ai encore de la famille là-bas, et je sais que mon arrière-arrière-grand-père y avait un restaurant ainsi qu’une vigne. En tant qu’historien, il a accès aux archives. Il me propose d’effectuer des recherches. C’était la famille Joris qui était en fait assez connue et avait eu un tas de médailles, ce qui faisait d’eux une famille de vignerons assez réputée à l’époque. Nous sommes en train de creuser un peu plus cette histoire et nous cherchons à retrouver l’emplacement des vignes. Je vais bientôt aller dans le Val d’Aoste et, bien sûr, si nous trouvons la vigne de l’arrière-arrière-grand-père, je ne résisterai pas. En plus, c’est un très beau terroir pour le nebbiolo. Encore un cépage à découvrir.

 

Cet entretien a été publié dans le supplément vin du JDD, fin 2022, sous une forme différente. La photo est signée Mathieu Garçon.