Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



jeudi 29 avril 2021

« Taittinger est plus moderne qu’on ne le croit »

Au début de l’année 2020, Vitalie Taittinger a reçu des mains de son père, l’emblématique Pierre-Emmanuel, la gouvernance de la maison éponyme. Aujourd’hui, c’est elle la présidente. Au bout de presqu’une année – terrible , il était temps de faire un premier point. Et c’est bien

Vitalie Taittinger


C'était le jeudi 2 janvier 2020 au matin. Vous arriviez au siège de la maison Taittinger. Vous changiez de bureau. Et de vie. Présidente, ça fait comment ?

Rien de radical. J’étais déjà lancée dans l’aventure depuis quelques années. C’est un changement de posture dans l’entreprise. Je quitte une fonction opérationnelle, celle du marketing et de la communication. Ce nouveau poste m’oblige à plus de retrait, plus de réflexion. Savoir observer. Il y a une responsabilité que je n’avais pas. Elle a été d’autant plus forte avec la crise liée au Covid-19. Mon premier geste fort dans l’entreprise, c’est d’avoir fermé la cuverie. Bien sûr, c’était une mesure forte, normale et évidente toutefois en raison des circonstances. Nous avons travaillé deux jours pour arrêter et sécuriser le site et nous avons anticipé cette fermeture parce que nous ne voulions mettre personne en danger.

Vous voilà loin de votre carrière initiale ? Comment vous en sortez-vous ?

D’abord, je ne suis pas seule. Je suis entourée de gens talentueux que je connais bien et en qui j’ai confiance. Ça fait treize ans que je travaille avec eux, que je les connais. Je ne les découvre pas. Le comité exécutif s’occupe de veiller aux grands équilibres de l’entreprise. Il étudie la totalité des sujets. En ce qui concerne mes propres compétences, c’est certain que les études que j’ai suivies ne me destinaient en rien à ma fonction aujourd’hui chez Taittinger. En treize ans, j’ai compris que rien n’était impossible, qu’on apprenait un peu plus en situation dans les entreprises qu’à l’école.

De l’extérieur, Taittinger est entre les mains d’une bande de jeunes. Un renouvellement total des générations ?

C’est vrai. Pour tout dire, nous pensons déjà à celle qui nous succèdera. Tout va très vite. Nous avons besoin de nous appuyer sur une génération à suivre qui soit très bien construite et formée. Il y a un objectif de croissance interne et externe à atteindre et des enjeux de taille. Presque toute l’équipe est en place depuis l’arrivée de mon père Pierre-Emmanuel, en 2007. Dès le début, mon père avait mis le cap sur ce rajeunissement.

Quelles sont les activités de Pierre-Emmanuel Taittinger dans ce nouvel organigramme ?

Aujourd’hui, il est chargé de mission pour la maison. Il n’a pas de regard sur le business, il s’y intéresse, nous le sollicitons en cas de problème. Il apporte son expérience. C’est aussi un ambassadeur formidable qui incarne au mieux toutes les valeurs de la maison. C’est lui qui l’a reprise, c’était un rêve fou. Parce qu’il est curieux et actif, il regarde aussi ce qui se passe dans le monde des affaires. Il nous donne toutes sortes d’informations. Je l’appelle souvent et on se voit beaucoup. Il a repris une des plus vielles entreprises françaises de vitraux, Simon Marc, installée à Reims, qu’il tente de sauver.

C’est une constante de la maison. Taittinger est un grand mécène

La maison a participé à la reconstruction de la cathédrale de Reims. Nous en étions mécène avec d’autres entreprises rémoises. Nous continuons à être investi dans le soutien du patrimoine rémois et champenois. En ce moment, nous participons aux travaux de rénovation de la façade et de la statuaire de la demeure des Comtes de Champagne. Cette maison fait partie du patrimoine de l’entreprise et accueille beaucoup de manifestations culturelles.

Quand la maison a redémarré en 2007, Pierre-Emmanuel avait insisté sur le caractère familial de l’entreprise et redéfinit des objectifs pour cette nouvelle époque. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Le premier objectif de la famille a toujours été de garder le contrôle de l’entreprise. C’est le cas aujourd’hui. Bien sûr, la maison doit continuer à s’ancrer et à se développer. Aujourd’hui, nous disposons presque de 300 hectares de vignes. C’est énorme. L’achat de nouvelles parcelles n’est donc pas à l’ordre du jour. Notre voulons faire en sorte que cette entreprise acquiert petit à petit son patrimoine. L’axe prioritaire de la maison, c’est le développement de l’outil de production.

Pourquoi ?

La raison principale est simple. Le prix de du foncier en Champagne est extrêmement élevé. Cela prend beaucoup de temps avant de pouvoir en tirer des bénéfices. Aujourd’hui, on a déjà un capital de vignes important et des partenaires avec lesquels nous travaillons bien et depuis longtemps. C’est un équilibre et à ce niveau-là, nous ne voulons pas aller plus loin.

Taittinger est en Californie depuis longtemps. Il y a quelques temps, Pierre-Emmanuel a pris position en Angleterre dans le Kent pour produire un sparkling haut-de-gamme. Pourquoi ?

Pour les mêmes raisons qui nous ont amené à nous installer en Californie dans les années 80. La maison cherche à se solidifier en Champage et à se solidifier en général. Cette croissance externe assoit aussi la marque et le savoir-faire de la maison dans les marchés qui sont pour nous le plus important, aux États-Unis et en Angleterre. C’était pertinent d’acheter un peu plus de trente hectares de vignes dans le Kent.

Pour la toute nouvelle présidente que vous êtes, la liberté d’innover, c’est possible ?

Je me sens libre. La meilleure façon pour moi d’être libre dans cette entreprise, c’est de vivre l’aventure et d’être aux aguets sur la qualité de nos vins. Je veux questionner la gamme jusqu’au bout et jusqu’au jour où la maison aura envie de changer. On change et on évolue depuis des années, ce n’est pas toujours visible. Dans l’invisible, beaucoup de choses changent. Mais je ne crois pas à une bonne communication qui ne relayerait pas l’envie ou le besoin de changer de message ou à une communication sans nouvelle histoire à raconter. La feuille de route que nous nous sommes donnés avec ma bande, comme vous dites, c’est la liberté. C’est vrai, je suis un peu moins conservateur que ne l’a été mon père. Pour lui, c’était important de maintenir chacune des cuvées. Nous voulons les maintenir et nous battre pour que toutes les références de la gamme soient importantes. Dans les prochaines années, il y a aura des changements dans ce sens. J’insiste, ma liberté n’est pas une posture. Ce n‘est pas parce que je suis là que j’ai envie de tout changer. On changera ce qu’il faut changer pour que la maison soit dans son époque et qu’elle continue à raconter une histoire vraie et qui lui soit propre.

Aujourd’hui, l’idée reçue c’est que Taittinger est le grand ambassadeur du classicisme champenois. Nous l’avons vérifié chez Bettane+Desseauve, il y a plus de modernité dans les vins que l’idée qu’on se fait de la maison.

C’est vrai. Notre objectif, c’est de le traduire et c’est la mission que j’ai confiée à celle qui a pris ma place, Hannelore Rima. Mon père a repris l’entreprise avec une folle audace, mais il n’aurait jamais remis en cause le travail qui avait été fait avant. Le classicisme est une vision très conservatrice de ce que nous sommes. Nous arrivons à un moment où nous ne sommes pas à l’aise avec cette idée dépassée. Elle ne ressemble pas à l’énergie qu’il y a dans cette maison, ni dans ses vins ni dans son équipe, pas plus son positionnement. Le positionnement, c’est l’idée que le consommateur se fait d’un produit, d’une marque. Ce qu’il voit n’est pas forcément ce que nous sommes. La première chose à faire, c’est de rétablir cet alignement. C’est ma première mission. Nous sommes en train de déterminer l’endroit où nous allons placer le curseur entre le classicisme et la modernité. Il doit témoigner à la fois d’une continuité – on ne renie pas le passé – et d’une grande transparence pour qu’on sache qui nous sommes, ce que nous sommes en train de construire.


Cet entretien a été publié dans le numéro 21 de EnMagnum sous une forme différente

La photo est signée Mathieu Garçon

 

 

 

 

 

lundi 26 avril 2021

Albéric Bichot :
"La Bourgogne est la région qui souffre le moins"

 

Albéric Bichot, vous êtes le président de la maison Albert Bichot, l’un des cinq grands négociants de Beaune. Comment la maison a-t-elle passé 2020 ?

C’est une année exceptionnelle et historique, l’année de tous les dangers et de toutes les remises en question. Comme je suis d’un naturel optimiste, je dirais que c’est aussi l’année de tous les rebonds. La Bourgogne continue d’être bénie des dieux. Si l’on regarde le chiffre d’affaires global de l’année, on constate une baisse d’environ 7 à 8 % pour le vignoble dans son ensemble, coopérateurs, viticulteurs et négociants confondus. Au printemps 2020, au moment du début de cette crise, tout le monde en Bourgogne aurait signé des deux mains pour ce résultat. Est-ce qu’il y a un modèle bourguignon de résilience, je ne sais pas. Nous essayons de trouver des solutions. L’offre de la Bourgogne reste quand même très large. Certes, il y a les grands crus, les noms connus et les climats célèbres, il y a aussi tous les autres vins de Bourgogne, les mâcons, les chablis, les hautes-côtes et les vins de la côte chalonnaise.  

 

Albéric Bichot (photo Mathieu Garçon)

 

La Bourgogne est rassurante ?

Nous avons des petites récoltes depuis quelques années. L’offre n’est pas colossale et la demande est toujours là. Honnêtement, dans les crises importantes qu’on a vécues, on voit que les consommateurs et les aficionados de la Bourgogne reviennent aux valeurs sûres et rassurantes. Dans les faits, c’est la région qui souffre le moins aujourd’hui. On ne fanfaronne pas pour autant. Nous ne sommes pas plus malins que les autres. La situation est attristante, loin d’être désespérée.

 

Les derniers millésimes permettent cette position ?

2019 vient après 2018, millésime magnifique en qualité et avec du volume. Toute la Bourgogne l’attendait depuis dix ans au moins. En général, le millésime 2019 a produit de petites récoltes. Les vignes ont souffert de la sècheresse et du manque de pluie au cours de l’été. Le pinot noir en a vraiment pâti avec une récolte à peu près inférieure de 20 % par rapport à la moyenne. Qu’est-ce qu’une récolte moyenne aujourd’hui ? On ne sait plus trop. De la même manière, si on fait une moyenne des dix dernières années, 2020 est une des plus petites récoltes pour les pinots noirs. Ils sont pourtant d’un très bon niveau de qualité avec des raisins sains, une superbe maturité sans trop de sucre et d’alcool potentiel et des équilibres qui s’avèrent prometteurs.

 

Dans ce contexte, la maison Albert Bichot suit la tendance de la Bourgogne ?

Avec un léger mieux. Notre clientèle est très diversifiée, c’est ce qui nous permet d’avoir une activité bien répartie. Aucun de nos marchés ne pèse 30 ou 40 % de la totalité de notre chiffre d’affaires. C’est une chance. Les USA, jusqu’à la crise de la Covid et jusqu’aux taxes américaines, représentaient quand même plus d’un quart de toutes les exportations de la Bourgogne. Historiquement, nos marchés ont toujours été mieux répartis.

 

C’était une volonté commerciale ?

Je dirais que c’était plutôt de la prudence et un atavisme familial. De fait, à une époque, nous n’avons peut-être pas été suffisamment performants quand certains marchés l’étaient. Cependant quand d’autres faiblissent brutalement, nous résistons mieux. Évidemment, nous déplorons la mise à l’arrêt du marché de la restauration française comme internationale. Mais nous n’oublions pas nos amis restaurateurs. Nous gardons leurs allocations en espérant qu’il puisse ouvrir à nouveau le plus vite possible. C’est dur pour eux comme pour leurs fournisseurs. 

 

La maison Albert Bichot est inscrite dans le paysage bourguignon depuis longtemps…

Deux siècles. On va fêter notre bicentenaire en 2031. La maison a été fondé par mon arrière-arrière-grand-père en 1831. À l’époque, la maison était située à Monthélie. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’on s’est installé à Beaune. La maison a traversé de nombreuses crises, en particulier pendant la deuxième guerre mondiale. Mon grand-père a perdu toutes les vignes, tout a été vendu à la fin des années 40. C’était la troisième fois que la famille perdait ses vignes, après la crise du phylloxera et la première guerre mondiale, quand le commerce allait mal. La seule manière de s’en sortir, à l’époque, c’était de vendre le peu de terres qu’on avait. Ce n’est qu’à partir des années 60 que mon grand-père et mon père ont souhaité revenir à cette aventure vigneronne en complément du négoce traditionnel. Nous sommes des commerçants depuis 200 ans, nous sommes devenus beaucoup plus vigneron ces soixante dernières années.

 

Votre vignoble en propre représente quelle superficie ?

Aujourd’hui, c’est un peu plus de 105 hectares répartis en Bourgogne. D’abord à Chablis avec le domaine Long-Depaquit. On y possède une dizaine d’hectares de grands crus dont le grand cru Moutonne. En côte de Nuits avec le domaine du Clos Frantin et le Château Gris ; en côte de Beaune avec le domaine du Pavillon ; en côte chalonnaise avec le domaine Adélie et, plus récemment, en Beaujolais à Moulin-à-vent, avec le domaine de Rochegrès. Notre idée, en reprenant l’histoire de ces domaines, est de nous inscrire dans ce modèle bourguignon de micro-parcelles avec des équipes dédiées pour chaque domaine. On cherche à mettre nos domaines sous la signature Albert Bichot, tout en respectant leurs spécificités et leurs terroirs. Le but, c’est de révéler chaque terroir avec sa personnalité.

 

Vous vinifiez combien d’étiquettes ?

Nos 105 hectares de vignes représentent 61 terroirs et climats différents, embouteillés avec leurs étiquettes propres. Pour la partie négoce, c’est à peu près la même chose. Pour tous nos grands crus, premiers crus et « grands » villages, ce ne sont maintenant que des achats de raisins, vinifiés dans nos propres cuveries. Ça peut être une cuvée de 15 ou 20 pièces (à peu près 6 000 bouteilles) mais aussi des petites parcelles qui ne feront que trois pièces (environ 900 bouteilles). Notre but ultime avec ce travail n’est pas d’ordre strictement économique. La mosaïque des terroirs bourguignons, unique au monde et reconnu par l’Unesco, c’est 1 240 climats dans une toute petite région viticole. Quand on parle d’archétype d’une viticulture de terroirs, on parle de la Bourgogne. En 2 000 ans, le travail de l’homme a façonné, créé et révélé ces micro-parcelles. Ce n’est pas du marketing, c’est la réalité des terroirs. J’en veux pour exemple le clos des Maréchaudes à Corton. C’est un monopole de deux hectares que nous avons le privilège de posséder et de cultiver. Ce clos se partage entre 1,5 hectares d’aloxe-corton 1er cru Clos des Maréchaudes et un demi-hectare de corton grand cru Clos des Maréchaudes. Est-ce du du marketing ? Non. Il y a bien une séparation géologique, le terroir n’est pas le même. Au milieu de cette parcelle, entre le haut et le bas, il y a un décrochement géologique, une sorte de marche, la roche-mère affleure beaucoup plus. Il y a effectivement plus de calcaire à ce niveau.

 

Pourquoi mettre en bouteille le premier cru Videbourse ? Pour qui ?

Oui parce qu’on explique que c’est un climat situé juste en dessous de la parcelle du bâtard-montrachet. Une petite parcelle non classée en 1936 par l’Inao, pourtant très bien placée. Même cas de figure à Vosne-Romanée avec le premier cru Malconsorts. C’est l’un de nos fleurons et l’un de nos vins icôniques. En Bourgogne, il suffit souvent de faire un pas pour que les terroirs changent. Les moines ont identifié cela d’une manière tout à fait empirique sur une très longue période d’observation. C’est assez impressionnant et époustouflant. Quand on carotte ou quand on fait des études de sols, on découvre qu’il n’y a pas d’erreur. Les moines ne se sont jamais trompés.

 

Combien coûte une bouteille de bâtard-montrachet ?

Chez un caviste, ça va de 190 à 800 euros. Le prix dépend beaucoup de la reconnaissance du producteur et de la capacité du consommateur à vouloir la bouteille ou à spéculer.

 

Et le chassagne-montrachet, mitoyen du bâtard ?

C’est cinq à six fois moins cher, entre 60 et 70 euros environ.

 

Château Gris, c’est une histoire étonnante…

Château Gris est un vignoble très pentu de trois hectares, planté en terrasses, situé à Nuits-Saint-Georges. C’est ce qu’on appelle « une petite folie », construit en 1805, pendant une crise économique importante à l’époque. Le propriétaire a agi comme un mécène, il a fait construire pour donner du travail aux hommes du village. À l’œil, c’est un peu la Côte-Rôtie de la côte de Nuits. L’essentiel est planté en pinot noir. Il y avait une parcelle de 70 ares, située dans une combe tout en haut du domaine, qui n’était pas plantée jusqu’à récemment, aujourd’hui plantée en chardonnay. Avec, on fait à peu près 2 000 bouteilles par an d’un nuits-saint-georges blanc (NDLR, 1,5 % du vignoble de l’appellation nuits-saint-georges est en chardonnay). Pour le pinot noir, c’est assez amusant, chaque terrasse a un sous-sol géologique différent. Plus on monte sur le coteau, plus on est sur du calcaire dur. Dans nos assemblages, c’est très intéressant de constater les spécificités des terrasses où la terre est légèrement plus profonde et celles où le sol est plus minéral.

 

Le bio, c’est un sujet ?

Oui. Aujourd’hui, tous nos domaines, en Côte-d’Or comme en côte chalonnaise, sont cultivés en agriculture biologique certifiée. Tout le domaine Albert Bichot est en bio. Nous sommes la maison qui offre la plus large gamme de vins bio de Bourgogne. C’est une fierté. Nous avons plus de 42 vins en bio certifiée. Cette démarche a commencé au milieu des années 2000. C’est le sens de l’histoire et du respect de la terre. La vérité de la Bourgogne, on la connaît, c’est ce qu’on a sous nos pieds, c’est le sous-sol. On peut supposer que continuer à le polluer avec des produits chimiques n’est pas une bonne chose. Est-ce que les vins sont meilleurs ? On ne peut pas l’affirmer. On constate simplement que les vins ont plus de pureté et de précision. L’enracinement se fait différemment, du fait d’une culture de la terre qui cherche à éviter les tassements des sols. La vie du sol est beaucoup plus forte. Si on veut vraiment révéler l’identité d’un sol, il faut inciter les racines à aller plus profond.

 

Tous vos confrères, les grands négociants de Beaune et de Nuits, ont fait des choix de développement qui les ont emmenés en Amérique, sauf Louis Latour. Jadot, Drouhin, Bouchard sont en Oregon. Faiveley en Californie…

Rien n’est jamais exclu. Notre développement privilégie la Bourgogne pour le moment. Aux États-unis, nous avons créé notre propre filiale d'importation et e distribution, une équipe de huit personnes à ce jour.


Cet entretien a été publié dan en Magnum #22 sous une forme différente.

mercredi 21 avril 2021

L’addition, s’il vous plaît

 

Les restaurants sont fermés depuis si longtemps, trop longtemps. Le manque qui creuse. Des plus petits caboulots aux plus grands étoilés, le plaisir ordinaire du « partage et de la convivialité », comme disent les banals, fait gravement défaut. À un point tel qu’on ne sait plus vraiment si cette mesure d’exception devenue la norme a encore un sens. Je ne m’engagerais pas sur la remise en question périlleuse des décisions sanitaires du gouvernement et de ses multiples antennes. Comme d’autres, je ne suis sûr ni de la réalité de mon diplôme d’immunologiste ni de mes compétences de Président de la République. Je passe mon tour avec un gros soupir de lassitude, on entend tout et le contraire de tout, c'est épuisant. Je pense tous les jours à ceux que j’aime, à leur avenir, à la suite de leur aventure. Comment sortir de là ? Dans quel état allons-nous les retrouver ? Vont-ils seulement réussir à surmonter l’épreuve ? Nous, déjà, nous avons du mal à nous passer d’eux, peuvent-ils se passer de nous ? Certains, en pure perte, se sont levés avec vigueur contre le traitement qui leur est réservé, nous les soutenons du fond du cœur avec l’impatience des retrouvailles sans cesse reportées. Et nous saluons leur courage et leur implication. D’autres ont ouverts, « pour les amis » et puis, ils se sont faits plus prudents devant les menaces proférées à leur encontre par le ministre des punitions. Et je ne parle pas de lhistrion grotesque qui a bien failli faire vaciller le régime.
J’ai testé un étoilé clandestin. Nous étions trois, une seule table dans le restaurant désert. Il y avait le chef et quatre de ses collaborateurs, deux en cuisine, deux en salle, pour un déjeuner épatant, beaux produits et préparations talentueuses, et pour une addition microscopique, moins de 300 euros à trois. Où l’on voit bien que ce n’est pas le chiffre d’affaires qui guide les pas de ces audacieux, mais l’envie de cuisiner, de recevoir des clients, de faire comme si. Une sorte de 3615 J’EXISTE, pour faire référence à cette fine blague de Valérie Lemercier, il y a trente ans. Dans un registre voisin, il y a le plateau-repas en carton (oui, le repas en carton aussi) dans une chambre d’hôtel rejointe avant 18 heures. La plus luxueuse des suites ne s’en relève pas.

Et il y a le reste. Les vignerons, les éleveurs, les maraîchers, les agriculteurs de toute nature pour qui les restaurants sont à la fois une source de revenus importante et l’occasion d’une notoriété parfois indispensable. Pour le vin, le restaurant est souvent l’occasion de découvertes qu’on n’aurait pas faites sans eux. Bien sûr, le public trouve son compte dans cette catastrophe multi-latérale. Je pense aux truffes, la merveilleuse melanosporum, dont les prix ne décollent pas, aubaine pour le particulier même dans une année généreuse en la matière. Je pense aussi à certains vins proposés par leurs auteurs à des prix barrés sur les e-boutiques des domaines, juste pour redresser une trésorerie défaillante. Tout ceci est très bien, tout ceci n’est pas sain. Plus que jamais, la restauration à tous les étages du luxe, les cafés, les bars (et aussi les cinoches, les théâtres, les spectacles en tous genres) ont pris une dimension qu’à force d’habitude, nous avions oublié. Ils sont une culture, un art de vivre à la française qui nous collent à l’identité (l'identité française, elle) et qui, aujourd’hui, nous font défaut. Et je n’entre pas dans le spectre épouvantable du chômage collatéral, des vies qui se délitent peu à peu, cette économie écroulée, toute cette nuisance en marche qui n’a pas fini de laisser des traces. Même si je veux croire qu’aux premiers indices de réouverture, les réservations vont pleuvoir et qu’on peut espérer qu’après cette période douloureuse, une autre, euphorique, va se dessiner en forme de bouée de sauvetage.

Alors, oui, donnez-nous l’addition, s’il vous plaît. Celle qu’autrefois on nommait « la douloureuse », justement, on la veut, on l’appelle, rendez-la nous. Au lieu de douloureuse, la voilà désirée. Ça change tout. Ouvrez les restaurants, je veux des frites de bistrot, la pasta de Gabriele*, le risotto de Franck*, la tatin de cèpes de Guy*, le talent de la sommellerie du Laurent*. L’affreux anglicisme click & collect ne suffit plus.

 

Fermé

 

 

*Gabriele Muti (Uncino, rue La Bruyère, Paris 9), Franck Potier Sodaro (Sormani, rue du Général Lanrezac, Paris 17), Guy Savoy (La Monnaie de Paris, quai Conti, Paris 6), le Laurent (avenue Gabriel, Paris 8).

Photo Hicham Abou Raad

Cet éditorial a été publié dans le numéro 22 de EnMagnum sous une forme différente.

jeudi 8 avril 2021

Bollinger rejoint les Bourguignons en Oregon

  Comme les Bourguignons, les Champenois sont tous légitimes dans leur quête d’expressions renouvelées du pinot noir et du chardonnay. Au-delà des considérations patrimoniales, c’est aussi sans doute ce qui guide ceux qui décident de tels investissements.

La famille Bollinger vient d’acquérir Domaine Ponzi, dans le nord de la Willamette River, juste au sud de Portland, Oregon, sur le terroir de l’AVA Chehalem Mountains. Une terre d’élection pour nos grands cépages. Ce domaine a été créé à la fin des années 70 par Dick et Nancy Ponzi. Ils ont, depuis, passé la main à leurs deux filles, Anna-Maria qui assure la présidence de l’entreprise et Luisa, c’est elle qui fait les vins. Dans le deal Bollinger-Ponzi, Luisa prend la direction du domaine et Anna-Maria accompagne la transition en attendant la nomination d’un nouveau CEO. Comme souvent, c’est la réunion de deux familles à laquelle nous assistons.

Et moi, j’attends avec impatience la dégustation à venir d’une verticale du domaine puisque j’adore les pinots noirs d’Oregon depuis que j’ai fait le voyage chez Drouhin, il y a trois ou quatre ans, propriétaire depuis trente ans d’un beau morceau de terre dans l’AVA Dundee Hills et depuis, six ans, d’un autre dans l’AVA Eola Amity. J’en avais profité pour visiter quelques domaines, dont celui de Jean-Nicolas Méo (Méo-Camuzet) qui venait de commencer dans l’AVA Yamhill-Carlton et qui, sans surprise, plaçait la barre très haut. Peu après, la maison Louis Jadot a acquis deux domaines dans la même AVA Yamhill-Carlton et la maison Bouchard Père et Fils a choisi d’acheter la célèbre winery Beaux Frères, propriété de Robert Parker et de son… beau-frère dans l’AVA Ribbon Ridge. Toutes ces zones sont extrêmement voisines et se tiennent peu ou prou dans une vallée le long de la rivière Willamette, affluent de la Columbia.

D’autres Bourguignons interviennent comme consultants en Oregon dans cette région, Dominique Lafon et Louis-Michel Liger-Belair, par exemple. C’est dire si les terroirs du coin intéressent nos meilleurs vignerons.

 

Le domaine Ponzi à Laurelwood, Oregon. Au fond, le chai gravitaire.

 

AVA = American Viticultural Area, ce qui correspond à peu près à nos Appellations d’Origine Protégées (AOP, ex-AOC), mais à l’américaine, c’est-à-dire sans le les lourdeurs étouffantes de nos administrations. Bref, nos Français d’Oregon sont peut-être aussi à la recherche d’un peu d’air frais. Nous les comprenons.