Chaque fois, c’est la même chose. Ce dîner se tient pendant le week-end de la vente des Hospices de Beaune, aujourd’hui menée par les experts de Christie’s. Et chaque année, ou presque, c’est l’occasion de boire au moins un millésime du XIXe siècle. On retrouve là ce que le monde compte de dégustateurs, de journalistes, d’importateurs, de grands amateurs dans une petite foule d’une trentaine de convives. Ils entourent l'équipe de la maison Bouchard Père et Fils et le dîner se tient dans l’orangerie du château de Beaune, propriété historique de la maison. C’est dans une ambiance très cosmopolite – le dîner Bouchard est polyglotte – que plusieurs vins prodigieux vont être bus à table.
Comme chaque fois, le dîner fait suite à la dégustation des vins nouveaux. Cette année, 2015.
Après une longue adresse complète et précise de Frédéric Weber, le maître de chai, sur les conditions climatiques du millésime, place aux rouges.
Les rouges montrent des couleurs joyeuses et, dès le second vin, un monthélie, on comprend qu’on met le nez dans le monde des belles cuvées. Passage par une sorte de « master blend » superlatif, le beaune-du-château, un assemblage de 17 premiers crus. Chez Bouchard, il n’y a que quatre crus qui sont embouteillés sous leur nom : les-marconnets, teurons, clos-de-la-mousse et la vigne de l’enfant-jésus, le beaune-grèves de la maison. D’entrée, la barre est placée très haut, comme le millésime. Le volnay-caillerets et le vigne de l’enfant-jésus ne joue pas dans la cour de l’ultra-mûr, ce sont des vins d’une grande délicatesse qui ne réclame pas des maturités exubérantes. Après un corton qui promet beaucoup, mais qui est rentré dans sa coquille pour le moment, on est passé au magnifique nuits-saint-georges les-cailles. C’est, plus encore que l’enfant-jésus, mon vin préféré dans la gamme Bouchard. C’est avec ce vin que l’on comprend qu’il existe d’autres mondes du vin, d’un raffinement rare qui nous parle d’élégance, de ciselé, de longueur. Le roi chambertin viendra sous forme d’un clos-de-bèze issu d’un hectare seulement, un vin prodigieux dont je ne connais pas toutes les facettes ni tous les producteurs, mais en assemblant plusieurs avis, on comprend que celui-là est l’égal des plus grands. À la fin, Michel Bettane emplira un grand verre avec quelques gouttes de chacun des vins et partage l’idée avec chacun, « une bonne façon de comprendre le millésime » et là, c’est la profondeur qui démontre tout, dit-il.
Les blancs sont au nombre de neuf, du bourgogne générique au montrachet. Là encore, Frédéric Weber parlera des maturités en utilisant le terme de
« maturité vraie des chardonnays » en évoquant la couleur dorée des baies, tard en septembre. Sans entrer dans tous les détails, ces blancs franchissent presque tous les portes de la complexité. Le gras et l’aromatique, l’ampleur et la persistance, tout ce qui compte est là, avec infiniment d’allure, de classe même. Et comme la courbe des tarifs suit celle des qualités, c’est facile de ne pas se tromper. Somptueux final avec le chevalier et ses arôme exotiques, le montrachet et sa profondeur abyssale. Nous n’avons pas goûté cette année la-cabotte, un chevalier plus fin qu’un montrachet.
Le dîner peut maintenant commencer. Après un plongeon voluptueux dans quelques magnums de Cuve 38, la réserve perpétuelle (ou solera) des champagnes Henriot, autre affaire familiale, un premier corton-charlemagne 2000 prend tout le monde de court, après seize années le vin est encore trop jeune. Ouf, des magnums du millésime 1955 viendront à son secours. Il faudra juste avoir la bonne idée d’en garder un verre pour la fin du dîner quand température et ouverture se ligueront pour rendre l’amateur fou de bonheur, ce qui s’est passé. Viendra un émouvant enfant-jésus 1949 dont chaque bouteille évoquera des délices différents, chacune a sa vie propre, c’est le jeu des vins anciens, il n’y a plus de grands vins, il n’y a que de grandes bouteilles. Le clos-de-la-mousse 1864 qui suit n’échappe pas à la règle. La première bouteille, parfaitement somptueuse, fraîcheur de fou et aromatique surprenante fera dire à Bettane « C’est un vin non égrappé qui a sans doute épaté les gens qui l’ont fait naître. » Pour les autres, la plus grande surprise est de boire un 1864 qui est un vin avec toutes les caractéristiques attendues, 150 ans après, il y a du vin dans le verre et il est bon, c’est bien là l’extraordinaire. Pas exactement la bombe de fruits chère aux jobards, mais des complexités branchées sur l'infini. L'émotion est grande, ce vin est un scud et Bettane d’ajouter : « En 1864, on savait déjà tout. Il s’agit maintenant d’inventorier ce qu’on a oublié. » Le malaga 1859 servi à la fin du dîner démontrera son imposante jeunesse, cette sorte de porto est frais comme l’œil, à l’instar de tous les vins qui sortent des incroyables caves du château de Beaune.
2015 est fait pour durer et la maison Bouchard en gardera beaucoup, plusieurs milliers, pour l’édification des générations futures et au prorata des superficies de chaque terroir. Cet usage ancien chez Bouchard permet à la maison d’être aujourd’hui à la tête d’un stock énorme de millésimes des XIXe, XXe et XXIe siècles, « un patrimoine unique de grands vins anciens et buvables », on parle de plus de 200 000 bouteilles. Ainsi, quand on procède tous les trente ou quarante ans au changement des bouchons, c’est avec du vin du même millésime qu’on « refait les niveaux », une pratique assez peu partagée. D’ordinaire, on remet du vin plus récent histoire de doper le vieux millésime.
Et c’est sans vraiment entamer le trésor que Bouchard peut se permettre de mettre deux mille vieux et très vieux millésimes sur le marché des ventes aux enchères, comme à Hong Kong l’été dernier, avec le succès que l’on sait.
Le blog de Nicolas de Rouyn
Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées. Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui. (Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées. Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui. (Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn
mardi 29 novembre 2016
jeudi 24 novembre 2016
- EN MAGNUM, voilà le numéro 6
- Quoi, déjà ?
Oui, déjà près de 18 mois d’existence pour le magazine de Bettane+Desseauve au succès duquel j’ai le plaisir de contribuer. Après des débuts chaotiques – comme souvent – le magazine a trouvé un tempo qui nous ressemble.
Le 6, donc.
Au premier regard, on comprend que Noël approche, le magnum de R.D. 1973 dans la neige, le doré sur la Une, le doute n’est pas permis. Une grande dégustation de liquoreux est aussi une preuve de fêtes à venir surtout quand elle est agrémentée d’un grand papier de Michel Bettane sur la pourriture noble dont je recommande la lecture attentive à chacun de nos lecteurs qui veut s’endormir chaque soir plus intelligent qu’il ne s’est levé.
Et puisque c’est le temps des fêtes, des magnums, des liquoreux, c’est évidemment la place du champagne. C’est Thierry Desseauve qui signe un sujet important et décrit l’histoire immédiate de ce phénomène planétaire qu’on a tout à gagner à lire aussi.
Et il y a tout le reste, des portraits de vignerons, des adresses et des idées, des photos panoramiques belles et passionnantes, les accords mets-vins d’Antoine Pétrus, un sujet sur la difficulté de transmettre des vignes hors de prix en Bourgogne par Laurent Gotti, grand spécialiste de la Bourgogne, un autre sur les mystères des bulles dans le verre avec le Champenois Liger-Belair, la BD de Régis Franc (qui continue avec nous en 2017, ça m’enchante) et la dernière page, les Parisiens de Margot, qui, elle, nous quitte. La blogueuse est inconstante, certes, mais là, elle a trouvé un « vrai » boulot, donc nous lui pardonnons et merci d’avoir fait ces quatre derniers numéros avec nous. Et, comme toujours, les plus belles gueules du vignoble photographiées par Mathieu Garçon.
En Magnum n°6, c’est une fois de plus, un assemblage équilibré d’infos, d’émotions, d’histoires, de dégustations, d’humeurs et d’opinions, de moqueries, de débats, de portes qui claquent et de fenêtres qui s’ouvrent, la vie, quoi.
En Magnum n°6, c’est tout le vin, juste un peu plus grand.
La photo de Une est signée Fabrice Leseigneur
Le 6, donc.
Et puisque c’est le temps des fêtes, des magnums, des liquoreux, c’est évidemment la place du champagne. C’est Thierry Desseauve qui signe un sujet important et décrit l’histoire immédiate de ce phénomène planétaire qu’on a tout à gagner à lire aussi.
Et il y a tout le reste, des portraits de vignerons, des adresses et des idées, des photos panoramiques belles et passionnantes, les accords mets-vins d’Antoine Pétrus, un sujet sur la difficulté de transmettre des vignes hors de prix en Bourgogne par Laurent Gotti, grand spécialiste de la Bourgogne, un autre sur les mystères des bulles dans le verre avec le Champenois Liger-Belair, la BD de Régis Franc (qui continue avec nous en 2017, ça m’enchante) et la dernière page, les Parisiens de Margot, qui, elle, nous quitte. La blogueuse est inconstante, certes, mais là, elle a trouvé un « vrai » boulot, donc nous lui pardonnons et merci d’avoir fait ces quatre derniers numéros avec nous. Et, comme toujours, les plus belles gueules du vignoble photographiées par Mathieu Garçon.
En Magnum n°6, c’est une fois de plus, un assemblage équilibré d’infos, d’émotions, d’histoires, de dégustations, d’humeurs et d’opinions, de moqueries, de débats, de portes qui claquent et de fenêtres qui s’ouvrent, la vie, quoi.
En Magnum n°6, c’est tout le vin, juste un peu plus grand.
En vente chez votre marchand de journaux à partir de demain, vendredi 25 novembre |
La photo de Une est signée Fabrice Leseigneur
mercredi 23 novembre 2016
Grand Tasting
La onzième fois, c’est comme la première fois
Parmi les 350 producteurs présents, il y a quelques très beaux cognacs |
Dix ans et la onzième année. Une décennie a passé et tout recommence, le dixième anniversaire sonnait de belle manière et la fin d’un cycle. Recommencer, donc. Pour la onzième fois. Le Grand Tasting numéro onze. D’abord, mais nous n’y sommes pour rien, changement de décor. Le Carrousel du Louvre change de tête. Finie la mezzanine que nous avions baptisée « Paradis ». Aussi, l’époque criseuse a écarté certains de nos grands amis du Grand Tasting 2016. Nous les retrouverons à meilleure fortune, aussi vite que possible. D’autres sont venus.
Un tout petit morceau du Grand Tasting |
Le Grand Tasting n° 11 est-il différent des éditions précédentes ? Mais non, mais si. Non, parce que le format épatant ne manque de rien. Oui, parce que le décor change, les ténors aussi, votre tête et la mienne, également. Ce monde en effervescence signe un onzième Grand T en forme d’accomplissement. Le public, une fois encore, fera la fierté des organisateurs, un peu plus pointu, un peu plus passionné, un peu plus intéressant, un peu plus jeune
Autre chose : le numéro 6 de En Magnum est en vente chez votre marchand de journaux à partir de vendredi (le 24 novembre).
jeudi 10 novembre 2016
David Hockney signe l'étiquette de mouton 2014
Chaque millésime du premier cru classé Mouton-Rothschild voit son étiquette recevoir l'œuvre originale d'un artiste de haut niveau. Pour 2014, c'est David Hockney qui met l'étiquette en scène. L'artiste est immense, l'égal de Warhol ou de Hopper, c'est le roi du Pop-Art. Une grande rétrospective à lui consacrée devrait passer par le centre Pompidou à Paris en 2017.
Comme c'est joliment dit dans le dossier de presse, reprenons les termes sans y rien changer :
« Entourés de rayons, signes à la fois d’émotion et d’émerveillement, deux verres, l’un vide et l’autre plein, nous racontent l’attente fébrile, puis le miracle toujours recommencé de la naissance d’un grand vin. »
Et voilà le travail :
Comme c'est joliment dit dans le dossier de presse, reprenons les termes sans y rien changer :
« Entourés de rayons, signes à la fois d’émotion et d’émerveillement, deux verres, l’un vide et l’autre plein, nous racontent l’attente fébrile, puis le miracle toujours recommencé de la naissance d’un grand vin. »
Et voilà le travail :
vendredi 4 novembre 2016
J’ai bu du vin nature au Laurent
C’était mercredi, dans la pâle lumière d’un joli soleil d’hiver qui envahissait la table en jouant avec les nuages. Un déjeuner tout près du bonheur parfait avec notre cher Henry Marionnet, l’un des plus brillants vignerons de France. Il voulait absolument que nous goûtions son vin le plus fou, un gamay en primeur issu de vignes plantées franc de pied (non greffée) et vinifié sans soufre ajouté. Une sorte de course en sac avec un pied attaché dans le dos. Évidemment, si nous sommes là, c’est que Marionnet est sûr de son coup, de sa « grande première mondiale ». Il a tiré 6 000 bouteilles de sa parcelle de 1,3 ha.
La grande salle à manger est calme, il y a u peu de monde, mais ce n’est pas comble. On reconnaît un visage ou deux, ce n’est pas comme au printemps sur la terrasse où le type le moins connu, c’est vous. Ou moi. Les coups portés au tourisme international à Paris font leur effet et ce n’est pas en cette période pré-électorale que les politiques se font voir au Laurent. Nous, nous y sommes et nous y sommes bien.
L’une des raisons qui me poussent à apprécier Henry Marionnet, ses vins, tient dans son enthousiasme de jeune homme, cette manière unique de créer des trucs, d’aller voir, sa passion inextinguible pour le vin et comment le comprendre et celle, plus mystérieuse, qui l’emmène à la recherche du vin d’avant, du vin des premiers siècles ou des suivants, mais des vins tels que les vignerons d’avant le Progrès les élaborait à l’attention à peu près exclusive des grands de ce monde-là. Une démarche qui lui a permis de découvrir de drôles de vignobles avec des arbres morts autour desquels s’entouraient la vigne, les vendanges avec des échelles, il les a faites.
- Et c’était bon, ce vin, Henry ?
- Non, pas très, ce n’était pas un grand vin, mais c’est la dernière vigne de goué, tu comprends. Ce cépage a disparu quand le monde s’est mis à aller mieux. On le cultivait pour produire du vin en toutes circonstances, quelle que soit la météo. Un coriace comme ça ne pouvait pas être un grand cépage fin. C’est un blanc.
Son gamay franc de pied sans soufre est à la bonne température, Henry Marionnet recommande 12°C. C’est un vin d’une bonne couleur tenue, mais sans exagération, un vin vif, joyeux, tonique, gouleyant, incroyablement digeste, très bon, léger en alcool (12,5 %), du beau gamay facile et très agréable. C’est gourmand, c’est subtil. Quoi d’autre ? Buvez-en, parce que tout ça n’est même pas cher.
En plus, c’était mon premier 2016. Et au Laurent. Quelle journée.
Ce fameux vin de Marionnet dans la sublime lumière de la salle à manger du Laurent. Sublime et même unique. |
L’une des raisons qui me poussent à apprécier Henry Marionnet, ses vins, tient dans son enthousiasme de jeune homme, cette manière unique de créer des trucs, d’aller voir, sa passion inextinguible pour le vin et comment le comprendre et celle, plus mystérieuse, qui l’emmène à la recherche du vin d’avant, du vin des premiers siècles ou des suivants, mais des vins tels que les vignerons d’avant le Progrès les élaborait à l’attention à peu près exclusive des grands de ce monde-là. Une démarche qui lui a permis de découvrir de drôles de vignobles avec des arbres morts autour desquels s’entouraient la vigne, les vendanges avec des échelles, il les a faites.
- Et c’était bon, ce vin, Henry ?
- Non, pas très, ce n’était pas un grand vin, mais c’est la dernière vigne de goué, tu comprends. Ce cépage a disparu quand le monde s’est mis à aller mieux. On le cultivait pour produire du vin en toutes circonstances, quelle que soit la météo. Un coriace comme ça ne pouvait pas être un grand cépage fin. C’est un blanc.
Le voilà, ce vin, cette "première mondiale". |
En plus, c’était mon premier 2016. Et au Laurent. Quelle journée.
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