Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 24 décembre 2013

Pendant que j’y pense #24




Un champagne au caviar 
Deux malins lancent un vin effervescent avec des particules de caviar. Chardonnay + osciètre, l’assemblage grotesque. Ce n’est pas du champagne, ils le rappellent, ça ne les empêche pas d’employer ce mot à toutes les lignes de leur communiqué de presse et à conditionner leur machin dans une bouteille de champagne, tu le vois le procès qui arrive là-bas ? Le breuvage sort en deux versions. Une pour les pauvres et l’autre pour les élites mondiales. Pour qu’elles se repèrent, ils l’ont appelé « Elit ». C’est plus pratique. On ne sait rien des prix, des points de vente et tout ça, mais on est prévenu : « la rareté justifie le prix » disent-ils. Ne comptez pas sur moi pour enquêter, le sujet est profondément ennuyeux. Par pur esprit de sacrifice, je veux bien goûter pour voir. Mais ce jus gris sale, je ne suis pas sûr d’avoir envie d’en parler beaucoup plus.




Un champagne sans caviar 
On connaît Gimonnet et chacun des Gonet, mais je ne connaissais pas Gimonnet-Gonet, les Champenois se marient volontiers entre eux. C’est pourtant de chez ces Gimonnet-Gonet que vient ce blanc de blancs goûté la veille de Noël. Ils sont installés au Mesnil-sur-Oger, d’où vient le chardonnay qui a servi à élaborer cette cuvée "Carat du Mesnil". Voilà du sérieux, on est dans le grand cru, la finesse, le délicat et le racé. Pas les clowneries pour analphabète blasé.


La tour du Clos Haut-Peyraguey à Sauternes


Un drone dans les vignes 
Jamais en retard d’un investissement-qualité, Bernard Magrez s’est acheté un drone équipé d’une caméra infra-rouge pour observer l’état des vignes de ses quatre grands crus classés*. Il dit : « c’est un outil de gestion et de mesure, de diagnostic immédiat, d'identification très rapide de tous les besoins de la vigne avec une précision centimétrique. » L’idée est bien, elle sera reprise. Cet assemblage permanent des techniques les plus traditionnelles (les bœufs) et les plus avancées (les drones) est un enchantement.




Ce tokaji extrême 
Chaque année au Grand Tasting, un lecteur de ce blog vient et m’apporte une bouteille de vin de Tokaji au motif qu’on aime tous les deux les liquoreux. Ce mec adorable se débrouille toujours pour trouver les trucs les plus inconnus. Cette fois, il s’agit d’un drôle de tokaji, très peu sucré pour l’acidité qu’il développe. Un vin blanc avec un goût prononcé de cerise fraîche, un machin frais et léger éloigné de ce que je connais des tokaji. Assez peu, en fait. La preuve.

C’est Noël, donc. 
Non, je n’écrirai ni vœux, ni regrets. Je ne ferai pas la liste de mes succès de l’année ou la promo des billets de ce blog, non, non, non. Avançons et don’t look back (thx, Bob).
En revanche, l’excellent Hervé Bizeul a écrit un truc sur le sujet (Noël) et il se trouve que j’y souscris des deux mains. C’est sobrement intitulé « Vivre sur le clitoris du monde ». Ne ratez pas ça, en cliquant ici.


dimanche 22 décembre 2013

Orgamic. Manque un « s », nan ?

Je n’ai pas un goût marqué pour les étiquettes rigolottes qui fleurissent dans les étagères des alter-cavistes et des marchands en ligne d’entrée de gamme. Ces étiquettes signalent neuf fois sur dix le vin approximatif , celui dont le blogueur béat vantera « le fruit explosif », cette petite horreur du goût dont l’excellent Jacques Lardière m’a dit un jour qu’il ne rendrait pas le monde plus intelligent. Ce « fruit explosif » sert surtout à masquer l’absence de profondeur de vins élaborés pour ne pas durer, une hérésie. C’est donc plutôt à reculons que je me décidai après des mois d’hésitation et d’embarras à attraper cette bouteille. Ça s’appelle Orgamic et déjà, je m’ennuie. Manque un « s » ? Nan, c’est pour la blague deux-en-un, orgasmique et organique, oh la la. Et puis, pendant que le vin s’aère dans un verre adapté (est-ce bien prudent ?), lire la contre-étiquette, en fait une side-étiquette. Où l’on apprend que ce micro-domaine rassemble cinquante copains. Aïe. Mais qu’il y a un vinificateur dans la bande. Ouf.



Le dessin de l’étiquette (deux filles assises, un mec debout, ils boivent un coup) dit clairement qu’avec ce vin tu seras beaucoup plus séduisant, deux fois plus, en fait.
- Arrête, pas du tout, c’est beaucoup plus cool que ça, c’est marrant.
- Sans doute, mais ça dit pareil qu’autrefois, vieux.
Avec un catogan et une paire de ray-ban en plus, mais aussi ringard. Il y a déjà longtemps que Cabu en a fait une bande dessinée. Les nouveaux beaufs. Passons.
Une belle étiquette est un métier difficile que peu sont capables de mener à bien. J’en connais très peu. Dont un qui a signé quelques belles réussites en empruntant un chemin différent (ça y est, il s’est reconnu).

C’est dans cet état d’esprit un rien contrarié et par un pauvre soir de décembre que je me décide à goûter l’improbable « Fruit défendu », c’est le nom de la cuvée, de la maison Orgamic. Courage. Et là, surprise de taille, c’est très bon et bien meilleur qu’affiché. Les efforts déployés par l’étiquette pour décourager l’amateur sont restés vains. Le jus est frais, propre, bien fait, goûteux, ensoleillé sans exagérer, structuré sans dureté, quasi enthousiasmant, c’est aussi plaisant qu’inattendu. Je ne vais pas en garnir tous les rayons de ma cave, mais bravo, vous m’en mettrez 24. J’ai tiré un deuxième bouchon et c’est pareil dans la bouteille d’à côté qui s’appelle « Délit d’initiés », une deuxième cuvée, sans doute. Allez, à cette deuxième cuvée, on va attribuer une pointe d’élégance en plus, une perspective peut-être un peu plus dégagée, une meilleure vue sur le massif du Grand Lubéron. C’est le premier millésime, il est écrit 2012 en tout petit sur le côté de la bouteille, pourquoi ? C’est important le millésime, les gars. Je goûterai les 2013 avec plaisir.

Ces néo-vignerons sont installés à Lumières, un hameau au pied de la colline de Goult dans le Lubéron, en retrait de la N 100, des lieux qui me parlent à voix haute, n’est-ce pas Sylvain ? Sylvain Lenoir est l’initiateur de cette histoire, un bon souvenir d’une vie d’avant.

vendredi 20 décembre 2013

Triste histoire à Fronsac





Le château de La Rivière à Fronsac venait de changer de mains. L'ancien et le nouveau propriétaire trouvent la mort dans un accident d'hélico cet après-midi devant le château.

Voilà ce qu'en dit le quotidien La Charente :

"Un hélicoptère avec quatre personnes à bord s'est écrasé vendredi en fin d'après-midi dans la rivière Dordogne, en Gironde, a-t-on appris auprès de la gendarmerie et de la préfecture. Aucun bilan n'était pour l'heure disponible, les gendarmes et pompiers effectuant des recherches dans la rivière. Un hélicoptère de la gendarmerie, équipé d'un puissant projecteur, survolait le cours d'eau tandis que des plongeurs, sur un zodiac, sondaient les eaux de la Dordogne, a constaté un photographe de l'AFP. Des gendarmes inspectaient également les berges de la rivière, au lieu-dit du port du Petit Chartron, sur le territoire de la commune de Lugon-et-l'île-du-Carnay.
À bord de l'hélicoptère se trouveraient notamment l'ancien propriétaire du château viticole de La Rivière, le Cognaçais James Grégoire, fondateur de la société de machines à vendanger Grégoire et son tout nouvel acquéreur, un ressortissant chinois, Lam Kok, qui préside la société Brillant, dont le siège est à Hong Kong et spécialisée dans les thés d'exception et l'immobilier de luxe en Chine. Les deux hommes avaient conclu la vente du château de la Rivière jeudi pour ce qui apparaît comme le plus gros investissement chinois dans le vignoble bordelais. Un interprète et le fils, mineur, de Lam Kok étaient également à bord de l'hélicoptère. Depuis le lieu où l'hélicoptère est tombé dans la Dordogne se distinguait clairement la silhouette du château de La Rivière."

James Grégoire était un entrepreneur dynamique et les vins du château La Rivière avaient connu jusque là une amélioration permanente.


La photo : le château de La Rivière dominait… la rivière et le coteau de ses vignes. Un bel endroit et une équipe très sympathique.

mercredi 18 décembre 2013

Les verres, rien d’accessoire

Partons du principe qu’on ne boit pas de grands vins au goulot. Il faut donc des verres. Le marché regorge de ces objets plus ou moins adaptés à cet exercice, d’une part et de qualités diverses, d’autre part.
Un verre à vin présente des différences importantes avec un verre à eau. Une forme tulipée pour le vin, en corolle pour l’eau. Pourquoi tulipée ? Pour retenir les arômes et permettre au nez de participer à la fête. Pour s’en convaincre, il suffit de boire du vin dans un verre à eau et que se passe-t-il ? Rien. On ne sent rien, le nez est absent, le vin n’a pas d’odeur, pas d’arômes, pas de flaveurs, il est comme absent. Pendant longtemps, les meilleures cristalleries du monde se sont évertuées à produire d’admirables verres parfaitement inopérants pour le vin. La plupart continuent, d’ailleurs.
À l’intérieur de ce champ de contraintes, quelques marques occupent le devant de la scène et le marché des verres dits « techniques », c’est-à-dire ceux qui mettent le mieux en valeur les qualités des vins. Pour simplifier, disons que les grandes cristalleries françaises ont longtemps abandonné le marché du verre technique à leurs concurrents étrangers, italiens et autrichiens surtout. C’est en effet la cristallerie autrichienne Riedel qui mène la danse depuis un long moment avec une gamme très large de verres adaptés non seulement au vin, mais à chaque cépage.

Un verre Riedel à jambe rouge


Mais Riedel n’est plus seule et aujourd’hui, de nombreuses marques se taillent des parts de marché plus ou moins enviables. Parmi les marques les plus emblématiques, les cristalleries Baccarat, puis Lalique ont chacune lancé des gammes très techniques. La ligne Château de Baccarat est censée éliminer les défauts du vin. Les nouveaux Lalique 100 points, imaginés avec le dégustateur américain Suckling, allient des qualités œnologiques certaines à une beauté formelle inattendue. Moins connues, d’autres marques se sont installées. Italesse est à la pointe de la technologie italienne, Schott et Spiegelau (propriété de Riedel), Zwiesel, Zalto occupent chacun une place dans le cœur des amateurs. Avec une mention spéciale pour Zalto qui fait un démarrage en flèche et plaît beaucoup aux grands amateurs. Et il y a les francs-tireurs comme l'expert en vieux millésimes, Laurent Vialette, qui a créé une ligne de verres utilisée désormais par le Grand Jury européen ou encore Philippe Jamesse, sommelier des Crayères à Reims et grand spécialiste des champagnes. Il a créé un verre très élégant dont le tulipage particulier fait merveille sur les champagnes les plus vineux, ceux dont le pourcentage de pinot noir compris dans l’assemblage est important. Veuve-Clicquot ou Charles Heidsieck en ont fait leur verre officiel. Si chacun des meilleurs propose une gamme complète dotée d’un verre à bordeaux, d’un autre pour le bourgogne, d’un autre encore pour les chiantis, tous ont intelligemment mis au point des verres « universels » qui vont avec tous les vins, ce qui facilite grandement la vie des amateurs. De même chaque marque propose des verres de contenance plus ou moins importante. Même si le format n’est pas follement déterminant, la plupart des amateurs préfèrent les très grands verres.

Lalique

Baccarat


Dans le droit fil des verres, les carafes ou décanteurs jouent un rôle majeur dans l’expression des vins. On préfèrera des carafes très larges pour les vins jeunes, elles favorisent l’oxydation parce que le disque est de grande surface et le vin perd ainsi de son austérité. En tout état de cause, les très beaux verres à vins, pourvu qu’ils soient efficaces, sont toujours un plaisir pour l’œil et c’est aussi pour ça qu’ils sont indispensables.




Cet article a été publié en novembre et sous une forme différente dans Série limitée, le supplément mensuel du quotidien Les Échos.

lundi 16 décembre 2013

Le vin agressé par une bande de voyous




Vous ne lisez pas Wine Spectator, cet excellent magazine américain ? Vous avez bien raison. L’auriez-vous fait que, comme moi, l’air vous aurait manqué. Ce journal a publié une interview qui fait suite au scandale provoqué par les tentatives des prohibitionnistes d’interdire l’accès à Internet aux métiers du vin. Au même programme, quelques joyeusetés fiscales que ces lobbyistes, abstinents forcenés, tentent de faire avaliser par le gouvernement. De reculades en promesses opportunes, l’essentiel a été rejeté. Pour l’instant. Mais le bruit provoqué par Vin & Société avec sa campagne « Ce qui va vraiment saouler les Français » pour défendre la filière a interpellé les journalistes du Wine Spec’.
Jamais en retard quand il s'agit de rire de ce qui se passe en France, ils se sont empressés de donner la parole à un certain monsieur Élineau, directeur général de la sinistre ANPAA (Association nationale de prévention de l’alcoolisme et de l’addictologie, organisation richement dotée depuis des années par le Ministère de la Santé pour de bien maigres résultats). Cet inconnu qui aurait mieux fait de le rester s’est offert son quart d’heure de lumière warholienne en tenant des propos sur la filière Vin qui dépassent de beaucoup le cadre de l’acceptable comme celui de ses fonctions.
Ce monsieur a exposé ceci aux journalistes qui l’interrogeaient : « Quand on voit ce qu’il se passe avec les sites pro-nazis, on comprend qu’il y a des moyens de réagir ». Plus avant dans l’interview, Élineau évoque, comme pour justifier ses visées, la censure du gouvernement chinois à l’encontre des dissidents et celle de l’Australie contre la pédophilie et la pornographie pour expliquer qu’il faut intervenir pour mettre un terme aux échanges d’opinions œnophiles sur les réseaux sociaux et les blogs. Pour qualifier la saillie de cet Élineau, un éditorialiste de l’hebdo Le Point a finement appelé Francis Blanche à la rescousse et exhumé cette ligne magnifique qui éclaire le cas Élineau d'une lumière de bon sens : « Il ne suffit pas d'être inutile. Encore faut-il être odieux. »
Les propos détestables de cet individu, tenus dans le plus important magazine du plus important marché d’export du vin français, n’ont eu aucun écho en France.
Pourquoi ?
Pourquoi accorde-t-on plus d’espace à l’anecdotique Leonarda qu’à l’excellence d’une filière agricole qui emploie 500 000 personnes et qui est le deuxième secteur export français ?
Au bénéfice de qui l’ANPAA s’exprime-t-elle ?
De mois en mois, des études nouvelles en provenance des pays normaux mettent en lumière les qualités sanitaires du vin consommé modérément. Ce n’est donc pas de santé publique qu’il s’agit.
De quels autres lobbies, l’ANPAA est-elle la complice ?
Élineau n’a pas été sanctionné par sa hiérarchie qui s’est, en plus, permis d’insinuer que les propos avaient été déformés. Juste insinuer, ils ne peuvent pas accuser des journalistes américains qui ont probablement l’enregistrement de l’interview et ne sont pas du genre à se laisser faire.
À part un ou deux patrons d’interprofessions qui ont eu la décence de s’émouvoir, personne ne s’est élevé officiellement contre ces déclarations scandaleuses. Imaginez une seconde qu’un lobbyiste s’en prenne à tout un métier et voyez d’ici le tollé, les cris d’orfraie, l'indignation en bandoulière. Dites que les routiers sont des chauffards et des pollueurs et dans les 24 heures, c’est l’explosion, les autoroutes bloquées, le gouvernement qui en appelle à la responsabilité, surjoue l’apaisement, quelqu’un s’excuse, on se calme.
Là, rien.
Pourquoi ce silence coupable de medias d’ordinaire si prompts à piapiater chaque fois qu’une mouche s’écrase sur un pare-brise ? Pour préparer quels lendemains qui déchantent forcément ?

Peu de jours après la publication des injures de ce grossier personnage, un communiqué des services des douanes nous apprend que le vin français vient d’aligner un énième record à l’export. Pas un seul homme politique français n’a pris la parole pour s’en féliciter et donner à la filière un gage de reconnaissance. Par les temps qui courent, il me semble qu’un petit bout de paix sociale serait le bienvenu. Dans ce sens, affirmer vite et clairement que le vin fait partie intégrante du patrimoine culturel et économique de notre pays ne me semble pas une idée dévastatrice pour l’équilibre sanitaire de la société française.



La photo : cette image amusante a été trouvée sur Facebook.
Cet article a été publié dans le n°15 de Vigneron, le magazine le plus chic du mondovino, en vente chez les meilleurs marchands de journaux. Ceci explique pourquoi je publie aujourd'hui seulement cette info qui a déjà deux mois.
Pour vous repérer parmi toutes les couvertures de journaux du kiosque, voici celle de Vigneron :



dimanche 15 décembre 2013

Le sauternes est-il encore un vin de vieux ?

Une fois n’est pas coutume, le sauternes s’invite dans le paysage gastronomique du moment. Gérard Margeon, l’homme du vin du groupe Alain Ducasse, en a décidé ainsi et on ne peut que saluer cette initiative. De quoi s’agit-il ? Dans cinq restaurants du groupe à Paris, Londres, Tokyo et New-York, Margeon va servir du château-guiraud au verre à partir d’impériales (bouteilles de 6 litres). Le vin conservera ses qualités à l’ouverture grâce à la technologie WiKeeps. C’est une bonne idée, même si on ne peut ignorer qu’une bouteille de sauternes ouverte peut passer environ trois semaines dans la porte du frigo en développant chaque jour des arômes supplémentaires et sans s’altérer le moins du monde. Admettons qu’un restaurant ne peut pas se permettre de jouer avec ses vins, de courir un risque. Gérard Margeon a choisi les vins du Château Guiraud pour plusieurs raisons liées évidemment à la grande qualité de ce cru et aussi parce que ce vignoble est mené en bio depuis longtemps, ce qui ajoute encore à l'attractivité commerciale de ce sauternes, les trois petites lettres b-i-o ouvrent des portes dans la conscience collective. Comme pour les boîtes d’œufs ou les paquets de café ? Voilà, oui. Mais Margeon va plus loin. Il propose du sauternes avec tous les plats qui peuvent composer un dîner gastronomique français et c’est une idée épatante.

Un verre de clos-haut-peyraguey 01, au Grand Tasting, il y a une semaine


On a vu les tenants de l’appellation faire des efforts considérables pour expliquer aux consommateurs français que le sauternes était l’ami de la gastronomie la plus exotique, des plus simples des sushis aux plus extravagants des plats orientaux. C’est très bien, sûrement, mais c’est encore mieux de faire comprendre que le sauternes accompagne à merveille une volaille, des huîtres, un fromage persillé ou un dessert gourmand. Comme ce n’est pas une tendance lourde, c’est bigrement courageux. Bravo.

Pourquoi faut-il se démener pour rendre au monde le goût du liquoreux ? Le sauternes souffre d’une image ancienne de vins sucrés, voire sucrailleux, qui ne correspond plus du tout à ce qui se fait en Sauternais depuis quinze ans. Chacun croit qu’il donne mal à la tête, qu’on ne parvient pas à l’apparier avec des plats autres que les desserts, qu’on ne finira jamais la bouteille. Le public s’est détourné sottement de ces vins magiques. Qu’est-ce qu’il faut faire pour que les Français s’intéressent enfin aux liquoreux de Sauternes, de Barsac, de Loire, d’Alsace et de Hongrie et de partout, même Bizeul fait un petit muscat démoniaque ?

Ces vins si difficiles à faire, si difficiles à vendre, recèlent des trésors aromatiques. Ils vont avec tout. Les dîners entre copains et les longues soirées de méditation au coin du feu, les plus grandes simplicités et les dîners de gala. C’est un vin d’hiver, c’est un vin d’été. C’est un vin raffiné, d’une extrême complexité et longueur, un vin sans fin. C’est le vin des gens qui aiment le vin. Une jeune dir’com de grand groupe nous disait son inquiétude de voir les liquoreux de plus en plus réservés à quelques happy few. C’est fait, hélas. Nous sommes very few à aimer les liquoreux et very, very happy avec.
Et il y a longtemps que nous avons compris que c’est le grand vin le moins cher de tous. On trouve sans difficulté les plus beaux des sauternes à petits prix dans toutes les ventes aux enchères, voyez les prix sur idealwine.com, c’est édifiant. Même Yquem, ce vin de roi, se négocie entre 150 et 200 euros. Ce n’est pas à proprement parler un « petit » prix, mais convenons que pour un vin de cette qualité et de cette réputation et comparé aux prix des autres premiers grands crus classés de Bordeaux, c’est pour rien.

De fins analystes ricanent en prétendant que c’est un vin de vieux. Si cela signifie que c’est un vin d’expérience, un vin d’après les autres vins, peut-être. En même temps, le caractère sucré des liquoreux en fait plutôt un vin de jeune, non ? Ces arguties sont sans objet. Quand ils sont bien faits, quand ils profitent d’une viticulture bien menée et d’une vinification moderne, ce sont des vins dont l’acidité remarquable harmonise la sucrosité de la liqueur pour en faire un vin réellement léger, ample, goûteux.
Il faut goûter un château-coutet 2000, par exemple. C’est un très grand liquoreux de Barsac d’une pureté de cristal. Il coûte 38 euros pour une bouteille de 75 centilitres. Est-ce cher ? Tout dépend à quoi on le compare. C’est le prix d’un mauvais déjeuner (pour une personne) dans un bistro parisien un peu à la mode. La moitié d’un plein d’essence. Le prix d’une chemise pauvrement coupée par des enfants nés au mauvais endroit, au mauvais moment. C’est ça, 40 euros. Est-ce cher ? Ce vin porte tant d’émotions, c’est un cadeau à se faire à soi-même et à ceux que l’on aime. Sous réserve d’être un peu curieux et d’aimer les grands vins follement aromatiques et infiniment séduisants.



Ce texte a été publié sous une forme différente le 1er décembre dans Mes Dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche (photo moi)


mercredi 11 décembre 2013

Mon grand vin, ma belle aimée et moi




C’est la troisième fois. L’opération s’appelle Carte sur table et permet aux amateurs parisiens et à leurs gentilles amies de dîner avec un grand vin à un prix à peu près raisonnable, c’est-à-dire équivalent aux prix du commerce, pas à ceux de la restauration qui, convenons-en, prennent toujours ou presque toujours les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages un jour d’ouverture de la chasse.

Quels vins à quels prix ?
Aile d'Argent 2010, le bordeaux blanc de.Mouton-Rothschild, 85 euros
Calon-Ségur 2005, saint-estèphe - 3e cru classé, 120 euros
Cos d'Estournel 2004, saint-estèphe - 2e cru classé, 125 euros
Ducru-Beaucaillou 1986, saint-julien - 2e cru classé, 160 euros
Figeac 2006, saint-émilion - 1er grand cru classé, 130 euros
Giscours 2004, margaux - 3e cru classé, 75 euros
Grand-Puy-Lacoste 2001, pauillac - 5e cru classé, 100 euros
Haut-Bailly 2002, pessac-léognan rouge - cru classé, 95 euros
Haut-Brion 1998, pessac-léognan rouge - 1er cru classé, 450 euros
La Conseillante 2008, pomerol, 130 euros
La Mission-Haut-Brion 1999, pessac-léognan rouge - cru classé, 350 euros
Lafite-Rothschild 2001 pauillac - 1er cru classé, 520 euros
Lynch-Bages 2000, pauillac - 5e cru classé, 190 euros
Pichon-Longueville-Baron 2003, pauillac - 2e cru classé, 130 euros
Yquem 1995, sauternes - 1er cru supérieur, 220 euros

Ces vins sont disponibles dans 19 restaurants, du chouette bistrot à l'étoilé fin chic. La liste ne fait pas peur et elle se consulte ici.

Naturellement, il se trouvera quelques indignés de circonstance pour s’émouvoir des prix annoncés. Je rappelle juste trois trucs : Paris, restaurants chers, vins de luxe. Redisons que les prix mentionnés ci-dessus correspondent aux tarifs des cavistes et, dans certains cas, sont inférieurs à ceux-ci ou, même, au niveau des prix de salles des ventes comme pour yquem. Mais oui, bien sûr, il se trouve d’excellents vins à moins de 10 euros. Mettons qu’on trouve aussi de belles choses à plus de cent et n'en parlons plus.

Pour info, on doit cette opération à la maison Videlot, propriété de la famille Moueix. Videlot est une puissante holding vinicole, propriétaire de la maison de négoce Duclot et de Pétrus, mythique pomerol. Ultime détail, cette opération a commencé le 1er décembre et s’achèvera le 31 décembre. Si vous avez prévu la fin du mois, réservez votre bouteille, il y a quelques risques de pénurie en fin d’opération.


Aussières, le languedoc de Lafite

On quitte l’agitation toute sudiste de Narbonne, quelque chose de pas très méchant, on est vite sur la route qui serpente à travers un paysage austère et pur, aride, minéral. Un chemin plus loin, nous voilà dans la jolie vallée, on est à Aussières, dans la partie la plus orientale des Corbières. On est aussi sur le territoire de l’abbaye de Fontfroide, fondée à la fin du XIe siècle par des moines bénédictins et rattachée à l'ordre cistercien en 1145, merveille de la Chrétienté en plein pays cathare. Aussières était une grange de l’abbaye. Le site agricole existe depuis le VIIIe siècle.

Au fond, le hameau d'Aussières


Nous voilà dans un gros hameau en travaux. Peu à peu, chaque maison est redressée. Déjà, la maison du bureau et celle du chef de culture sont prêtes. Le reste suivra doucement, au rythme des résultats du domaine. On est chez les Rothschild, dites-vous ? Ce n’est pas une raison pour dépenser de l’argent qu’on n’a pas encore gagné et il a fallu dix ans pour rendre la propriété viable. Les travaux ont vraiment commencé il y a deux ans. Aussières, c’est la tête de pont languedocienne des Domaines Barons de Rothschild (Lafite).
Lafite, le château dont les vins affolent les ventes aux enchères du monde entier ? Oui, ce lafite, le mythe, l’icône absolue, le vin de tous les vins. Que fait Lafite dans le Languedoc ? Pour y gagner quoi ? Pour courir le risque d’y perdre, d’écorner son image ? Christophe Salin, directeur général des Domaines, répond sans sourciller : « On ne s’est pas pris pour Jeanne d’Arc. C’est avant tout un investissement qui s’est présenté comme un défi. Quand le Crédit agricole nous a demandé de l’aide sur ce dossier, l’idée directrice était de pousser la région. Bien sûr que Lafite et ses propriétés peuvent vivre très bien sans le Languedoc. Nous l’avons fait, voilà. Et nous en sommes très contents quand on voit la qualité des vins qui commencent à sortir de nos terroirs. » C’était en 1999, il n’y avait rien. Ni vignes en production, ni stock de bouteilles pour s’étalonner, des bâtiments à l’abandon. Le domaine s’était peu à peu endormi. Après avoir tout arraché en arrivant, les équipes de Christophe Salin ont replanté des clones peu productifs pendant quatre ans, il a fallu corriger le tir. Un programme assez gigantesque qui a mené peu à peu à 167 hectares plantés sur les 570 que compte le domaine. Il reste huit hectares encore en friche et le domaine s’en tiendra là. 175 hectares, ce sera une belle propriété viticole.

Des vignes, mais pas que des vignes


Pour l’instant, c’est la bio-diversité qui y gagne et la beauté de cette vallée, les bouquets de pins au milieu des vignes, les pentes douces à flanc de colline, les grands oiseaux noirs qui planent, le vent léger qui est l’ami du vigneron, le soleil se lève de l’autre côté du vallon. Il y a un esprit à Aussières, on s’en aperçoit très vite et l’on comprend très bien que les Bénédictins s’y soient installés. Les moines s’installaient toujours dans des endroits à fort caractère. Il y fallait de la paix et une belle lumière, tout est en place, nous y sommes.
« On essaie sans cesse de nouvelles idées, tout ici est empirique, mais tout n’est pas intéressant », martèle Christophe Salin. Faute de continuité, il a fallu ré-inventer Aussières de A à Z. Onze cépages ont été plantés pour nourrir deux gammes, un corbières et un vin de pays d’Oc. Syrah, grenache, mourvèdre, carignan et cinsault pour le corbières. Cabernet-sauvignon et franc, merlot, petit-verdot, alicante (cépage à jus rouge). Pour le blanc, du chardonnay. Ici, on est très contents de ce blanc : « C’est même une surprise, ce niveau de qualité. » Mais tout n’est pas une réussite : « Le merlot, on n’y arrive pas encore. » Formaté pour un potentiel de production de 900 000 bouteilles, le vignoble en est encore loin. Très jeune, de six à sept ans, il ne produit guère plus de 38 à 40 hectolitres à l’hectare pour un objectif fixé à 45 hl/ha. Pour l’instant, Aussières produit cinq étiquettes seulement. « Nous ne sommes pas des bons marketeurs », prétend Christophe Salin. Château d'Aussières, Blason d'Aussières, Terrasse d'Aussières, Aussières rouge, Aussières blanc. C’est suffisant pour assurer une présence significative sur les marchés et pour répartir la récolte selon les qualités du parcellaire de la propriété. Éric Kohler, directeur technique des vignobles du groupe hors Pauillac (Languedoc, Chili, Argentine, Chine), a une vision positive de l’expérience : « Le potentiel de nos terroirs ici s’est confirmé millésime après millésime. Il y a une régularité. On a des vins intéressants tous les ans, même quand c’est plus difficile. » Lui aussi, il est content de ce qui arrive à Aussières.

Christophe Salin, l'homme de Lafite


Les vins s’affirment tout doucement, mais les propriétaires ne sont pas vraiment pressés. Christophe Salin : « Il y a dans cette maison un rapport au temps qui n’est pas le même qu’ailleurs. Nous travaillons avec plusieurs générations d’avance. » Oui, c’est l’avantage de ces grands groupes familiaux où le mot « patrimonial » a un sens qui s’inscrit dans la durée, qui fait une histoire. Saisissons la perche ainsi tendue. Et, au fait, le durable, le bio, tout ça ? Salin n’a pas d’état d’âme et son discours est audible : « Nous poussons tous les programmes bio sans accepter ce qui nous paraît aberrant. Aujourd’hui, on n’a plus la main lourde comme autrefois et les garçons ont des niveaux de formation qui n’ont plus rien à voir avec ce qui se faisait autrefois. C’est évident de travailler proprement. » Avant de nous quitter, on se demande si l’ombre tutélaire du grand Lafite plane vraiment sur Aussières ou si ce Sud rebelle s’est affranchi du grand frère, du parrain. Le mot de la fin revient au patron des Domaines : « Nous sommes tous marqués par Lafite, bien sûr. Partout à travers notre monde de vignobles, finesse et élégance sont les mots gravés dans les esprits. Ici, comme à Pauillac et ailleurs, c’est ce que nous cherchons. » Il semble que Salin et ses hommes aient trouvé un commencement de suite à leur vieille habitude de réussite.


Les photos : sont signées Mathieu Garçon. 
Cet article a été publié le 1er décembre sous une forme différente dans Mes Dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche.


lundi 9 décembre 2013

Alain Juppé : « Quelques lobbies sont en train
de nous planter »

Le maire de Bordeaux, ancien Premier ministre, et le propriétaire du grand cru de Pauillac classé en 1855, Château Lynch-Bages, dessinent le portrait brillant et subtil de cette culture unique, celle de Bordeaux, et font l’éloge du vin, art de vivre universel. C'est mon cher Jean-Luc Barde qui a préparé cet entretien exclusif et recueilli les propos de nos deux nouveaux amis. Cet entretien a été publié le 1er décembre dans Mes Dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche.




Le vin, c’est une histoire de famille ? 
Jean-Michel Cazes : Je suis issu de l’immigration paysanne. Ma famille est descendue des hauteurs de l’Ariège, de cette région du Couserans peuplée à l’époque d’agriculteurs rudes et pauvres, les ouvriers « montagnols » tels qu’on les nommait en Médoc, venus s’installer en 1875. Le versant maternel était au service de la République. Ils étaient instituteurs. Je suis né de l’alliance de la pioche et du savoir. Nous sommes l’un des exemples de cette intégration prospère qui fait la richesse du Bordeaux viticole, terre magnifiquement ouverte sur le monde depuis des siècles. Nous sommes devenus une famille très cosmopolite. Ma femme est portugaise originaire du Mozambique ; ma fille aînée vit aux Etats-Unis où elle a épousé un Iranien, elle est américaine, et ses enfants aussi ; ma deuxième fille a épousé un Israélien, ses enfants sont américains également et sa famille habite aujourd’hui Bordeaux.

Lynch-Bages et vous, ça a commencé quand ? 
J.-M.C. : C’est Jean-Charles, mon grand-père né à Pauillac, qui a acquis Lynch-Bages dans les années 30. Dans ma jeunesse la viticulture était un métier à haut risque économique, j’ai donc suivi des études, comme mon père André, qui fut assureur et maire de Pauillac pendant 40 ans. Enfant, je percevais Lynch-Bages comme un lieu de production de lait plus que de vin, et je voyais mon grand-père occupé davantage à l’étable qu’au chai. Les repas dominicaux étaient modérément arrosés de vin vieux et les enfants ne s’approchaient d’un verre de vin qu’une fois atteint l’âge de 14 ans. Jeune, j’ai séjourné un an en Amérique, je ne buvais là-bas que du Seven Up et du Coca-Cola.
Alain Juppé : Lourd handicap, cette conversation s’annonce mal. (rires)
J.-M. C. : C’est à Paris que le vin m’a envoyé son premier signe. Mon inculture était telle que lorsqu’un ami me fit part de la grande notoriété de lynch-bages et du plaisir qu’il avait à le boire, j’en fus profondément étonné. Un peu plus tard, mon oncle Marcel Cazes m’invita au Grand Véfour, tenu par Raymond Oliver avec à ses côtés un grand sommelier, Philibert Hénocq. Ce fut une révélation. Une vocation tardive, mais éblouie. En 1973, j’ai abandonné ma carrière à IBM pour rejoindre Pauillac que j’avais quitté 20 ans plus tôt en pensant ne jamais y revenir.

Alain Juppé, qui vous a fait découvrir le bordeaux ? 
A. J. : Je ne suis pas Bordelais, mais je suis Gascon. J’ai été élevé à Mont-de-Marsan dans un terroir et une famille de gourmands. Mon grand-père maternel s’appelait Albert Darroze, c’était un cousin de Jean Darroze, célèbre cuisinier à Villeneuve-de-Marsan. Toute mon enfance a été ponctuée par ses repas de baptêmes, communions, mariages et enterrements. J’ai gardé des liens avec cette branche gastronomique de la famille, Francis, Claude et, bien sûr, Hélène Darroze qui est ma petite-cousine. C’est cette honorable tradition qui m’a amené au vin. Mon père venait d’un milieu tout à fait différent, extrêmement modeste, mon grand-père avait été cheminot. Il avait eu une jeunesse difficile et n’avait pas dépassé le certificat d’études. C’était un homme discret, un peu bourru, mais profondément généreux. Quand il a épousé ma mère qui avait hérité de métairies autour de Mont-de-Marsan, il s’est complètement investi dans le développement des propriétés. Il m’emmenait sur son tracteur, voir les grandes étendues des champs qu’il cultivait. Il adorait manger, buvait bien. Autour de la table familiale, ma mère servait quelques spécialités, notamment des foies gras au raisin ou aux pommes. Mon père les ramenait de la « campagne », comme il disait ou du marché de Saint-Sever. En novembre ma mère « faisait les foies ». Cela va de soi, on ne mange pas sans boire, le vin accompagnait donc toute cette cuisine. Mon père n’était pas un grand connaisseur, mais il possédait une cave dans le chai au fond de la cour et y conservait quelques bouteilles, exclusivement du bordeaux. J’ai découvert le vin assez tôt. Lorsque j’étais affaibli par quelque maladie infantile, on m’administrait de la sanquette de poulet poêlée pour la vigueur et du vin pour les vitamines, adjuvant paysan.

Est-ce que votre agrégation de lettres anciennes vous a rapproché du champ culturel du vin ? 
A. J. : J’ai eu la chance de faire de longues études, j’étais passionné de lecture. Il se trouve que j’étais bon élève, on m’a donc proposé d’emprunter la voie royale, latin-grec puis hypokhâgne, khâgne et Normale Sup. Par un détour qui va vraisemblablement vous choquer, le vin a croisé à nouveau mon chemin lors de mon premier voyage en Grèce avec des khâgneux. J’ai eu le coup de foudre intégral pour Athènes, le Péloponnèse, les îles. Je ne m’en suis toujours pas remis, je retourne souvent dans ce pays que j’adore. De ce premier périple, j’ai rapporté une bouteille de résiné, vin que j’avais trouvé fort sympathique. Evidemment, mon père s’est exclamé : « Qu’est-ce que c’est que cette piquette ? C’est pas du vin. ». Voilà comment s’est établi le lien entre ma culture classique et le vin.

Avant votre retour à Bordeaux et pendant votre séjour parisien, le vin s’est-il absenté ? 
A. J. : Pas du tout. Entre Mont-de-Marsan et Bordeaux, j’ai eu une vie parisienne, j’ai fait mes études, je me suis marié. Je revenais très souvent dans les Landes, mais là-haut, j’ai poursuivi mon initiation au vin dans des circonstances professionnelles et amicales, entouré de fins dégustateurs. Le premier d’entre eux est Daniel Bouton, ancien président de la Société Générale, avec lequel j’ai beaucoup d’atomes crochus, mais un point de divergence majeur. Il est désespérément « bourgogne » et toutes mes tentatives pour le convertir au bordeaux ont échoué. Enfin, malgré une conformation un peu austère, j’aime manger et j’adore le vin.

Quelle idée vous faisiez-vous de Bordeaux ? 
A. J. : Vu d’une petite famille landaise, Bordeaux c’était les Chartrons, aristocratie bordelaise un peu orgueilleuse, un peu méprisante, sphère inaccessible que l’on regardait avec une pointe d’envie, de jalousie. C’était un monde qui m’était inconnu sauf peut-être par les œuvres de Christine de Rivoyre. Mais Bordeaux n’est pas un monde, ce sont des mondes.
J.-M. C. : Absolument. Bordeaux a profondément changé, s’est diversifié.
A. J. : Deux choses me frappent aujourd’hui. D’abord, l’hétérogénéité de cette société bordelaise du vin. Il y a les grands et il y a les petits. En trente ans, les grands ont vécu une espèce de révolution spectaculaire, l’embellissement des châteaux, ces nouveaux chais qui donnent lieu à des projets architecturaux faramineux. Ils dessinent l’avenir. Et de l’autre côté, il y a le petit viticulteur de l’Entre-deux-Mers qui joint difficilement les deux bouts. La deuxième tient dans cet extraordinaire esprit d’entreprise qui porte Bordeaux. On ne roupille pas, on se bat. Vous êtes tous à parcourir la terre, en Chine, aux États-Unis, en Europe. Vous incarnez une authentique ouverture au monde. Vous êtes entrés dans le XXIe siècle. Tous. Même chez les petits, il y a un dynamisme, une énergie dont j’ai pris la mesure lors du « Bordeaux fête le vin » organisé à Québec. Il fallait voir l’enthousiasme de ces viticulteurs à partager leur vin, le raconter aux visiteurs.

Duffour-Dubergier, maire de Bordeaux vers 1850 a dit : « l’âme de Bordeaux, c’est le commerce. » Vous approuvez ?
J.-M. C. : Je suis convaincu que c’est vrai. Je ne parle pas du vignoble de Libourne qui est différent pour des raisons historiques et de caractère. Mais celui de Bordeaux s’est développé sous l’impulsion des marchands. Et notamment en Médoc. Ce ne sont pas les Médocains qui l’ont créé, mais des gens venus d’horizons différents, des investisseurs financiers, des bourgeois bordelais, des membres du Parlement de Bordeaux, plus tard des étrangers. Né sous sa forme moderne au XVIIIe siècle, ce vignoble est récent. Il produisait assez de volume pour alimenter cette invention unique qu’est le négoce, notre driving force commerciale. Le vin vieux apparaît sous l’influence des Hollandais, qui exerçaient un monopole sur les routes du commerce au XVIIe siècle et développèrent des méthodes de conservation des vins avec les « allumettes hollandaises », ces mèches de soufre utilisées pour désinfecter les barriques. Le vin de garde était né. Ils ont initié avec les Anglais une foule de gestes qui font de Bordeaux un vignoble de négociants. C’est essentiel pour comprendre la naissance de propriétés qui n’étaient pas d’origine paysanne et formaient des structures d’exploitation assez vastes où le savoir-faire bénéficiait des avancées techniques. Pour la première fois, on plantait les vignes en rangs, les labours étaient mécanisés avec l’aide de chevaux. L’accroissement de la production a permis au négoce, que nous appelons la Place, de construire des marques dont le succès a rejailli sur la prospérité de la propriété, l’une et l’autre se faisant marchepied.

Le génie du négoce vient donc de l’étranger ?
J.-M. C. : On peut le dire. Ce que l’on désignait comme l’aristocratie du bouchon était constituée de Hollandais, d’Anglais, d’Ecossais, d’Irlandais, de Danois…
A. J. : Et, plus tard, de Belges.
J.-M. C. : Loin dans le passé, avant qu’il y ait des vignes à Bordeaux, les marchands de vin étaient là. Ils étaient gallo-romains, se procuraient du vin en Italie et dans la région de Narbonne et lui faisaient descendre le cours de la Garonne. Bordeaux, port déjà important, diffusait les vins de Méditerranée. Au IIe siècle après Jésus-Christ, les marchands bordelais en ont eu assez de payer des droits à Toulouse, entre autres. Ils ont commencé à cultiver la vigne avec des plants venus du nord de l’Espagne. L’hypothèse est controversée, mais il semble bien que le cabernet-sauvignon bordelais vienne de ces régions au climat océanique comparable au nôtre.
A. J. : Ce que dit Jean-Michel est passionnant, nous avons là les prémices de cette ouverture au monde qui signe encore aujourd’hui le dynamisme entreprenant de Bordeaux. Montesquieu qui fut en son temps, même si on ne l’imagine pas ainsi, le meilleur économiste de France, vante les qualités du « doux commerce civilisateur ». Il confère à la valeur d’échange entre les hommes une dimension morale et éthique. Il était lui-même négociant et attachait une grande importance à la vente de son vin. En bonne logique, il était libre échangiste.

Vous confirmez ce que dit Bernard Pivot dans son Dictionnaire Amoureux du Vin. Il n’y a pas plus anglo-irlando-américanophile qu’un Bordelais ?
A. J. : Outre l’influence des négociants du XVIIIe siècle, Aliénor d’Aquitaine a ouvert une longue période de notre histoire par son mariage avec Henri Plantagenêt, le 18 mai 1152. Nous avons été anglais durant trois siècles. À la bataille de Castillon, les bourgeois bordelais furent du côté anglais. Après sa victoire, la première chose que fit le roi de France fut de rétablir les taxes, produit du génie national alors que le roi d’Angleterre avait octroyé des franchises. (rires)
J.-M. C. : Il faut tordre le cou à cette idée reçue que Bordeaux est une ville qui abrite une société fermée, repliée sur elle-même. C’est le contraire.
A. J. : Regardez comment les Bordelais réagissent à l’arrivée des Chinois. Ils n’ont pas peur. D’abord on n’emmène pas le vignoble sous la semelle de ses souliers, on ne délocalise pas. Ensuite, cela peut générer des flux en sens inverse et amener quantité de visiteurs à Bordeaux et dans les châteaux. Il n’y a pas ici de réaction protectionniste, leur arrivée est plutôt perçue comme un enrichissement.
J.-M. C. : Le phénomène chinois me semble malgré tout d’une autre ampleur que l’assimilation des marchands européens des siècles précédents. En trois ans, ils ont acquis 45 châteaux.
A. J. : Oui, mais Bordeaux en compte près de 9000.
J.-M. C. : Jamais le vignoble n’a vécu en si peu de temps une telle vague d’acquisitions. C’est peut-être préoccupant.

Comment avez-vous œuvré à la notoriété des vins de Bordeaux ? 
J.-M. C. : Par le commerce, toujours lui. Dans les années 70, la crise était telle que nous nous appliquions à survivre. En revenant à Pauillac, je ne m’attendais pas à ça. Le choc pétrolier a accru les difficultés. Nous n’avions plus de trésorerie et les ventes se sont arrêtées pendant deux ans. Un cauchemar. Il a fallu une imagination féconde pour trouver des clients en France sans l’aide du négoce, qui était en faillite. Les choses se sont améliorées lentement en 1978 et nous avons pu aller en Amérique présenter nos vins. Nous étions un petit groupe composé de Bruno Prats de Cos d’Estournel, Claude Ricard de Chevalier, Michel Delon de Léoville-Las Cases, Thierry Manoncourt de Figeac et moi-même. Treize villes en quatorze jours. C’est devenu notre programme pendant des années. Nous courions aussi l’Europe. Notre mot d’ordre commun était Bordeaux, ce que la plupart des grands crus refusaient, jugeant que ce signifiant et ce qu’il représentait dévalorisait leur démarche commerciale. Nous en avons fait notre sésame dans le monde entier.

Qu’attendez-vous d’un homme politique concernant la filière du vin ?
J.-M. C. : En premier lieu, qu’il s’y intéresse. Votre prédécesseur avait marqué un intérêt pour le vin tout à fait relatif. Ce n’est pas votre cas, vous êtes le premier maire de Bordeaux à y être attentif.
A. J. : Vous n’en avez connu que deux. (rires)
J.-M. C. : Avec « Bordeaux fête le vin », vous avez remis le vin au centre de la vie bordelaise. Par ailleurs, il y a des moments où il faut intervenir. Le politique est là pour agir à nos côtés, faire médiation auprès des pouvoirs publics. Ce fut le cas lors du conflit autour des droits de plantation où l’on a bien vu la nécessité et l’efficience de votre action politique. Aujourd’hui alors que des comités Théodule veulent livrer la France à l’abstinence complète, la voix d’un politique doit être entendue pour défendre notre culture, notre civilisation, mais aussi notre économie, nos emplois.
A. J. : En tant que maire de Bordeaux, c’est un enjeu essentiel. Les actions que j’ai pu mener, que je poursuis, je les accomplis dans l’intérêt de la ville et de sa région. Il suffit de parcourir le monde pour prendre la mesure de l’importance de Bordeaux. C’est, après Paris, la ville française la plus connue et elle le doit à la réputation de son vignoble. La filière pèse très lourd en termes d’emploi, en termes économiques et de rayonnement de la ville. C’est mon devoir de contribuer à ce que le vignoble se porte bien. Lorsque j’ai été élu en 1995, une chose m’a alertée. Le vin était quasi absent de la ville. Les marchands étaient là bien sûr et il y avait le bar du CIVB*, mais pas de moment, ni d’endroit où le vin soit célébré. Ma première idée a été de faire une fête du vin à Bordeaux. C’est un succès populaire qui réunit 400 000 personnes. Elle a été ensuite exportée à Québec, la Chambre de Commerce s’en est inspirée en Chine pour son Wine and Dine Festival et la prochaine destination de « Bordeaux fête le vin » sera Bruxelles où j’ai rencontré le bourgmestre qui est un bon vivant heureux d’accueillir au Bois de la Cambre, une fête qui va s’appeler « Eat Brussels, drink Bordeaux ».

Avez-vous d’autres projets ?
A. J. : Oui. Il faut au touriste qui ne connaît rien au vin un lieu où il puisse faire la différence entre la Rive gauche et la Rive droite, entre le Sauternes et le Médoc, et s’initier au vaste monde du vin. Ce sera la Cité des civilisations du vin.

Le précédent de l’échec de la Cité Mondiale du Vin ne vous inquiète pas ? 
A. J. : Cela n’avait rien à voir, il s’agissait d’une opération commerciale…
J.-M. C. : …et immobilière.
A. J. : Le milieu du vin s’est engagé à fond dans ce projet puisqu’il en finance le tiers. On veut montrer que le vin est une civilisation, une histoire, une géographie, des métiers, des hommes qui les exercent. C’est un art, un art de vivre universel. L’architecture est très originale, le coup d’œil dans le quartier des bassins à flot sera saisissant et, du sommet, la vue sur Bordeaux, inoubliable. À l’intérieur, une scénographie didactique sera développée dans une succession de salles. C’est un projet ambitieux qui vise à faire de Bordeaux la capitale mondiale du vin. Il y a trois ans le baptême du Princesse d’Aquitaine a lancé une nouvelle activité de croisière sur la Garonne. On embarque pour six jours à bord d’un véritable petit paquebot, d’une centaine de cabines, équipé de restaurants. Il descend l’estuaire jusqu’à Pauillac. Le voyage s’agrémente de visites de châteaux. Cerise sur le gâteau, on remonte la Dordogne jusqu’à Libourne pour se rendre ensuite à Saint-Émilion. C’est un véritable succès, là encore. Une compagnie norvégienne et une autre américaine vont bientôt s’installer. Soixante pour cent de la clientèle est étrangère. Asiatiques et Américains se pressent, poussés par la fascination pour le vin.

Avez-vous l’intention de faire pièce aux avancées anti-vin qu’on voit prendre de la vigueur ces derniers temps ?
A. J. : Nous sommes fous. La filière viti-vinicole est une des plus belles richesses de la France. En terme de commerce extérieur, c’est le deuxième poste, il est pourvoyeur de milliers d’emplois. On a fait labelliser la gastronomie française par l’UNESCO, le vin fait partie de notre culture, de notre patrimoine. Et voilà que quelques lobbies sont en train de nous planter. J’ai dit que je signerai la pétition**. Lorsque j’étais parlementaire, j’étais très actif. J’ai toujours milité. Que l’on fasse des actions de prévention, de pédagogie sur la modération, ce que font mes amis québécois avec Educ’alcool, me paraît plus pertinent. Dans la Cité des civilisations du vin, il y aura des parcours réservés aux enfants scolarisés. C’est un art de déguster, une joie de percevoir et de reconnaître les arômes. Cette transmission les conduira, plus sûrement que l’interdit, vers une consommation modérée.

Comment lutter contre la suralcoolisation des jeunes ?
A. J. : C’est un problème grave et il faut le combattre énergiquement. Mais le vin n’est pas en cause dans ces cas-là. Il s’agit la plupart du temps de consommation de cocktails à base d’alcools forts. Il m’arrive de me rendre dans des bars à Bordeaux, à l’évidence ça n’est pas du vin que l’on y sert. Il faut faire entendre la différence. Il faut que les parlementaires se mobilisent, il faut faire circuler des pétitions, organiser des débats, informer sur la réalité du vin, agir sur tous les fronts.

Pour en revenir à des considérations plus hédonistes, quelles qualités le vin développe-t-il chez l’être humain ?
A. J. : L’amour.
J.-M. C. : La curiosité.
A. J. : La subtilité.
J.-M. C. : L’éducation du goût. Quand on propose du vin aux Chinois, la première réaction est négative, ils recrachent, ils n’aiment pas ça. Il faut les accompagner, leur expliquer ce qui est caché derrière l’étiquette. Si l’on s’intéresse au vin, on découvre la géographie, l’histoire, la géologie, c’est bien plus qu’une boisson.
A. J. : Et puis il y a cette offrande, qualité cardinale qui réunit les hommes, le partage. Il y a un très joli texte de Montaigne qui évoque le déplacement du centre du plaisir au cours de la vie d’un homme. Dans l’enfance, le plaisir est à la marche, le bas du corps est mobilisé. En grandissant vers le milieu de l’âge, c’est au mitan que siège le plaisir. En vieillissant, il se loge là-haut, dans le gosier qui procure des sensations esthétiques et intellectuelles. Le vin y participe.
J.-M. C. : Dans ce registre de la fuite des jours, mon ami Bruno Prats dit joliment que « le vin, c’est la seule machine à remonter le temps qui fonctionne vraiment ». Et les vins que nous venons de déguster, grand-puy-lacoste 2003 de mon voisin de Pauillac et le pomerol la-providence 2005 de la maison Moueix, me ramènent à cette belle formule de Georges Duhamel, grand écrivain oublié, « Une bouteille de vin, c’est la lampe d’Aladin, quand on l’ouvre s’en échappe un génie. »



* Comité Interprofessionnel des Vins de Bordeaux 
** Pétition lancée par Vin & Société pour soutenir les 500 000 acteurs de la vigne et du vin en France.  On va vite signer cette pétition en cliquant ici   
À lire : Lynch-Bages & Cie, une famille, un vin & 52 recettes, par Jean-Michel Cazes & Kinou Cazes-Hachemian, recettes de Jean-Luc Rocha, photographies Philippe Martineau, Éditions Glénat.



La photo : entre la poire et le fromage, Alain Juppé et Jean-Michel Cazes, début octobre 2013, photographiés par Jean-Luc Barde.

Le Grand Tasting, à quoi ça sert ?




Le Grand T s’est très bien passé. On y a vu des nouveaux producteurs, des nouveaux vins, des nouvelles têtes. Et tous les habitués qu’on a eu plaisir à retrouver. L’organisation est tellement bien huilée qu’on ne la sent pas. Il y a toujours un problème à régler ici ou là, mais rien de majeur. Donc, on a pu se concentrer sur le sujet.
Moi, bien sûr, je ne bois à peu près rien. Si je le faisais, je n’arriverais pas au bout du truc. En revanche, j’ai assisté à une Masterclass de folie, Le Génie des grands vins. Le seul vin que j’ai fini a été le tertre-rotebœuf 97. Au début tu vois arriver le petit millésime, mais à la fin tu te dis que ça dépend où. L’autre immense était un barolo 01 de Bruno Giacosa. Les autres vins étaient simplement très grands. J’ai déjà tout raconté sur Twitter-Facebook en direct de l’endroit et j’ai bien ri en voyant les réactions à propos du sublime chablis de William Fèvre, ce côté vieux radoteurs qui rentrent chez eux en première sans jamais passer la seconde, forcément le moteur chauffe.

J’ai beaucoup traîné dans les allées, écouté le public, tenté de comprendre l’ambiance. Comme tout le monde, j’ai été assez bluffé par l’âge moyen du visiteur de Grand T, une tendance qui se confirme. L’amateur est jeune, propre sur lui, passionné et affiche une compétence certaine ou, au moins, une belle absence de préjugés, ce qui nous change des aigreurs visibles ici ou là. Ce qui change aussi des discours officiels. Au Grand T, pas de binge-drinking, pas de saouleries, pas d’agressivité vacharde. Le Grand T, s’il sert à une seule chose importante, c’est ça, cette démonstration imparable des qualités du vin et du monde qui l’accompagne. Le vin est un agent de civilisation, on sait depuis des siècles qu’il fait plus et mieux contre la barbarie que toutes les armées du monde. Tiens, on aurait du inviter l’inénarrable monsieur Élineau, vous savez, le sous-directeur de l’ANPAA. Se serait-il évanoui au son de tous ces bouchons qui sautent ? Ce n’est pas exclu.

J’ai aussi vu beaucoup de blogueurs, pas tous, mais on sent bien le caractère incontournable de l’événement, ils sont plus nombreux qu’avant. Les irréductibles le resteront et alors ? Même les journalistes de la RVF étaient là. Pas tous, certes, mais beaucoup plus nombreux qu’avant. Il n’y en avait qu’un seul, cette fois deux de plus. Les autres viendront, comment faire autrement ? Là encore, ce n’est pas bien grave s’ils restent dans le camp des tronchi-troncha.
De l’avis général, le Grand Tasting number 8 a été un grand succès, plus encore que les années précédentes dont nous étions si contents. Comme quoi, on peut toujours faire mieux.



La photo : nouvelle cuvée chez les Bizeul, elle s’appelle Modeste et c’est l’excellent Fabrice VinsurVin qui a fait la photo.

jeudi 5 décembre 2013

Mon Grand Tasting préféré, c'est ça surtout




Au bout d'un moment, la moustache avantageuse, les grandes épaules, le sourcil sourcilleux et les fines blagues, ça va. Les tapes dans le dos qui vous décollent la plèvre, pareil. Dans ce genre de rassemblement, on a envie d'autre chose très vite. De plus de douceur, d'un peu d'arrondi dans la relation. On veut se perdre dans des yeux profonds, les sillages parfumés, les éclats de rire délicats, un doigt de légèreté est le bienvenu.
Aujourd'hui, je vous invite à me suivre sur la trace des filles formidables qui illuminent les allées du Grand Tasting et qu'on ne voit jamais parce qu'on a le nez dans le verre, parce qu'on poursuit des arômes au lieu de privilégier les sensations.
Permettez-moi d'ouvrir la route.

- Beychevelle, le saint-julien, pour Verena Raoux, si elle est venue.
- Les vins de Jean-Luc Thunevin, pour Muriel Andraud. Elle a quelque chose à vous apprendre et beaucoup d'esprit.
- Le château Faugères à Saint-Émilion. Silvio Denz a engagé la fille de Péby Guisez, l'ancien propriétaire. Elle est divine.
- Le château Corbin, autre saint-émilion, tenu de main de maître par Anabelle Cruse-Bardinet. No further comment. 
- Les vins de Baron Philippe de Rothschild. Si ma copine Cléo est là, ne la ratez pas. Elle est drôle, sympa, passionnée. Et non, au risque d'en décevoir beaucoup, on n'y servira pas de mouton-cadet.
- Les vins du Crédit agricole. Meyney, Grand-Puy-Ducasse, Rayne-Vigneau, Tour-de-Mons, etc. Pour Anne Le Naour, bien sûr.
 - Le château Gilette, le sauternes qui patiente vingt ans en cuve, signé Julie Médeville. Vous ne la connaissez pas ? Dommage pour vous.
- Les loires de Charles Joguet parce qu'Anne-Charlotte est épatante.
- les champagnes de Cécile Bonnefond, Charles Heidsieck et Piper-Heidsieck. Pas sûr qu'elle passe 48 heures sur ses stands. Soyez vigilants.
- Au château La Couspaude, classé de Saint-Émilion, personne ne songerait à rater les cousines Aubert.
- La maison Louis Latour à Beaune vient de se séparer de sa ravissante attachée de presse, c'est idiot.
- Les belles maisons du groupe Advini (Ogier, Gassier, Capet-Guillier, Laroche, etc.). Avec un peu de chance, Sandrine Audegond sera là.
- Les domaines Labruyère (Rouget le pomerol, les nuits de Jacques Prieur, le clos du Moulin à Vent). Par chance, Nadine Gublin, vinificatrice immense, sera peut-être là.
 - Le sauternes Guiraud si Laure Planty est là.
- Le provençal Château Sainte-Roseline, pour Aurélie Bertin, bien sûr.
- Phélan-Ségur de Saint-Estèphe, si Véronique Dausse est là. Sinon, tant pis, mais le vin est bon.
- Je crois que Luciano Sandrone a une fille, mais je n'en suis pas sûr.
- Elisabetta Foradori est une halte obligatoire. Ses vins, je veux dire. Quoique.
- Au Château Dalmeran, c'est Béatrice Joyce qui accueille le monde. Ceci explique cela.
- La fille de Michel Drappier est délicieuse, j'espère qu'elle viendra faire goûter les beaux champagnes de son papa.
- Ne déconnez pas avec Agathe Bursin. Ses alsaces sont splendides, mais sa maman est là.
- Au Chêne Bleu, c'est Nicole Rolet qui assure la permanence, mais son mari devrait être là samedi.
- Chez Taittinger, si Vitalie est là, moi aussi.
- Chez Jaboulet et Château la Lagune, si Caroline est là, je ne suis pas loin.
- Au Château Fourcas-Hosten, ma copine c'est Caroline Artaud. Elle vient, c'est sûr.
- Avec un peu de chance, Basile Tesseron (Lafon-Rochet) viendra avec Bérangère.
- Avec beaucoup de chance, Laure Colombo viendra sans son père.
- Le champagne d'Anne Malassagne (Lenoble) vaut le détour. Lui aussi.
- Si Mathilde vient, je goûte des vins de Michel Chapoutier. Si.
- Si Aurore etc. je fais pareil au Domaine des Perdrix.
Et si Séverine assure, je ne rate pas l'admirable malartic-lagravière 2011.

Et je ne parle pas du champagne Brimoncourt, ça va finir par se voir.
Faites comme moi. Même si vous êtes une fille, bien sûr.


 La photo : la table basse de ma chambre à la Maison Fredon, à Bordeaux.

mercredi 4 décembre 2013

Le Grand Tasting, mode d’emploi à l’usage des malins



Après le Grand Tasting en une heure chrono (ici) et le Grand Tasting assis (), voici le Grand Tasting vu du fond.
Le Grand Tasting est un très vaste espace divisé en quatre zones.
Le Paradis, c’est la mezzanine. Il y a deux grands salles : la Lenôtre et la Delorme. La dernière zone comprend les Ateliers Gourmets, les Ateliers du terroir et les Master class et le Blogger’s Lounge (powered by iDealwine) où j’attendrai mes collègues on line, mes confrères journalistes et mes belles amies.

Le Grand Tasting, c’est pas juste deux allées noires de monde. Le visiteur malin s’enfoncera à la découverte des fonds de salle. Ça tombe bien, il y a du lourd, du très lourd à découvrir par là-bas.

Ainsi, en haut, tout au bout du Paradis, voilà Deiss et Brumont, plus stars ya pas, l’Alsace et le Madiran. Avant d’arriver jusqu’à eux, personne ne rate les admirables touraines d’Henry Marionnet ou le bel Amour de Deutz. Ils valent à eux seuls les quelques marches.
En bas, dans la salle de droite dite Lenôtre, poussez jusqu’au fond goûter les vins de Stephan von Neipperg et son splendide canon-la-gaffelière, les fins bourgognes de Remoissenet, l’exquis pomerol du Château La Pointe. L’embarras ? Non, le choix.
Dans la salle d’en face, la salle historique de l’époque lointaine où le Grand Tasting était encore un petit salon comme les autres, faites pareil. Au fond à droite, après les Italiens, c’est Ruinart et ses beaux champagnes, c’est Louis Jadot la bonne maison de Beaune et mes amis de la coopérative de Plaimont qui font un blanc, le-faîte, de très haut niveau pour un prix riquiqui. Là, juste là, tout à côté, vous ne rêvez pas, c’est Rollan-de-By, le serial killer des dégustations à l’aveugle.

Le Grand Tasting, c’est comme un dessert de votre grand’maman, il faut passer la crème pour trouver la confiture.




mardi 3 décembre 2013

Le Grand Tasting est un sport assis aussi




Vous n’avez qu’une heure à consacrer au Grand Tasting et vous ne voulez pas courir partout, je peux comprendre. Vous trouvez que le vin se goûte mieux assis, moi aussi.
Assistez à une MasterClass animée par Michel Bettane. Et de préférence, l’une des plus intéressantes, celle consacrée au Génie de Margaux.
Pourquoi Margaux ?
C’est l’une des appellations qui a fait les plus beaux progrès dans la dizaine d’années écoulée et, à l’intérieur de l’appellation, Michel Bettane a choisi quatre châteaux qui ont littéralement explosé pendant cette période.
Rauzan-Gassies, Durfort-Vivens, Brane-Cantenac et Lascombes.
Ces quatre propriétés ont fait l’objet des soins les plus attentifs et d’une véritable révolution culturelle qui ont amené les vins au plus haut niveau même si les chemins empruntés ne sont pas les mêmes. Très intéressant de comparer un durfort en bio et un brane en conventionnel très raisonnable. Indispensable de se faire une idée personnelle sur lascombes, le killer des dégustations à l’aveugle. Passionnant de mesurer l’évolution d’un rauzan jamais goûté à pareille fête depuis très longtemps. Tous sont tendus vers l’excellence, c’est que nous avons tenu à saluer à cette occasion. Évidemment, c’est passionnant de recueillir les commentaires de chacun des quatre propriétaires sur le chemin parcouru et de goûter les vins en même temps. Moi, j’y serai puisque c’est une façon très agréable de vivre le Grand Tasting.

Pour réserver votre place à la Masterclass « Génie de Margaux », cliquez ici

La photo : Grand Tasting 2012, Michel Bettane en compagnie de Jacques Lardière, le sorcier de Jadot, aujourd'hui à la retraite.

lundi 2 décembre 2013

Le Grand Tasting en une heure chrono




Soixante minutes, c’est court, mais le Grand Tasting, pas question de le rater. Alors, pour faire les choses sérieusement, je ne vous accorde que six vins à goûter, six vignerons à rencontrer, six découvertes. Nous allons donc sortir des sentiers battus pour que le Grand T, même en une heure, reste une expérience inoubliable de A à Z.

On va commencer par A, justement. Alsace, Domaine Valentin Zusslin. Le vigneron, c’est Jean-Paul Zusslin. Goûtez ses grands crus si parfumés, si purs. Et comme vous aimez, commandez des vieux millésimes, c’est tellement rare.

B, comme Bordeaux. En deux vins. Un blanc parfait, celui de Fieuzal. Depuis 2007, le domaine renoue avec sa gloire passée. Les blancs sont étincelants. Et un rouge, celui du Château Peyrat-Fourthon, moins connu que d’autres, très bon. Le 2010 à 18 euros, c’est une chance. Normalement, les prix devraient grimper assez rapidement.
B encore, comme Bourgogne. Pour le plaisir du vin adorable, passez au stand du Château de Chamirey et goûtez le givry du Domaine de la Ferté. J’ai descendu un grand nombre de bouteilles de leur 2011, prenez ce conseil pour une recommandation forte.

C comme Champagne. Histoire de se refaire les papilles avant le dernier vin, foncez chez J.L.Vergnon. Là, Christophe Constant, vigneron champenois qui fait des choses magnifiques, vous attend de pied ferme.

Et pour finir heureux, I comme Italiens. Là, sur le stand de Podere Il Carnasciale, goûtez il-caberlot, très grand vin de Toscane, aussi rare que cher, une occasion unique. Pour plus de détail sur ce vin, cliquez ici

Voilà, votre heure est finie. À l’année prochaine.
Demain sur ce blog, six autres vins pour ces Parisiens pressés qui ne prennent pas le Grand Tasting pour un gigantesque bar à vins.

Personne ne résiste à l’appel du luxe

Dans tous les métiers, c’est la même chose. Quand les majors entrent en scène, tout le monde le voit. Dans le vin, les grands opérateurs Castel, Grands Chais de France et Advini ont pris à leur tour le chemin de l’excellence et du luxe via des propriétés détenues de longue date ou récemment acquises.



Chez Castel, une petite vingtaine d’exploitations ont été regroupées au sein de l’entité Demeures et Châteaux Castel. Certaines sont des propriétés familiales depuis les années 60 et d’autres ont rejoint le groupe il y a peu. Parmi les plus récentes recrues et après la reprise de 50 % de Beychevelle, le Château Montlabert à Saint-Émilion porte les espérances du groupe au plus haut niveau et rien n’est épargné pour en faire un joyau du plateau. C’est Hubert de Boüard, co-propriétaire de Château Angélus et consultant réputé, qui est chargé de pousser les feux de la qualité et c’est l’architecte Patrick Jouin qui prépare un nouveau chai pour donner tous les moyens à Montlabert et à ses hommes. Et, aussi, pour l’inscrire dans le droit fil de ses glorieux voisins, Cheval Blanc, La Dominique, Angélus, La Conseillante, Pavie, Lassègue ou Faugères, tous dotés de chai ultra-modernes et/ou très spectaculaires. Dans le même temps, la famille Castel s’est constituée l’un des plus beaux portefeuilles de consultants pour tous ses autres domaines. Presque tous les meilleurs de Bordeaux sont missionnés dans telle ou telle propriété. Le mot d’ordre est simple : « le meilleur, le plus vite possible ». Aujourd’hui, dans le plus important groupe viti-vinicole français, on veut une locomotive de prestige pour accrocher les wagons de la grande diffusion et l’affaire est rondement menée. Pour être de souche bordelaise, le groupe y affirme son attachement à la terre aquitaine, mais ne s’en contente pas. Un beau domaine ligérien qui produit quelques magnifiques muscadets, dont le clos-d’orfeuilles, fait partie des fiertés légitimes des Castel.

Joseph Helfrich, patron fondateur de Grands chais de France a installé le centre du monde dans son village natal, c’est plus simple. Comme son nom l’indique, Kirrwiller est en Alsace, loin de tout, rural et bucolique. Il a construit une usine gigantesque à la sortie du village, c’est le siège de l’empire. Avec beaucoup de prudence et l’aide passionnée de son épouse, il a pris pied dans le monde enchanté des grands vins. Son plus beau coup ? L’acquisition du Château de Fesles qui produit de grands blancs dans la Loire. L’homme est secret, il est difficile de lui extirper des informations sur sa stratégie, ses projets, ses prochaines destinations-acquisitions. Mais on sait qu’il a acquis des domaines bordelais et que ce n’est pas pour y faire de gros volumes. À suivre, donc.

Le modus operandi du groupe né de la fusion entre Jeanjean et Laroche, Advini, est très différent. Quand la famille Jeanjean a confié les clés du groupe à Antoine Leccia, elle savait parfaitement que le wonder-boy élevé à l’ombre tutélaire des frères Jeanjean ne se contenterait pas de gérer l’existant. Pour lui, la croissance passait par l’acquisition de propriétés à fort potentiel qualitatif. C’est ainsi que, l’une après l’autre, les maisons Ogier (Châteauneuf-du-Pape), Gassier (Provence), Capet-Guillier (Saint-Émilion), Cazes (Rousillon) et Rigal (Cahors) sont peu à peu venus complèter l’offre initiale jusqu’au regroupement entre les Jeanjean et la maison créée par Michel Laroche à Chablis. En tout, quelque 1 500 hectares dont la moitié en bio ou biodynamie et le reste en conversion. Aujourd’hui, Advini est une grande maison très clairement positionnée sur un marché de haut de gamme et l’acquisition d’une structure de négoce spécialisée sur les grands crus bordelais confirme ce mouvement. L’intention est d’y occuper une place de plus en plus importante. Pour les uns comme pour les autres, au gré des opportunités comme des convictions, l’idée s’est installée dans les conseils d’administration. Les grands crus sont devenus une composante essentielle des portefeuilles de ces grands opérateurs du vin. Le luxe est un objectif, il peut aussi être un sillage.




Cet article a été publié sous une forme différente dans Série limitée de novembre, le supplément mensuel du quotidien Les Échos

dimanche 1 décembre 2013

Je passe mon temps à ça



Ce n’est pas sans une certaine fierté que j’annonce la parution ce matin de Mes dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche. Ces 44 pages consacrées à ce qui nous occupe le plus est une production bettane+desseauve dont j’ai eu la charge. J’en parle avec d’autant plus de ravissement que je n’ai à peu près rien fait tellement les gens qui m’ont entouré sont bons.

C’est mon pote Jean-Luc qui a mené la conversation entre Alain Juppé (Bordeaux, maire) et Jean-Michel Cazes (Pauillac, vigneron), excellente découverte de deux personnages qu’on croit connaître et qui se révèlent singulièrement normaux, c’est reposant. C'est le grand Michel qui nous emmène dans une réflexion sur les terroirs et les cépages. C’est mon pote Mathieu qui a photographié l'architecte Jean Nouvel, du jamais vu dans le genre, cependant que mon autre pote Guillaume lui tirait les vers du nez. C’est mon jeune ami Pierre qui a lu toutes sortes de bouquins (les jeunes ont le temps de lire). C’est ma jolie Marie-Charlotte qui a fait les paquets des cadeaux de Noël pendant qu’Alain choisissait ce qu’on va boire à Noël. Et c’est Super Glou, l’Ophélie nationale, la queen des blogueuses, ze one & only Miss Glou Glou qui a interviewé six vignerons français. Ils ont réussi à s’en sortir sans dommage, bravo les gars. Et moi, pendant ce temps et comme d’habitude, je peignais la girafe, les yeux dans ses yeux.

Voilà. C’est chez votre marchand de journaux ce matin, gratuit avec le JDD. N’hésitez pas à tordre un bras dans le dos au marchand s’il ne vous le donne pas spontanément.


jeudi 28 novembre 2013

Fricote, le magazine en papier
avec de l’e-magination dedans




Fricote, le magazine qui ringardise les blogs food, livre son 13e numéro. Toujours aussi bien fait, c’est un délice pour l’amateur de belles maquettes, de belles photos, de textes drôles et intelligents. Je ne m’en lasse pas, je trouve que ce magazine est un modèle indispensable.
Voici ce qu’ils nous disent pour le lancement de ce numéro 13 :
« Même en le demandant très fort à Zoltar, rien n’y fera, nous sommes bien dans une nouvelle ère : le temps des portables à table, des copains partageurs et de la bonne franquette virtuelle qui nourrit l’e-magination. Clic. C’est dans la boîte. Vous lirez dans ce numéro que chacun a ses raisons, ses positions sur le "food snapping", l’anglicisme qui crée le schisme. Allez, mangez tant que c’est beau. »
Eux, ils sont modernes à fond avec infiniment d’esprit.
C’est tout ce qui compte à la fin.


lundi 25 novembre 2013

Michel Creignou est mort




Michel Creignou est mort, terrassé en peu de mois par une de ces maladies qui ne vous laissent pas le temps de discuter.
Michel Creignou était un épicurien élégant, discret et raffiné, un amoureux de la vie et de tous ses délices, un dégustateur émérite, un mec charmant, spirituel et drôle, un compagnon épatant et léger, à table comme en voyage.
Bref, un être humain de grande qualité.
Quand j’ai fait irruption dans ce métier, il a fait partie des quelques-uns qui m’ont bien accueilli, une courtoisie dont je lui ai toujours su gré.

Il me revient le souvenir d’un moment partagé avec lui chez Madame Gasqueton, au château Calon-Ségur à Saint-Estèphe.
La conversation roulait tout doucement et, pour la meubler, notre ami Michel Creignou, bon connaisseur du vignoble, posa à Madame Gasqueton la question suivante, à propos des Bouygues à Montrose : « Que pensez-vous des grands travaux entrepris dans l’une des belles propriétés de Saint-Estèphe ? » Elle n’eut pas besoin de réfléchir, elle savait déjà ce qu’elle en pensait et, du tac au tac : « Il vaut mieux que chacun reste à sa place. » C’était pour ce genre de déclaration excessive qu’elle était diversement appréciée. Moi, évidemment, le côté politiquement incorrect m’avait enchanté. Dans la voiture de retour, Creignou et moi, étions tout gondolés de rire. Puis, nous nous étions arrêtés chez un charcutier de Pauillac qu’il connaissait bien et là, il a fait son marché. Et le mien.

Adieu, Michel. Tu nous manqueras beaucoup.


Le off du Grand Tasting, ça prend forme

Tous les grands événements provoquent un off important. Regardez le Festival de Cannes. Le Grand Tasting, c’est pareil. Cette période est propice aux événements Vin.
La saison a commencé avec Vin sur Vin fait salon, le petit salon organisé par le blogueur Fabrice Le Glatin sur une péniche dans l’un des plus beaux décors du Paris historique. C’était beau et c’était bien et le côté confidentiel collait bien à l’intention.
Bientôt, c’est Philippe Cuq qui inaugure sa nouvelle cave, Le Lieu du vin, du 4 au 8 décembre au 3 de l’avenue Gambetta à Paris, dans le 20e. Un garçon sincère avec une belle sélection, allez-y en confiance. Déjà, Allcool a ouvert au 123, boulevard Voltaire dans le 11e. Là, les vins sont sélectionnés par Bettane+Desseauve.
On attend à tout moment l’annonce du prochain Grunge Tasting cher à nos radicaux préférés. Paris fête le vin, en somme. Ce n'est pas tout.



Le Grand Tasting ouvre ses portes au Carrousel du Louvre le 6 décembre pour la Saint-Nicolas, l’attention est charmante, merci.
Le même jour, le Premier ministre fourgue quelques bouteilles chères pour en acheter des pas chères à la place, dommage pour les visiteurs étrangers. Déjà, ils ne se pressent pas à Matignon, mais là… Après le Maire de Paris et le Président de la République, il donne ainsi un exemple aux Français sur le thème « serre-toi la ceinture », une idée neuve, un timing parfait, on sent la maîtrise.
Je me demande si je ne vais pas faire pareil, moi, à la fin. J’hésite encore. C’est vrai, quoi, on ne peut pas continuer comme ça alors que plein de milliardaires n’ont à peu près rien à boire de convenable. J’hésite encore un peu, hein. À moins que j’aille faire un tour à Drouot pour cette vente de la cave de Matignon.

vendredi 22 novembre 2013

Si c’est défendu, c’est que c’est bon




Un caviste qui ouvre, c’est un peu d’obscurantisme qui ferme, me direz-vous. Oui, mais bon. On ne célèbre pas chaque ouverture. Par exemple, mon nouvel ami Philippe Cuq ouvre son « Lieu du vin » à côté de chez moi, devenant ipso facto mon caviste de référence et je n’en fais pas une communication à l’académie pour autant.
Là, c’est autre chose.
Un garçon très entreprenant ouvre aujourd’hui le premier maillon d’une chaîne qu’il souhaite mondiale et peut-être même interplanétaire, va savoir. Ça s’appelle Allcool. En soi, déjà, c’est très drôle. Poussant la provocation un cran plus loin, « Si c’est défendu, c’est que c’est bon » devient son accroche. Et là, on touche les étoiles, on a les yeux qui brillent, c’est Noël. Répétez en boucle : Si c’est défendu, c’est que c’est bon, Si c’est défendu, c’est que c’est bon, Si c’est défendu, c’est que c’est bon, Si c’est défendu, c’est que c’est bon, Si c’est défendu, c’est que c’est bon…
Bravo donc à Charles de Mercy (c’est lui le coupable) d’envisager la vie du vin sous cet angle carrément adorable.
Dernier détail. Vous pouvez vous y précipiter les yeux fermés puisque Charles a confié à Bettane+Desseauve le soin d’élaborer la sélection des vins vendus chez Allcool. Et c’est aussi une première.
Et n’oubliez pas, surtout toi : Si c’est défendu, c’est que c’est bon.
Merci, Mercy.

mercredi 20 novembre 2013

Le magnum est l’arme secrète du grand vin
(size does matter)




« Quelle est la différence entre une bouteille ? » aurait pu dire Coluche. « Un format idéal à deux, surtout quand l’autre ne boit pas », les blagues d’après-boire cachent toujours une vérité. Les grands amateurs n’ont jamais douté des qualités du magnum et, maintenant, tout le monde en veut.
En fait, la différence entre une bouteille et un magnum est énorme. Le magnum (1,5 litre) est le contenant qui favorise le vieillissement harmonieux du vin sous verre. Pourtant, la bouteille (75 cl) est le format le plus couramment rencontré. La vie à deux est la coupable. Peu à peu, les choses changent et le magnum devient un objet de mode, même si la vie à trois n’est pas des plus pratiquées. Il y a d’autres raisons.
L’évidence, d’abord, plus grand, c’est plus cher, plus valorisant et d’un meilleur rapport pour le commerce. Joël Robuchon, dans son restaurant L’Atelier à Paris, a eu le premier l’idée de servir les vins au verre à partir de magnums exclusivement. Chaque jour, un magnum de blanc et un autre de rouge était proposé à la clientèle. 25 euros le verre, il semble que c’est plus acceptable quand il vient d’un magnum. Dans le même ordre d’idées, le magnum est devenu le cadeau « vin » le plus satisfaisant pour celui qui donne comme pour celui qui reçoit. Grosse bouteille, gros cadeau, c’est facile à comprendre.
Au niveau organoleptique, qui n’est pas le moins intéressant, quelques spécialistes ont poussé la réflexion et sont arrivés à des conclusions passionnantes. Ainsi de la maison Bollinger qui a relancé son brut dans une forme de bouteille ancienne retrouvée dans les caves de la maison et qui date de 1846. Peu à peu, toute la gamme sera commercialisée dans cette bouteille à la forme d’un… « petit magnum », justement. Voici ce qu’en disait Mathieu Kauffmann, chef de caves de Bollinger à ce moment-là : « Approchant l’équilibre parfait d’un “petit magnum“, avec un col plus fin et une base plus large, le flacon 1846 ralentit très légèrement l’échange d’oxygène et offre une qualité de vin supérieure. » Une bonne raison technique pour une forme d’une belle élégance ? Il n’y a pas d’équation plus favorable. Naturellement, le magnum correspondant à ce « petit magnum » est épatant, il fait très envie, c'est aussi ce qu'on lui demande. En tous cas, il n’y a pas de format plus désirable que le magnum.
S’il parle d’opulence, il dit le plaisir et ceci explique mieux que toute autre considération l’engouement dont il est l’objet depuis quelque temps. Plus gratifiant, plus statutaire, plus opulent, entre un magnum et une simple bouteille, il y a un peu plus qu’une différence de taille.

La photo : Le magnum et le « petit magnum » (75 cl) ou comment appliquer les qualités du grand au petit. Photo Fabrice Leseigneur.
Cet article a été publié sous une forme différente le 7 novembre dans Série limitée, le supplément mensuel du quotidien Les Échos.