Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 15 mars 2022

Le dernier jour du Laurent

 

« Tout fout le camp » s’attristaient les habitués aux comptoirs des bistrots en sifflant, mélancoliques, un ballon de rouge aussi ennuyeux que leurs converstaions. La nostalgie a-t-elle encore droit de cité ? Je dis oui.

J’étais la semaine dernière au Laurent, ce restaurant mythique des jardins des Champs-Élysées que je considérais, émerveillé, comme le meilleur de mon monde. C’était le dernier déjeuner, la fin d’une époque, la fin de tout. L’ambiance n’était pas venue, on pliait les gaules, on traînait les pieds, ce n’était pas d’une gaieté folle. La clientèle habituelle, un rien clairsemée ce jour triste, occupait les banquettes confortables de cette grande salle aux vastes baies vitrées qui envoient la plus belle lumière naturelle qui soit. Patrons du CAC 40, politiques, grands antiquaires de l’avenue Montaigne voisine, un entre-soi de bonne compagnie qui n’était pas la moindre des qualités du lieu. Cet endroit représentait une sorte de résumé parfait de ce que Paris pouvait être d’élégance, de simplicité chic, de mesure, de tout ce qu’on aimait dans notre capitale et qui a une fâcheuse tendance à s’effacer sous les coups de boutoir d’un villedeparisme, comme disait le regretté Laurent Bouvet, échevelé, hystérique, destructeur.

Je me souviens de la gastronomie d’Alain Pégouret, d’une rare justesse qui m’avait fait aimer l’endroit ; je me souviens de la meilleure sommellerie de Paris ; je me souviens de l’accueil de Philippe Bourguignon, de Ghislain, de Christian, des autres, tous les autres, du voiturier (un type formidable) au plus débutant des serveurs qui tous s’attachaient à produire le meilleur d’eux-mêmes dans un cadre unique et exigeant. Ici, on n’était pas assommé par une musique exagérée, on ne buvait pas de vins nature. Je me souviens, je regrette. Le printemps qui vient ne nous verra plus ravis sur la plus belle terrasse de Paris.

Le restaurant Laurent ferme.

Les murs appartiennent à la Ville de Paris, l’exploitation est concédée, la Mairie n’a pas retenu l’offre du concessionnaire historique, le groupe Partouche. C’est Paris Society dirigée par Laurent de Gourcuff qui prend la suite. Paris Society a créé une nébuleuse d’une vingtaine de restaurants « à la mode » à Paris, Courchevel, Megève, etc. Parmi lesquels Monsieur Bleu, la Maison Russe (devenue subitement, sottement, la Maison R. comme si le mot russe était devenu infréquentable, les imbéciles), Perruche et d’autres comme Apicius repris des mains fines et intelligentes de Jean-Pierre Vigato, on a vu ce qu’ils en ont fait, pas de quoi pousser des petits cris extatiques. Bref, tout ceci sent le branché et, pire, le festif. On y paiera trop cher une assiette approximative et une carte des vins à coefficient confiscatoire. À l’automne prochain, l’établissement fermera pour quelques mois, le temps des travaux. On va refaire la déco. Aïe. J’ai peur d’avance. La vulgarité nouvelle des Champs-Élysées gagne les jardins, n’en attendons rien de bon. J’avais déjà vécu pareille débâcle à la reprise de la Coupole à Montparnasse, nous avions beaucoup pleuré ce haut-lieu disparu.
Le monde change, vieux. C’est comme ça. Sans doute. Le monde pourra-t-il se passer de ses ancrages les plus brillants, les plus historiques ? Je ne crois pas. Je ne crois pas du tout.

Cela dit, le pire n’étant jamais certain, nous pourrions voir éclore une divine surprise.

Il y faudrait beaucoup d’humilité.

 

C’est ça, le prochain Laurent ? Qu’on ne m’y attende pas.
(photo extraite du site Paris Society)


 

lundi 7 mars 2022

Alice Paillard fait du champagne
(encore une fille de qui fait très bien)

 

Alice Paillard est plus jeune que la maison que son père Bruno a fondée. Cette Champenoise élevée aux grandes valeurs de la région qui l’a vue naître en est un porte-drapeau impeccable. Directrice générale de Champagne Bruno Paillard, elle joue avec son père la partition de la transmission exemplaire, sorte de modèle pour le monde dont beaucoup feraient bien de s’inspirer. Elle précise : « Ce n’est pas simple. Le rôle du fondateur qui doit maintenant laisser la place n’est pas d’une évidence parfaite. Nous parlons beaucoup, un dialogue permanent qui me permet de confronter mes idées à son expérience. Comme il est moins concerné par l’opérationnel, il est prudent dans ses jugements. Nous partageons un respect mutuel qui est enrichissant. » C’est beau à entendre, et rassurant.

 

Des études, New-York, Reims

Bien sûr, elle a repoussé aussi loin que possible le moment de rejoindre l’entreprise familiale. Puis, à un moment, un poste se libérait et c’était maintenant ou sine die. Elle a choisi de ne plus tergiverser. Nous sommes en 2007. Elle quitte l’antenne new-yorkaise de la Sopexa où elle s’initiait aux particularités singulièrement tordues du marché du vin aux États-Unis, ce marché à trois bandes sans équivalent, compliqué par le fédéralisme. Évidemment, l’ambition qui l’anime ne peut se passer de cette expérience indispensable à une bonne intelligence de ce marché prioritaire. Il est temps pour elle de prendre la mesure de son challenge. Elle dit : « Bruno Paillard, c’est 25 hectares en propriété et cinq autres en approvisionnement. Notre production se situe entre 350 et 400 000 bouteilles. Nous sommes, finalement, une assez petite maison. Notre domaine représente à peu près à 70 % de la production, puisque nous travaillons seulement la première presse. On pourrait techniquement en faire plus, c’est un choix dans la pureté des vins, leur qualité. La maison a toujours conservé la totalité des contrats que mon père avait engagé depuis la fondation. C’est rare qu’un vigneron nous fasse défaut. Avec les années, j’ai continué ce qu’il avait initié, c’est-à-dire avoir nos propres vignes. J’aimerais beaucoup garder ce ratio 70/30 en continuant à grandir, peu à peu. Nous avons identifié nos secteurs de prédilection dans la recherche de nouveaux contrats, la Montagne de Reims, par exemple. Il y a des zones où nous sommes mieux fournis que d’autres. Nous regardons tout ce qui se présente, nous disons souvent non. Notre vignoble doit être cohérent avec ce que nous faisons, avec nos emplacements actuels. La maison est aujourd’hui présente dans seize crus différents pour un peu plus d’une centaine de parcelles. C’est difficile à exploiter, c’est passionnant. Aussi, le risque est mieux réparti. Je parle de météo » 

Son père est engagé sur d’autres fronts champenois. Il préside aux destinées du groupe BCC-Lanson (Philipponnat, Boizel, Besserat de Bellefon, Chanoine, de Venoge, d’autres et Lanson, bien sûr). Il peut s’y consacrer le cœur léger. À la maison, la ligne du parti est sous contrôle et respectée.

 

Un an dans les rangs

Pour elle, la vigne est un sujet prioritaire. Quand elle est arrivée en 2007, elle a passé un an dans les vignes à établir une feuille de route aussi complète que possible (« c’est toujours ma responsabilité »). Pourtant, le constat n’était pas dramatique. Bruno Paillard, dès le premier jour, avait cessé l’emploi de tout désherbant et imposé le travail des sols, encore vrai aujourd’hui. Mais, dit-elle, « Nous travaillons les sols beaucoup moins profondément qu’il y a trente ans. Comme nous avons constitué le vignoble parcelle après parcelle, nous avons fait systématiquement des analyses de sols. Chaque fois, nous avons lancé des programmes pour relancer la vie microbiologique des sols. Je ne veux pas évoquer des sols morts. Je préfère parler de sols bloqués. La main du vigneron peut laisser un vignoble en meilleur état que celui dans lequel il l’a trouvé. Nous nous y employons. » On sent bien que tout ceci n’est pas un vœu pieu, que c’est une authentique prise de position, que la Champagne nouvelle est avancée.

 

Une gamme et quelques surprises (mais chut)

En une sorte de démarche marketing à l’envers, chez Bruno Paillard, on ne fait pas du vin pour plaire au public, mais « un vin qui traduise son origine de façon la plus précise possible. Cette volonté de nous concentrer sur les premières presses avec des dosages faibles tout en continuant à préférer des terroirs crayeux, ce sont clairement des choix qui nous emmènent à l’essentiel pour exprimer notre vision de nos terres de Champagne sans jamais la trahir. » Ceci se concrétise en une gamme à deux entrées. Les multi-millésimés constituent l’essentiel des volumes, comme partout. Il y a première-cuvée, le pilier de la maison, 60 % de la production. Puis viennent le rosé première-cuvée, le blanc de blancs grand cru et le dosage-zéro, création récente sous l’acronyme DZ. « Ensuite dans la famille des millésimes, nos sorties sont très variables, nous ne cherchons pas à millésimer chaque vendange. Et puis, nous faisons un coteau-champenois blanc depuis longtemps, en production confidentielle. » Et sinon, du neuf bientôt ? « La maison sortira des nouveautés dans les prochaines années. » Nous n’en saurons pas plus, hélas. Nous ne doutons pas qu’une telle discrétion – ou modestie – dissimule un gros travail. Soyons patient.

 

 

Alice Paillard photographiée par Mathieu Garçon
dans le parc des Crayères à Reims