C’est un de ces dîners en ville comme on les aime. De ceux qu’on ne raterait pour rien au monde, pas même une pluie tenace qui vous laisse trempé à l’adresse indiquée. Mais nous ne sommes pas en sucre et l’endroit est confortable ; la compagnie, fine. Des gens de verres et de fourchettes, des bons vivants drôles et raffinés, la maîtresse de maison est l’une des meilleures cuisinières qui se puissent trouver, rien ne remplace les filles bien élevées.
L’affaire a commencé par une paire de Grande Année de Bollinger, 2004 puis 2000. Le 04 est jeune encore pour avoir trouvé sa place dans l’univers de la marque, plus tendu que vineux, quand le 00 est tout le contraire, le champagne est un monde merveilleux.
Au menu, une théorie de grands vins qui laisse rêveur.
Dans l’ordre :
- un nuits-saint-georges clos-des-corvées 99 de chez Prieuré-Roch. Comme toujours avec cette maison, c’est à pile ou face. Nous ne sommes pas bien tombés, le vin est serré, bien trop pour son millésime et son âge. Avec ce qui suivait, il n’est pas bien tombé non plus, vite oublié.
- un charmes-chambertin 99, Dugat-Py et là, nous sommes tous montés dans la fusée, le ciel et ses étoiles était notre terrain de jeu, le silence se fait. Fallait-il une preuve que le grand vin est un miracle et un cadeau ?
- un châteauneuf-du-pape, Hommage à Jacques Perrin 03, Château de Beaucastel, un vin puissant et massif, bu trop jeune, sans doute, il ne dévoilait pas tout. Cette cuvée composée à peu près exclusivement de mourvèdre nous a rappelé que les beaux mourvèdres, c’est dix ans minimum, comme nous le faisons avec nos grands bandols. Le sentiment d’avoir raté un train.
- un vosne-romanée village les-genaivrières 01, Lalou Bize-Leroy nous a renvoyé illico chevaucher la comète dans une béatitude faite de délicatesse et de soyeux et comme dirait Bettane, on a touché du bout de la langue la différence entre le très bon et le grand.
- Un côtes-du-jura vin-jaune 85, Château d’Arlay. Comme notre hôte est joueur, il a sorti ce grand vin jaune pour aller avec le fromage. Une vraie rupture. Pour un certain nombre de raisons et de rencontres, j’adore les juras depuis longtemps, celui-là a confirmé mon goût pour ses vins de grâce et de pureté. Qui ne se boivent pas froids, rappelons-le.
- Un sauternes 73, Château d’Yquem. Ce qu’il y a de bien avec les très grands vins, c’est que la qualité du millésime s’efface au bout d'un moment devant le gigantisme du cru. Bien sûr que chacun aura goûté de meilleurs yquems, mais baste. Celui-là avait bien mangé son sucre, il était épatant de complexité, il faisait un point d’orgue parfait à cette soirée. Et il a permis, si l’on peut dire, d’oublier complètement que le cognac existe.
En nous séparant, ravis, sur le seuil d'une nuit froide, blanche et humide, je me souvenais des mots de Jacques Lardière, le grand homme de la maison Jadot, rencontré plus tôt dans la semaine à Beaune :
« Et peu à peu on s’aperçoit qu’on passe d’un champ d’éventualités à un champ vibratoire, les molécules du vin s’expriment, elles chantent. On croit que c’est de l’ivresse alcoolique, mais pas du tout. C’est très différent. » Comme il a raison. Et comme ce doit être compliqué d’expliquer ça au monsieur en uniforme qui vous tend un ballon en vous demandant de souffler dedans. Dieu merci, les policiers, à la différence des escargots, ne sortent pas par temps de pluie.
Les photos : sont lamentables. Pardon à mes lecteurs, à mes hôtes d'un soir pourtant si généreux, aux producteurs de ces vins. Il faut que je fasse quelque chose dans ce registre, je vais tâcher de m'y coller.