La côte, ses eaux froides, ses baleines, ses immensités désertes |
L'Oregon, où, quoi, comment
L’Oregon est encadré à gauche par les eaux froides du Pacifique où passent les baleines, en bas par la Californie, ses vins célèbres et le Nevada, ses casinos. En haut, c’est l’état de Washington et Boeing et, à droite, l’Idaho et ses paysages de western. Le décor est planté entre influences océaniques, jours chauds et hivers pluvieux, tout est en place pour faire pousser du raisin. Ici, c’est un pays tempéré. Il pleut, il neige, il fait beau. Il y a un océan qui provoque des entrées maritimes malgré l’écran fait par les Cascades Mountains qui longent le Pacifique, il y a des vents, des humidités, mais des étés secs qui font toute l’histoire, sauf accident climatique comme en 2103 où des pluies dingues ont gravement perturbé les vendanges.
Chapitre 24
Le premier contact avec cet Oregon, désormais célébré comme l’autre pays du pinot noir, est téléphonique. Louis-Michel Liger-Belair, l’heureux propriétaire de parcelles mythiques au château de Vosne-Romanée, est consultant pour Mark Tarlov, un lawyer new-yorkais spécialisé dans le cinéma et qui a décidé de créer Chapter 24, un domaine dans les collines de Dundee, au cœur de l’histoire qui nous occupe. Il explique simplement que le succès du pinot noir là-bas est un hasard, que les sols volcaniques n’ont rien de commun avec les calcaires bourguignons. À quoi Michel Bettane ajoute que les premiers viticulteurs locaux sont surtout des déçus de la Californie, des diplômés de la célèbre université du vin californien U.C. Davis qui avaient envie d’aller voir ailleurs. Les contours se précisent. Ryan Hannaford est l’homme de Chapter 24, à la fois maître de chai et vigneron. Ce jeune Australien d’Adélaïde, rieur et travailleur, adore l’Oregon, le pinot noir et ses vins. Il est fier d’être là, cette aventure, créer un vin est un rêve d’œnologue. Ce vignoble qu’il gère compte 33 parcelles dont il extrait 90 échantillons différents qui, une fois assemblés, donneront sept cuvées, sept étiquettes, pour une production totale de 15 000 caisses de douze bouteilles. En Amérique, on compte en cases, en caisses. Il nous montre des vignes menées par ses soins en biodynamie. Des jardins de vignes, des modèles pour l’édification des étudiants en biodynamie, tant elles respirent la santé, même à l’œil nu. Il dit : « En biodynamie, il faut toujours avoir un coup d’avance. Si vous vous mettez à courir derrière la météo, vous avez perdu. » Ryan a commencé en 2007 avec Dominique Lafon au domaine Seven Springs et il considère que ce grand vigneron bourguignon, également consultant en Oregon, est son père spirituel. Il restera jusqu’en 2014 à ses côtés avant de rejoindre Chapter 24 et Louis-Michel Liger-Belair.
Nicolas et Jay
C’est une histoire de vieux copains d’université qui se recroisent vingt ans après pour lancer un projet de vignoble. Qui échoue. Mais en Amérique, on peut rebondir. L’un est Bourguignon, encore, et l’autre est Californien. L’un est un vigneron célèbre à Vosne-Romanée, digne héritier du grand Henri Jayer. L’autre est un producteur de musique, il a côtoyé les meilleurs. L’un et l’autre on jeté leur dévolu sur une petite vigne plantée en franc de pied en 1988, cinq hectares sur un coteau abrupt des collines de Yamhill-Carlton. C’est la nouvelle aventure de Jean-Nicolas Méo et de Jay Boberg. Un projet qui, en plus d’eux, réunit une douzaine d’investisseurs dont Méo-Camuzet, le vignoble détenu par Jean-Nicolas et ses sœurs en Bourgogne et qui comprend le très fameux Cros Parantoux. Il aurait pu choisir, comme son voisin de Vosne, de faire le consultant, mais non. « Vous savez la différence ? Le consultant vole en business et le propriétaire en classe éco. À part ça, autant être propriétaire. La vigne coûte le même prix qu’en Beaujolais, mais les vins se vendent bien mieux. » En effet, on s’aperçoit qu’il y a trois paliers de prix : 45, 65 et 95 dollars environ. Qui correspondent à des niveaux de qualité et de quantité bien sûr différents. Il y a aussi un important marché national qui n’a pas peur de payer un bon prix pour le vin. Les Américains n’ont pas cette ancienne culture française qui date d’un temps où le vin ne valait à peu près rien, une époque où le pain et le vin existaient main dans la main. Tout ceci est révolu, le pain et le vin se sont séparés et suivent d’autres trajectoires, mais les Français ne s’en rendent pas compte encore. En revanche, aux USA, les vignerons peuvent faire de bonnes affaires sans scandaliser le monde. Et pour les Bourguignons, avec 70 % des surfaces viticoles plantées en pinot noir, c’est un enracinement culturel facile à rejoindre. Jean-Nicolas Méo a lancé son Nicolas & Jay, première cuvée de sa marque Bishop Creek, début avril 2016 et il a été surpris par le succès rencontré par son vin tout neuf. 25 % de la production vendue le premier jour, c’est ébouriffant pour un vin inconnu et vendu 65 dollars hors taxes la bouteille. Du coup, il affiche un objectif de 5 000 caisses par an. Pour l’instant, c’est 1 800.
Jean-Nicolas Méo arpente son coteau de vignes plantées "franc de pied" |
« Les vins français ne sont pas chers »
Qui dit ça ? C’est Rodolphe Louchart, Lillois importé en Oregon depuis 14 ans et devenu le responsable de Gran Moraine, le vignoble haut de gamme du groupe Kendall-Jackson aujourd'hui dirigé par Barbara Banke, la femme de Jess Jackson. Nous avions rencontré Jess, aujourd’hui disparu, dans sa propriété de la Sonoma, quelques mille kilomètres plus au sud. L’endroit s’appelle Vérité et le winemaker français, Pierre Seillan, y fait trois vins, des bêtes à concours, déjà sept fois 100 points Parker. Bref, chez les Jackson, il y a du niveau. Avec ses vins installés dans la fourchette 50-100 $, Rodolphe sait de quoi il parle quand il ajoute « à qualité équivalente ». Lui, il mise à fond sur la vente au caveau, le wine-club cher à la clientèle américaine. Si aujourd’hui, ces ventes ne représentent que 20 %, l’objectif est clairement désigné à 80 %. Il y parviendra parce que l’Amérique, c’est comme ça. Pour en être sûr, le meilleur vin de la gamme s’appelle La Première. Comme chez Air France.
Rose Rock, le nouveau vignoble des Drouhin, veillé par Mount Hood, le grand volcan qui regarde toute la région. |
Les grands frères et la petite sœur
Véronique Drouhin, la sœur, c’est elle qui fait le vin à Beaune comme à Dundee ou, maintenant à Roserock, le nouveau domaine de la famille dans les Eola-Amity Hills. Eux, ce sont ses frères. Philippe, l’aîné, qui gère tous les vignobles familiaux. Laurent, qui a développé le business aux USA, premier marché de la Bourgogne. Il vit à New-York. Frédéric, le benjamin, préside aux destinées de l’ensemble du groupe familial depuis Beaune. Ils ont aussi un père, Robert, qui donne toujours son avis éclairé et une mère qui tranche en cas de conflit ou, plus raisonnablement, de divergences. C’est Robert qui a inventé l’histoire « Les Drouhin en Oregon ». Il l’a fait de manière assez insidieuse en convaincant sa fille de s’y coller. D’abord, en l’envoyant en stage chez le grand précurseur du pinot en Oregon, créateur de la winery The Eyrie. Véronique se souvient : « Un jour, mon père me montre une photo d’un monsieur avec une grande barbe et il me dit que ce sont des gens très bien et que, donc, j’irai en stage chez eux. Moi, j’aurai préféré la Californie, évidemment. Je suis allé en Oregon. » En 1987, Robert emmène sa fille à Dundee, ils gravissent une colline plantée de blé. C’est David Lett, le fameux barbu du stage, Papa Pinot est son surnom, qui a prévenu Robert Drouhin de l’opportunité d’achat. L’affaire se fait et voilà Véronique lancée dans le grand inconnu oregonnais avec une belle cinquantaine d’hectares à faire croître et embellir. Rapidement, mais au rythme de la vigne, le domaine Drouhin prend sa vitesse de croisière, trois cuvées voient le jour qui portent les prénoms des enfants de Véronique. Arthur est un chardonnay. Laurene est une cuvée de pinot noir et Louise, une autre, plus qualitative, embouteillée seulement en cas de grand millésime et vendue uniquement via le Wine Club de Drouhin Oregon. Un wine-club, c’est une réunion d’amateurs des vins d’une maison qui ont accès à toutes sortes d’avantages, dont certaines cuvées introuvables ailleurs ou des mises dans des formats hors commerce (magnums et au-dessus). C’est un principe très américain, largement reproduit dans toutes les wineries et dont nos domaines et châteaux français feraient bien de s’inspirer. Le temps a passé. Les aléas climatiques qui frappent depuis des années maintenant le grand talus bourguignon posent le problème de la fourniture de bons, voire de très bons vins issu du pinot noir à un marché global de plus en plus demandeur. C’est pour apporter un commencement de réponse à leur échelle que les Drouhin se sont portés acquéreurs d’un terroir d’exception dans les collines d’Eola Amity, au sud de Dundee. Un grand coteau orienté vers le sud-est avec le Mount Hood qui ferme l’horizon, comme le Mont-Blanc à Givry, mais plus proche, une belle forêt pour la biodiversité et quelques étangs pour humidifier légèrement l’atmosphère, l’été. On voit tout de suite que cet endroit est fait pour la vigne et nos spécialistes ne s’y sont pas trompés. Le lieu est tellement bourguignon (toutes proportions américaines gardées) qu’ils y ont planté une flèche qui indique « Beaune, 8 250 km ». Tout est dit.
Tout ceci a commencé il y a trente ans sous la bannière French soul, Oregon soil inventée par les Drouhin et, aujourd’hui, voilà qu’une autre grande maison du négoce beaunois, Louis Jadot, s’intéresse à l’Oregon, s’y installe. L’histoire continue, plus forte, plus belle encore, si possible.
Le commentaire de dégustation de Michel Bettane
Roserock, Eola-Amity Hills 2014, pinot noir, Domaine Drouhin Oregon
« Un joli pinot noir fait avec soin en refusant tout caractère emphatique, exagéré. Un vin très équilibré à la texture soyeuse, frais sur des notes classiques de petits fruits rouges. Il est encore discret au nez avec un très réel potentiel de développement. Mais il est plus marqué par la qualité du raisin que par celle du terroir. Il manque encore de cette personnalité Drouhin d’Oregon comme avec leurs cuvées de Dundee. Mais c’est une première vendange, c’est un premier millésime et tout ceci semble bien parti. »
Les AVA des Américains
L’Amérique a aussi ses AOC, qu’on appelle AVA pour American Viticulture Area. L’endroit qui nous occupe ici est l’AVA de la Willamette Valley qui se subdivise en six sous-AVA :
Dundee Hills
Eola-Amity Hills
McMinnville
Yamhill-Carlton
Ribbon Ridge
Cheahalem Mountains
La Willamette est la rivière qui qui irrigue la région des AVA décrites ci-dessus.
C'est un affluent de la Columbia.
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Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 5.
Toutes les photos sont signées Mathieu Garçon sauf la bouteille (Fabrice Leseigneur) et le panneau "Beaune" (mon Ni-Phone).
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