Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



samedi 30 mars 2013

Pendant que j'y pense (8)

Petites histoires de ces jours-ci. Où il est question de cambrioles, de petits millésimes, de cognac et toutes ces choses qui égaient le quotidien.


1 On a cambriolé Anselme Selosse. Des malfrats ont emporté 3 700 bouteilles, c’est grave pour l’entreprise Selosse. Ils ont emporté également
12 000 collerettes et 16 000 étiquettes, c’est grave pour les consommateurs qui se laisseront berner et qui paieront au prix du selosse des vins sur lattes des plus ordinaires. Seulement voilà, la parade existe. Le champagne dit « sur lattes » est conditionné dans la bouteille champenoise classique, le verre est de couleur verte. Les vins de Selosse sont embouteillés dans des flacons de verre noir. C’est très facile de faire la différence à l’œil nu.






2 Les petits millésimes des grandes maisons, c’est comment ? J’ai tiré les bouchons d’un magnum de mouton 84 et d’une bouteille de latour 92 pour un même dîner. Dans le genre petits millésimes, on ne pouvait pas trouver mieux, ou alors un 77 peut-être, mais je n’en ai plus depuis longtemps. Le mouton ayant bénéficié d’un magnum n’était pas trop mal, mais on sentait bien qu’il était passé de l’autre côté du miroir (si tant est qu’il ait jamais été au top). Le vin était court et plutôt mince. En revanche, le latour en bouteille était d’une finesse, d’une élégance et d’une fraîcheur étonnantes. Un vin d’une grande classe, un des plaisirs raffinés comme le vin en offre parfois, un bordeaux à son meilleur. Un 92, pourtant. Faut-il en conclure qu’un petit millésime d’un grand château, c’est bien ? Évidemment, mais je me souviens d’un sous-gourou du vin qui disait avec ce qu’il faut de cynisme qu’il faut toujours privilégier les grands millésimes des grands châteaux. Nous avions ri poliment en trouvant la boursouflure ridicule. Nous avions raison.



3 Le Château Angélus a décidé de revoir sa distribution et, comme c’est l’usage, a prévenu un certain nombre de négociants de son désir de ne plus travailler avec eux. Une péripétie ordinaire dans le commerce. S’agissant de Bordeaux, les choses prennent une ampleur qu’on ne voit que là, déclarations aigres, sentimentalisme hors de propos, etc. Pourtant, on peut comprendre qu’un producteur s’inquiète de la pérennité de son domaine et cherche à mettre le plus de chances de son côté. Comme à Latour, on cherche ici à bénéficier le plus possible de l’image du château en organisant une diffusion des vins à son profit. Pas de quoi appeler sa mère devant la démarche normale d’un chef d’entreprise conscient et responsable.



4 Vingt-quatre heures chrono à Cognac chez Camus, maison familiale depuis 1863. J’aurai l’occasion d’en reparler en détail ici, mais je ne pouvais pas remettre à plus tard l’envie de raconter la bonne idée de ces gens-là. Au public qui visite la maison, on propose de découvrir les mystères du cognac en réalisant soi-même une coupe, c’est-à-dire un assemblage. Il s’agit d’un XO, un cognac dont les eaux-de-vie qui le compose ont au moins cinq ans. Avant de se lancer, on goûte quatre qualités très différentes, un fins-bois, un borderies, une petite-champagne et une grande-champagne. Après avoir longtemps humé et brièvement goûté chacun, j’ai composé ma propre coupe à partir de 70 % de borderies pour les arômes, de 10 % de petite-champagne pour le corps et de 20 % de grande-champagne pour la profondeur. Dit comme ça, c’est assez obscur, mais bon chacun est reparti avec sa bouteille et la dégustation dans trois mois minimum dira qui a bon et qui a tout faux. Et comme Miss GlouGlou fait pareil dans quinze jours, on fera une battle avant l’été et on verra bien. En, tous cas, voilà une idée pédagogique et drôle, ce n’est pas si fréquent dans le monde lisse des spiritueux de luxe.



5 Mon blanc préféré du moment provient d’une toute petite parcelle de chardonnays cultivée et vinifiée par François d’Allaines, j’ai souvent évoqué ce bourgogne sous-la-velle sur ce blog. Une fois de plus, il a démontré ses qualités aromatiques, sa fraîcheur et son équilibre à l’occasion d’un déjeuner. Et, une fois de plus, je me suis énervé avec ce capsulage à la cire. On peut s’y prendre avec d’infinies précautions, on en fout partout quand même, y compris une fine poudre qui tombe dans la bouteille. J’ai parlé de cet emmerdement massue avec toutes sortes de professionnels. Il y a unanimité, c’est sans solution. François, fais quelque chose, please.



6 On a cambriolé la cave de mon restaurant favori. Des voyous ont emporté 3 800 bouteilles, essentiellement de vieux millésimes de la vallée du Rhône, mais aussi de vénérables bourgognes des meilleures provenances. La propriétaire de ce restaurant en a été très choquée et nous, bien tristes. Elle aimait beaucoup cette collection de vieux millésimes dont elle agrémentait l’une des plus belles cartes de vins de Paris. Et comme c’est une personne de qualité, elle avait le bon goût de proposer ces vins à des tarifs enchanteurs, toujours très (très-très même) en-dessous du prix du marché. C’est ainsi que je me suis appesanti pendant des mois sur une verticale épatante de trévallons. Aujourd’hui il n’en reste qu’une bouteille, un 99, que nous avons décidé de boire ensemble. Après, on attendra dix ans que les millésimes plus récents se fassent. Et les tarifs ne seront plus les mêmes. Fuck the bandits.

mercredi 27 mars 2013

Derenoncourt, un passeport et un taxi

Rencontré Stéphane Derenoncourt à l’hôtel George V. Il y présentait le millésime 2012 des propriétés qu’il conseille à Bordeaux, dans toute la France et dans le reste du monde. Pour les vins de la Rive droite, il compare ce millésime à 1998. Pour le reste, il est plus circonspect, « hétérogène », dit-il.
Au fait, Stéphane, c’est quoi un grand millésime ? La réponse est nette : « C’est quand les mauvais vignerons aussi font un bon vin ».
Dans le petit film ci-dessous, Stéphane raconte ses collaborations à travers le monde. Où il arrive que le flying winemaker qu’il est ne passe pas toutes les frontières.
Une minute, pas plus.




Le monde magique de 1855.com



Avec ce merveilleux angélisme attribué le plus souvent aux enfants, la gouvernance de 1855 (.com, oui) annonce une deuxième année consécutive bénéficiaire. Bref, ça marche très bien pour ces jeunes gens qui ont complètement dévalué la célèbre expression américaine « take the money and run ».
Eux, ils ne courent pas, ils restent. Avec un bon sourire, absents de la réalité qui les entoure, de la somme de mauvaises ondes qu’ils cristallisent sur leurs noms, des procès qu’ils perdent en rafale, des dégâts collatéraux infligés au e-commerce du vin, de l’image désastreuse qu’ils imposent aux châteaux bordelais.
Un côté pas concerné qui est proprement ahurissant. Pour commenter leurs résultats, ils se félicitent de constater une « baisse de l'activité Bordeaux Primeurs ». Sans blague ?
Difficile de dire qu’ils forcent l’admiration, non, ce n’est pas ça. En revanche, on se demande vraiment comment il se fait qu’ils puissent encore avoir une activité de commerce. Dans quel recoin juridique s’inscrivent-ils ?
Si un spécialiste du droit des affaires pouvait éclairer d’un commentaire avisé la lanterne effarée de mes lecteurs et de moi-même, on serait presque dans l’utilité publique. D’avance, merci. Je reproduis ci-dessous le mail reçu hier en fin d’après-midi et que doivent recevoir tous ceux qui, un jour, ont adressé une commande assortie d’un chèque à ces gens.

Le communiqué de presse, c’est ici 

lundi 25 mars 2013

1855.com
Pendant les procès, les affaires continuent


L’excellent magazine Terre de vins nous offre une interview de l’avocate d’un certain nombre de clients grugés par 1855.com, le marchand de vin sur internet qui a trouvé la meilleure façon de ne pas boire les vins trop tôt.
Où l’on apprend beaucoup de choses et où l’on se pose quelques questions pas idiotes.
Par exemple, où est l’argent des clients ? Rappelons que les vins ne sont pas payables à la livraison, mais à la commande.
Par exemple, très bonne question, pourquoi ce système perdure-t-il ? La plaisanterie dure depuis dix ans. Dix ans ? Il n'y a pas moyen d'y mettre un terme ? Non, il n'y a pas.
Par exemple encore, la ligne de défense adoptée par les margoulins repose sur un gros mensonge. À savoir que si il y a du retard (doux euphémisme) dans les livraisons, c’est à cause des châteaux qui ne livrent pas. J’en connais deux, trois qui ont du s’étrangler en lisant ça.
Faites pareil, allez vous étrangler en lisant ici



Merci à Voutch le magnifique pour ce dessin qui tombe si bien

samedi 23 mars 2013

Pendant que j'y pense (7)

Les vacances des gens sont finies. Les gros embouteillages parisiens ont repris la ville malgré les imprécations de la mairie. Pourtant, le mondovino s’est rassemblé sans cesse. Voilà ce que j’ai retenu. Et bu.




1 Dîner à l’hôtel Amour, Paris, avec trois copines du bureau et un collègue, pfff. J’adore l’endroit, tellement détendu. Belle carte des vins avec des raretés et un penchant coupable pour les vins sans soufre. Mais bon, l’Amour est à la mode, on ne peut pas leur en vouloir d’avoir des vins modeux. Mais aussi cet homme-cheval de Dominique Léandre-Chevalier, pas de millésime porté sur l’étiquette, pas plus sur la contre, mais un vin très jeune. Un vin tonique, limite sauvage, mais de beaux arômes, beaucoup de matière, c’est très bien fait. Pour info, le tout petit vignoble de DLC, sur la rive droite, est planté à 33 000 pieds/hectares, soit plus de trois plus que la moyenne des vignobles bordelais. Il a été suivi d’une cuvée Pervenche assez parfaite de chez Thierry Valette en côtes-de-castillon, il s’agit d’un 2011. On boit vraiment trop jeune dans les restaurants parisiens.


Le Laurent, l'hiver. Oui, c'est à Paris.
2 Pas dans tous les restaurants parisiens. Ainsi de ce déjeuner épatant avec Henry Marionnet au Laurent. Nous avons goûté son sauvignon 2012, une merveille très éloignée des standards herbacés habituels. Goûté aussi un rouge 1991, sans soufre ajouté, conservé debout à la cave, une expérience. Un vin réussi qui, malgré tous ses handicaps, arrive en pleine forme au bout de vingt ans. Je ne vous raconte pas tout ce que Marionnet m’a dit, ça fera l’objet d’un post dédié qui fera couler un peu d’encre, c’est promis. 




3 Cette semaine, Millésima célébrait sa grand’messe annuelle en présentant les bordeaux 2011 à mi-élevage. C’est surtout l’occasion de parler du millésime d’après et vous verrez les vidéos sur MyBettaneDesseauve la semaine prochaine. C’est aussi le théâtre de quelques déclarations tonitruantes dont Patrick Bernard, fondateur et patron de Millésima, a le secret. La victime, cette année est le château Latour.
Je reproduis ses propos presque tels qu’ils ont été communiqués.

« Depuis plus de deux siècles, les grands crus classés bordelais vendent chacune de leur récolte en primeurs au printemps aux négociants bordelais. Château Latour a décidé, à compter du millésime 2012, de ne plus vendre ses vins en primeurs aux négociants (mais en livrable et beaucoup plus tardivement, cette semaine l’offre portait sur latour 1995) (et sur latour 2005, NDLR)
Millésima, désireux de voir les usages bordelais perdurer, a refusé les allocations proposées tant en latour qu’en forts-de-latour. Compte tenu du système des allocations en vigueur à Bordeaux, Millésima savait être condamné à ne plus avoir d’offres de Château Latour pour les millésimes à venir. Par contre, dès que Château Latour revendra ses vins en primeur, Millésima sera ravi de recommencer à acheter et à distribuer les vins de Château Latour. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un boycott, mais d’un refus de voir bafouer des usages bicentenaires. » 

Voilà ce qu’on appelle la réponse du berger à la bergère. Rappelons que la décision de Château Latour était motivée par le désir de récupérer toute la marge faite autrement par le négoce. Faut-il leur en vouloir ? Que l’establishment bordelais en souffre, c’est normal puisque c’est agaçant. Il s’en remettra grâce à un vrai don d’adaptation, lui aussi bicentenaire.




4 Déjeuner chez Nolita, un restaurant en étage avec vue sur le Rond-Point des Champs-Élysées. C’est la version 2013 du Pub Renault. Sauf que là, c’est Maserati qui fait le décor. C’est pas pareil. Un restaurant italien, forcément. C’est très bien, le chef est un bon. La carte des vins au top, très belle sélection, prix en rapport avec l’adresse comme avec l’ambition. J’ai sifflé une bouteille de l’admirable San Leonardo, un vin de Vénétie fait par des aristocrates italiens du meilleur genre. Du san-leonardo, on n’en voit pas à ce point souvent. À part au Davos du vin, naturellement, et dans certaine gargote de Naples, chez Mimi, que j’avais adoré.




5 Dégustation des vins piémontais de Marco Parusso chez i Golosi, dans le quartier de Drouot. Une palette de huit ou dix vins, très divers. Un blanc superbe et deux très grands barolos, dont l’éminent bussia en 04 et 08, un vin qui subit 16 mois en barriques neuves et 40 % du volume se prend six à huit mois de plus en barriques… neuves à nouveau. Une expérience là aussi, 140 % bois neuf, j’en vois qui ont la moustache toute défrisée. Faites-vous à l’idée, les gars, y en a qui cherchent. Pour info, Dominique Laurent en Bourgogne a fait des essais à 200 %. Les bons osent. Compte tenu d’un tel élevage, on ne va pas dire qu’on se roule dans la soie, pas encore, il faut digérer tout ça. On était plutôt dans le cashmere, là. L’autre barolo était le-coste-mosconi, même millésime, chaud bouillant.




6 Encore l’Italie, toujours l’Italie. What else ? Retour chez Divinamente italiano pour une bouteille de chez Elisabetta Foradori, version Maremme, le sud de la Toscane maritime. Il s’appelle Ampeleia et, même jeune, c’est délicat et fin. Un énième bonheur avec un bel accent, millésime 06.

De gauche à droite : Bettane et Desseauve.

7 Pour finir, une petite touche d'auto-promo toute de délicatesse, comme d’habitude. Cette semaine a eu lieu la Bettane+Desseauve Wine Experience à Shanghaï. C’était notre première fois sur Mainland China, après quatre années réussies à Hong Kong. Environ 70 châteaux et domaines étaient représentés et pour ce qu’on m’en a dit et ce que j’ai vu sur les réseaux sociaux, le succès était au rendez-vous. C’est une bonne chose parce que la remote-organisation sur l’axe Paris-Shanghaï n’a pas été de tout repos. Donc, bravo les filles. Et Bettane a pu constater ce qu’on lui dit depuis des mois. Avec près de 500 000 followers sur Weibo, le Twitter chinois, c’est la super-star en mode très exagéré avec toucher de manche de veste, petits cris pointus et photos avec l'idole re-tweetée un milliard de fois. Pas sûr que ça le fasse marrer à ce point, mais bon, c’est la rançon de la gloire, Michel. Pour le reste, le feeling, allez plutôt lire le blog d’Hervé Bizeul, il y était, lui. Lisez les trois billets, c’est des bonbons.



La photo du Laurent vient du mur Facebook d'Alain Pégouret, le chef du restaurant.

vendredi 22 mars 2013

Le classement de la RVF (2).
C’est qui, Daniel Benharros ?

Songeur, je suis.
Pour tous ceux qui ont affaire avec le mondovino, le récent classement des 200 qui ont de l’influence, établi par les têtes pensantes de la Revue du vin de France, pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Chacun a en tête un oublié, une disparue. Des manquements délibérés et assumés.



Daniel Benharros en est un.
Mais c’est qui, ce type ?
Un grand professionnel du vin, un homme d’influence.
Son métier ?
Régisseur. C’est lui qui apporte un chiffre d’affaire publicitaire au journal qu’il représente, l’obligeant ainsi à créer un environnement rédactionnel. C’est comme ça qu’on dit.
Pour faire vite, il a été le premier à inventer la publicité du vin et les suppléments Vin de la grande presse. Après un début de carrière orienté gastronomie (Gault et Millau, Cuisine et vins de France), il crée en 1986 le Guide des routes du vin où il nomme Antoine Gerbelle à la rédaction en chef. Les grands noms du vin de l’époque s’y succèdent, Michel Smith, Christian Flacelière, Bernard Burtschy et un petit jeune qui fera la carrière qu’on voit, Thierry Desseauve.

En 1991, un obscur député Evin accède à une postérité qui commence à durer et Daniel inaugure les pages Vin du Figaro, qui durent toujours.
C’est lui et lui seul qui a imposé le vin comme un sujet récurrent dans un grand groupe de presse national. Il commence avec le Figaro-magazine, continue avec le quotidien. Contre vents et marées et, particulièrement, contre la sourde opposition de la Rédaction, d’une partie, il réussit à rendre hebdomadaire la page vin du quotidien. Une très jolie façon de donner de l’air à toute la filière, reprise en un chœur touchant et sans vergogne par toute la presse française. Belle façon aussi de faire valoir la culture du vin.
Sa connaissance très exhaustive des arcanes du mondovino français lui vaut plus que jamais la confiance de tous les grands décideurs et lui permet ainsi d’asseoir son influence. Aujourd’hui, après avoir traversé un épisode « santé » très difficile avec un courage et une opiniâtreté qui ont forcé l'admiration de tous, il est toujours le premier de son métier et c’est encore lui qui donne au vin la médiatisation papier la plus importante et la plus régulière.
Plus que toutes les attaché(e)s de presse du monde, même les meilleur(e)s, plus que les acteurs de cinéma ou les fonctionnaires des institutions qui émaillent le classement de la RVF, il a pesé et pèse toujours très lourd dans les décisions éditoriales et, donc, dans la place faite au vin. Croire le contraire est une faute. Imaginer faire sans lui est une posture enfantine, une gageure et un obstacle de plus.

Pour qu’aucun doute ne subsiste, je dois à Daniel Benharros d’avoir intégré ce métier formidable. Il m'a toujours soutenu, c'est un luxe et un confort.
Un très grand nombre de ceux qui occupent aujourd’hui une position dans la presse du vin lui doivent aussi entre beaucoup et énormément. Il ne serait pas malhonnête de s’en souvenir quand se présente l’occasion de renvoyer l’ascenseur.


La photo : Daniel Benharros photographié par mes soins à l’occasion d’une dégustation au Jules Verne 

mercredi 20 mars 2013

Brane-Cantenac. Qui fait quoi ? (2)

Nouvelle volée de photos en provenance du château Brane-Cantenac, à Margaux. Toujours signées François Poincet, elles mettent en scène tous les collaborateurs du domaine.
Où l'on s'aperçoit qu'il faut un peu de monde pour faire un grand vin. Oui, on ne fait pas que des photos à Brane-Cantenac et le vin est ne progrès constants depuis plusieurs millésimes. En attendant de voir ce que tous ces gens ont réussi en 2012, voici quelques-uns d'entre eux.


 






Les autres photos de ceux de Brane, c'est ici


lundi 18 mars 2013

Des tokajis aux enchères



Il se passe des choses passionnantes au creux de l’hiver hongrois. Par là-bas, au pied du mont Tokaji, une bande de vignerons conscients des enjeux auxquels ils sont confrontés a décidé de ranimer la flamme de la Confrérie de Tokaji. Meilleure idée que de créer une nouvelle et énième association. Et cette Confrérie a décidé de faire parler d’elle sur le modèle de ce qui se fait en Bourgogne avec les Hospices de Beaune ou de Nuits.
Une vente aux enchères de vins en barriques va avoir lieu dans les murs du château de Sarospatak. Il s’agit de vins jeunes, secs et liquoreux. 22 lots sont proposés à la vente en barriques de 136 litres, à l’exception de deux eszencias en bonbonnes verre de 10 litres.

Les estimations
- vins secs : 1 600 à 5 500 euros (8,80 - 30,00 euros/bouteille)
- vins doux : 2 800 à 11 300 euros (10,30 - 41,50 euros/bouteille)
- vins de voile : 9 600 à 10 800 euros.  (35,50 - 39,71 euros/bouteille)
- vins aszú : 7 600 à 16 700 euros.  (27,95 - 61,40 euros/bouteille)
- eszencia : 9 300 à 10 500 euros.  (344 - 500 euros/bouteille)

Le produit de la vente sera partagé entre la Confrérie, l’association « Paysages de Tokaji » et les producteurs.
Rappelons, c’est de saison, que le paysage de Tokaji est classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Bien entendu, et comme à Beaune, les vins seront élevés par les domaines et mis en bouteilles à maturité avant d’être livrés aux acquéreurs.
L’évènement a lieu pendant trois jours, dégustations, dîner de gala et visite du vignoble compris, les vendredi 26, samedi 27 et dimanche 28 avril. Tout ça se passe à deux heures de voiture de Budapest et c’est une bonne idée avant d’affronter le printemps.

Plus d’info en appelant la Confrérie au +36 70 362 5705 ou, par mail à info@tokajiborlovagrend.hu


La photo : prise dans les caves de Disnoko est signée Jean-Luc Barde 

J'ai été à Tokaji, en plein hiver, c'est ici
J'ai bu du tokaji à Paris, c'est

samedi 16 mars 2013

Pendant que j'y pense (6)


Semaine exquise dans un Paris désert et neigeux, c'est les vacances, plus personne, tout s'est arrêté. Sauf…




1 Déjeuner dans mon resto italien préféré, si chiama Divimanente italiano, rue Notre-Dame des Victoires à Paris, à côté de la Bourse. Cette bouteille de pinot noir 2006 du Castello di Neive dans les Langhe a besoin d’un peu d’aération, mais se révèle vite un très joli pinot. Encore un de ces petits miracles italiens qui nous enchantent absolument et souvent.
Au passage, ce restaurant a une carte des vins changeante et passionnante où même les plus beaux barolos (millésimes 2000 et 03) ne sont pas hors de prix.




2 Même endroit, belle compagnie, autre vin. Un ampeleia 2004, un vin de Maremme, le sud de la Toscane maritime. Ce vin est fait par Elisabetta Foradori, plus connue pour l’instant avec ses vins du Haut-Adige, tout au nord de l'Italie. Encore jeune, il commence pourtant à dire quelques mots et ce qu’il dit nous a ému. Convenons qu’on n'attend pas toujours ce genre de chose d’un vin au restaurant, prix normal. Celui-là, j’avais presque l’impression qu’il sortait de ma cave.
Composé pour moitié de cabernet-franc assemblé à du sangiovese et à cinq autres cépages italiens, c’est un festival d’arômes d’une rare pureté sans le côté sur-mûri qui peut agacer, un vin soyeux qui met un temps fou à nous oublier, c’est adorable.




3 Un inconnu est parfois amusant. Celui-là vient des vignes qui entourent le château de Grollet, propriété de la famille Hériard-Dubreuil (cognacs Rémy Martin). C’est un vin de pays des Charentes, cultivé, élevé et mis en marché dans une discrétion absolue. À se demander si ce n’est pas pour éviter de porter une ombre néfaste à la belle marque d'eaux-de-vie.
J'avais goûté ce Grollet sur place, dans son jeune âge et je n’avais pas été très impressionné. Et paf, voici que resurgit ce 2003, cuvée In fine. Je l’ouvre sans trop y croire et en m’étant assuré que j’avais autre chose sous la main au cas où. Et non, ce grollet 03 est parfait dans le rôle. On n’est pas dans les altitudes, ce n’est pas toujours obligé. Un assemblage merlot et cabernet-sauvignon vachement agréable, de très belle tenue, fait pour un dîner simple, ces vacances de l’esprit.
J’ai encore quelques quilles du même en 2005, c’est une bonne nouvelle.




4 La Revue du vin de France a publié un classement. Sur les réseaux, silence de plomb. Juste retour d’ascenseur, ce classement ignorant parfaitement la réalité internet du vin 2013. Cette équipe qui annonce avoir travaillé des mois sur ces 200 noms n’a retenu qu’une chose d’internet : les sites marchands. L’excellent iDealWine, spécialisé dans les ventes aux enchères et l’épouvantable 1855.com, spécialisé dans les délais de livraison. Sûrement pour faire valoir l'insécurité d’internet ou quelque chose du même acabit.
La blague est-elle bonne ? Pas sûr. Ce mépris affiché dénonce une certaine sclérose. Sottise d’occulter l’existence de blogs historiques très suivis et d’autres, qui sortent de l’œuf avec un talent fou. Il y a des parti-pris, il y a de l’opinion et il y a de l’humeur. Les meilleurs forums, LPV au moins, rassemblent quotidiennement des milliers de lecteurs, amateurs passionnés. Et tout ça, blogs, forums, sites, c’est moderne et ça swingue, c’est riche et ça réfléchit, ça fourmille et ça avance.
Bon, la RVF ne voit pas ça comme ça, c'est dommage.
Plus ennuyeux, presque insultant, est la mise en avant, première place du classement, d’un monsieur certainement estimable et sans doute passionné dont le métier est de distribuer des subventions, 300 millions est-il précisé dans le titre. Deuxième : un commissaire européen. On se croirait dans le cinéma. Il suffit pourtant d’ouvrir les yeux un peu pour s’apercevoir que le vignoble français est un monde d’entrepreneurs, pas d’assistés. Chacun avec ses convictions et ses compétences (et chacun les siennes, à la française), ils mènent leurs entreprises en jouant au plus fin avec le ciel et les saisons, l’épuisante administration, la banque, la com’ et les mystères de la fermentation. L’argent qui leur est distribué, quand il l’est, est un règlement appliqué. Pas de quoi convoquer la cour et la campagne. Sans ergoter plus que ça, on a besoin
de quoi ? D’un distributeur de billets ou d’un Pierre Castel ? D’argent public ou de Richaud, Bizeul, Taittinger, Magrez et les autres ? L’excellence est au coin du rang et/ou dans l’Airbus pour Shanghaï, pas au guichet. Pour le reste, et sans entrer dans les arcanes de la méthodologie de ce classement, certainement compliquée, on y trouve des choses étranges. Angelina Jolie, mieux classée qu’Alexandre de Lur-Saluces ? Ridicule et injustifiable. Il y en a d’autres, à vous de choisir ce qui vous semble le plus embarrassant.




5 Lu sur le site du Wine Spectator, une charge très « nouveau monde » contre les usages français en matière d’étiquetage des bouteilles. L’auteur reproche à peu près tout aux vignerons français, surtout le manque d’infos sur les contre-étiquettes et les bouchons liège. Je ne veux pas entrer dans ce débat parfaitement vain.
En revanche, il attaque son article sur le thème « les consommateurs doivent apprendre votre jargon ». Oui, et alors ? Le vin a une orthographe et une grammaire, un lexique aussi. Comme toutes les activités humaines. Comme l’automobile ou l’horlogerie. Quand t’arrives chez le garagiste, tu lui dis pas seulement « ça marche pas », non, tu l’aides un peu. Très vite, tu sais reconnaître une bougie d’une ampoule, oui ? Et quand tu paies la « petite note », tu fais autant la gueule qu’en passant à la caisse chez ton caviste. Alors, apprends à parler le vin. Il y a un minimum requis. Cette envie furieuse de tout simplifier n’est jamais une bonne idée, jamais au service de ceux qui travaillent bien, qui se distinguent, elle sert les intérêts de l’industrie, de la grande diffusion. Simplifier est un assassinat avec préméditation, il y a un mobile, on sait à qui profite le crime. Ou sinon, les vins de cépages à deux cinquante sont pour toi.
L’auteur de ce pamphlet s’appelle Matt Kramer. Ça fait rêver, on a envie de lui serrer la main, on met ses Ray-Ban, on va décoller. Mais un nom pareil dans une revue de vins, c'est gâché. Il faut les lettres d’or tout en haut de l’affiche d’un blockbuster hollywoodien avec une belle dans le rôle d’elle.
Matt Kramer devrait être une star de cinéma, en fait.

Le post complet de Matt (vous permettez que je vous appelle Matt ?), ici
Plus sur le restaurant Divinamente italiano, dont le téléphone, ici

jeudi 14 mars 2013

Éric Rousseau, l’homme qui dit non

Avant d’aller déjeuner, nous nous sommes assis au bord de l’eau, sur la berge aristocratique du lac de Côme, celle qui est au soleil toute la journée. Nous sommes à la Villa d’Este, à l’occasion du World Wine Symposium, aka le Davos du vin. Autour de la table blanche en dentelle de tôle, dans ce décor raffiné et sous un pâle soleil de novembre, Éric Rousseau raconte sa vie de viticulteur consciencieux.
L’homme est un paysan, un vrai. Dernier rejeton d’une dynastie établie avec le succès qu’on sait à Gevrey-Chambertin, le Bourguignon n’est pas du genre à se répandre en confidences. Sans être vraiment taiseux, il a cette pudeur de terrien qui cache très bien les joies et les peines. Il répond aux questions sans en rajouter. Il faudra un moment pour qu’il comprenne qu’on ne lui veut pas de mal, qu’il se livre un peu. La presse a mauvaise presse, décidément.

Éric Rousseau et Madame


Allons-y.
- C’est qui, Armand Rousseau ?
- Mon grand-père. C’est lui qui a fondé le domaine en 1910. Il était épicier, il avait le goût du vin, il en vendait. Ma grand-mère avait apporté quelques vignes en dot. Il s’y est mis. Puis il a acheté des raisins de Chambertin qui lui plaisaient. Du coup, à partir de 1921, il a acheté des parcelles, peu à peu. Il a commencé avec le Clos de la Roche, puis des ouvrées du Chambertin. Il a commencé à vendre son vin en Amérique juste après la Prohibition. Mon père a développé cette activité d’export vers d’autres pays.

Pour parler de lui, Éric pose d’abord deux fondamentaux qui lui semblent très importants :
« Je ne fais pas du tout de négoce » 
et
« tous les actionnaires du domaine sont de la famille ». 
Bien. Cela dit, ça va mieux, on peut commencer.
« Je travaille au domaine depuis 1982. Avec mon père, ce n’était pas toujours simple, la transmission s’est passé tout doucement. Le problème, dans ces cas-là, c’est la décision. » Là, on comprend qu’il en a bavé. Il est pudique, il ne s’étendra pas sur ce qui, vu de l’extérieur, peut avoir l’air très décourageant. Pour dire les choses a minima, comme il le fait. « Les vendanges en vert, par exemple, c’était impensable. Le raisin par terre lui était insupportable, comme à nombre de ses confrères de cette génération. J’ai insisté, j’ai fait quand même et, peu à peu, il a compris. »
Éric Rousseau a deux filles, 26 et 24 ans. L’aînée fait ses études de médecine et la cadette travaille avec lui. Il affirme : « J’essaierai de donner plus d’air à ma fille que je n’en ai eu. » Quittons ces sujets douloureux et revenons à l’histoire du domaine Armand Rousseau. Le père d’Éric aussi a acquis des parcelles. En 1959, ils avaient six hectares. Aujourd’hui, quinze, « par tout petits bouts », dit-il en précisant très vite quelque chose qui lui tient à cœur : « On n’a jamais acheté de vignes avec l’argent d’une banque. » Et là, on sent qu’on touche une part de vérité du bonhomme, cette idée d’une famille qui s’est faite toute seule, cette fierté de ne rien devoir à personne. Ce qu’on a, on l’a. Et si on ne peut pas, on travaille pour pouvoir. Chez ces gens-là, la crise des subprimes, c’est du chinois. Et, à propos, voilà Éric Rousseau fermier du Chinois de Gevrey-Chambertin, celui qui a défrayé la chronique en achetant un jardin de vignes et un château en ruines l’an dernier. Des commentateurs avaient entonné la vieille antienne du protectionnisme le plus malsain en répétant à l’envi et sur l’air des lampions que les Chinois débarquaient, les hordes d’Attila n’auraient pas connu pire traitement. Pour une fois qu’on parlait du vin sur les chaînes de télévision, c’était pour rameuter les mécontents, les soupçonneux.

Éric Rousseau : « D’abord, ce Chinois est un Portugais. » Ah, on respire, c’est beaucoup plus convenable, un Portugais. Même de Macao. Il continue : « Il s’agit d’un accord qui porte sur 1,3 ha classé en gevrey-chambertin village, 30 ares de lavaux-saint-jacques premier-cru et 10 ares de charmes-chambertin. C’est un fermage, ma première expérience dans cette activité. Au début, ça me faisait un peu peur et j’ai commencé par refuser. Et puis j’ai réfléchi et je me suis lancé. Il y aura une étiquette spéciale pour les gevreys village et les deux autres climats entreront dans ma production. Les vignes sont en très mauvais état, il n’y aura pas de bouteilles avant cinq à sept ans. Le propriétaire portugais ne veut pas d’argent, il veut du vin. Donc il devient automatiquement le plus gros allocataire du domaine. C’est un homme qui adore le vin, il a une très belle cave personnelle, il me l’a montrée quand je suis allé à deux reprises à Macao pour le rencontrer et finaliser notre entente. Je n’ai affaire qu’à lui et il m’a donné carte blanche. Et puis il va restaurer le château avec d’excellents professionnels. C’est bien pour Gevrey. »
Le reste, les velléités des vignerons qui auraient bien voulu reprendre les vignes, la triste histoire de la vieille dame propriétaire de l’endroit et qui a vécu dans le château déglingué jusqu’à sa mort, il n’en dira rien, la pudeur toujours. Et puis ici, dans la douceur de cette fin d’automne on a plus envie d’être charitable que d’épiloguer.
Revenons au domaine. Il produit 65 000 bouteilles sous une dizaine d’étiquettes différentes.
Gevrey-chambertin village.
Trois premiers crus, lavaux-saint-jacques, les-cazetiers, clos-saint-jacques.
Six grands crus, charmes-chambertin, mazis-chambertin, ruchottes-chambertin, chambertin, chambertin-clos-de-bèze, clos-de-la-roche.
Un inventaire qui fait rêver, mettez-moi tout ça à fond de cave, en caisses de douze.

Toute la clientèle du domaine, particuliers et professionnels, est soumise aux régimes des allocations. « Les enfants reprennent l’allocation de leurs parents quand ceux-ci n’en veulent plus. Notre liste d’attente n’a pas lieu d’être, mais elle existe, on ne sait jamais. » Éric Rousseau est prudent, très prudent, pas du tout le genre à mettre ses œufs dans le même panier. Et ce qui le désespère, c’est l’obligation de refuser des vins à des gens qui appellent au domaine « Tous les jours, je suis l’homme qui dit non et ça m’embête beaucoup. Mais enfin, je préfère cette situation. » Pour lui, la fixation des prix est un véritable casse-tête. « Une bouteille que je vends 150 euros, ce qui me semble déjà beaucoup, je la retrouve à des 900 ou 1 000 euros chez le marchand de vin. Alors, chaque année, j’augmente les prix de 15 à 20 % selon la récolte. Sauf les gevreys village. Il faut quand même que les gens puissent trouver des Rousseau à des prix abordables. Les professionnels qui me disent que je ne suis pas cher sont ceux qui voudraient que les prix montent pour décourager mes clients particuliers et reprendre leurs allocations. Mais je prends soin de ne dépendre de personne. On vend dans 34 pays et on a 600 clients en tout. Le plus gros client, c’est notre importateur aux Etats-Unis, c’est historique. Mais attention, il n’a que 8 % de la récolte. »
Dans un ordre d’idée qui découle de ce qui précède, Éric Rousseau explique qu’il néglige son rôle d’ambassadeur du domaine parce qu’il fait tout lui-même, à la vigne comme au chai. À un point tel que, après avoir signé avec son Chinois-Portugais, il a donné en location un hectare de ses propres vignes pour pouvoir continuer à travailler comme il le fait, « ça faisait trop. Même comme ça, je passe de quinze à presque seize et ça se sent. »

Il est temps d’aborder les sujets rendus sensibles par l’ambiance du moment, les pratiques culturales. La réponse est quasi-pédagogique : « Ce qui est le plus important, ce qui détermine le vin, c’est la qualité du raisin. Si je peux faire avec des produits bio, je fais, mais je ne veux pas m’enlever la possibilité d’un traitement chimique si c’est nécessaire. Il y a des années, on arrive à s’en passer, mais cette année, j’en ai fait deux. Chez nous, c’est très compliqué. Les insecticides, les acaricides, les herbicides, on ne s’en sert plus depuis longtemps. On a toujours labouré nos sols et ils vont bien. »

Un petit hydravion passe dans le ciel du lac, son bourdonnement sourd couvre une seconde la conversation. Nous nous séparerons en faisant quelques pas le long de l’eau, évoquant l’avenir des domaines familiaux en butte au douloureux problème des droits de succession. Conversation qu’Éric Rousseau conclut d’un sobre « Chaque génération a ses problèmes ». Pudique, vous dis-je.

Éric Rousseau et Hubert de Boüard, deux icônes de l'excellence
et
deux grands ambassadeurs du vin français,



Les photos : prises à la Villa d'Este en novembre 2009, elles sont signées Armand Borlant. Ce sujet est paru sous une forme différente et illustré par d'autres photos dans le numéro en cours du magazine Vigneron, en vente chez votre marchand de journaux.

Pour lire le portrait d'Hubert de Boüard, c'est ici

mardi 12 mars 2013

Le prix du vin, un avis différent




Parmi les séismes qui secouent le mondovino à intervalles réguliers, le prix du vin est celui qui enregistre l’amplitude la plus importante. Grosso modo, tout le monde trouve le vin trop cher, sauf les riches bien sûr. On sait pourtant que cette affaire de prix n’est pas d’une extrême simplicité et ne peut pas se réduire au simple goût de lucre qui animerait les tenants de l'affaire, à en croire l'essentiel des commentaires lus sur les réseaux sociaux.
Pour ajouter une voix au débat, j’ai déniché cette pépite. Elle est extraite du plus important forum français, La passion du vin (LPV), le seul qui rassemble chaque jour des milliers d'internautes, le seul qui soit intéressant. C’est Jean-Yves Bizot, vigneron bourguignon, qui donne son avis sur le prix du vin. À lire séance tenante. Ça nous change du gloubi-boulga indigné qu’on peut lire d’habitude et c’est frappé au coin du bon sens.

« La question du prix est certes délicate. Quel est le prix d’une bouteille de vin ? Qu’est-ce qui le fixe ? De plus, elle est perçue de deux côtés parfaitement inconciliables : c’est toujours trop cher d’un côté, et pas assez de l’autre. Enfin ça devrait être comme ça. Car en réalité, certains domaines, cités de nombreuses fois et présentés comme des modèles d’intégrité par les consommateurs, commercialisent vraiment en se plaçant du côté du consommateur : les prix restent bas. Eux sont honnêtes, raisonnables, bien paysans, quoi. Mais regardons le prix de leurs bouteilles quelques années plus tard, ou sur internet, ou chez leurs revendeurs, et là, la donne est complètement différente : les prix sont très élevés. Les vins qu’ils font ne sont plus des produits agricoles, mais des produits comme la Mode sait en faire et sait les vendre. 

Si on analyse autrement, c’est assez simple : pour "respecter", ou une image, ou une habitude, ou une culture, je ne sais pas trop, ou quelques clients particuliers dont certains dotés d’ailleurs de bonnes allocations qu’ils revendent en partie (épiphénomène, est-il écrit dans un post), ils se privent de récupérer une marge importante de leur travail. C’est d’autant plus regrettable, qu’il y a des clients en face, prêts à payer. D’autant plus regrettable que ce sont seulement les réseaux commerciaux ou non commerciaux (épiphénomène, mais qui a eu un impact important) qui en profitent. Notons d’ailleurs, puisque cela a été évoqué, que ce sont ces mêmes domaines jugés honnêtes dont les vins font le plus volontiers l’objet de placements spéculatifs. Etrange, non ? Et ce sont ces valeurs spéculatives qui "fixent" le prix des terres, par des mécanismes que je ne saisis pas encore très bien (bulles ? cercle vicieux ? aspiration ?) : en tout état de cause, il est impossible pour les structures de racheter le foncier. Donc, ils et elles tombent dans les pattes de grands financiers. Et là, pas de cadeaux : le prix du vin sera celui qu’ils décideront. 

Il n’y a donc pas 50 possibilités, seulement une alternative : soit nous continuons à vendre pépère au même prix à des clients qui s’érodent, et de toute façon dans 10 - 15 ans, ils ne pourront plus nous acheter de vin : nous aurons disparu. Soit nous changeons de gamme tarifaire et de pratiques commerciales. Les clients particuliers ne nous achèteront peut-être plus de vin (quoique), mais probablement nous serons encore là. En tant qu’exploitant, donc chef d’entreprise, je n’hésite pas longtemps. Je choisis la vie. 
Par quel mécanisme de gestion est-il possible de choisir de vendre 50 quand on peut vendre 100, 20 quand on peut vendre 40, 10 quand on peut vendre 20 ? Je n’ai pas la réponse. Mais pour un entrepreneur, c’est une aberration. Sûr. Collectivement, cela mène à la paupérisation. Mais pas d’erreurs : je ne milite pas pour des vins chers pour le plaisir, mais seulement pour faire vivre un système, poursuivre une quête partagée aussi par l’acheteur, prolonger un rêve commencé il y a à peu près mille ans. 

Pour toutes ces questions d’économie, je recommande vivement le livre de Louis Latour, Essai d’œnologie historique, publié aux éditions de l’Armançon. »



Je confirme l’excellence du livre de Louis Latour, père de Louis-Fabrice, actuel président de la maison Latour à Beaune.
Pour remettre ce commentaire de Jean-Yves Bizot dans le contexte du forum LPV, c’est ici.


La photo : est signée Mathieu Garçon. Elle a été prise au Clos Naudin, à Vouvray.



lundi 11 mars 2013

Henriot, Grange des pères, Petite Cocotte

Ingrédients 
- Un samedi soir un peu doux,
- trois paires de potes de bonne qualité,
- une grande table dans une vaste cuisine,
- un hôte talentueux aux fourneaux,
- un menu de princes.
Secouer tout ça avec précaution. Prévoir des fleurs.

Vins
- Attaquer la soirée avec un champagne rosé 1989 Henriot en magnum. Les griottes le disputent au miel, c’est la grande émotion. Il y en a beaucoup dans ce magnum. Décidément, chaque fois que je rencontre un champagne de cette maison, ça se passe très bien. Rappeler au passage que le champagne est sans doute le vin qui vieillit le mieux.

Non, la, photo n'est pas à l'envers. L'étiquette est comme ça, à l'envers.


- Avoir le choix entre un trévallon blanc et un autre. Choisir un blanc 2007 de la Grange des pères, que je ne connais pas (à la différence du trévallon blanc). Divine surprise. Au nez, on comprend tout de suite l'idée même du luxe et la bouche confirme, aussi tendue que grasse, l’équation de rêve. Un très grand machin qui bougeait de minute en minute, au fur et à mesure que la température du vin montait. J’ai remisé la bouteille par devers moi et, après le rouge, j’ai fini la soirée dessus. Il devait être entre 16 et 18°C sur le dernier verre, bonne idée pour laisser un grand blanc s’exprimer jusqu’au bout. On aurait pu aussi garder ce vin extraordinaire quelques années de plus.



- Le rouge était un Petite-Cocotte, le second de Chante-Cocotte, le vin de Régis Franc. Comme son grand vin, il a réussi un second de toute beauté, plus facile d’accès dans son très jeune âge et follement aromatique. C’est nouveau, ça vient de sortir et cette histoire de Chante-Cocotte va faire un tabac, c’est évident. 




Morale
Les bons vins, c’est mieux.



Plus d'info sur Chante Cocotte, ici


samedi 9 mars 2013

Pendant que j’y pense (5)

Survol de l’actualité qui m’intéresse, ces jours-ci, au hasard et sans boussole.

Merci à Lionel Osmin

1 La dernière truffe de la saison, sans doute. Dans sa vérité et sa fraîcheur, sa maturité au cordeau, pain de mie grillé, beurre demi-sel de Bretagne (quoi d’autre ?). Et avec ça, un verre ou deux (ou trois) (ou quatre) d’un cairanne 04 l’ébrescade de Marcel Richaud. Huit ans, parfaite évolution, exubérant à l’ouverture et la finesse, le soyeux viennent après. Il y a des bonheurs simples qui vous expédient au paradis.


Miss GlouGlou a mis un fish-eye à son iPhone

2 Encore un trévallon. Je vous avais prévenus. Un 94 celui-là. Reconnaissable à son étiquette toute nue, comprendre sans la déclinaison de couleurs qui a suivi à partir du millésime 1995. Le père d’Éloi Dürrbach, lui-même père de Trévallon, était un artiste de renom et à la fin de sa vie, cependant qu’il s’ennuyait un peu sur ce contrefort des Alpilles, il lui est venu l’idée de créer quelque chose pour les étiquettes de son fils. Armé d’une boîte de couleurs, il a commencé une série très cohérente et, poussé par son inspiration, il a créé cinquante étiquettes différentes et toutes semblables, un exercice difficile et réussi. Aujourd’hui, Dürrbach en a encore de quoi habiller les trente-cinq prochains millésimes et, peu à peu, ces étiquettes deviennent des collectors à l’instar de celles de Mouton.
Et le vin ? Ah oui. Au premier nez, on est à Bordeaux, un bordeaux de cet âge. En bouche, la syrah vient relever l’affaire et le vin est là, plénitude et bonne humeur, la belle matière et les arômes épatants caractéristiques du cru. Sifflée avec Miss GlouGlou, il nous a semblé qu’elle était un peu poreuse, la bouteille. 75 cl, quand c’est bon, c’est court.
À propos, le millésime 2010 du Domaine de Trévallon vient de sortir. Dès que j’ai un échantillon, je vous raconte.


3 Le patron des vignerons de Champagne a allumé le feu cette semaine. La récente baisse des exonérations patronales semble l’agacer au plus haut point et on dirait qu’il a quelques bonnes raisons. Il a pris comme exemple le salaire d’un vendangeur et fait remarquer que « la somme des charges patronales passe de 44 à 109 euros ». Dans le registre trop-c’est-trop et pour bien rappeler que le matraquage fiscal a ses limites, il a piqué un coup de sang et annoncé : « On réfléchit à la machine à vendanger ». Voilà un nouveau débat ouvert en grand. Si vous lisiez L’Union-L’Ardennais, vous le sauriez déjà.
Rappelons que la vendange doit se faire à la main. Pour obtenir l’agrément de l’appellation Champagne, c’est obligatoire. Mais, comme tous les règlements, ça se discute. Et comme avec les nouvelles lois fiscales de ce gouvernement, c’est l’emploi qui sera la première victime. Environ 100 000 emplois saisonniers, pour tout dire. Ils ne savent même pas compter, les néo-gouvernants, là ? Ou est-ce délibéré ?




4 J’ai acheté un livre mince qui s’appelle Tronches de vins et ce n’est pas un recueil de commentaires de dégustation, même si il y en a quand même. Ce livre est plus préoccupé par les tronches que par les vins. Il rassemble des portraits de vignerons politiquement corrects, c’est expliqué dans l’avant-propos. Oui, la pensée unique guette aussi votre verre. Parmi les élus, des bons. Oui, plein même, évidemment. Et quelques stars indispensables à la crédibilité de l’ensemble du casting auprès d’un public large. Tous sont engagés dans une démarche bio, au minimum. On y retrouve avec plaisir quelques copains, Mathias à Bergerac, Olivier à Pomerol, d’autres encore, je n’ai pas fini de lire.
Ce livre est le fruit du travail de cinq blogueurs certainement émérites. Vindicateur et No wine is innocent (Antonin), Œnos (Eva), Du morgon dans les veines (Guillaume), La pipette aux quatre vins (Philippe) et le blog d’Olif sont les auteurs.
Où l’on apprend que le dit Olif est qualifié par ses copains de « Pierre Desproges du vin ». Et ils l’impriment. Rien que ça. On n’ose pas croire qu’il l’ait écrit lui-même. Il me vient immédiatement à l’esprit toutes sortes de citations de Desproges qui feraient bien l’affaire ici et maintenant, mais pris d’un soudain désir de charité, non, je n’ajoute rien. Cette vieille histoire d’ambulance et il faut pas tirer dessus, peut-être. Mais quand même, il doit se retourner dans sa tombe, l’estimé Desproges.
Revenons à nos Tronches. Le lancement a eu lieu au Lapin Blanc, un bar des hauts de Ménilmontant. Il y avait du monde, la belle atmosphère de cour de récré. Il y avait trois, quatre producteurs dont Iris Rutz-Rudel du Domaine Lisson. 1,5 hectares et un tout petit rendement pour 600 à 1 200 bouteilles par an. J’ai goûté avec un grand plaisir son 2007. Il y avait aussi un jeune homme qui représentait le Clos des Cimes, en Drôme. Parmi ses cuvées, j’ai fait une découverte avec son clef-des-champs 2011, sans soufre ajouté, un vin d’une grande finesse, voire subtilité. Comme quoi. Puis comme les filles n’arrivaient pas, j’ai fait dédicacer mon exemplaire par Antonin et je suis parti.




5 Et puisque c’est l’heure de la promo du papier imprimé, au tour du magazine Vigneron. Je le trouve beau et bien fait, il a plus que sa place dans l’univers du vin. Place qu’il occupe sans concurrence. Et j’ai écrit dedans un sujet sur l’icône de Gevrey-Chambertin, Éric Rousseau, que j’ai aimé rencontrer et côtoyer pendant quatre jours au bord du lac de Côme plutôt que sur ses terres, au moins il était disponible pour de vrai. C’était bien sûr à l’occasion du WWS aussi connu comme le Davos du vin.
Dans Vigneron, il y a toutes sortes de portraits dont celui réalisé par mon cher Jean-François Chaigneau sur l’homme de Haut-Marbuzet, Henri Duboscq. Excellent. Il y en a d’autres du même tonneau, Decelle par Durand-Bazin, Olivier Bernard (Mister President) par Dussard, Thierry Germain par Léa Delpont, etc. À lire et à collectionner. C’est tronches de vin aussi, mais pas pareil.


jeudi 7 mars 2013

Brane-Cantenac en primeur (et en photos)

La Semaine des primeurs approche. Si chaque château bordelais peaufine ses échantillons et ses invitations, certains d’entre eux poussent le concept un peu plus loin. Brane-Cantenac en est un. Après les photos de l’œnologue Éric Boissenot, l’an dernier, l’idée de l’expo photo trouve son ancrage cette année avec une série de portraits des collaborateurs du château. En noir et blanc, encore une fois.
Ces photos sont signées François Poincet, un Girondin bien connu pour ses très nombreux reportages dans le vignoble bordelais pour Vigneron, Wine Spectator ou Decanter. Il est le troisième photographe à illustrer le thème "Brane vu par…" imaginé par Henri Lurton.
L’expo commence le 10 avril. Voici quelques images en avant-première.







Les photos d'Éric Boissenot, ici



mercredi 6 mars 2013

Le vin d'Angelina et Brad est à vous

Une nouvelle forme de bouteille pour Miraval

Voici la première photo du rosé 2012 du Château Miraval, propriété de Brad Pitt et Angelina Jolie. Ce vin vinifié par Marc Perrin (Château Beaucastel à Châteauneuf-du-Pape) est le premier de cette nouvelle collaboration entre stars hollywoodiennes et stars rhodaniennes. Ensemble, ils ont produit 100 000 bouteilles. Déjà toutes vendues.
Toutes ?
Non, les Perrin ont choisi d’en réserver mille caisses de six. Ces caisses seront mises en vente sur familleperrin.com à partir de jeudi (demain) au prix de 105 euros TTC, transport compris, une seule caisse par personne. La vente commence à 9 heures du matin. Une occasion assez unique de découvrir ce vin de stars. Étant donné la notoriété des producteurs de ce rosé, il y a quelques chances que tout le monde n’en ait pas.
Vous hésitez ?
En allant sur MyBettaneDesseauve.fr, vous y verrez une interview de Marc Perrin et les commentaires de dégustation de Thierry Desseauve, le tout en vidéo. Quelle belle journée.

Très belle journée, en effet, pour le château de Miraval. Les 1 000 caisses ont été vendues entre 9 heures et 14 heures aujourd'hui. Clap de fin. (mise à jour aujourd'hui jeudi 7 mars à 18:24)

mardi 5 mars 2013

Le joli come-back de Lanson


Philippe Baijot

Les marques, c’est comme les gens. Quand elles sont maltraitées, elles rentrent dans leurs coquilles, se renfrognent. De désespoir, elles ne font plus attention à rien, elles sortent dans la rue en cheveux et les enfants cruels leur lancent des cailloux. Les marques sont fragiles et leur puissance, revendiquée parfois avec beaucoup d’arrogance, est mal assurée. Elles peuvent très facilement avoir connu les sommets, les trompettes de la renommée, les yeux doux des jolies filles et, sur un faux pas, sombrer dans un marigot d’où plus rien de bon ne sort.
Ainsi de Lanson.
Il aura fallu 250 ans pour faire le trajet sommet-marigot et retour. Inscrite au panthéon des belles maisons de Champagne pendant des lustres, il a suffi d’une parenthèse assez courte dans l’histoire de la maison pour faire plonger l’image. Mais pas la notoriété. Lanson = champagne est une vérité tangible. Ce constat a poussé un beau jour Philippe Baijot à reprendre la maison.
C’est qui, ce monsieur ?
Un homme de Champagne. Cavalier, marin et bon vivant. Un type en pleine forme qui a le mérite immense de n’avoir pas sa langue dans sa poche. Sauf dans les interviews, bien sûr. Mais, en off, l’homme est drôle et incisif. Il est tonique. Ce qui tombe plutôt bien si l’on considère la sorte d’Himalaya qui se dresse devant lui à l’heure où il décide de relancer Lanson. Le constat est assez sévère ; la tâche, immense.

(Naturellement, ami lecteur, tu te demandes pourquoi. Pour te faire une réponse intelligible, il faut faire un petit détour. Allons-y.)

Une maison de Champagne, ce sont des vignes (jamais assez) et des livreurs de raisins. C’est-à-dire des contrats passés avec des vignerons indépendants qui garantissent l’approvisionnement en matière première de la maison qui assure la vinification et le commerce du champagne. Un système vertueux en Champagne (depuis déjà longtemps et après bien des bagarres) qui assure la prospérité de tous. Une maison de Champagne est astreinte à un certain nombre de règles fixées pour l’essentiel par l’appellation. Respecter ces règles est le seul moyen d’obtenir l’agrément de l’appellation. Par exemple, le champagne n’est autorisé à la vente qu’après quinze mois de conservation en cave pour un brut sans année et trois ans pour un millésimé. Mais comme le secret n°1 du bon champagne est le vieillissement, la plupart des grandes maisons, dont Lanson, soucieuses de la qualité de leurs produits allongent ces délais jusqu’à trois ans pour un brut et cinq ans ou plus pour un millésimé. Tous les chefs de caves vous le diront, arqueboutés qu’ils sont sur leurs trésors, répugnant à les livrer aux équipes commerciales, les laissant toujours partir à regret.
Bref, c’est le patron d’une maison qui fait le vin, à la fin. S’il exige du chef de caves de mettre les vins sur le marché au bout des quinze mois réglementaires, le chef de caves ne peut que se soumettre ou se démettre. Peu se démettent pour d’évidentes raisons. Un patron de maison, lui, a toujours mille bonnes raisons (le coût des stocks, la sécurisation des parts de marché, la nouvelle Audi, etc.) pour justifier de mettre les vins trop tôt dans les flûtes des consommateurs.
Sauf que.

Jean-Paul Gandon


Tout au long de la chaîne qui va du commentateur au consommateur, le désamour opère vite. Un champagne trop jeune, ce n’est pas bon, pas assez, trop de verdeur, d'acidité. De commentaires disgracieux en silences assourdissants, d’aigreurs d’estomac en changements d’habitudes, une marque a vite fait de s’estomper, le consommateur est volage. On l’a compris, c’est le propriétaire qui décide. On a vu certaines très grandes maisons historiques connaître des éclipses inquiétantes et se redresser à la faveur d’un changement d’actionnariat. La grande chance de Lanson dans son malheur tient à deux facteurs. Un, des stocks de vieux millésimes assez conséquents et deux, un chef de cave qui a traversé toutes les époques, impavide. Au creux de la vague, il veillait autant que faire se peut sur la qualité des stocks. Cet homme est en poste depuis 25 ans, c’est Jean-Paul Gandon. Discret à la limite du taiseux, il devient prolixe voire pédagogue dès qu’on aborde ses sujets favoris, dont la fermentation malolactique qu’il ne pratique pas. Ce choix de vinification, très peu partagé par ses confrères champenois, permet de conserver les qualités du fruit et des acidités élevées, gages d’un potentiel de vieillissement plus important. C’est aussi la garantie d’avoir des vins puissants, mordants, tranchants, vifs et vineux. Gandon est un homme avec des convictions, il y tient et n’en bouge pas. Bien maîtrisées, ce sont des qualités et il impose ce qu'on appelle un style.
Si l’on ajoute dans la corbeille les quelques hectares de vignes bien situées, Lanson dispose de beaux atouts pour un éblouissant come-back.
Ce n’est pas si simple. Pour remonter l’image de la marque, il faut du temps et des efforts énormes. Philippe Baijot a commencé tout de suite.
Premier geste, s’appuyer sur les fondamentaux de Lanson pour relancer la conversation (en marketing, on dit reprendre la parole). C’est une nouvelle gamme, intermédiaire, qui sera le fer de lance du renouveau. Ornée de la croix de Malte des premières heures de la maison, cette gamme dite Extra-âge se décline sur trois bouteilles, un brut, un rosé, un blanc de blancs.
Deuxième idée forte, la mise sur le marché d’une collection de douze vieux millésimes de 1976 à 1997. En magnums. Bien sûr, c’est tellement mieux. Si ces grandes bouteilles ne sont pas données, elles ne sont pas exagérément chères pour la qualité et la rareté de ces vins.
Troisième piste de progrès, le Clos Lanson. Un hectare de chardonnay dans l’enceinte de la maison, au cœur de Reims. Une viticulture aux ciseaux à ongles et déjà quelques millésimes qui attendent tranquillement leur heure. Baijot et Gandon prennent des airs de conspirateurs pour en parler. À l’évidence, ils attendent beaucoup de ce blanc de blancs en devenir. Mais, patience, on ne verra rien, on ne goûtera rien avant un long moment.
Tout ceci, c’est la partie émergée, amusante, glamour en somme, de l’énorme iceberg. Oui, une maison de Champagne c’est aussi :
- un marché mondial qui implique la présence de ses dirigeants autant que possible. Lanson est la deuxième marque de champagnes en Grande-Bretagne, qui est le premier marché du champagne. En tout, Lanson exporte 76 % de ses cinq millions de cols par an. Il faut les emmener sur place en les tenant par la main.
- Des stocks énormes, cauchemar des directeurs financiers et des banquiers. Chez Lanson, vingt millions de bouteilles dorment dans un labyrinthe de caves souterraines de sept kilomètres.
- Un éclatement des lieux de production à travers la Champagne. Pas moins de cinq pressoirs au plus près des vignobles, au cœur des crus. Et une cuverie capable de contenir 100 000 hectolitres. De grosses immobilisations, quoi.
Bref, une maison de Champagne est une machine extra-large qui fait l’objet de multiples contraintes réglementaires et qui n’est pas délocalisable. Alors qu’est-ce qui peut bien pousser Philippe Baijot à continuer ? D’abord, c’est un métier, un beau métier et c’est le sien. Puis, il y a le reste, du domaine des conjectures, des symboles. Le champagne est une production emblématique d’un art de vivre, de traditions séculaires, d’un savoir-faire sans équivalent. Toutes choses qui peuvent être autant de motivations très fortes pour quiconque est ému par ces valeurs. Il m’a semblé que c’était le cas de Philippe Baijot. Qu’on y ajoute un goût irrépressible pour les gens qui font, qui imaginent, qui rêvent et là, il devient très sympathique. Saluons au passage l’engagement de la  maison Lanson aux côtés de l’estimable Alain Thébault, concepteur et porteur du parfaitement génial projet de L’Hydroptère depuis plus de vingt ans. Pour ceux qui viennent de passer ces vingt années au cachot, L’Hydroptère est le voilier le plus rapide du monde et Alain Thébault est un héros. Mais nous n'avons pas tous les mêmes people.

C'est ça, L'Hydroptère. Un voilier qui vole.


Les photos : sont signées Mathieu Garçon, sauf celle de L'Hydroptère (A.Pilpre, Sea & Co)

samedi 2 mars 2013

Pendant que j’y pense (4)


1 Un magnifique trévallon 98 partagé avec a girl called Georges, fille formidable, fameuse blogueuse et grand talent d’écriture. Un de ces moments adorables où l’esprit souffle. Le sien, enfin. Le mien avait froid aux pieds, je suppose. Nous avons dîné chez David Zuddas sur la belle place des Halles de Dijon et nous étions bien contents d’y être. C’est la troisième fois que je siffle une bouteille de trévallon en terres bourguignonnes. Vous savez pourquoi ? Parce que le trévallon est toujours proposé dans un millésime amorti et un petit prix quand les bourgognes qui pourraient faire envie datent de la semaine dernière à plus de cent euros, à chaque fois. C’est un problème, non ? Entre un vin accompli et un autre tout ébouriffé, je ne me pose plus jamais la question. J’ai adoré, une fois de plus, ce millésime de Trévallon. Je vous l’ai déjà dit ? Je le dirai encore.

Le blog « A girl called Georges », c’est ici.
Les étiquettes de Trévallon, si belles, c'est

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2 Les maisons de Cognac sont soumises aux mêmes règles que bien d’autres producteurs sur d’autres marchés. Il faut innover. Et comment innove-t-on avec des eaux-de-vie qui vieillissent jusqu’à cent ans et plus ? Comment l’innovation est-elle possible quand on s’appuie sur une production d’origine agricole (une récolte par an) ? Il y a déjà un moment que les gens du cognac ont trouvé la réponse. Ils multiplient les coupes, c’est-à-dire les assemblages. Chaque nouvelle coupe est un nouveau cognac. Il est ainsi possible de marquer à la culotte les goûts du public, d’être toujours dans le bon wagon. La maison Camus a rassemblé un petit nombre d’amateurs de cognac pour découvrir une nouvelle cuvée baptisée « 5.150 ». 5, parce qu’elle contient cinq eaux-de-vie d’âges et de provenances différentes. 150, c’est en années l’âge additionné des cinq eaux-de-vie assemblées. Et aussi parce que Camus fête ses 150 ans d’existence dans la même famille Camus. De cette cuvée, 1 400 exemplaires seulement pour le monde, prix en rapport. Cette maison est en taille la cinquième de Cognac derrière, dans l’ordre, Hennessy, Rémy Martin, Martell et Courvoisier. La sixième est Otard.

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3 Découverte des rosés 2012 du Château Sainte-Roseline, en Provence. Je ne comprends toujours pas ce qui pousse l’inter-pro des vins de Provence à vouloir inonder le marché toute l’année. Pendant les trois mois que nous venons de subir, à aucun moment je n’ai eu envie de boire du rosé, tranquille ou effervescent. Vous, oui ? En plus, je recommande de conserver au moins un an les rosés avant de tirer les bouchons. Ça gomme bien les acidités parfois excessives. Un, pour les petits. Les grands, amusez-vous à les emmener au bout. Je me souviens d’un vieux bandol, un la-bégude d’une douzaine d’années. Formidable. En attendant, les vins de Sainte-Roseline, quatre ou cinq étiquettes, feront ma joie à l’été 2014. Sauf la cuvée la-chapelle. Elle, ce sera l’été 2020. Avec bonheur.

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4 L’info de la semaine, c’est l’annonce des tenants du classement de 1855. Voilà qu’ils se disent que ce serait pas mal de présenter l’immuable classement himself au Patrimoine mondial de l’UNESCO, catégorie biens immatériels, comme la gastronomie française. 60 étiquettes dans le Médoc, 26 pour Sauternes et Barsac et Haut-Brion dans les Graves. Ces 87 petits chanceux se verraient bien au panthéon du prestige mondial. À suivre de près.