Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 26 octobre 2010

From Tokaji


Le bonheur du liquoreux vu par les Hongrois. Un vin immense que personne (en France) ne boit. Ce qui m’épuise. Qu’est-ce qu’il faut faire pour que les Français s’intéressent enfin aux liquoreux de Sauternes, de Barsac, de Loire et de Hongrie, donc ? Ces vins si difficiles à faire, si difficiles à vendre, recèlent des trésors aromatiques. Ils vont avec tout. Les huîtres, les poulets, les longues soirées, les plus grandes simplicités, les dîners de gala.
C’est un vin d’hiver, c’est un vin d’été. C’est un vin raffiné, d’une extrême complexité et longueur, un vin sans fin. C’est le vin des gens qui aiment le vin. C’est un vin qu’on peut ouvrir, remettre au fridge et ressortir trois semaines après, il aura encore gagné des arômes nouveaux. Une jeune dir’com de gros groupe me disait son inquiétude de voir les liquoreux réservés à quelques happy few. Mais c’est fait, chérie. Nous sommes very few à aimer les liquoreux et very, very happy avec.
Aujourd’hui, en plus, j’ai découvert que c’est (et de loin) le meilleur ami de la truffe blanche, comme le pomerol est celui de la truffe noire. Et il y a longtemps que j’ai compris que c’est le grand vin le moins cher de tous.
Des crétins au front bas ricanent en prétendant que c’est un vin de vieux. Si cela signifie que c’est un vin d’expérience, un vin d’après les autres vins, peut-être. En même temps, le caractère sucré des liquoreux en fait plutôt un vin de jeune, non ? Cessons là ces arguties, elles sont sans objet. Quand ils sont bien faits, quand ils profitent d’une viticulture bien menée et d’une vinification moderne, ce sont des vins dont l’acidité remarquable harmonise la sucrosité de la liqueur pour en faire un vin réellement light. Goûtez le Kapi six puttonyos 2005 de Disnoko, c’est un très grand liquoreux d’une pureté de cristal. Il coûte 75 euros pour une bouteille de 50 centilitres. Est-ce cher ? Tout dépend à quoi on le compare. C’est le prix d’un mauvais déjeuner à deux dans un restaurant parisien. Un plein d’essence quand il y en a, de l’essence. Le prix d’une chemise pauvrement coupée par des enfants nés au mauvais endroit, au mauvais moment. C’est ça, 75 euros. Est-ce cher ? Ce vin porte tant d’émotions, c’est un cadeau à se faire à soi-même et à ceux que l’on aime. Sous réserve d’être plutôt réactif, il n’y en a que 5 600 flacons. C’est peu, même si ça n’intéresse pas le plus grand nombre.

mercredi 20 octobre 2010

Pour Marcel Lapierre

Je n’ai jamais rencontré Marcel Lapierre. J’ai bu ses morgons si largement distribués sur la planète bistrotière parisienne sans être autrement convaincu par la version « nature » de ses vins. Le modèle sulfité était, comme souvent, bien meilleur. J’ai lu le merveilleux bouquin de Lapaque, je crois même l’avoir lu deux fois.
Là, il est mort et je ne sais pas trop quoi dire. Heureusement, il y en a qui savent. Allez faire un tour sur le blog de Jérôme Leroy, il en parle joliment à l’adresse ci-dessous :
http://www.causeur.fr/marcel-lapierre-mort-d%E2%80%99un-vigneron-francais,7648

mardi 19 octobre 2010

De Cognac, carte postale à une amie


Chère amie,
Le jour se lève sur les eaux placides de la Charente. Ici, à quelques kilomètres de Cognac, c’est une rivière molle, pas du tout un fleuve, rien à voir avec le Pô et les lacs, les lacs prometteurs qui vous ont vu grandir, les lacs et leurs langueurs.
Les nappes de brouillards prennent leur temps, il est trop tôt. L’humidité scintille sur les bois tombés et sur l’herbe qui mouille les chaussures, les feuilles meurent. Le soleil sèchera tout ça très vite. Cette beauté renouvelée de la campagne française, le côté bien nourri, ce n’est pas pareil ailleurs. Il est dit que la beauté des paysages à quelque chose à voir avec la magie des eaux-de-vie. Tout à l’heure, nous serons dans les vignes d’ugni blanc, cette image, le meilleur de la civilisation, ces grands jardins bien tenus, il y a du zen dans les paysages charentais. Et une douceur intense. C’est l’avantage de la vigne, l’urgence exfiltrée tout d’un coup de votre vie. En soi, c’est la bonne raison du voyage, du détour, l’impression de lâcher prise, pourvu qu’il fasse du vent, les cheveux en l’air, on se trouvera un peu rebelle, c’est grisant, inattendu en Charente, pays du cognac et des pantoufles.
Une grenouille plonge discrètement dans l’eau plate. Un cygne, non c’est une grosse oie sauvage, glisse sans faire de vague, en silence, l’air contrarié. Il n’y a pas de quoi, pourtant. Ces brumes, cet air saturé de molécules d’eau douce (l’océan est loin), c’est le secret du vieillissement du cognac. Une partie des secrets, en fait. Les maîtres de chais ont le choix entre deux méthodes. Les chais humides, au bord de la Charente et les chais secs, en rase campagne. Ils n’ont plus le droit de stocker des spiritueux en ville, en raison des risques d’explosion, d’incendie. Maintenant, c’est classé Seveso, tout ça. Les chais humides assurent un vieillissement plus lent, mais une évaporation bien moindre. Dans un chai sec, les eaux-de-vie mûrissent plus vite, mais l’évaporation est plus importante. Entre 2 et 3 % du stock, chaque année. Enorme. Le choix entre sec et humide est un paramètre majeur dans le goût final du cognac que nous goûterons un jour. Hennessy, par exemple, a opté pour des chais de bord de rivière à Cognac quand Rémy Martin, autre maison considérable, a installé ses stocks à Merpins, sur le plateau, loin des brumes, de l’eau. Pour comprendre, visitez les deux endroits, léger avantage à Hennessy, les chais de Rémy Martin ont une drôle de tête, l’impression d’entrer dans un pénitencier un peu bizarre. Les chais immenses qui abritent chacun 6 000 barriques sont rangés comme dans un camp militaire, pour un peu on entendrait les soldats qui marquent le pas. Ailleurs, à Jarnac, l’ambiance est radicalement différente. Chez Delamain, on entre de plein front dans le début du siècle (le XXe). Un côté école communale transformée en une drôle d’entreprise, où le déclenchement même du succès est fondé sur le temps qui passe, sur l’attente. Bien sûr, ils n’y font pas rien, mais on pourrait le croire, on voudrait les voir assis sur un banc au soleil d’automne en attendant que toutes ces barriques livrent enfin leur cognac à point de maturation, que vienne le temps de la mise en bouteille. En fait, ils passent leur vie d’un avion à l’autre sur tous les marchés amateurs de leurs eaux-de-vie, bonjour le bilan carbone, mais c’est une autre histoire. 96 % de la production est vendue à l’étranger, persuadé que le cognac est une manifestation raffinée de l’art de vivre à la française. Espérons que personne ne s’apercevra de la supercherie, ne verra que l’aura s’est dissoute dans l’indifférence française.
Les villages abritent tous de belles maisons patriciennes et d’adorables fermes, tout ceci respire les bonnes choses à boire, à manger, la vie douce, un peu arrêtée, délicieuse. On ira à Saint-Sauvant, cet incroyable village qui a agrégé une population d’architectes du monde entier. Chacun a restauré une maison ou deux, le village est sublime, vivant, pas un musée. Un hôtel ultra-design se cache derrière les façades historiques d’un petit groupe de maisons, elles-mêmes à l'ombre d'une grande église romane qui se regarde dans les eaux noires de la piscine de l'hôtel, c'est d'un chic. Nous pousserons jusqu’à Segonzac, saluer Max Cointreau et ses 90 ans, au bureau tous les matins, un vieil homme charmant, espiègle, une légende, propriétaire des cognacs Frapin et des champagnes Gosset, deux maisons gérées par son fils Jean-Pierre. Ici, on ne fait rien comme tout le monde. Au lieu d’acheter le raisin à des vignerons indépendants, qu’on appelle des livreurs, on ne compte que sur les 300 hectares du vignoble de la maison, de belles parcelles articulées autour du joli château de Fontpinot. Du coup, on n’en fait pas beaucoup du cognac. Mais Dieu, qu’il est bon. Si les Français savaient ça, le cognac reviendrait en grâce dans les après-dîners et les Français reprendraient cette conversation intime avec leur verre, les sens affolés par les arômes raffinés, retrouveraient cette chaleur qui porte à toutes les tolérances, tous les abandons. Qui fera l’éloge de l’émollient au lieu de nous fatiguer avec le « festif », ce sous-concept à bout de souffle, ringardisé par l’époque et ses envies enfin modernes ?
Justement. Dans ce registre si difficile à interpréter, il y a un cuisinier qui s’en sort très bien, le sympathique Thierry Verrat, je vous le recommande, chère amie, nous irons ensemble. Il est à Bourg-Charente, petit village construit dans une boucle de la rivière. Le restaurant s’appelle La Ribaudière. Avec un nom pareil, on a le droit de craindre le pire, les nappes empesées, le personnel en noir & blanc, l’austérité de ces adresses de province qui n’en finissent plus de se pousser du col, les lèvres pincées, la réprobation. Non. C’est un endroit très contemporain, surprenant. Le chef est habile et si l’assiette enthousiasme le client, la carte des vins l’enchante avec ses tout petits prix et sa très large sélection. Le genre d’endroit où l’on laisserait volontiers son rond de serviette. On ne le fera pas, on the road again. Et cette campagne éternelle qui recèle des trésors va nous en livrer d’autres. Le prochain, c’est le village de Genté et les cognacs Léopold Gourmel. Ici aussi, c’est le triomphe de la modernité. A coup de formules et d’opinions assénées comme autant d’évidences, « La beauté du cognac, c’est sa cohérence aromatique », Olivier Blanc a construit une marque et rencontré un vrai succès à base de simplicité, d’authenticité et de pédagogie. Au lieu de dénommer ses produits VS, VSOP ou XO, il les a appelé L’Âge des fruits, L’Âge des fleurs, des épices, etc. Aujourd’hui, il est partout le chouchou des grands chefs dans les restaurants qui vont bien, la partie est gagnée. Comme tous les grands faiseurs de cognac, il a des vérités qui ne sont pas celles des autres. Lui, ses choix différents concernent les barriques, il dit exactement le contraire de ce qui se fait. Chacun suit son chemin et tous – presque tous - parviennent au même endroit, à l’excellence. C’est sidérant, cette idée qu’il n’y a pas d’autre règle que l’attention extrême à tout.
Retour à Cognac, le château de l’Yeuse, bel hôtel cossu à l’entrée de la ville. Le chef est un bon, sa femme tient la sommellerie, on est tranquilles. De là, nous passerons quelques moments au château de Cognac, austère forteresse à peine civilisée par la Renaissance ou le XVIIIe siècle. La maison Otard, qui occupe les lieux, reçoit très bien l’amateur. Ne surtout pas rater la visite des cachots ou de la chambre qui a vu naître celui qui devait devenir François 1er, mille anecdotes drôles ou terrifiantes, vous frémirez, quelle chance. Plus loin, en ville toujours, c’est Martell, grande maison s’il en est. Là, tout est mis en œuvre pour aider le visiteur dans sa compréhension du cognac. Un petit côté musée Grévin qui est très amusant. Et, ici comme ailleurs, le même dévouement des gens qui reçoivent le public.
Oubliez tout ce que vous venez de lire et partez à Cognac en auto. Roulez dans la campagne au milieu des hautes vignes très espacées, l’air est doux, c’est déjà le Sud, mon amie, vous êtes chez vous. Baissez la fenêtre, ouvrez les yeux, respirez profondément.
N
La photo : la Charente à Cognac, photographiée à l'aube par Mathieu Garçon. Cet article a été publié, sous une forme différente, dans Série limitée – Les Échos.

lundi 4 octobre 2010

Le quoi ? (2)


Cette fois, c’est le Fooding. L’événement gastronomique à la mode à Paris sous le patronage de San Pellegrino, l’eau italienne mollement gazeuse. Une théorie de chefs concoctent chacun un repas pendant 72 heures non-stop, nuit & jour. Le public d’amateurs est invité à s’inscrire sur le site du Fooding, tirage au sort, une trentaine d’élus sont priés. Les heures des repas sont pour le moins rock n’ roll. Vous pouvez être convoqué à quatre heures du matin ou à quatre heures de l’après-midi, ça ne tombe pas forcément juste. Bon. Le Fooding, le nom est assez gros bêta, mais c’est un nom de la fin des années 90, ils ont des excuses. Cette année, les chefs se succédaient dans la grande galerie W, rue Lepic à Montmartre, le temple de l’art contemporain et le bon spot des Abbesses, génialement mis en scène par Eric Landau et sa femme Isabelle, une histoire qui réveille le quartier. C’est une longue table d’hôtes, on ne choisit pas ses voisins, nous sommes bien tombés. Bien sûr, le brassage social n’est pas le sujet. Ma voisine de gauche ne l’était pas, bossait au Figaro, au service photo, on n’est pas dans la sidérurgie. L’autre voisine, à droite (oui aussi) faisait dans l’immobilier de luxe, voyez le genre, des souvenirs pour moi. Le chef aux manettes quand c’était notre tour s’appelle Beaufront, il a un resto, l’Avant-goût, rue Bobillot à la Butte-aux-Cailles. C’était bon ? Oui, bof. Des idées, mais j’ai déjà mieux déjeuné. On a raté Peter Nilsson (souvenir somptueux des Trois Salons à Uzès, une autre vie, François Simon avait inventé un axe Roellinger à Cancale - Nilsson à Uzès - Pierangelini à San Vincenzo en Toscane, vieille histoire), Camdeborde, Michalak et Ledeuil, le Basque du Chateaubriand (je ne sais pas écrire son nom, excuse), et plein d’autres dont le Piège, celui qui n’aime pas le sauternes et pas le vin en général, non plus. C’est la première fois que je me branche sur cette affaire de Fooding. L’intérêt ? Mettre la gastronomie inventive et sincère à la portée des branchés du sujet sans trop de prise de tête. Pas si mal, déjà. Le vin occupait une vraie place, argumentée et démontrée, avec petit cours de dégustation bien tapé, pédagogique et rigolo. Bon, j’étais content pour ça. C’est Inter-Rhône qui s’y collait avec quelques beaux côtes-villages (Rasteau, Seguret, Valréas, etc.) dans les bons millésimes (2007 en particulier). Voilà. Le Fooding, c’est sérieusement organisé et malin pour un très petit nombre de convives à la fin. C’est la limite du truc.
En haut, un tableau de Troy Henriksen, représenté par la galerie W