Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 25 novembre 2019

Ma vie au Grand T

Le Grand Tasting, vous savez, ce magnifique salon de vins, luxueux et confortable, où tout est fait pour embellir la vie de l’amateur comme celle de l’exposant. Grandes allées, 410 producteurs (pas 20 ou 100, hein), des verres Riedel pour déguster, une température sans excès dans un sens ni dans l’autre, des masterclasses de folie et des Ateliers gourmets pour les fondus de l’accord met-vin et ceux qui sont juste gourmands. Le Grand Tasting, je pourrais y passer deux jours, d’ailleurs je le fais, c’est une autre histoire.

Cette année, je dirai bonjour à tout le monde et je passerai un peu de temps avec les producteurs qu’on croise moins souvent.
Par ordre régional, commençons par l’Alsace et le domaine Trapet, dont je connais le merveilleux pinot noir, mais pas Andrée Trapet. Et bien sûr, une visite à Agathe Bursin, pour les souvenirs.
En Beaujolais, il y a du beau monde, dont Mee Godard que je ne connais pas. À voir.
Les bordeaux. Il y en a beaucoup, je les connais tous ou à peu près, alors direction les Vignobles Péré-Vergé, en mémoire de Catherine, pour voir un peu s’il y a un château-la-violette à goûter. Les sauternes auront aussi ma visite, je compte bien vous y voir, en rangs serrés, comment faire autrement ?
En Bourgogne, le choix est large et j’irai vérifier qu’on a ouvert un beaune-grèves Vigne de l’Enfant-Jésus chez Bouchard Père et Fils. Et goûter enfin les vins de Caroline Frey (Château Corton-C).
En Champagne, ne pas oublier de voir comment se tiennent les vins de Brimoncourt, découvrir ceux de J.M. Labruyère, retrouver ceux de Michel Drappier avant de finir (me finir ?) chez Charles-Heidsieck et leur simple BSA, tuerie absolue comme disent les marchands de vins jeunes et beaux.
Avec un peu de chance, Orenga de Gaffory aura apporté son sublime muscat du Cap Corse.
Du Jura, le domaine Rolet, qui vient d’être repris par les amis Devillard, a sûrement deux ou trois beautés à faire valoir.
Le Languedoc est venu en force, je vais plonger le nez dans l’adorable pinot noir de la Métairie d’Alon, chez Abbotts et Delaunay et, bien sûr, passer du temps avec mon pote Régis Franc (Chante-Cocotte) et son blanc de maccabeu, sans doute un des trois plus beaux vins blancs du Grand T.
La Provence a envoyé un bataillon de producteurs assez captivant et je passerai comme chaque année dire bonjour à mon ami Neil Joyce, château Dalmeran, il fait de jolies choses.
Le Roussillon est bien représenté aussi avec, parmi d’autres, le mas Amiel et ses maurys secs, à goûter, c’est obligé. Il y a aussi Hervé Bizeul et son Clos des Fées et Marc Bournazeau et son Terra Remota, que je connais très peu.
Du Val de Loire, sont venus la belle amie de chez Charles Joguet, le meilleur chinon du moment dixit Bettane, les gens d’Alphonse Mellot, le roi du grand sancerre, sauvignon et pinot noir. Mais pas seulement. Personne ne manquera les vins sans soufre ajouté de Marionnet et moi, je veux aller voir ce domaine Les Poëte (sans s) dont chacun fait grand cas.
Dans le Rhône, il y a les grandes maisons et aussi de plus petits négociants comme les parfaits Dauvergne et Ranvier, il y a mon cher Jean-Luc Colombo et sa fille Laure, le Clos de l’Oratoire des Papes, pour les bons souvenirs, et ce domaine de Montirius dont j’ignore tout. C’est bien de découvrir des rhônes inconnus (de moi).
Et il y a au moins trente producteurs italiens (comment dit-on Grand Tasting en italien ?), je ne les connais pas tous, mais Poggio di Sotto et la Spinetta me verront en face d’eux. Et, bien sûr, je vais goûter les trois vins de l’ami Moritz (Il Carnasciale)et son caberlot unique et si rare. Trois producteurs portugais, dont les Taylor’s parfaits de l’ami Luis. Et plein d’autres étrangers, Penfolds d’Australie, en particulier et les Néo-Zeds de Rothschild.

Voilà.
En deux heures, vous pouvez voir tous ces gens magnifiques. Vous pouvez aussi vous brancher sur grandtasting.com et organiser votre itinéraire personnel ou bien vous promener le nez au vent, au gré de vos envies, de vos marottes. N’oubliez jamais de recracher, même si vous trouvez ça beurk. Si c’est un salon, ce n’est pas celui de madame votre grand-mère et nous recommandons fortement de cracher comme les pros, si vous ne voulez pas finir les pattes en rond sous une table. Il y a des crachoirs sur tous les stands, ne crachez pas à côté.

Une masterclass, c'est ça, une classe avec des maîtres. Les maîtres sur l'estrade,
les élèves dans la classe, chacun devant sa table avec ses verres de dégustation,
portable coupé et attention décuplée.



Le Grand Tasting se tient les vendredi 29 et samedi 30 novembre au Carrousel du Louvre, entrée par la rue de Rivoli. Les portes ouvrent à 10:15 et ferment à 20:00 le vendredi et 18:00 le samedi.

lundi 18 novembre 2019

Le crottin et le crétin

Comme on n’est jamais à l’abri d’un pisse-froid ici ou là, voilà que dans le délicieux village viticole d’Orschwihr en Alsace, un néo-rural (depuis vingt ans quand même) découvre que le cheval de ses voisins produit un crottin dont l’odeur le dérange et que ce même cheval s’accompagne de mouches dont certaines viendraient s’intéresser à son assiette de munster. Non ? Des mouches à la campagne ? Un scandale. Et voilà le zozo en route vers le tribunal pour y porter sa plainte, tenter de faire valoir ses droits, dont ceux de ses narines. Que dit le voisinage ? Il dit que ce monsieur et sa digne épouse se sont déjà fait connaître pour n’être pas d’accord avec les cloches de l’église qui sonnent, qui donnent l’heure, et la demie, et qu’enfin, ce monsieur ne s’accommode pas de la vie rurale comme elle est depuis des temps immémoriaux. Grand bien lui fasse, mais ailleurs. C’est comme si, moi, le Parisien, je me plaignais en justice du passage et des pollutions y afférentes des véhicules à essence qui encombrent ma rue. Au-delà de la moquerie, le problème est multiple.

Au village, pour commencer. 
Oui, la vie à la campagne est environnée de grands animaux. Si, j’vous jure. Les chevaux hennissent, les vaches meuglent, les moutons bêlent, etc. Et je te dis pas les corbeaux et leur croa-croa sinistre. S’agissant de ce cheval-là, il s’appelle Sésame, sa fonction est de faire le boulot des tracteurs dans les vignes. Autant dire qu’il est protégé d'avance par la doxa écolo en vigueur. Et tant mieux. D’ailleurs, les propriétaires de Sésame et des vignes qu’il travaille, Marie et son frère Jean-Paul Zusslin, auteurs de vins magnifiques (j’ai un goût marqué pour leurs pinots noirs, lisez (clic) et essayez), ont basculé leurs vignes en bio depuis des années. Chez eux, le bio est un mode de vie, un engagement profond, pas juste une foucade à la mode ou un effet de commerce. Le cheval vit dans un pré contigu à la maison du plaignant et dans son écurie. Une vie de cheval à la campagne, quoi. J’ajoute que n’importe quel cavalier vous dira que le cheval est le seul animal qui sent bon. Vrai ou faux, peu importe.

Au palais de justice, ensuite. 
Je m’étonne de l’attitude de la justice. Pourquoi une telle plainte est-elle reçue ? J’avais cru comprendre que nos tribunaux étaient encombrés, débordés. Ce gars avec ses détestations équines n’est pas le seul. J’entends que le domaine Borie de Maurel en Languedoc est dans le même cas avec ses deux chevaux. Et on a vu l’été dernier des néo-ruraux se plaindre du bruit des grenouilles dans une mare et qu’on comble cette mare, du chant matinal et quotidien d’un coq nommé Maurice et relaxé en justice (!), du chant des cigales et exiger de la mairie du lieu qu’on épande des insecticides dans les arbres. Dans ce cas précis, le maire a envoyé le fâcheux se faire voir ailleurs, mais quand même, pigs in the sky, non ? Ces démarches sont symptomatiques d’un drôle d’état d’esprit.

La prochaine étape ?
Ces gens vont-ils porter plainte contre MétéoFrance à cause de la pluie qui abîme les semelles de leurs souliers ou du vacarme du vent dans les peupliers qui bordent la rivière ? Ce mental bizarre est un marqueur de l’époque. C’est la tyrannie du « J’en ai envie, j’y ai droit », du désir de chacun à faire valoir la moindre de ses envies comme une liberté fondamentale, de ses lubies, au détriment des droits de la communauté dans laquelle ils vivent, ce qu’on appelle la tyrannie des minorités. Les us et coutumes de chaque village, les usages librement acceptés par tous, ne sont-ils pas prioritaires sur toute considération particulière ? N’est-ce pas à chacun de s’adapter au mode de vie qu’il a choisi d’embrasser en s’installant dans tel ou tel environnement ? D’où vient cette volonté de changer la vie des gens pour qu’elle corresponde enfin à ses propres critères ? Changer l’homme est une utopie dont on connaît déjà les ravages, doit-on accepter ses ultimes soubresauts autoritaires et laisser n’importe quel blaireau de passage planter une panique sans objet dans la vie industrieuse de nos campagnards ? D’ailleurs, puisqu’on en parle, ce néo-Alsacien dirait quoi si les Zusslin faisaient démarrer un tracteur ou deux chaque matin à l’heure où le ciel rosit ? Doivent-ils transformer le pré de Sésame en parking ? Ce monsieur et ses naseaux procéduriers en seraient-il moins dépaysés ?




Cet article est publié dans le numéro 18 de EnMagnum, à paraître chez votre marchand de journaux le 29 novembre. Je ne publie jamais les textes du magazine sur ce blog avant parution, mais là, le sujet est tellement grotesque que je n’ai pas pu résister ;-)
En attendant le 29, voici la couverture du prochain numéro en exclusivité mondiale:

 


lundi 4 novembre 2019

Les kiwis d'Ampuis

Volontaires, courageux, follement énergiques, « ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait ». Voici Julie et Graeme Bott et leur nouveau domaine en côte-rôtie, condrieu, saint-joseph. Attention, conte de fées


Ampuis - Nouvelle-Zélande, 25 heures d'avion


Une vie de dahu 
Du haut de la terrasse de leur maison accrochée au coteau, ils dominent le Rhône et, d'abord, une de leurs parcelles de viognier qui entoure la maison, plein est. C'est une particularité des vignes de ces appellations du Rhône-nord, elles imposent une vie de dahu. Intéressant d'apprendre qu'à la place de ses vignes, il y a peu d'années, il y avait d'épais ronciers et des arbres qui engloutissaient la maison. Ils ont tout défriché eux-mêmes. Et tout planté en échalas, tradition locale. Eux-mêmes, bien sûr. Résultat, une belle parcelle de viognier en échalas et une vue dominante sublime sur un cingle du Rhône. Pas mal.

Julie Bott


Une histoire d'amour, une histoire de vie 
Graeme Bott nous arrive presque tout droit de Nouvelle-Zélande, de la baie d'Auckland. Ce grand gaillard qu'on imaginerait mieux en ailier des All Blacks a passé huit ans dans la cave de Stéphane Ogier, immense signature du quartier. Il y a rencontré Julie, la régionale de l'étape, qui assurait les fonctions de commerciale chez Ogier. Ils se sont mariés et ont décidé de créer leur propre domaine. L'entreprise s'est avérée difficile, mais rien ne leur faisant peur, tout est arrivé. Leur entêtement courtois et ferme leur a vite attiré la confiance et la sympathie de tous, du banquier du Crédit Agricole aux vieux paysans qui leur ont vendu des friches en appellation (et qui, aujourd'hui, leur achètent du vin), en passant par les vignerons qui les ont conseillés, leur ont donné la main ou loué à bon prix la cave et les espaces qui leur manquaient. Un beau modèle d'entraide.

L'affaire de Seyssuel 
S'ils ont réussi à acquérir des friches en AOC condrieu et côte-rôtie (dont une exceptionnelle bande de terre de 2 500 m2 dans la parcelle Lancement, gloire de l'appellation), la grande affaire du coin, ces années-ci, c'est la remise en état du coteau de Seyssuel, au nord de Vienne. Tous les grands vignerons du Rhône en ont un peu. Eux aussi. Un endroit escarpé, bien sûr, couvert de schistes, qu'ils ont intégralement défriché et planté eux-mêmes, comme le reste. Quand on voit le lieu, on en reste coi. Un jour, sûrement, ce coteau sera une appellation si l'Inao veut bien accélérer un peu le mouvement.

Graeme Bott


Le grand échalas 
Le principe de l'échalas est d'assembler quatre pieds en un seul édifice, réuni en son sommet par la main du vigneron, de la vigneronne, et un lien d'osier. Si Julie s'occupe des très difficiles relations avec l'administration (ils sont présents sur trois départements, c'est-à-dire trois préfectures, trois MSA, etc., l'enfer sur terre), elle s'occupe aussi de la vigne, « Je fais la taille avec Graeme parce que nous voulons que ce soit très bien fait », des plantations, des vendanges. Et du commerce, des clients, des allocations, des restaurants. Un vignoble, c'est mille métiers. Pour y mettre un poil de douceur, voilà qu'ils ont gagné le premier prix du concours Vignerons et terroirs d'avenir, doté par Advini et co-organisé par SupAgro Montpellier. Un très beau chèque de 50 000 euros. C'est le Crédit Agricole qui est content de cette confirmation.

Les vins 
Ici, chez les Bott, on fait dans le tendu, le fruit, le longitudinal, le fin. C'est bon tout de suite et pour longtemps. Au deuxième millésime, on a l'impression qu'ils ont tout compris. Quel talent. Pour avoir goûté très récemment leurs derniers millésimes en bouteille de saint-joseph et de crozes-hermitage, j’ai été épaté, ce sont de grands vins, meilleurs que certaines productions du même millésime par les meilleurs du quartier. Les lignes bougent fort dans ces appellations si désirables.


Les photos sont signées Fabrice Leseigneur