Bruno Paillard, blanc de blancs grand cru
Ce qu’il fait là
Bruno Paillard, grand défenseur de la marque « Champagne » et fin élaborateur de belles cuvées est également associé à Philippe Baijot dans le groupe BCC, c’est dire son poids dans le paysage champenois. On ne pouvait pas faire sans et il y a longtemps que je trouve plus que des qualités à ses vins qui se réunissent derrière l’idée qu’on peut se faire de l’élégance d’un champagne.
Pourquoi on l’aime
Plus que d’autres, ce blanc de blancs est fin et ciselé, très clairement apéritif, même si la technique de vinification spécifique se traduit par une effervescence moindre. Mais c’est un extra-brut. Alors…
Combien et combien
Volume de production non communiqué. 111,80 euros le magnum.
Avec qui, avec quoi
Avec des convives raffinés qui sauront reconnaître aussitôt la finesse de cette cuvée et s’enchanteront des notes de craie. Bref, ne servir ce vin qu’à un aréopage de connaisseurs.
Il ressemble à quoi
À une fragilité à traiter avec tous les égards et infiniment d’attention.
La bonne heure du bonheur
Comme tous les très beaux champagnes, avant et après le dîner sont les bons moments.
Le bug
Comme toutes les divas, il ne va pas avec tout, ni avec tous.
Ce qu’en dit le Bettane+Desseauve
Svelte, profond et fin, avec des notes d’agrumes vives, la cuvée a gagné en intensité.
16,5/20
Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 6. Le numéro 8
est en vente depuis quelques jours chez votre marchand de journaux. La
photo du magnum est signée Fabrice Leseigneur. Voici la couverture de ce
nouveau En Magnum #08 :
Le blog de Nicolas de Rouyn
Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées. Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui. (Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées. Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui. (Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn
lundi 26 juin 2017
vendredi 23 juin 2017
Chais d'œuvre,
la box qui fait le trou
Manuel Peyrondet, prince de la sommellerie parisienne, a décidé de voler de ses propres ailes, il a monté sa boîte avec une box et, tiens, ça marche à fond. Pourquoi ?
C’est François Mauss qui m’a prévenu il y a déjà quelque temps, « Tu le connais, Peyrondet ? Il fait fort avec sa box. » Je m’en moquais fort de la box d’un sommelier, fût-il de haut niveau. Erreur. Un ou deux coups de klaxon supplémentaires venus d’ici ou de là ont fini par me convaincre qu’il se passait quelque chose avec ce Manuel Peyrondet. J’ai été voir. C’est rue de Chateaudun, le quartier de la Trinité, à Paris. Le centre de Paris, mais pas le ventre. Un quartier de bureaux et d’autos, bien agressif, mais là, au fond d’une cour de lumière, notre jeune héros a installé une fine équipe de six ou sept dévoué(e)s qui veillent au développement inexorable de Chais d’œuvre, la bonne idée de Manuel.
Tout petit, déjà
Il est le fils d’un médecin d’Autun, gros bourg bourguignon, pas forcément super-hype. Son père rassemble ses meilleurs amis pour des dîners d’anthologie, Maman fait la cuisine et c’est somptueux. Il avait de douze à seize ans, c’était au temps où un médecin de province pouvait acheter les grands vins de Bourgogne dont les noms nous font seulement rêver aujourd’hui. Hier, c’était la-tâche à presque tous les repas. Bref. Manuel, engagé-fourvoyé dans un cursus pré-scientifique, décide de changer d’air pour aller respirer celui des cuisines. Il a dix-sept ans, il fait un stage dans un établissement saisonnier de La Napoule, il en parle sans rire, il dit « un stage à l’ancienne ». Comprendre « à la dure », on voit l’ambiance dans son regard, ça ne fait pas envie. On le plaint en silence et on passe à la suite.
T’as le bonjour de Pierre Hermé
Pourtant pas dégoûté à vie, il fait des études dans une école hôtelière de Poligny, dans le Jura et là, un cours d’œnologie sur le sauternes et pschitt, la piqûre pour la vie, il décide de devenir sommelier. Après avoir peaufiné sa formation à Dijon, une ville qu’on croirait inventée pour ça, il envoie CV et lettre de motivation à l’excellent Éric Beaumard, directeur et grand sommelier du V, le restaurant gastronomique de l’hôtel George V, palace parisien enviable. Premier coup de chance, Beaumard le reçoit, puis l’engage (deuxième coup de chance). Là, il tombe dans un vivier de talents rarement réunis. Parmi lesquels Enrico Bernardo, bientôt Meilleur sommelier du monde, et aussi Thierry Hamon, bras droit (sans rire) de Beaumard et maître à penser du jeune Manuel. Acte 2, il entre chez Taillevent. Il dit : « Là, j’étais l’enfant gâté dans le magasin de jouets ». Un stock considérable de 350 000 bouteilles, dont 45 000 dans la cave de service ; les autres, au vieillissement. Il passera sept ans de rêve avec Pierre Bérot, patron des vins chez Taillevent à l’époque, « Mon boulot, explique Manuel, c’est de visiter les domaines, en découvrir de nouveaux, les faire monter à la carte. » Un job de rêve, en effet, où il donne libre cours à sa passion dévorante et s’aligne dans les concours. Il est reconnu Meilleur jeune sommelier de France en 2005, Master of Port et deuxième Meilleur sommelier de France en 2006. Et en 2007, pour devenir Meilleur ouvrier de France, le célèbre MOF, il échoue. Aussitôt, un des clients de Taillevent lui propose de le coacher pour gagner la prochaine fois. Fort de ce soutien, Manuel enchaîne les cours de théâtre, les dégustations d’exception, les lectures les plus arides, il apprend à être malin sans être lourd, il suit des cours d’improvisation, il bosse comme un fou et en 2008, il devient M.O.F. Ça ne change presque rien pour lui, ou alors à la marge « Pierre Hermé me dit bonjour ». Je l’ai rencontré, plus tard, au Carpaccio, le resto italien de luxe de l’hôtel Royal-Monceau, où il occupait le poste de chef-sommelier. Il avait quitté l’étoilé de la rue Lamennais après la mort de Jean-Claude Vrinat, un mythe de la grande restauration parisienne. Avant d’arriver dans le palace de l’avenue Hoche, il passe un an avec Marco Pelletier au Bristol, son très grand ami qui, aujourd’hui, a ouvert son propre restaurant à Paris, Vantre. Une recommandation forte de la rédaction de EnMagnum. Au Carpaccio, Manuel Peyrondet invente sans cesse de nouvelles manières de donner le goût du vin à une clientèle haut de gamme. Il partira après avoir atteint un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros dans l’année sur le seul vin.
L’idée qui change tout
Son nouveau challenge, Chais d’œuvre, est né d’un service rendu à des copains, des clients, des amis d’amis. Il propose à quelques-uns d’acheter « groupé » tel vin qui lui avait particulièrement plu. Le premier mail déclenche quarante réponses. Il décide alors d’en faire un métier. Les 40 sont les premiers membres. Le principe : une box de deux ou trois bouteilles selon l’abonnement et une soirée dégustation par mois. En quelques semaines, ils se comptent 150. C’est parti. Il rencontre celui qui devient vite son directeur général parmi les premiers membres. C’est un fou de vin, lui aussi, qui a appelé ses filles Romane et Margaux. Aujourd’hui, ce sont 650 membres qui, en moyenne, achète cent bouteilles par an. La lecture de la liste fait mieux comprendre l’intérêt de la box de Manuel. Ainsi, on trouve de bons vignerons, tous authentiques amoureux du vin. Hervé Bizeul (Clos des Fées), Stephen Carrier (Château Fieuzal), Xavier Amirault à Bourgueil ou Rémy Pedreno (Roc d’Anglade) sont membres de Chais d’œuvre, comme un bon de garantie apposé sur la box qu’on ouvre chaque mois avec le même sourire aux lèvres, jamais déçu. Ce côté Noël tous les mois.
Le secret, c’est qu’il n’y a pas de secret
Tout ceci est très bien, mais d’où vient ce succès ? Comment ce garçon, à peu près inconnu du grand public, arrive-t-il à vendre le même volume qu’un palace parisien au fond d’une cour dans le quartier de La Trinité, à Paris ? On peut isoler plusieurs raisons, en plus de la personnalité du fondateur. La mise en avant et la façon dont elle est faite. Le travail didactique, dans les documents inclus dans la box, dans les soirées dégustation, dans les excellentes vidéos du site de Chais d’œuvre, dans le sérieux des choix des vins. Il ajoute « Nous payons les vignerons rubis sur l’ongle et nous ne vendons que ce que nous avons acheté ». Il ne fait jamais de ventes à prix cassés. Le sérieux est reconnu par les grands vignerons et Manuel a des allocations là où il faut. Il propose cinquante vins différents par mois, trois ventes flash par semaine, un coffret par mois, deux soirées par mois, bientôt en province. Il n’arrête jamais. C’est sans doute (c’est surtout) ça, le secret du succès, le sien en tout cas.
La photo : est signée Mathieu Garçon
Manuel Peyrondet |
C’est François Mauss qui m’a prévenu il y a déjà quelque temps, « Tu le connais, Peyrondet ? Il fait fort avec sa box. » Je m’en moquais fort de la box d’un sommelier, fût-il de haut niveau. Erreur. Un ou deux coups de klaxon supplémentaires venus d’ici ou de là ont fini par me convaincre qu’il se passait quelque chose avec ce Manuel Peyrondet. J’ai été voir. C’est rue de Chateaudun, le quartier de la Trinité, à Paris. Le centre de Paris, mais pas le ventre. Un quartier de bureaux et d’autos, bien agressif, mais là, au fond d’une cour de lumière, notre jeune héros a installé une fine équipe de six ou sept dévoué(e)s qui veillent au développement inexorable de Chais d’œuvre, la bonne idée de Manuel.
Tout petit, déjà
Il est le fils d’un médecin d’Autun, gros bourg bourguignon, pas forcément super-hype. Son père rassemble ses meilleurs amis pour des dîners d’anthologie, Maman fait la cuisine et c’est somptueux. Il avait de douze à seize ans, c’était au temps où un médecin de province pouvait acheter les grands vins de Bourgogne dont les noms nous font seulement rêver aujourd’hui. Hier, c’était la-tâche à presque tous les repas. Bref. Manuel, engagé-fourvoyé dans un cursus pré-scientifique, décide de changer d’air pour aller respirer celui des cuisines. Il a dix-sept ans, il fait un stage dans un établissement saisonnier de La Napoule, il en parle sans rire, il dit « un stage à l’ancienne ». Comprendre « à la dure », on voit l’ambiance dans son regard, ça ne fait pas envie. On le plaint en silence et on passe à la suite.
T’as le bonjour de Pierre Hermé
Pourtant pas dégoûté à vie, il fait des études dans une école hôtelière de Poligny, dans le Jura et là, un cours d’œnologie sur le sauternes et pschitt, la piqûre pour la vie, il décide de devenir sommelier. Après avoir peaufiné sa formation à Dijon, une ville qu’on croirait inventée pour ça, il envoie CV et lettre de motivation à l’excellent Éric Beaumard, directeur et grand sommelier du V, le restaurant gastronomique de l’hôtel George V, palace parisien enviable. Premier coup de chance, Beaumard le reçoit, puis l’engage (deuxième coup de chance). Là, il tombe dans un vivier de talents rarement réunis. Parmi lesquels Enrico Bernardo, bientôt Meilleur sommelier du monde, et aussi Thierry Hamon, bras droit (sans rire) de Beaumard et maître à penser du jeune Manuel. Acte 2, il entre chez Taillevent. Il dit : « Là, j’étais l’enfant gâté dans le magasin de jouets ». Un stock considérable de 350 000 bouteilles, dont 45 000 dans la cave de service ; les autres, au vieillissement. Il passera sept ans de rêve avec Pierre Bérot, patron des vins chez Taillevent à l’époque, « Mon boulot, explique Manuel, c’est de visiter les domaines, en découvrir de nouveaux, les faire monter à la carte. » Un job de rêve, en effet, où il donne libre cours à sa passion dévorante et s’aligne dans les concours. Il est reconnu Meilleur jeune sommelier de France en 2005, Master of Port et deuxième Meilleur sommelier de France en 2006. Et en 2007, pour devenir Meilleur ouvrier de France, le célèbre MOF, il échoue. Aussitôt, un des clients de Taillevent lui propose de le coacher pour gagner la prochaine fois. Fort de ce soutien, Manuel enchaîne les cours de théâtre, les dégustations d’exception, les lectures les plus arides, il apprend à être malin sans être lourd, il suit des cours d’improvisation, il bosse comme un fou et en 2008, il devient M.O.F. Ça ne change presque rien pour lui, ou alors à la marge « Pierre Hermé me dit bonjour ». Je l’ai rencontré, plus tard, au Carpaccio, le resto italien de luxe de l’hôtel Royal-Monceau, où il occupait le poste de chef-sommelier. Il avait quitté l’étoilé de la rue Lamennais après la mort de Jean-Claude Vrinat, un mythe de la grande restauration parisienne. Avant d’arriver dans le palace de l’avenue Hoche, il passe un an avec Marco Pelletier au Bristol, son très grand ami qui, aujourd’hui, a ouvert son propre restaurant à Paris, Vantre. Une recommandation forte de la rédaction de EnMagnum. Au Carpaccio, Manuel Peyrondet invente sans cesse de nouvelles manières de donner le goût du vin à une clientèle haut de gamme. Il partira après avoir atteint un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros dans l’année sur le seul vin.
L’idée qui change tout
Son nouveau challenge, Chais d’œuvre, est né d’un service rendu à des copains, des clients, des amis d’amis. Il propose à quelques-uns d’acheter « groupé » tel vin qui lui avait particulièrement plu. Le premier mail déclenche quarante réponses. Il décide alors d’en faire un métier. Les 40 sont les premiers membres. Le principe : une box de deux ou trois bouteilles selon l’abonnement et une soirée dégustation par mois. En quelques semaines, ils se comptent 150. C’est parti. Il rencontre celui qui devient vite son directeur général parmi les premiers membres. C’est un fou de vin, lui aussi, qui a appelé ses filles Romane et Margaux. Aujourd’hui, ce sont 650 membres qui, en moyenne, achète cent bouteilles par an. La lecture de la liste fait mieux comprendre l’intérêt de la box de Manuel. Ainsi, on trouve de bons vignerons, tous authentiques amoureux du vin. Hervé Bizeul (Clos des Fées), Stephen Carrier (Château Fieuzal), Xavier Amirault à Bourgueil ou Rémy Pedreno (Roc d’Anglade) sont membres de Chais d’œuvre, comme un bon de garantie apposé sur la box qu’on ouvre chaque mois avec le même sourire aux lèvres, jamais déçu. Ce côté Noël tous les mois.
Le secret, c’est qu’il n’y a pas de secret
Tout ceci est très bien, mais d’où vient ce succès ? Comment ce garçon, à peu près inconnu du grand public, arrive-t-il à vendre le même volume qu’un palace parisien au fond d’une cour dans le quartier de La Trinité, à Paris ? On peut isoler plusieurs raisons, en plus de la personnalité du fondateur. La mise en avant et la façon dont elle est faite. Le travail didactique, dans les documents inclus dans la box, dans les soirées dégustation, dans les excellentes vidéos du site de Chais d’œuvre, dans le sérieux des choix des vins. Il ajoute « Nous payons les vignerons rubis sur l’ongle et nous ne vendons que ce que nous avons acheté ». Il ne fait jamais de ventes à prix cassés. Le sérieux est reconnu par les grands vignerons et Manuel a des allocations là où il faut. Il propose cinquante vins différents par mois, trois ventes flash par semaine, un coffret par mois, deux soirées par mois, bientôt en province. Il n’arrête jamais. C’est sans doute (c’est surtout) ça, le secret du succès, le sien en tout cas.
La photo : est signée Mathieu Garçon
jeudi 22 juin 2017
Mes magnums (38)
Ce champagne est un grand classique
Pol Roger, vintage brut 2006
Ce qu’il fait là
Nous connaissons tous des familles où Pol Roger a participé à l’éducation (du goût, au moins) des enfants de pères et de mères amateurs des champagnes de la marque. J’ai été l’un de ces enfants. Mon père était très content avec Pol Roger, j’ai donc cessé d’en boire dès que j’ai eu mon mot à dire sur le choix. J’ai eu tort, bien sûr. Ce champagne n’a jamais été aussi bon que ces années récentes.
Pourquoi on l’aime
Pol Roger est une maison de tradition qui ne rigole pas avec les fondamentaux du champagne. Chez eux, un millésimé est forcément un vin de garde, alors tenez-en compte et repoussez le moment de l’ouvrir autant qu’il est possible.
Combien et combien
La maison ne communique pas etc. 125 euros le magnum.
Avec qui, avec quoi
Avec ceux de vos proches qui ont le sens du style et du goût pour les belles choses.
Il ressemble à quoi
La très belle étiquette annonce un vin du même acabit, il n’y a pas de tromperie sur la marchandise chez Pol Roger, what you see is what you get, sans doute pour ça que Winston Churchill l’aimait tant.
La bonne heure du bonheur
Je le servirai volontiers après un beau dîner, pour prolonger le bonheur des vins complexes.
Le bug
Un classicisme forcené est-il un handicap ?
Le hashtag
#thebestisgoodenoughforme
Ce qu’en dit le Bettane+Desseauve
Consistant, avec ses arômes grillés et sa maturité de fruit, son ampleur généreuse en bouche, sa finale persistante. Aujourd’hui dans sa maturité. 17/20
Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 6. Le numéro 8 est en vente depuis quelques jours chez votre marchand de journaux. La photo du magnum est signée Fabrice Leseigneur. Voici la couverture de ce nouveau En Magnum :
Ce qu’il fait là
Nous connaissons tous des familles où Pol Roger a participé à l’éducation (du goût, au moins) des enfants de pères et de mères amateurs des champagnes de la marque. J’ai été l’un de ces enfants. Mon père était très content avec Pol Roger, j’ai donc cessé d’en boire dès que j’ai eu mon mot à dire sur le choix. J’ai eu tort, bien sûr. Ce champagne n’a jamais été aussi bon que ces années récentes.
Pourquoi on l’aime
Pol Roger est une maison de tradition qui ne rigole pas avec les fondamentaux du champagne. Chez eux, un millésimé est forcément un vin de garde, alors tenez-en compte et repoussez le moment de l’ouvrir autant qu’il est possible.
Combien et combien
La maison ne communique pas etc. 125 euros le magnum.
Avec qui, avec quoi
Avec ceux de vos proches qui ont le sens du style et du goût pour les belles choses.
Il ressemble à quoi
La très belle étiquette annonce un vin du même acabit, il n’y a pas de tromperie sur la marchandise chez Pol Roger, what you see is what you get, sans doute pour ça que Winston Churchill l’aimait tant.
La bonne heure du bonheur
Je le servirai volontiers après un beau dîner, pour prolonger le bonheur des vins complexes.
Le bug
Un classicisme forcené est-il un handicap ?
Le hashtag
#thebestisgoodenoughforme
Ce qu’en dit le Bettane+Desseauve
Consistant, avec ses arômes grillés et sa maturité de fruit, son ampleur généreuse en bouche, sa finale persistante. Aujourd’hui dans sa maturité. 17/20
Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 6. Le numéro 8 est en vente depuis quelques jours chez votre marchand de journaux. La photo du magnum est signée Fabrice Leseigneur. Voici la couverture de ce nouveau En Magnum :
vendredi 16 juin 2017
Les assoiffeurs du peuple
Mardi soir, dans un de ces beaux endroits dont Paris a le secret, quelques 500 personnes étaient réunies pour décerner les Plumes d’Or du Vin et de la Gastronomie. Le principe est drôle, ce sont les vignerons qui élisent le meilleur écrivain/rédacteur/journaliste du verre et de l’assiette. Ainsi, l’an dernier, c’était Michel Bettane pour le vin et Thibault Danancher (Le Point) pour la gastronomie, le ton était donné, il y a du niveau comme on lit dans L’Équipe.
Cette année, c’est Laure Gasparotto (Le Monde) qui a été distinguée pour le vin et Stéphane Durand-Soufflant (Le Figaro) pour la gastronomie. En passant, dire que Stéphane est le meilleur chroniqueur judiciaire contemporain, il s’essaie maintenant à la chronique gastronomique, avec bonheur comme on le voit.
Tout se passait dans le meilleur des mondes. Ce petit rassemblement a plu à chacun de ceux qui étaient présents, une soirée bon enfant, drôle et sympa, sans qu’il s’agisse non plus de l’événement du siècle. Mais voilà qu’un justicier de réseau social s’empare du machin pour en faire une « affaire ».
L’atrabilaire en mal de promotion poste le statut Facebook dont voici une capture d'écran :
Aussitôt, la toute petite foule des chacals du Net, aka La Patrouille, rapplique en frétillant. Chouette, un lynchage ; chic, une exécution publique. Ces mecs, pour l’ambiance, ils s’y connaissent. Notre rebelle de bac à sable, ravi, anime son fil de conversation en se rengorgeant avec infiniment de contentement jusqu’à ce que, agacé d’autant d’outrance, je m’en mêle en lui rappelant qu’il avait assisté à cette soirée l’an dernier et qu’il avait tweeté des choses aimables. Qu’en somme, tout ce foin me semblait légèrement exagéré. Que s'est-il passé ? A-t-il été vexé de n’être pas récompensé ? Quelqu'un a-t-il oublié de l'inviter ? Je ne sais pas.
Toujours est-il que mon intervention me vaut instantanément les deux insultes les plus prisées par ces gens : « vendu » et « chef de pub ». Où l’on est prié de comprendre que plus pourri que moi, y a pas. Aucune importance, j’ai déjà subi ce genre d’avanies, ça fait marrer les copains, c’est déjà ça et j’ai l’habitude depuis certains posts sur ce blog depuis le Davos du vin à Côme ou une dégustation du Grand jury où Reignac était sorti premier.
Pour celles et ceux qui ne sont pas au fait des codes de ce milieu, je tiens à préciser que je n’ai jamais accepté d’autre argent que le salaire qui m’est versé chez Bettane+Desseauve, que j’ai toujours refusé les différents jobs de consultant que tel ou tel a pu me proposer très aimablement. C’est agréable, c’est rentable, c’est même gratifiant, mais non, je ne sais pas mélanger les genres, quoi qu’en pense notre rebellito. Bref, pour être « vendu », il faut être achetable et ce n’est pas moi. Si ça t’intéresse, Toto, j’ai des noms.
Je précise que j’ai le plus grand respect pour ceux qui font ce difficile métier qui consiste à vendre des pages de pub dans les journaux et qui, ainsi, rendent possible notre belle activité. J’ajoute que ce métier a été inventé par un chef de pub, justement, mon très cher ami Daniel Benharros, un authentique passionné très loin de l’image diabolique qu’on ne nous imposera pas et à qui notre procureur auto-proclamé doit beaucoup. En plus.
Et puis, il faut se calmer.
Nous savons tous que 99 % de l’accusation de collusion annonceurs – journalistes est pur fantasme, mais ça ne gêne pas ce Chavez du tire-bouchon de véhiculer le doute et le soupçon pour agréger un public de suiveurs sans feu ni lieu, tout en jetant l’opprobre sur ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, son idéologie. Une caricature. On pourrait aussi relativiser beaucoup le fond de ces arguties, mais bon, c’est vain. Si j’ose dire ;-D
Et puis, dites-donc, vous avez vu la liste des nantis qui étaient là ce mardi pour remettre les Plumes d’or à ceux qui les méritent ? Notre boute-feu a dévié habilement la conversation, mais retour au vrai sujet. Les voilà les grossiums, les Rapetou du pinard, le voilà le grand capital :
Thierry Germain (Loire)
Jean-Dominique Vacheron (Loire)
Yves Canarelli (Corse)
Pierre-Jean Villa (Rhône-nord)
Yves Gangloff (Rhône-nord)
Laurent Combier (Rhône-nord)
Christophe Sabon (Rhône-sud)
Pierre-Yves Colin-Morey (Bourgogne)
Francis Egly (Champagne)
Anselme Selosse (Champagne)
Anne Trimbach (Alsace)
Ludovic David (Bordeaux)
Nicolas Audebert (Bordeaux)
…
Et il y en avait quelques autres, largement aussi nantis, bien sûr. Moi, quand je vois cette bande d’assoiffeurs du peuple, j’ai envie de voter Mélenchon.
(nan, j’rigole)
En fait, je suis effaré qu’on ose reprocher ("nanti" est un reproche) à ces viticulteurs le succès provoqué par leur talent, leur travail et leur ténacité, en oubliant si vite que la terre est basse et le ciel, menaçant. Je suis effaré de tout ce mépris. Et, quitte à manier le hashtag, voilà le mien : #faispasleboulet
Cette année, c’est Laure Gasparotto (Le Monde) qui a été distinguée pour le vin et Stéphane Durand-Soufflant (Le Figaro) pour la gastronomie. En passant, dire que Stéphane est le meilleur chroniqueur judiciaire contemporain, il s’essaie maintenant à la chronique gastronomique, avec bonheur comme on le voit.
Tout se passait dans le meilleur des mondes. Ce petit rassemblement a plu à chacun de ceux qui étaient présents, une soirée bon enfant, drôle et sympa, sans qu’il s’agisse non plus de l’événement du siècle. Mais voilà qu’un justicier de réseau social s’empare du machin pour en faire une « affaire ».
L’atrabilaire en mal de promotion poste le statut Facebook dont voici une capture d'écran :
Mais non, ça choque personne. Pfff… |
Aussitôt, la toute petite foule des chacals du Net, aka La Patrouille, rapplique en frétillant. Chouette, un lynchage ; chic, une exécution publique. Ces mecs, pour l’ambiance, ils s’y connaissent. Notre rebelle de bac à sable, ravi, anime son fil de conversation en se rengorgeant avec infiniment de contentement jusqu’à ce que, agacé d’autant d’outrance, je m’en mêle en lui rappelant qu’il avait assisté à cette soirée l’an dernier et qu’il avait tweeté des choses aimables. Qu’en somme, tout ce foin me semblait légèrement exagéré. Que s'est-il passé ? A-t-il été vexé de n’être pas récompensé ? Quelqu'un a-t-il oublié de l'inviter ? Je ne sais pas.
Toujours est-il que mon intervention me vaut instantanément les deux insultes les plus prisées par ces gens : « vendu » et « chef de pub ». Où l’on est prié de comprendre que plus pourri que moi, y a pas. Aucune importance, j’ai déjà subi ce genre d’avanies, ça fait marrer les copains, c’est déjà ça et j’ai l’habitude depuis certains posts sur ce blog depuis le Davos du vin à Côme ou une dégustation du Grand jury où Reignac était sorti premier.
Pour celles et ceux qui ne sont pas au fait des codes de ce milieu, je tiens à préciser que je n’ai jamais accepté d’autre argent que le salaire qui m’est versé chez Bettane+Desseauve, que j’ai toujours refusé les différents jobs de consultant que tel ou tel a pu me proposer très aimablement. C’est agréable, c’est rentable, c’est même gratifiant, mais non, je ne sais pas mélanger les genres, quoi qu’en pense notre rebellito. Bref, pour être « vendu », il faut être achetable et ce n’est pas moi. Si ça t’intéresse, Toto, j’ai des noms.
Je précise que j’ai le plus grand respect pour ceux qui font ce difficile métier qui consiste à vendre des pages de pub dans les journaux et qui, ainsi, rendent possible notre belle activité. J’ajoute que ce métier a été inventé par un chef de pub, justement, mon très cher ami Daniel Benharros, un authentique passionné très loin de l’image diabolique qu’on ne nous imposera pas et à qui notre procureur auto-proclamé doit beaucoup. En plus.
Et puis, il faut se calmer.
Nous savons tous que 99 % de l’accusation de collusion annonceurs – journalistes est pur fantasme, mais ça ne gêne pas ce Chavez du tire-bouchon de véhiculer le doute et le soupçon pour agréger un public de suiveurs sans feu ni lieu, tout en jetant l’opprobre sur ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, son idéologie. Une caricature. On pourrait aussi relativiser beaucoup le fond de ces arguties, mais bon, c’est vain. Si j’ose dire ;-D
Et puis, dites-donc, vous avez vu la liste des nantis qui étaient là ce mardi pour remettre les Plumes d’or à ceux qui les méritent ? Notre boute-feu a dévié habilement la conversation, mais retour au vrai sujet. Les voilà les grossiums, les Rapetou du pinard, le voilà le grand capital :
Thierry Germain (Loire)
Jean-Dominique Vacheron (Loire)
Yves Canarelli (Corse)
Pierre-Jean Villa (Rhône-nord)
Yves Gangloff (Rhône-nord)
Laurent Combier (Rhône-nord)
Christophe Sabon (Rhône-sud)
Pierre-Yves Colin-Morey (Bourgogne)
Francis Egly (Champagne)
Anselme Selosse (Champagne)
Anne Trimbach (Alsace)
Ludovic David (Bordeaux)
Nicolas Audebert (Bordeaux)
…
Et il y en avait quelques autres, largement aussi nantis, bien sûr. Moi, quand je vois cette bande d’assoiffeurs du peuple, j’ai envie de voter Mélenchon.
(nan, j’rigole)
En fait, je suis effaré qu’on ose reprocher ("nanti" est un reproche) à ces viticulteurs le succès provoqué par leur talent, leur travail et leur ténacité, en oubliant si vite que la terre est basse et le ciel, menaçant. Je suis effaré de tout ce mépris. Et, quitte à manier le hashtag, voilà le mien : #faispasleboulet
jeudi 15 juin 2017
Bordeaux au sens large
Bernard Magrez n’est ni un tycoon ni un magnat ni rien de superlatif, c’est un entrepreneur avec un sens très aigu des stratégies gagnantes et des moyens de parvenir à ses fins, c’est-à-dire construire un groupe consistant et fort. Rencontre autour d’un verre d’eau
C’est le milieu de l’après-midi dans le lounge d’un palace parisien. Bernard Magrez observe tout, note ce qui l’intéresse, s’interroge. Il faut dire qu’il est aussi le propriétaire d’un petit palace à Bordeaux et que, ne méprisant jamais rien ni personne, il a l’intelligence et l’humilité de croire que toute expérience est bonne à comprendre. Cette capacité étonnante à être aussi concentré sur les grands enjeux de ses activités que sur les mille et un détails qui s’y attachent. Nous avons fait un tour d’horizon de son actualité.
La Grande Maison, an 2
Sa Grande Maison bordelaise est dans cette période tumultueuse qui suit les lancements. En année 2, elle est fragile, il le sait. Lui et son ami Joël Robuchon (ils partagent aussi un domaine dans le Médoc, le château des Trois-Amis) ont décidé de mettre un terme à leur collaboration et c’est Pierre Gagnaire qui tient la cuisine désormais, avec un brief différent : « Le changement vise à placer notre établissement dans un champ de choix à la mesure de Bordeaux, de son bassin de clientèle. » Ce qui semble assez difficile à cerner. Ce qu’on sait, c’est que les propriétaires bordelais organisent beaucoup de dîners, de déjeuners, de réceptions de toutes sortes dans leurs châteaux – Bernard Magrez le premier – et que c’est un pan d’activité qui échappe à la belle restauration. La solution viendra de l’extérieur.
Pied au plancher
« Nous sommes au cœur d’une vaste région à fort capital touristique et les transformations menées à Bordeaux, le classement à l’Unesco, la Cité du Vin sont autant de forts accélérateurs. Nous devons nous inscrire dans ce courant porteur. Nous avons acheté un beau bâtiment à côté de la Grande Maison, mais nous n’avons pas encore décidé ce que nous allons en faire. Agrandir ou créer un établissement distinct ? » L’œno-tourisme est au cœur des préoccupations de Bernard Magrez. Dans le même registre, il vient de prendre une participation « significative » dans Bordeaux River Cruise, une affaire de tourisme fluvial qui compte trois bateaux et qui possède l’île de Patiras, sur la Gironde en face de Pauillac. Il vient aussi de lancer l’Académie du vin à Bordeaux, nouveau concept de cours de dégustation en immersion prolongée pendant trois à quatre jours. Et puis il y a le quatuor à cordes sobrement baptisé Quatuor Château Pape-Clément, le nom de son cru classé de Pessac-Léognan, cher à son cœur et pour lequel il a acquis deux violons, un Stradivarius de 1713 et un Nicolas Lupot de 1795, un violoncelle Fernando Gagliano de 1788 et un alto signé Cassini de 1660. Nous apprenons au passage que la Fondation Bernard Magrez est la seule au monde à être propriétaire de quatre instruments aussi exceptionnels qu’historiques confiés à des virtuoses.
La face B
Ce millésime 2016 ? « Comme tout le monde, on a frôlé le pire et, à la fin, c’est égal ou supérieur à 2015 avec un bon 8 % de volume supplémentaire. Bordeaux avait besoin de ces deux millésimes consécutifs. Surtout à l’export. » La rumeur est insistante qui voit Bernard Magrez prêt à acquérir un autre cru classé de Bordeaux, mais c’est très lent, dit-il. « Il faut trouver une famille prête à vendre. Et les propriétaires institutionnels, compagnies d’assurance ou autre, soucieux de réaliser un capital, ont des exigences financières souvent irréalistes. » Et Pomerol, non ? « Je crois à la valeur mondiale de la mention “cru classé“, ce qui disqualifie Pomerol à mes yeux. On y trouve certains des meilleurs vins du monde, mais ce n’est pas pour moi. » Comprendre que c’est hors stratégie. En revanche, il veut prendre pied à Châteauneuf-du-Pape. « Il y a un pont à établir entre Pape-Clément et Châteauneuf-du-Pape, un lien fort pour rappeler au monde les racines chrétiennes du vin en France, un beau cours d’Histoire à l’usage des amateurs de grands vins, je crois que tout le monde en bénéficierait. » Bernard Magrez croit aux choses importantes, mais ne s’en vante pas toujours, il faudra insister beaucoup pour apprendre qu’il est engagé pour trois ans sur des sommes annuelles considérables pour aider le professeur Khayat dans sa recherche contre le cancer. Une face B du personnage qu’on est content d’apercevoir. Et que tout le monde ne voit pas.
Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 6. Le numéro 7 est en vente jusqu’à ce soir et le 8 arrive demain chez votre marchand de journaux. Voici déjà la couverture de ce nouveau En Magnum.
Bernard Magrez dans l'escalier du château Pape-Clément |
C’est le milieu de l’après-midi dans le lounge d’un palace parisien. Bernard Magrez observe tout, note ce qui l’intéresse, s’interroge. Il faut dire qu’il est aussi le propriétaire d’un petit palace à Bordeaux et que, ne méprisant jamais rien ni personne, il a l’intelligence et l’humilité de croire que toute expérience est bonne à comprendre. Cette capacité étonnante à être aussi concentré sur les grands enjeux de ses activités que sur les mille et un détails qui s’y attachent. Nous avons fait un tour d’horizon de son actualité.
La Grande Maison, an 2
Sa Grande Maison bordelaise est dans cette période tumultueuse qui suit les lancements. En année 2, elle est fragile, il le sait. Lui et son ami Joël Robuchon (ils partagent aussi un domaine dans le Médoc, le château des Trois-Amis) ont décidé de mettre un terme à leur collaboration et c’est Pierre Gagnaire qui tient la cuisine désormais, avec un brief différent : « Le changement vise à placer notre établissement dans un champ de choix à la mesure de Bordeaux, de son bassin de clientèle. » Ce qui semble assez difficile à cerner. Ce qu’on sait, c’est que les propriétaires bordelais organisent beaucoup de dîners, de déjeuners, de réceptions de toutes sortes dans leurs châteaux – Bernard Magrez le premier – et que c’est un pan d’activité qui échappe à la belle restauration. La solution viendra de l’extérieur.
Pied au plancher
« Nous sommes au cœur d’une vaste région à fort capital touristique et les transformations menées à Bordeaux, le classement à l’Unesco, la Cité du Vin sont autant de forts accélérateurs. Nous devons nous inscrire dans ce courant porteur. Nous avons acheté un beau bâtiment à côté de la Grande Maison, mais nous n’avons pas encore décidé ce que nous allons en faire. Agrandir ou créer un établissement distinct ? » L’œno-tourisme est au cœur des préoccupations de Bernard Magrez. Dans le même registre, il vient de prendre une participation « significative » dans Bordeaux River Cruise, une affaire de tourisme fluvial qui compte trois bateaux et qui possède l’île de Patiras, sur la Gironde en face de Pauillac. Il vient aussi de lancer l’Académie du vin à Bordeaux, nouveau concept de cours de dégustation en immersion prolongée pendant trois à quatre jours. Et puis il y a le quatuor à cordes sobrement baptisé Quatuor Château Pape-Clément, le nom de son cru classé de Pessac-Léognan, cher à son cœur et pour lequel il a acquis deux violons, un Stradivarius de 1713 et un Nicolas Lupot de 1795, un violoncelle Fernando Gagliano de 1788 et un alto signé Cassini de 1660. Nous apprenons au passage que la Fondation Bernard Magrez est la seule au monde à être propriétaire de quatre instruments aussi exceptionnels qu’historiques confiés à des virtuoses.
La face B
Ce millésime 2016 ? « Comme tout le monde, on a frôlé le pire et, à la fin, c’est égal ou supérieur à 2015 avec un bon 8 % de volume supplémentaire. Bordeaux avait besoin de ces deux millésimes consécutifs. Surtout à l’export. » La rumeur est insistante qui voit Bernard Magrez prêt à acquérir un autre cru classé de Bordeaux, mais c’est très lent, dit-il. « Il faut trouver une famille prête à vendre. Et les propriétaires institutionnels, compagnies d’assurance ou autre, soucieux de réaliser un capital, ont des exigences financières souvent irréalistes. » Et Pomerol, non ? « Je crois à la valeur mondiale de la mention “cru classé“, ce qui disqualifie Pomerol à mes yeux. On y trouve certains des meilleurs vins du monde, mais ce n’est pas pour moi. » Comprendre que c’est hors stratégie. En revanche, il veut prendre pied à Châteauneuf-du-Pape. « Il y a un pont à établir entre Pape-Clément et Châteauneuf-du-Pape, un lien fort pour rappeler au monde les racines chrétiennes du vin en France, un beau cours d’Histoire à l’usage des amateurs de grands vins, je crois que tout le monde en bénéficierait. » Bernard Magrez croit aux choses importantes, mais ne s’en vante pas toujours, il faudra insister beaucoup pour apprendre qu’il est engagé pour trois ans sur des sommes annuelles considérables pour aider le professeur Khayat dans sa recherche contre le cancer. Une face B du personnage qu’on est content d’apercevoir. Et que tout le monde ne voit pas.
Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 6. Le numéro 7 est en vente jusqu’à ce soir et le 8 arrive demain chez votre marchand de journaux. Voici déjà la couverture de ce nouveau En Magnum.
mardi 13 juin 2017
« Et ça les vaut ? »
L’ amateur a cette vilaine manie de résumer son rapport au vin en termes de bonne ou de mauvaise affaire. C’est souvent un amateur français, il ne se remet pas de l’enchérissement du prix du vin depuis le début des années 2000. L’amateur américain, par exemple, ne voit pas du tout les choses comme ça et trouve les vins français pas chers. L’autre jour, alors que je m’extasiais sur les réseaux sociaux des qualités de telle cuvée dont le prix dépasse les cent euros, il s’est trouvé un internaute pour poser la question rituelle et idiote : « Ça les vaut ? ».
Franchement, vieux, je ne sais pas. Comment établir un rapport juste entre le prix d’un vin et le plaisir ressenti ? Mes papilles, mon palais, ne sont pas équipés de capteurs branchés sur un ordinateur qui valoriserait chaque gorgée. 9,50 euros ou 135 euros ? Ce qui met la goutte à quel prix ? Ou alors sur la base de la comparaison. Cette bouteille à 12 euros était bien meilleure que celle-ci à 43 ? Ce n’est pas sérieux et, en plus, les disparités de revenu changent le rapport à l’argent. Comme si on pouvait hiérarchiser le goût et lui attribuer une échelle de prix. Cela dit, souvenons-nous que, le plus souvent, plus un vin est bon, plus il est cher. Quelques exceptions confirment une règle qui date de 1855.
Depuis le fameux classement, on sait que la qualité d’un vin est liée à son prix et que pour être étiqueté le meilleur, il faut être le plus cher, le plus connu, le plus beau. C’est toute la production de biens de consommation qui est ainsi organisée. En même temps, je suis sûr qu’il se trouve des gens pour trouver une Ferrari « trop chère pour ce que c’est » et, là encore, je ne sais pas répondre. C’est comme un grand vin, c’est magnifique, il n’y en a pas beaucoup et tout le monde en veut. Et, comme d’un grand vin, celui qui ne peut pas s’offrir ce genre d’auto n’en fait pas une maladie.
Bien sûr, on peut regretter que les prix des plus beaux vins atteignent des sommets stratosphériques. Mais, au fond, où est le scandale ?
Un grand cru de la côte de Nuits, récemment repris par un groupe de luxe, a vu son tarif doubler d’un coup d’un seul. Dommage, mais le nouveau propriétaire qui a lâché une somme phénoménale pour acquérir ce domaine et ses quelques petits hectares juste avant un bon coup de grêle est assez légitime à vouloir rentrer dans ses frais. Au moins, un peu. Tel héritier qui a racheté les parts du vignoble détenues par ses frères, sœurs ou cousins et qui, pour ce faire, s’est endetté à vie est aussi en droit d’inclure dans le prix de chaque bouteille une petite part de ses investissements fonciers. Tel autre, à force de travail et de talent fait émerger ses cuvées et leurs prix. Va-t-on lui nier le droit de gagner de l’argent, d’entrer dans une zone de confort qui change sa vie ? Non, bien sûr, puisqu’on accepte ça pour un footballeur ou un informaticien ou un rapper. Et quand il ne s’agit pas d’une volonté du vigneron ou du propriétaire, c’est le marché qui décide. On en connaît des grands crus qui sortent du chai à 60 euros et se retrouvent trois jours après à 250 dans les catalogues des marchands. Ce qui ne facilite certes pas la vie de l’amateur. Mais bon, aucun de ces beaux domaines n’a vocation à collectionner ses bouteilles. Sauf, peut-être… Non, n’allons pas plus loin, la fâcherie guette.
Depuis le fameux classement, on sait que la qualité d’un vin est liée à son prix et que pour être étiqueté le meilleur, il faut être le plus cher, le plus connu, le plus beau. C’est toute la production de biens de consommation qui est ainsi organisée. En même temps, je suis sûr qu’il se trouve des gens pour trouver une Ferrari « trop chère pour ce que c’est » et, là encore, je ne sais pas répondre. C’est comme un grand vin, c’est magnifique, il n’y en a pas beaucoup et tout le monde en veut. Et, comme d’un grand vin, celui qui ne peut pas s’offrir ce genre d’auto n’en fait pas une maladie.
Bien sûr, on peut regretter que les prix des plus beaux vins atteignent des sommets stratosphériques. Mais, au fond, où est le scandale ?
Un grand cru de la côte de Nuits, récemment repris par un groupe de luxe, a vu son tarif doubler d’un coup d’un seul. Dommage, mais le nouveau propriétaire qui a lâché une somme phénoménale pour acquérir ce domaine et ses quelques petits hectares juste avant un bon coup de grêle est assez légitime à vouloir rentrer dans ses frais. Au moins, un peu. Tel héritier qui a racheté les parts du vignoble détenues par ses frères, sœurs ou cousins et qui, pour ce faire, s’est endetté à vie est aussi en droit d’inclure dans le prix de chaque bouteille une petite part de ses investissements fonciers. Tel autre, à force de travail et de talent fait émerger ses cuvées et leurs prix. Va-t-on lui nier le droit de gagner de l’argent, d’entrer dans une zone de confort qui change sa vie ? Non, bien sûr, puisqu’on accepte ça pour un footballeur ou un informaticien ou un rapper. Et quand il ne s’agit pas d’une volonté du vigneron ou du propriétaire, c’est le marché qui décide. On en connaît des grands crus qui sortent du chai à 60 euros et se retrouvent trois jours après à 250 dans les catalogues des marchands. Ce qui ne facilite certes pas la vie de l’amateur. Mais bon, aucun de ces beaux domaines n’a vocation à collectionner ses bouteilles. Sauf, peut-être… Non, n’allons pas plus loin, la fâcherie guette.
lundi 12 juin 2017
Mes magnums (37)
le champagne pour ce qu'il n'a pas
Billecart-Salmon extra-brut
Ce qu’il fait là
La belle maison de Mareuil-surAÿ a construit sa gloire sur son fameux rosé, j’ai préféré parler de l’extra-brut. C’est plus amusant d’évoquer ce qu’un champagne n’a pas et qui fait sa qualité.
Pourquoi on l’aime
Extra-brut, ça signifie un dosage en sucre minimum. La réglementation accorde la mention extra-brut aux champagnes dosés à moins de 5 grammes par litre. Chez Billecart-Salmon, l’extra-brut est une épure, il n’a pas du tout de sucre ajouté. C’est donc bien par ce qu’il n’a pas qu’il faut aborder ce vin. Cette absence de sucre en fait un champagne tonique, droit comme un i, « rapicotant » comme dirait un de mes bons amis ce qui signifie à peu près « revigorant ».
Combien et combien
Quantité de magnums produite non communiquée, 90 euros le magnum
Avec qui, avec quoi
En bonne compagnie de vrais amateurs de champagne et, d’abord, de vin puisque cet extra-brut est assez éloigné de l’idée que le grand public se fait du champagne.
Il ressemble à quoi
À l’origine, au champagne originel, ce jus effervescent avant que le chef de caves décide du tour qu’il va lui donner.
La bonne heure du bonheur
Clairement, avant de passer à table et en fin de nuit, quand on a un peu exagéré et qu’on veut se refaire la bouche, l’expression est bien vilaine, mais on comprend tout.
Le bug
Pas pour tout le monde.
Ce qu’en dit le Bettane+Desseauve
Fruité et élancé, excellent tirage. 16/20
Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 6.
Il fait partie de la série "Interviews de magnums".
Toutes les photos de cette série sont signées Fabrice Leseigneur.
Ce qu’il fait là
La belle maison de Mareuil-surAÿ a construit sa gloire sur son fameux rosé, j’ai préféré parler de l’extra-brut. C’est plus amusant d’évoquer ce qu’un champagne n’a pas et qui fait sa qualité.
Pourquoi on l’aime
Extra-brut, ça signifie un dosage en sucre minimum. La réglementation accorde la mention extra-brut aux champagnes dosés à moins de 5 grammes par litre. Chez Billecart-Salmon, l’extra-brut est une épure, il n’a pas du tout de sucre ajouté. C’est donc bien par ce qu’il n’a pas qu’il faut aborder ce vin. Cette absence de sucre en fait un champagne tonique, droit comme un i, « rapicotant » comme dirait un de mes bons amis ce qui signifie à peu près « revigorant ».
Combien et combien
Quantité de magnums produite non communiquée, 90 euros le magnum
Avec qui, avec quoi
En bonne compagnie de vrais amateurs de champagne et, d’abord, de vin puisque cet extra-brut est assez éloigné de l’idée que le grand public se fait du champagne.
Il ressemble à quoi
À l’origine, au champagne originel, ce jus effervescent avant que le chef de caves décide du tour qu’il va lui donner.
La bonne heure du bonheur
Clairement, avant de passer à table et en fin de nuit, quand on a un peu exagéré et qu’on veut se refaire la bouche, l’expression est bien vilaine, mais on comprend tout.
Le bug
Pas pour tout le monde.
Ce qu’en dit le Bettane+Desseauve
Fruité et élancé, excellent tirage. 16/20
Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 6.
Il fait partie de la série "Interviews de magnums".
Toutes les photos de cette série sont signées Fabrice Leseigneur.
mercredi 7 juin 2017
Mes magnums (36) un vieux champagne
en pleine forme
Joseph Perrier Cuvée Royale 1982
Ce qu’il fait là
Ça fait plaisir de commenter un champagne de bientôt 35 ans. C’est l’occasion de rappeler que le champagne est (avec certains liquoreux et assimilés) le vin qui vieillit le mieux. Si. Je sais que le public n’y croit pas ou, au moins, ne le sait pas, mais c’est comme ça.
Pourquoi on l’aime
« Parce que c’est bon » semble une réponse évidente, mais non. Les sensations tactiles que procure un vieux champagne sont irremplaçables. Ce velouté légèrement redressé par une fine pétillance, c’est quelque chose qu’on doit avoir goûté.
Combien et combien
24 magnums disponibles, 480 euros le magnum (en vente au 03 26 68 29 51)
Avec qui, avec quoi
Avec celles et ceux à qui vous avez envie de chuchoter des trucs, un vieux complice, une belle amie.
Il ressemble à quoi
À un goûter d’enfant à la campagne avec des notes de miel liquide, de noix fraîche, de praline, ces arômes profonds qui marquent une vie entière, qui font les souvenirs de nos papilles. Voilà à quoi servent les vieux champagnes, à nous faire pleurer. De bonheur.
La bonne heure du bonheur (justement)
Clairement, c’est un vin de fin de soirée, un vin de méditation, de conversation mezzo voce, cette place habituellement tenue par un grand sauternes, qui vous enveloppe de douceur avant d’aller dormir.
Le bug
Il en reste 24 à vendre.
Ce qu’en dit le Bettane+Desseauve
Le Bettane+Desseauve n’en dit rien parce que le Bettane+Desseauve n’existait pas quand Joseph Perrier a sorti cette cuvée 1982, sans doute un peu avant 1990.
Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 6.
Il fait partie de la série "Interviews de magnums".
Toutes les photos de cette série sont signées Fabrice Leseigneur.
Voici ENMAGNUM #07, en vente chez votre marchand de journaux pendant quelques jours encore :
Ce qu’il fait là
Ça fait plaisir de commenter un champagne de bientôt 35 ans. C’est l’occasion de rappeler que le champagne est (avec certains liquoreux et assimilés) le vin qui vieillit le mieux. Si. Je sais que le public n’y croit pas ou, au moins, ne le sait pas, mais c’est comme ça.
Pourquoi on l’aime
« Parce que c’est bon » semble une réponse évidente, mais non. Les sensations tactiles que procure un vieux champagne sont irremplaçables. Ce velouté légèrement redressé par une fine pétillance, c’est quelque chose qu’on doit avoir goûté.
Combien et combien
24 magnums disponibles, 480 euros le magnum (en vente au 03 26 68 29 51)
Avec qui, avec quoi
Avec celles et ceux à qui vous avez envie de chuchoter des trucs, un vieux complice, une belle amie.
Il ressemble à quoi
À un goûter d’enfant à la campagne avec des notes de miel liquide, de noix fraîche, de praline, ces arômes profonds qui marquent une vie entière, qui font les souvenirs de nos papilles. Voilà à quoi servent les vieux champagnes, à nous faire pleurer. De bonheur.
La bonne heure du bonheur (justement)
Clairement, c’est un vin de fin de soirée, un vin de méditation, de conversation mezzo voce, cette place habituellement tenue par un grand sauternes, qui vous enveloppe de douceur avant d’aller dormir.
Le bug
Il en reste 24 à vendre.
Ce qu’en dit le Bettane+Desseauve
Le Bettane+Desseauve n’en dit rien parce que le Bettane+Desseauve n’existait pas quand Joseph Perrier a sorti cette cuvée 1982, sans doute un peu avant 1990.
Ce texte a été publié sous une forme différente dans ENMAGNUM n° 6.
Il fait partie de la série "Interviews de magnums".
Toutes les photos de cette série sont signées Fabrice Leseigneur.
Voici ENMAGNUM #07, en vente chez votre marchand de journaux pendant quelques jours encore :
vendredi 2 juin 2017
« En Champagne, il y a un réel partage
de la valeur ajoutée »
Philippe Baijot (Lanson, BCC) rencontre Alain-Dominique Perrin (Cartier, Richemont).
Cette conversation s’est tenue en septembre 2016 au restaurant Taillevent, animée par Jean-Luc Barde et photographiée par Mathieu Garçon.
Pour mémoire, Philippe Baijot est le président de Lanson, Besserat de Bellefon et quelques autres marques au sein du groupe BCC co-piloté avec Bruno Paillard. Alain-Dominique Perrin, après avoir fait de Cartier la marque d’horlogerie et de joaillerie qu’on connaît, est devenu le président du groupe de luxe Richemont, il en est encore le patron du comité stratégique. Il est, à titre personnel, le propriétaire du beau château Lagrézette à Cahors.
Deux patrons du vin, du champagne, du luxe font le portrait d’un pays surdoué, la France, championne de l’art de vivre, ralentie dans son dynamisme et sa créativité par la complexité administrative, la lourdeur des charges et l’absence de dialogue social constructif.
Voici un plaidoyer ardent pour la liberté d’entreprendre.
Comment le vin vous est-il venu ?
Philippe Baijot : Le fruit du hasard, mon père était ardennais, dirigeait une fonderie avec son frère, rien à voir avec le champagne. J’ai terminé mes études à l’ESC Reims où j’avais des camarades dont les parents travaillaient dans le champagne. J’y ai rencontré Catherine, qui allait devenir ma femme. En 1973, le choc pétrolier affecte l’activité économique des maisons et je ne trouve pas de travail. Deux ans plus tard, je tente à nouveau ma chance. Trois réponses me parviennent, celles d’Abel Lepitre, Duval Leroy et Marne-et-Champagne, qui fait l’objet de mon choix premier. Je rencontre Gaston Burtin qui, au bout de quelques minutes, me dit gentiment que je n’y connais rien et m’enjoint d’aller apprendre le métier ailleurs. Nous convenons de nous revoir deux ans plus tard. Le lendemain, Jacques Lepitre m’engage comme inspecteur des ventes. Je suis ensuite entré chez Monsieur Burtin pour développer la marque Alfred Rothschild et je suis resté douze ans à ses côtés.
Alain-Dominique Perrin : C’est aussi un hasard total. Je cherchais une jolie propriété qui soit en dehors des axes Deauville, Saint-Tropez, Biarritz et j’ai trouvé en 1979 ce très beau château Renaissance en cours de classement, Lagrézette. À la signature chez le notaire, l’officier m’annonce gravement :
« Monsieur, il y a un bonus à votre achat, 3,5 hectares et demi de droits de plantation. » Je m’étonne : « Je n’ai jamais entendu parler de ça, serait-ce pour planter du haschich ? » « Non Monsieur, c’est très sérieux. Il s’agit de droits vous autorisant à planter de la vigne dans la limite AOC de Cahors. » AOC ? Appellation d’origine contrôlée, me dit-il. Voilà où j’en étais. Il me fait un cours, m’explique l’essentiel et je découvre que dans le panel étendu des tracasseries administratives de ce pays, il y en a une que je ne connaissais pas. Il faut demander l’autorisation de planter de la vigne. Est-ce bien ça ? « Oui Monsieur, en effet. » Et bien, ça n’est guère encourageant, mais puisque vous me les donnez, je vais planter.
Mais tout de même, vous buviez du vin ?
A.-D. P. : Perrin, c’est la Bourgogne, j’ai été élevé dans cette pratique du kidnapping de gorgées de vin dans le verre de l’un de mes frères ou de ma mère. Mon père, je n’essayais pas. J’ai été entouré de bons vins. Toute mon enfance, ils furent une présence familière, c’est tout. Là, 3,5 hectares de droits de plantation que le notaire m’encourage bougrement à planter, ça me semblait insuffisant. Il restait une vigne en friche et deux bœufs qui paissaient là paisiblement. La parcelle est devenue Le Pigeonnier du château Lagrézette. Aujourd’hui, j’ai 93 hectares. En 1979, je suis allé voir le maire de Caillac qui a accepté de m’aider à planter les vignes supplémentaires. Bien, et le vin comment on fait ? Avec son accent du sud-ouest, il m’a dit : « Vous arrivez ici, ne faites pas trop de vagues, il faut aller à la coopérative. » Bon, j’y suis allé. J’étais plutôt fier, d’autant que mon premier vin en 1985 a reçu la médaille d’or du concours de Vinexpo. Comme j’avais quelques copains dans le milieu, dont Patrick Léon (directeur technique de Mouton-Rothschild, ndlr), j’ai poussé le raisonnement un peu plus loin. Patrick m’a présenté un jeune type du nom de Michel Rolland qui commençait à faire parler de lui. Il y avait ce jour-là Jean Pinchon, président de l’INAO (de 1983 à 1993, ndlr) et ancien directeur de cabinet d’Edgar Faure, ministre de l’Agriculture au milieu des années 60. Michel vinifiait un peu à Bordeaux, mais surtout il avait démarré avant tout le monde les vinifications au Chili et en Argentine et notamment du malbec, notre cépage à Cahors. Au passage, il faut savoir que ce cépage est celui qui a été le plus planté dans l’histoire du vignoble français. À Bordeaux, si vous regardez la plantation du vignoble aux XVIe-XVIIe siècles, il occupait une place importante. Évidemment, cela ne concerne par votre Champagne.
À propos de champagne, comment est né Lanson-BCC ?
P. B. : L’origine, c’est la grande amitié qui nous lie, Bruno Paillard et moi-même. Je le connaissais dans les commencements de son activité de négoce et de courtage, nous travaillions ensemble sur l’Angleterre ainsi qu’avec son père Rémi, lui aussi courtier. En 1990, le père de Bruno a du subir une opération lourde et cesser son activité, il m’a proposé de la reprendre. Une nuit sans sommeil et le lendemain, je décidais de racheter. C’est de là que tout est parti. J’ai quitté Monsieur Burtin. Peu après, Bruno m’a confié qu’à son avis l’idéal serait d’avoir une maison ensemble. Il avait trouvé une affaire à vendre du nom de Victor-Canard qui avait créé Canard-Duchêne, passée entre-temps dans le giron de Veuve-Clicquot. Jean-Pierre Canard avait repris la maison de négoce de son père et rencontrait des difficultés. Bruno me propose alors de fonder une petite SARL. J’apportais l’affaire de son père, lui celle de Victor Canard, chacune des deux valant à l’époque un million de francs. En 1991, on démarre donc avec un négoce nommé Chanoine Frères, une marque cédée pour un franc symbolique par Joseph Henriot, à l’époque patron de Veuve-Clicquot, en échange de la radiation chez Victor-Canard de l’étiquette Eugène-Clicquot. Nous évitions ainsi de probables ennuis avec Canard-Duchêne et Veuve Clicquot.
Aujourd’hui, que représente le groupe ?
P. B. : Nous sommes le second groupe de négoce champenois, avec 450 emplois et 7 maisons. Chanoine Frères, évidemment. Boizel, en association avec Evelyne Boizel depuis 1994. Philipponnat, acquis en 1997 avec un beau vignoble, dont le Clos des Goisses. Ensuite, ce fut De Venoge. Nous savions vendre, mais étions à la recherche d’approvisionnements. En Champagne, il faut les deux. Puis vint Alexandre Bonnet aux Riceys, une quarantaine d’hectares. Cela aurait pu s’arrêter là, mais en 2005, nous nous sommes portés acquéreurs de la maison Burtin-Marne et Champagne, qui avait racheté Lanson et contenait Besserat de Bellefon. Ces sept maisons élaborent leurs vins et ont leur propre ADN, leurs dirigeants, leurs hommes. En 1996, nous sommes entrés en bourse sur le second marché, ce qui nous a permis de réaliser les acquisitions et investissements que je viens d’évoquer.
Et Richemont alors ?
A.-D. P. : Avec un chiffre d’affaires situé entre 11 et 12 milliards d’euros, Richemont est considéré par le métier comme le deuxième groupe de luxe au monde. LVMH en fait à peu près le double. Nous ne faisons pas du tout la même chose. Bernard Arnault a construit son empire sur les sacs Vuitton et Moët-Hennessy, une fusion menée tambour battant. Il réunit ensuite les parfums Dior et la couture. C’est l’affaire de mode la plus importante au monde. J’ai ramassé Cartier à peu près dans le même état où était Lagrézette, c’est-à-dire en ruine. C’est Robert Hocq, qui était mon second père, qui m’a embauché. La famille Hocq était propriétaire des briquets Silver-Match et Robert a créé un briquet ovale, à gaz, une jolie chose. Il a d’abord essayé de le vendre à Van Cleef, qui a refusé, avant d’essayer auprès de Cartier. J’ai été engagé en 1969 comme responsable du briquet Cartier. En quelques mois, je l’ai vendu dans toute l’Europe et je suis parti autour du monde, ça été un succès vertigineux. On est passé d’une poignée de briquets à 300 000. Aux prix de l’époque, c’était un empire. Après j’ai été en charge des Must de la maison. Un jour, un de nos collaborateurs avait répondu à une question de Hocq à propos d’une nouvelle montre qu’on lui montrait : « Monsieur, mais c’est un must. » Je me suis tourné vers Robert, qui ne parlait pas un mot d’anglais, et je lui ai dit que c’était un joli mot. J’ai suggéré qu’on le francise en créant « les Must de Cartier » et c’est devenu le succès que l’on sait. Aujourd’hui, Richemont est un groupe de vingt marques dont dix-sept concernent des produits “durables”, par opposition à ce qui, dans la mode, ne l’est pas. Cartier, Van Cleef, Mont-Blanc, Piaget, Jaeger-LeCoultre, etc. Nous sommes numéro 1 de l’horlogerie et numéro 1 de la joaillerie mondiale. Ajoutez Chloé, Azzedine Alaïa et Dunhill. Les bureaux signés Jean Nouvel sont à Genève et la société est cotée en Suisse. À ce jour, je reste chairman du comité stratégique.
De votre point de vue de patron d’entreprise, qu’est-ce qui ne va pas aujourd’hui en France ?
A.-D. P. : Rien ne va. On est un pays de création depuis toujours, un pays de mixité complète, on a inventé depuis trois ou quatre siècles l’essentiel de l’art de vivre dans le monde. À l’exception des Chinois, tout le reste vit sous l’influence de la France, celle des Lumières, de Louis XIV, de Louis XV, de l’Empire et on continue à être extrêmement créatifs. Nous sommes un pays d’invention et de connaissance. Vous croyez qu’ils savent faire ce qu’on fait Paillard et Baijot, les Anglais ? En moins de quarante ans ? Donc, on sait faire. La gauche a fichu un bordel noir, mais ceux d’avant aussi. Entreprendre en France ? Tout est compliqué, cher, dissuasif, unique au monde, même les pays communistes ne font pas ça. Les énarques ont tué ce pays. Mauvaise répartition des taux de TVA. Inventée pour renflouer intelligemment les caisses de l’État, elle est aujourd’hui inadaptée aux différents branches d’activités, à l’exception des restaurateurs qui se sont battus comme des lions. Charges absolument intolérables sur les salaires. Vous savez combien touche quelqu’un qui est payé 2 000 euros bruts ? Si on songe au prix du travail, qui est l’essentiel du savoir-faire français, l’alourdir ainsi empêche d’être concurrentiel. Après ça le monde politique vous chante le "made in France", c’est juste se foutre de notre gueule. Je continue. Alourdissement de la fiscalité sur les entreprises. On est passé de 24 % à 33,5 % d’impôt sur les bénéfices et en même temps on a totalement bloqué la gestion du personnel. Je passe ma vie à parcourir le monde, il n’y a pas un pays où l’on est à ce point empêché de licencier ou d’embaucher quand il faut. On ouvre le dimanche si on en a besoin. On ne licencie pas par plaisir. Le licenciement est une nécessité et un outil de gestion, pas une punition. Lorsqu’on le fait, c’est qu’on a perdu des clients ou qu’on traverse une période de morosité. Avec la politique actuelle, nous allons vers la destruction de milliers d’emplois. Les affaires sont arrêtées, le tourisme se porte mal, les hôtels sont vides.
P. B. : Je partage totalement ce qui vient d’être dit. En préambule, je tiens à préciser que je ne suis pas contre les syndicats. Un pouvoir d’opposition est nécessaire, il faut simplement qu’elle soit constructive. Nous sommes dans un des derniers pays communistes au monde. On est encore dans la lutte des classes et pour certains des syndicalistes que je fréquente au sein de mon groupe, je suis le patron, donc un salaud. Ces personnages minoritaires sont protégés par la loi. Je vous garantis que sans eux, on embaucherait beaucoup plus. En fait, ces gens n’ont à cœur que leur propre protection, pas celle de l’emploi. Je passe un temps inouï sur ces affaires sociales au détriment de l’énergie que je pourrais consacrer au développement. Ceci posé, la Champagne est exemplaire sur le plan de la gouvernance des approvisionnements, il y a là un réel partage de la valeur ajoutée et l’interprofession est une organisation absolument remarquable.
A.-D. P. : C’est le plus beau modèle économique du monde.
P. B. : Le problème en Champagne, c’est la CGT dans les caves, qui a un pouvoir de nuisance considérable.
A.-D. P. : Le prochain patron de ce pays doit faire ce que Chaban-Delmas avait fait, s’attaquer aux syndicats en premier, c’est le nœud gordien. Il faut des syndicats de notre temps. Les organisations syndicales allemandes, américaines, anglaises s’occupent de gérer l’argent des adhérents, améliorent leur retraite et leurs conditions de vie. Ce sont des gestionnaires qui négocient avec les pouvoirs publics. Je souhaite pour la France une liberté d’entreprendre à l’anglo-saxonne. Je considère qu’un employé est fait pour travailler et enrichir l’outil de production, pas pour être exploité, jamais. J’ai une bonne relation avec mes employés, ils savent que si je promets, je tiens.
Le luxe est un espace à part dans la bonne marche économique ?
P. B. : C’est essentiel, c’est lui qui fait rêver et entraîne le reste de l’activité. Ce clos-lanson 2006 que l’on vient de nous servir en est un exemple. À mon arrivée il y a dix ans, cette vigne d’un hectare en plein Reims, dont le sol est formidable, est entretenue par un vigneron prestataire. Immédiatement, nous la prenons en main pour la cultiver comme un jardin et je la fais classer en clos puisqu’elle est entourée de murs. Ce 2006 sort cette année avec 7 000 bouteilles, vendues 195 euros l’exemplaire. Depuis juin, nous en avons vendu 2 000 flacons.
Vous voulez dire que dans l’esprit des acheteurs,
c’est cher donc c’est bon ?
P. B. : Attention, il faut que ce soit bon. Mais le prix induit en effet l’idée de la qualité. Je n’invente rien. L’aventure Dom Pérignon, initiée par Mercier et poursuivie par Moët, s’est transformée en une épopée fabuleuse avec ses cinq ou six millions de bouteilles. C’est une locomotive formidable.
A.-D. P. : C’est là tout le secret. Il faut trouver des rêves à la mesure des gens qui les achètent. Quand vous produisez un nouveau champagne sur un jardin, il est évident qu’il faut le proposer à un prix pratiquement inatteignable. Et qui va acheter ? Les gens riches, qui sont des ambassadeurs extraordinaires. C’est l’exceptionnel qui tire une marque. Les Champenois sont les plus forts, ils ne vont pas vous taquiner avec des bouteilles à 6 ou 8 000 euros. Non, ils vont proposent des produits à 80 ou 100 euros, mais ils en servent des millions. Il y a là un effet volume et marge imbattable. Les Bordelais, notamment grâce à Albert Frère qui a fait grimper les prix de Cheval Blanc au début du nouveau millénaire, se sont régalés pendant quinze ans. Mais songez qu’il y a 13 000 châteaux à Bordeaux, cinquante succès planétaires et deux cents familles qui vivent du vin.
Un jour, au volant d’un bulldozer, vous avez écrasé des fausses montres Cartier. Si on ne peut pas tricher avec un vers de Racine ou de Corneille, on peut contrefaire un vin.
A.-D. P. : Oui, il y a un business énorme qui s’est développé depuis cinq ans en Chine, celui de la bouteille vide. Allez dans un restaurant, commandez un vin cher, mouton ou lafite ou un grand premier et observez bien le sommelier. Il va bichonner la bouteille bien au-delà de la coutume parce qu’il va la revendre vide pour 300 dollars. Dedans, on met de la bibine, on rebouche et ça part dans les provinces de l’est. Je m’élève contre ces pratiques et je dois dire que les Chinois collaborent activement pour enrayer ce phénomène qui relève de l’abus de confiance et de l’escroquerie. J’ai passé ma vie à lutter contre ça. Le bulldozer, je l’ai fait dans dix-huit pays. L’économie et l’emploi ont pâti cruellement de ces manières de faire.
P. B. : Nous menons encore et toujours notre combat pour la défense du mot champagne et Bruno Paillard est à la tête de la défense de l’appellation champagne. L’acception « méthode champenoise » est interdite hors de l’appellation qui a donné en échange le mot « crémant », qui peut être de Loire, de Bourgogne, d’Alsace, etc. Il y a encore des dossiers importants, notamment aux États-Unis où sont produits 100 millions de bouteilles sous le nom de champagne, c’est catastrophique. Le combat n’est pas terminé contre ces tricheries.
Vous dénoncez la lourdeur administrative de l’AOC et affirmez qu’il est préférable d’arracher les cépages mauvais ou inutiles.
A.-D. P. : Je confirme.
Que faites-vous alors des cépages modestes et de l’association de vignerons et d’amoureux de la diversité qui les défendent ?
A.-D. P. : Ce ne sont pas les mêmes. Ça, c’est génial. L’expression “cépages modestes” est belle et recouvre la réalité de cépages historiques, paysans, rustiques, oubliés, peu connus, mais qui sont de bons cépages. Rien à voir avec les cépages plantés au mauvais endroit, sur les terrasses en bordure de fleuve. Il faut que l’État ait du courage et les interdise. Ils font du mal au vin français. On les retrouve en grande distribution, arborant le nom de leur AOC. Ils sont imbuvables et parfois chers, c’est la honte de la France.
Que penser de la qualité de la formation en France ?
A.-D. P. : J’ai créé une école, Sup de Luxe, parce que les X, les Sup de Co, les Sciences-Po ne sont pas formés au monde que je connais, celui du luxe. Ceci posé, je m’insurge et me battrai jusqu’au bout contre les écoles qui prétendent dispenser une formation aux métiers du luxe, rackettent les parents et laissent leurs enfants sur le carreau au sortir de cette scolarité, avec un certificat sans valeur. D’un côté, l’État exige, et pourquoi pas, que les formations telles que les nôtres soient auditées à grands frais pour s’assurer du sérieux et de la qualité de l’enseignement et de l’autre, on laisse s’établir des margoulins qui n’ont même pas les profs pour assurer le passage des connaissances. C’est pareil dans le sport ou l’œnologie.
PB : J’essaie de donner leur chance aux jeunes, le stagiaire que je fus se souvient. C’est un devoir élémentaire, tendre la main fait partie de ma culture d’entreprise. Nous prévoyons l’après, nous avons autour de nous une pépinière de cadres en devenir. Ils sont essentiellement venus de la région Champagne, bassin naturel de nos emplois. Notre filiale en Angleterre fait de même pour les jeunes Anglais et pour les États-Unis, où les Américains sont éduqués à nos produits et à la vente. Ils viennent séjourner à Reims pour s’imprégner de notre sensibilité, de l’histoire de nos marques et de l’invention de notre processus agro-industriel.
La langue des affaires, c’est l’anglais. La culture dominante est-elle celle de l’économie dominante ?
A.-D. P. : Dans le groupe, nous ne parlons qu’anglais et sur les 33 000 employés, il doit y en avoir 20 000 qui ne parlent pas un mot de français. Dans les grands groupes, c’est inévitable. LVMH, c’est pareil. Au siècle des Lumières, tout le monde parlait français. Chaque fois que ce pays possède un atout dans son jeu, il le perd. C’est un peu caricatural, mais pas loin d’être vrai.
Ainsi, nous étions universels au XVIIe et XVIIIe siècles. Quelles sont les perspectives de la viticulture française dans ce contexte mondialisé ?
PB : On ne peut sortir que par le haut, par l’excellence.
A.-D. P. : Nous n’avons jamais dit que la viticulture française était à la rue. Nous sommes toujours les premiers producteurs mondiaux et, surtout, les premiers consommateurs. Nous avons une image de suprématie qualitative avec une offre haut de gamme étalée qui donne un reflet de la France assez époustouflant, mais sur de petits volumes, parce que nous sommes moins bons pour vendre. Les Italiens, qui produisent grosso modo autant que nous et consomment un peu moins que nous, vendent deux fois plus cher. Ils sont forts aux États-Unis du fait de leur omniprésence dans la restauration.
Le négociant américain Gallo consacre à sa communication l’équivalent du budget de toutes les AOC françaises,
que peut-on faire ?
A.-D. P. : C’est affaire de proportion. Gallo est face à un marché de 340 millions de consommateurs, c’est le Pierre Castel américain. Le marché de Pierre Castel en compte cinq fois moins, le ratio est à peu près le même. Gallo a profité de l’émergence de la consommation du vin dans un pays où l’on boit du scotch, de la bière et du coca-cola. Qui va concurrencer ces gens-là demain ? Ce sont les Chinois. Mon agent chinois représente 700 000 euros des 4,5 millions de chiffre d’affaires de Lagrézette. Il a des distributeurs dans toutes les provinces et m’a montré sur la carte les points rouges où Lagrézette est vendu. Je ne m’en suis pas remis, il y en avait 2 000. On est dans une autre dimension et demain Gallo ne sera plus le plus gros. Dans cinq ans, il y aura l’équivalent de deux Gallo en Chine, car en plus ils produisent.
Vos vins font-ils partie des “anciens”, représentants de la culture française, ou des “modernes” qui répondent à la demande ?
A.-D. P. : Je suis contre ce distinguo, il y a les bons et les mauvais. À Lagrézette j’ai mis quinze ans à faire bouger le malbec. Aujourd’hui, je n’ai pas honte, c’est très bon. Parker a écrit que le meilleur malbec du monde était français et c’est Le Pigeonnier de Lagrézette.
P. B. : Il est clair que chaque jour, nous essayons de faire de mieux en mieux, sans ignorer les habitudes de consommation. Lorsque j’étais enfant, le champagne était bu sur le gâteau. Nos prédécesseurs ont extrêmement bien joué, le champagne est passé du statut de vin de dessert à celui de vin d’apéritif. Dans une époque où les gens sont tenus de faire attention, s’il boivent un seul verre, c’est souvent du champagne.
A.-D. P. : Il est trop fort.
P. B. : Il est vrai que nous sommes attentifs aux tendances. Nous avons pris la mesure du phénomène du rosé, par exemple.
A.-D. P. : J’ai sorti un rosé à 55 euros, faut du courage, mais je le vends. C’est le Pigeonnier rosé. Mais enfin les Champenois sont les champions. Ils se sont débrouillés pour qu’on boive leur vin avant le repas et après. Vous savez que le champagne est une appellation d’origine contrôlée ? Et bien, c’est marqué où AOC sur la bouteille ? Nulle part. Ils se sont pas fait virer de l’INAO pour autant. Ils sont imbattables.
En 1981, vous avez pressenti la nécessité de rendre acceptable le luxe auprès des nouveaux dirigeants socialistes en leur signifiant votre intérêt pour l’art, n’était-ce que calcul ?
A.-D. P. : Ce fut ma chance. Enfant, j’ai été élevé entouré d’art et de bon vins et j’adore ça. Mais en effet, il fallait que Cartier sorte de cette image pré-bling-bling des années 80 et que l’on comprenne que la maison était un acteur de la société civile. J’ai créé la Fondation Cartier, poussé par César qui était un ami et défendait l’art contemporain. L’art est, sans aucun doute, le meilleur langage que l’entreprise peut utiliser pour parler au pouvoir.
Propos recueillis par Jean-Luc Barde au restaurant Le Taillevent à Paris, avec la complicité inspirée de son équipe. Ont été dégustés au cours de l’entretien : Champagne Lanson, Black Label Brut. Château Lagrézette, Le Pigeonnier viognier 2015, côtes-du-lot. Champagne Lanson, brut Blanc de Blancs. Château Lagrézette, Le Pigeonnier malbec rosé 2015, côtes-du-lot. Champagne Lanson, Clos Lanson 2006. Château Lagrézette 2012, cahors Paragon 2011 et Le Pigeonnier, cahors 2001. Champagne Lanson, brut Extra Age. Champagne Lanson, brut Extra Age rosé.
Biographies
Philippe Baijot. Né le 14 décembre 1949 à Guignicourt (Aisne). ESC Reims, inspecteur des ventes chez Abel Lepitre. Rencontre Gaston Burtin, patron de Marne-et-Champagne, en 1973. Travaille à ses côtés de 1975 à 1990. Création en 1991 de la maison de négoce Chanoine Frères en association avec Bruno Paillard. Introduction en bourse en 1996. Président de Lanson International diffusion. Alain-Dominique Perrin. Né le 10 octobre 1942 à Nantes (Loire-Atlantique). Diplômé en 1968 de l’École des cadres du commerce et des affaires économiques. Président de la société Cartier de 1975 à 1998. Achète le Château Lagrézette en 1979. Crée en 1984 la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Fonde en 1990 l’Institut supérieur du marketing de luxe. Vice-président du groupe Richemont en 1999.
Cette conversation s’est tenue en septembre 2016 au restaurant Taillevent, animée par Jean-Luc Barde et photographiée par Mathieu Garçon.
Pour mémoire, Philippe Baijot est le président de Lanson, Besserat de Bellefon et quelques autres marques au sein du groupe BCC co-piloté avec Bruno Paillard. Alain-Dominique Perrin, après avoir fait de Cartier la marque d’horlogerie et de joaillerie qu’on connaît, est devenu le président du groupe de luxe Richemont, il en est encore le patron du comité stratégique. Il est, à titre personnel, le propriétaire du beau château Lagrézette à Cahors.
Deux patrons du vin, du champagne, du luxe font le portrait d’un pays surdoué, la France, championne de l’art de vivre, ralentie dans son dynamisme et sa créativité par la complexité administrative, la lourdeur des charges et l’absence de dialogue social constructif.
Voici un plaidoyer ardent pour la liberté d’entreprendre.
Comment le vin vous est-il venu ?
Philippe Baijot : Le fruit du hasard, mon père était ardennais, dirigeait une fonderie avec son frère, rien à voir avec le champagne. J’ai terminé mes études à l’ESC Reims où j’avais des camarades dont les parents travaillaient dans le champagne. J’y ai rencontré Catherine, qui allait devenir ma femme. En 1973, le choc pétrolier affecte l’activité économique des maisons et je ne trouve pas de travail. Deux ans plus tard, je tente à nouveau ma chance. Trois réponses me parviennent, celles d’Abel Lepitre, Duval Leroy et Marne-et-Champagne, qui fait l’objet de mon choix premier. Je rencontre Gaston Burtin qui, au bout de quelques minutes, me dit gentiment que je n’y connais rien et m’enjoint d’aller apprendre le métier ailleurs. Nous convenons de nous revoir deux ans plus tard. Le lendemain, Jacques Lepitre m’engage comme inspecteur des ventes. Je suis ensuite entré chez Monsieur Burtin pour développer la marque Alfred Rothschild et je suis resté douze ans à ses côtés.
Alain-Dominique Perrin : C’est aussi un hasard total. Je cherchais une jolie propriété qui soit en dehors des axes Deauville, Saint-Tropez, Biarritz et j’ai trouvé en 1979 ce très beau château Renaissance en cours de classement, Lagrézette. À la signature chez le notaire, l’officier m’annonce gravement :
« Monsieur, il y a un bonus à votre achat, 3,5 hectares et demi de droits de plantation. » Je m’étonne : « Je n’ai jamais entendu parler de ça, serait-ce pour planter du haschich ? » « Non Monsieur, c’est très sérieux. Il s’agit de droits vous autorisant à planter de la vigne dans la limite AOC de Cahors. » AOC ? Appellation d’origine contrôlée, me dit-il. Voilà où j’en étais. Il me fait un cours, m’explique l’essentiel et je découvre que dans le panel étendu des tracasseries administratives de ce pays, il y en a une que je ne connaissais pas. Il faut demander l’autorisation de planter de la vigne. Est-ce bien ça ? « Oui Monsieur, en effet. » Et bien, ça n’est guère encourageant, mais puisque vous me les donnez, je vais planter.
Mais tout de même, vous buviez du vin ?
A.-D. P. : Perrin, c’est la Bourgogne, j’ai été élevé dans cette pratique du kidnapping de gorgées de vin dans le verre de l’un de mes frères ou de ma mère. Mon père, je n’essayais pas. J’ai été entouré de bons vins. Toute mon enfance, ils furent une présence familière, c’est tout. Là, 3,5 hectares de droits de plantation que le notaire m’encourage bougrement à planter, ça me semblait insuffisant. Il restait une vigne en friche et deux bœufs qui paissaient là paisiblement. La parcelle est devenue Le Pigeonnier du château Lagrézette. Aujourd’hui, j’ai 93 hectares. En 1979, je suis allé voir le maire de Caillac qui a accepté de m’aider à planter les vignes supplémentaires. Bien, et le vin comment on fait ? Avec son accent du sud-ouest, il m’a dit : « Vous arrivez ici, ne faites pas trop de vagues, il faut aller à la coopérative. » Bon, j’y suis allé. J’étais plutôt fier, d’autant que mon premier vin en 1985 a reçu la médaille d’or du concours de Vinexpo. Comme j’avais quelques copains dans le milieu, dont Patrick Léon (directeur technique de Mouton-Rothschild, ndlr), j’ai poussé le raisonnement un peu plus loin. Patrick m’a présenté un jeune type du nom de Michel Rolland qui commençait à faire parler de lui. Il y avait ce jour-là Jean Pinchon, président de l’INAO (de 1983 à 1993, ndlr) et ancien directeur de cabinet d’Edgar Faure, ministre de l’Agriculture au milieu des années 60. Michel vinifiait un peu à Bordeaux, mais surtout il avait démarré avant tout le monde les vinifications au Chili et en Argentine et notamment du malbec, notre cépage à Cahors. Au passage, il faut savoir que ce cépage est celui qui a été le plus planté dans l’histoire du vignoble français. À Bordeaux, si vous regardez la plantation du vignoble aux XVIe-XVIIe siècles, il occupait une place importante. Évidemment, cela ne concerne par votre Champagne.
À propos de champagne, comment est né Lanson-BCC ?
P. B. : L’origine, c’est la grande amitié qui nous lie, Bruno Paillard et moi-même. Je le connaissais dans les commencements de son activité de négoce et de courtage, nous travaillions ensemble sur l’Angleterre ainsi qu’avec son père Rémi, lui aussi courtier. En 1990, le père de Bruno a du subir une opération lourde et cesser son activité, il m’a proposé de la reprendre. Une nuit sans sommeil et le lendemain, je décidais de racheter. C’est de là que tout est parti. J’ai quitté Monsieur Burtin. Peu après, Bruno m’a confié qu’à son avis l’idéal serait d’avoir une maison ensemble. Il avait trouvé une affaire à vendre du nom de Victor-Canard qui avait créé Canard-Duchêne, passée entre-temps dans le giron de Veuve-Clicquot. Jean-Pierre Canard avait repris la maison de négoce de son père et rencontrait des difficultés. Bruno me propose alors de fonder une petite SARL. J’apportais l’affaire de son père, lui celle de Victor Canard, chacune des deux valant à l’époque un million de francs. En 1991, on démarre donc avec un négoce nommé Chanoine Frères, une marque cédée pour un franc symbolique par Joseph Henriot, à l’époque patron de Veuve-Clicquot, en échange de la radiation chez Victor-Canard de l’étiquette Eugène-Clicquot. Nous évitions ainsi de probables ennuis avec Canard-Duchêne et Veuve Clicquot.
Aujourd’hui, que représente le groupe ?
P. B. : Nous sommes le second groupe de négoce champenois, avec 450 emplois et 7 maisons. Chanoine Frères, évidemment. Boizel, en association avec Evelyne Boizel depuis 1994. Philipponnat, acquis en 1997 avec un beau vignoble, dont le Clos des Goisses. Ensuite, ce fut De Venoge. Nous savions vendre, mais étions à la recherche d’approvisionnements. En Champagne, il faut les deux. Puis vint Alexandre Bonnet aux Riceys, une quarantaine d’hectares. Cela aurait pu s’arrêter là, mais en 2005, nous nous sommes portés acquéreurs de la maison Burtin-Marne et Champagne, qui avait racheté Lanson et contenait Besserat de Bellefon. Ces sept maisons élaborent leurs vins et ont leur propre ADN, leurs dirigeants, leurs hommes. En 1996, nous sommes entrés en bourse sur le second marché, ce qui nous a permis de réaliser les acquisitions et investissements que je viens d’évoquer.
Et Richemont alors ?
A.-D. P. : Avec un chiffre d’affaires situé entre 11 et 12 milliards d’euros, Richemont est considéré par le métier comme le deuxième groupe de luxe au monde. LVMH en fait à peu près le double. Nous ne faisons pas du tout la même chose. Bernard Arnault a construit son empire sur les sacs Vuitton et Moët-Hennessy, une fusion menée tambour battant. Il réunit ensuite les parfums Dior et la couture. C’est l’affaire de mode la plus importante au monde. J’ai ramassé Cartier à peu près dans le même état où était Lagrézette, c’est-à-dire en ruine. C’est Robert Hocq, qui était mon second père, qui m’a embauché. La famille Hocq était propriétaire des briquets Silver-Match et Robert a créé un briquet ovale, à gaz, une jolie chose. Il a d’abord essayé de le vendre à Van Cleef, qui a refusé, avant d’essayer auprès de Cartier. J’ai été engagé en 1969 comme responsable du briquet Cartier. En quelques mois, je l’ai vendu dans toute l’Europe et je suis parti autour du monde, ça été un succès vertigineux. On est passé d’une poignée de briquets à 300 000. Aux prix de l’époque, c’était un empire. Après j’ai été en charge des Must de la maison. Un jour, un de nos collaborateurs avait répondu à une question de Hocq à propos d’une nouvelle montre qu’on lui montrait : « Monsieur, mais c’est un must. » Je me suis tourné vers Robert, qui ne parlait pas un mot d’anglais, et je lui ai dit que c’était un joli mot. J’ai suggéré qu’on le francise en créant « les Must de Cartier » et c’est devenu le succès que l’on sait. Aujourd’hui, Richemont est un groupe de vingt marques dont dix-sept concernent des produits “durables”, par opposition à ce qui, dans la mode, ne l’est pas. Cartier, Van Cleef, Mont-Blanc, Piaget, Jaeger-LeCoultre, etc. Nous sommes numéro 1 de l’horlogerie et numéro 1 de la joaillerie mondiale. Ajoutez Chloé, Azzedine Alaïa et Dunhill. Les bureaux signés Jean Nouvel sont à Genève et la société est cotée en Suisse. À ce jour, je reste chairman du comité stratégique.
De votre point de vue de patron d’entreprise, qu’est-ce qui ne va pas aujourd’hui en France ?
A.-D. P. : Rien ne va. On est un pays de création depuis toujours, un pays de mixité complète, on a inventé depuis trois ou quatre siècles l’essentiel de l’art de vivre dans le monde. À l’exception des Chinois, tout le reste vit sous l’influence de la France, celle des Lumières, de Louis XIV, de Louis XV, de l’Empire et on continue à être extrêmement créatifs. Nous sommes un pays d’invention et de connaissance. Vous croyez qu’ils savent faire ce qu’on fait Paillard et Baijot, les Anglais ? En moins de quarante ans ? Donc, on sait faire. La gauche a fichu un bordel noir, mais ceux d’avant aussi. Entreprendre en France ? Tout est compliqué, cher, dissuasif, unique au monde, même les pays communistes ne font pas ça. Les énarques ont tué ce pays. Mauvaise répartition des taux de TVA. Inventée pour renflouer intelligemment les caisses de l’État, elle est aujourd’hui inadaptée aux différents branches d’activités, à l’exception des restaurateurs qui se sont battus comme des lions. Charges absolument intolérables sur les salaires. Vous savez combien touche quelqu’un qui est payé 2 000 euros bruts ? Si on songe au prix du travail, qui est l’essentiel du savoir-faire français, l’alourdir ainsi empêche d’être concurrentiel. Après ça le monde politique vous chante le "made in France", c’est juste se foutre de notre gueule. Je continue. Alourdissement de la fiscalité sur les entreprises. On est passé de 24 % à 33,5 % d’impôt sur les bénéfices et en même temps on a totalement bloqué la gestion du personnel. Je passe ma vie à parcourir le monde, il n’y a pas un pays où l’on est à ce point empêché de licencier ou d’embaucher quand il faut. On ouvre le dimanche si on en a besoin. On ne licencie pas par plaisir. Le licenciement est une nécessité et un outil de gestion, pas une punition. Lorsqu’on le fait, c’est qu’on a perdu des clients ou qu’on traverse une période de morosité. Avec la politique actuelle, nous allons vers la destruction de milliers d’emplois. Les affaires sont arrêtées, le tourisme se porte mal, les hôtels sont vides.
P. B. : Je partage totalement ce qui vient d’être dit. En préambule, je tiens à préciser que je ne suis pas contre les syndicats. Un pouvoir d’opposition est nécessaire, il faut simplement qu’elle soit constructive. Nous sommes dans un des derniers pays communistes au monde. On est encore dans la lutte des classes et pour certains des syndicalistes que je fréquente au sein de mon groupe, je suis le patron, donc un salaud. Ces personnages minoritaires sont protégés par la loi. Je vous garantis que sans eux, on embaucherait beaucoup plus. En fait, ces gens n’ont à cœur que leur propre protection, pas celle de l’emploi. Je passe un temps inouï sur ces affaires sociales au détriment de l’énergie que je pourrais consacrer au développement. Ceci posé, la Champagne est exemplaire sur le plan de la gouvernance des approvisionnements, il y a là un réel partage de la valeur ajoutée et l’interprofession est une organisation absolument remarquable.
A.-D. P. : C’est le plus beau modèle économique du monde.
P. B. : Le problème en Champagne, c’est la CGT dans les caves, qui a un pouvoir de nuisance considérable.
A.-D. P. : Le prochain patron de ce pays doit faire ce que Chaban-Delmas avait fait, s’attaquer aux syndicats en premier, c’est le nœud gordien. Il faut des syndicats de notre temps. Les organisations syndicales allemandes, américaines, anglaises s’occupent de gérer l’argent des adhérents, améliorent leur retraite et leurs conditions de vie. Ce sont des gestionnaires qui négocient avec les pouvoirs publics. Je souhaite pour la France une liberté d’entreprendre à l’anglo-saxonne. Je considère qu’un employé est fait pour travailler et enrichir l’outil de production, pas pour être exploité, jamais. J’ai une bonne relation avec mes employés, ils savent que si je promets, je tiens.
Le luxe est un espace à part dans la bonne marche économique ?
P. B. : C’est essentiel, c’est lui qui fait rêver et entraîne le reste de l’activité. Ce clos-lanson 2006 que l’on vient de nous servir en est un exemple. À mon arrivée il y a dix ans, cette vigne d’un hectare en plein Reims, dont le sol est formidable, est entretenue par un vigneron prestataire. Immédiatement, nous la prenons en main pour la cultiver comme un jardin et je la fais classer en clos puisqu’elle est entourée de murs. Ce 2006 sort cette année avec 7 000 bouteilles, vendues 195 euros l’exemplaire. Depuis juin, nous en avons vendu 2 000 flacons.
Vous voulez dire que dans l’esprit des acheteurs,
c’est cher donc c’est bon ?
P. B. : Attention, il faut que ce soit bon. Mais le prix induit en effet l’idée de la qualité. Je n’invente rien. L’aventure Dom Pérignon, initiée par Mercier et poursuivie par Moët, s’est transformée en une épopée fabuleuse avec ses cinq ou six millions de bouteilles. C’est une locomotive formidable.
A.-D. P. : C’est là tout le secret. Il faut trouver des rêves à la mesure des gens qui les achètent. Quand vous produisez un nouveau champagne sur un jardin, il est évident qu’il faut le proposer à un prix pratiquement inatteignable. Et qui va acheter ? Les gens riches, qui sont des ambassadeurs extraordinaires. C’est l’exceptionnel qui tire une marque. Les Champenois sont les plus forts, ils ne vont pas vous taquiner avec des bouteilles à 6 ou 8 000 euros. Non, ils vont proposent des produits à 80 ou 100 euros, mais ils en servent des millions. Il y a là un effet volume et marge imbattable. Les Bordelais, notamment grâce à Albert Frère qui a fait grimper les prix de Cheval Blanc au début du nouveau millénaire, se sont régalés pendant quinze ans. Mais songez qu’il y a 13 000 châteaux à Bordeaux, cinquante succès planétaires et deux cents familles qui vivent du vin.
Un jour, au volant d’un bulldozer, vous avez écrasé des fausses montres Cartier. Si on ne peut pas tricher avec un vers de Racine ou de Corneille, on peut contrefaire un vin.
A.-D. P. : Oui, il y a un business énorme qui s’est développé depuis cinq ans en Chine, celui de la bouteille vide. Allez dans un restaurant, commandez un vin cher, mouton ou lafite ou un grand premier et observez bien le sommelier. Il va bichonner la bouteille bien au-delà de la coutume parce qu’il va la revendre vide pour 300 dollars. Dedans, on met de la bibine, on rebouche et ça part dans les provinces de l’est. Je m’élève contre ces pratiques et je dois dire que les Chinois collaborent activement pour enrayer ce phénomène qui relève de l’abus de confiance et de l’escroquerie. J’ai passé ma vie à lutter contre ça. Le bulldozer, je l’ai fait dans dix-huit pays. L’économie et l’emploi ont pâti cruellement de ces manières de faire.
P. B. : Nous menons encore et toujours notre combat pour la défense du mot champagne et Bruno Paillard est à la tête de la défense de l’appellation champagne. L’acception « méthode champenoise » est interdite hors de l’appellation qui a donné en échange le mot « crémant », qui peut être de Loire, de Bourgogne, d’Alsace, etc. Il y a encore des dossiers importants, notamment aux États-Unis où sont produits 100 millions de bouteilles sous le nom de champagne, c’est catastrophique. Le combat n’est pas terminé contre ces tricheries.
Vous dénoncez la lourdeur administrative de l’AOC et affirmez qu’il est préférable d’arracher les cépages mauvais ou inutiles.
A.-D. P. : Je confirme.
Que faites-vous alors des cépages modestes et de l’association de vignerons et d’amoureux de la diversité qui les défendent ?
A.-D. P. : Ce ne sont pas les mêmes. Ça, c’est génial. L’expression “cépages modestes” est belle et recouvre la réalité de cépages historiques, paysans, rustiques, oubliés, peu connus, mais qui sont de bons cépages. Rien à voir avec les cépages plantés au mauvais endroit, sur les terrasses en bordure de fleuve. Il faut que l’État ait du courage et les interdise. Ils font du mal au vin français. On les retrouve en grande distribution, arborant le nom de leur AOC. Ils sont imbuvables et parfois chers, c’est la honte de la France.
Que penser de la qualité de la formation en France ?
A.-D. P. : J’ai créé une école, Sup de Luxe, parce que les X, les Sup de Co, les Sciences-Po ne sont pas formés au monde que je connais, celui du luxe. Ceci posé, je m’insurge et me battrai jusqu’au bout contre les écoles qui prétendent dispenser une formation aux métiers du luxe, rackettent les parents et laissent leurs enfants sur le carreau au sortir de cette scolarité, avec un certificat sans valeur. D’un côté, l’État exige, et pourquoi pas, que les formations telles que les nôtres soient auditées à grands frais pour s’assurer du sérieux et de la qualité de l’enseignement et de l’autre, on laisse s’établir des margoulins qui n’ont même pas les profs pour assurer le passage des connaissances. C’est pareil dans le sport ou l’œnologie.
PB : J’essaie de donner leur chance aux jeunes, le stagiaire que je fus se souvient. C’est un devoir élémentaire, tendre la main fait partie de ma culture d’entreprise. Nous prévoyons l’après, nous avons autour de nous une pépinière de cadres en devenir. Ils sont essentiellement venus de la région Champagne, bassin naturel de nos emplois. Notre filiale en Angleterre fait de même pour les jeunes Anglais et pour les États-Unis, où les Américains sont éduqués à nos produits et à la vente. Ils viennent séjourner à Reims pour s’imprégner de notre sensibilité, de l’histoire de nos marques et de l’invention de notre processus agro-industriel.
La langue des affaires, c’est l’anglais. La culture dominante est-elle celle de l’économie dominante ?
A.-D. P. : Dans le groupe, nous ne parlons qu’anglais et sur les 33 000 employés, il doit y en avoir 20 000 qui ne parlent pas un mot de français. Dans les grands groupes, c’est inévitable. LVMH, c’est pareil. Au siècle des Lumières, tout le monde parlait français. Chaque fois que ce pays possède un atout dans son jeu, il le perd. C’est un peu caricatural, mais pas loin d’être vrai.
Ainsi, nous étions universels au XVIIe et XVIIIe siècles. Quelles sont les perspectives de la viticulture française dans ce contexte mondialisé ?
PB : On ne peut sortir que par le haut, par l’excellence.
A.-D. P. : Nous n’avons jamais dit que la viticulture française était à la rue. Nous sommes toujours les premiers producteurs mondiaux et, surtout, les premiers consommateurs. Nous avons une image de suprématie qualitative avec une offre haut de gamme étalée qui donne un reflet de la France assez époustouflant, mais sur de petits volumes, parce que nous sommes moins bons pour vendre. Les Italiens, qui produisent grosso modo autant que nous et consomment un peu moins que nous, vendent deux fois plus cher. Ils sont forts aux États-Unis du fait de leur omniprésence dans la restauration.
Le négociant américain Gallo consacre à sa communication l’équivalent du budget de toutes les AOC françaises,
que peut-on faire ?
A.-D. P. : C’est affaire de proportion. Gallo est face à un marché de 340 millions de consommateurs, c’est le Pierre Castel américain. Le marché de Pierre Castel en compte cinq fois moins, le ratio est à peu près le même. Gallo a profité de l’émergence de la consommation du vin dans un pays où l’on boit du scotch, de la bière et du coca-cola. Qui va concurrencer ces gens-là demain ? Ce sont les Chinois. Mon agent chinois représente 700 000 euros des 4,5 millions de chiffre d’affaires de Lagrézette. Il a des distributeurs dans toutes les provinces et m’a montré sur la carte les points rouges où Lagrézette est vendu. Je ne m’en suis pas remis, il y en avait 2 000. On est dans une autre dimension et demain Gallo ne sera plus le plus gros. Dans cinq ans, il y aura l’équivalent de deux Gallo en Chine, car en plus ils produisent.
Vos vins font-ils partie des “anciens”, représentants de la culture française, ou des “modernes” qui répondent à la demande ?
A.-D. P. : Je suis contre ce distinguo, il y a les bons et les mauvais. À Lagrézette j’ai mis quinze ans à faire bouger le malbec. Aujourd’hui, je n’ai pas honte, c’est très bon. Parker a écrit que le meilleur malbec du monde était français et c’est Le Pigeonnier de Lagrézette.
P. B. : Il est clair que chaque jour, nous essayons de faire de mieux en mieux, sans ignorer les habitudes de consommation. Lorsque j’étais enfant, le champagne était bu sur le gâteau. Nos prédécesseurs ont extrêmement bien joué, le champagne est passé du statut de vin de dessert à celui de vin d’apéritif. Dans une époque où les gens sont tenus de faire attention, s’il boivent un seul verre, c’est souvent du champagne.
A.-D. P. : Il est trop fort.
P. B. : Il est vrai que nous sommes attentifs aux tendances. Nous avons pris la mesure du phénomène du rosé, par exemple.
A.-D. P. : J’ai sorti un rosé à 55 euros, faut du courage, mais je le vends. C’est le Pigeonnier rosé. Mais enfin les Champenois sont les champions. Ils se sont débrouillés pour qu’on boive leur vin avant le repas et après. Vous savez que le champagne est une appellation d’origine contrôlée ? Et bien, c’est marqué où AOC sur la bouteille ? Nulle part. Ils se sont pas fait virer de l’INAO pour autant. Ils sont imbattables.
En 1981, vous avez pressenti la nécessité de rendre acceptable le luxe auprès des nouveaux dirigeants socialistes en leur signifiant votre intérêt pour l’art, n’était-ce que calcul ?
A.-D. P. : Ce fut ma chance. Enfant, j’ai été élevé entouré d’art et de bon vins et j’adore ça. Mais en effet, il fallait que Cartier sorte de cette image pré-bling-bling des années 80 et que l’on comprenne que la maison était un acteur de la société civile. J’ai créé la Fondation Cartier, poussé par César qui était un ami et défendait l’art contemporain. L’art est, sans aucun doute, le meilleur langage que l’entreprise peut utiliser pour parler au pouvoir.
De gauche à droite, Alain-Dominique Perrin et Philippe Baijot pendant notre déjeuner (photo Mathieu Garçon) |
Propos recueillis par Jean-Luc Barde au restaurant Le Taillevent à Paris, avec la complicité inspirée de son équipe. Ont été dégustés au cours de l’entretien : Champagne Lanson, Black Label Brut. Château Lagrézette, Le Pigeonnier viognier 2015, côtes-du-lot. Champagne Lanson, brut Blanc de Blancs. Château Lagrézette, Le Pigeonnier malbec rosé 2015, côtes-du-lot. Champagne Lanson, Clos Lanson 2006. Château Lagrézette 2012, cahors Paragon 2011 et Le Pigeonnier, cahors 2001. Champagne Lanson, brut Extra Age. Champagne Lanson, brut Extra Age rosé.
Biographies
Philippe Baijot. Né le 14 décembre 1949 à Guignicourt (Aisne). ESC Reims, inspecteur des ventes chez Abel Lepitre. Rencontre Gaston Burtin, patron de Marne-et-Champagne, en 1973. Travaille à ses côtés de 1975 à 1990. Création en 1991 de la maison de négoce Chanoine Frères en association avec Bruno Paillard. Introduction en bourse en 1996. Président de Lanson International diffusion. Alain-Dominique Perrin. Né le 10 octobre 1942 à Nantes (Loire-Atlantique). Diplômé en 1968 de l’École des cadres du commerce et des affaires économiques. Président de la société Cartier de 1975 à 1998. Achète le Château Lagrézette en 1979. Crée en 1984 la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Fonde en 1990 l’Institut supérieur du marketing de luxe. Vice-président du groupe Richemont en 1999.
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