Le blog de Nicolas de Rouyn
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées. Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui. (Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn
lundi 25 juin 2012
Dom Pérignon, David Lynch, The Kills
et les fantômes du Château Marmont
Voyage. Champagne Philipponnat, Rully 08 de chez Joseph Drouhin, Baron de Brane 07 second vin du Château Brane-Cantenac, Cognac Tesseron lot n°90.
On a bu tout ça au déjeuner dans l'avion. Et pas en mignonnettes, en vrai.
Le A380 est un très gros navion avec deux ponts (ou deux étages si vous préférez). Les espaces réservés à la classe "Affaires" sont en haut, à l'étage. Comme ce n’est pas pour profiter de la vue, hein, c'est pour quoi exactement ? La fatigue et les substances ingurgitées pour dormir (voir ci-dessus) commencent à faire leur effet démultiplié par l'air comprimé de la cabine, l'esprit est en promenade, je me dis que si on met les riches en haut et les pauvres en bas, c'est soit par un vieux réflexe sociétal, une sorte de panurgisme de la symbolique, soit par calcul. Et, finalement j'ai compris. On met les pauvres en bas pour que, en cas d'atterrissage forcé, ils fassent aux riches un rempart de leurs corps, c’est horrible. La classe Éco, c'est la crash-box de la classe Affaires. En payant plus, t'as plus. De chances, entre autres. À peine le temps de réaliser que c'est pareil avec les autos (les Benz et les Modus, on voit tout de suite qui a une chance au cas où sur la quatre-voies), on nous propose une énième collation fatiguée-fatigante signée Guy Martin, ça fait pas rêver et même ma voisine (Américaine du côté des burgers et du surpoids) demande autre chose à manger. Guy, tu devrais pas jouer avec ta réputation, ça va mal finir. Je ne comprends pas pourquoi ces gens du catering (avitaillement, en français) s'évertuent à servir des trucs atroces sous des libellés avantageux alors que c'est sans solution. Même ton père, il avait compris. Pour le pique-nique, il prenait du bon fromage, du bon jambon et du bon pain et tout le monde était content. Là, on n’a que le bon vin. Au lieu de se payer un grand chef qui signe des merdes pour des gens pas contents dans une admirable virevolte perdant-perdant, comme disait Ségolène Royal, il irait chercher un bon boulanger, un fromager conscient et un charcutier espagnol, on serait bien, on serait content.
Hôtel. C’est comme si tu te baladais dans la vie de Mick Jagger, c’est le Château Marmont. Le mythe hôtelier le plus tout. Grande bâtisse construite dans les années 20, le Marmont était destiné à être vendu en appartements. Et puis, non, ce sera un hôtel. Il a vu défiler tout ce que le cinéma (on est à Hollywood, sur Sunset Boulevard) compte de célébrités extrêmes. Beaucoup y vivaient à l’année, certains y sont morts (Jim Belushi, Helmut Newton, d’autres fantômes). Le temps passant, les rockers sont venus appuyer les acteurs, puis le reste du monde, les top-models, les businessmen décalés (Branson, Jobs, etc.), moi, mes potes… Il faut dire que dans le genre palace, plus cool, il n’y pas. Le dernier du genre avec cendrier et allumettes en évidence sur la table basse de ta chambre. Et ce n’est même pas très cher. J’ai croisé Kylie Minogue dans un couloir, elle m’a fait un bon sourire. Ce doit être l’effet California. Tu croises Marie-Thérèse Le Trouézec dans les couloirs de l’Ibis de Saint-Brieuc, le sourire, c’est pas gagné.
Au-dessus de mon pool-bungalow cher à Keith Richards, il y a un immense billboard de pub Gucci. La fille me regarde avec des yeux, la bouche ouverte, le Marmont est dans son siècle, ce n’est pas un musée de la nostalgia.
Un débat s’est engagé entre mes potes et moi sur l’origine du nom « Marmont ». La vérité est là : il s’agit d’une contraction des mots espagnols mar et monte, mer et montagne. Marmont, c’est une indication géographique, et voilà. L’hypothèse d’un vague maréchal inconnu et traître à Bonaparte (en plus) est une pure construction wikipédiesque que nous avons balayée d’une coupe de dom-pérignon et d’un grand rire. Cela dit, personne au Marmont n’a su nous donner de réponse fiable.
David Lynch. Le réalisateur, star du cinéma indépendant américain, amoureux de Paris et de la méditation transcendantale, drôle et intelligent, s’est vu confier la charge de la communication des champagnes Dom Pérignon, blanc et rosé. Ce qu’il a fait est très artistique et bien dans la marque, c'est moins plan-plan que ce que faisait Karl Lagerfeld. On n’est pas obligé d’aimer, mais c’est là et ça tient la route. Il a donné une journée d’interviews aux journalistes présents, dont nous. L’un d’entre nous lui a demandé s’il aimait le vin. Sa réponse : « J’aime le vin. Le bordeaux. Et, oui monsieur, le lynch-bages. » Il est drôle, vous dis-je. En plus, il est net. À la question de savoir ce qu’il faisait à dessiner des packagings, la réponse fuse : « Money ». Et hop. Il n’a pas fait de film depuis dix ans, il faut dire. Les marques de luxe sont-elles les derniers grands mécènes des artistes en rupture de ?
The Kills. La surprise du chef. Le chef, c’est Richard Geoffroy, chef de caves de Dom Pérignon et patron de l’œnologie du groupe Moët & Chandon, icône dite baroque de la Champagne et du champagne. Pour présenter au monde ébahi la création de David Lynch, il avait convoqué la cour et la campagne dans un garage (un très grand garage, pas celui dans lequel vous rangez la Modus). Le public de Los Angeles, stars, demi-stars et wannabes, et nous, la presse mondialisante. Là, on parlait toutes les langues. Et on buvait du dom-p dans des verres Riedel vachement bien, un modèle que je ne connaissais pas, très beau, très efficace. Une ambiance incroyable, une tension folle, ce n’est pas un cocktail au Faubourg. Et voilà le grand barnum, un concert privé des Kills, introduit par David Lynch qui a repris les mots de ceux qui faisaient la même chose dans les concerts d’Elvis « hold on to your hats ». The Kills est un groupe de rock composé d’un garçon et d’une fille, avec deux percussionnistes et basta. Le garçon est également connu pour être le mari de Kate Moss, qui était là. De l’état civil de la fille, on ne sait rien (enfin, moi), mais la force est une beauté. Ils sont très lookés, savent d’où ils viennent, la Rickenbacker et l’ampli Vox en revival des sixties sans rien surjouer et la pêche des MC5, la colère sans le déferlement exagéré. Les deux font un bruit d’enfer, mais c’est incroyablement exciting, ils tiennent la scène comme personne. Des trois cents invités, la moitié seulement s’intéresse, ce qui fait un concert très agréable à suivre, less is more. J’étais collé à la scène comme une groupie que je suis, je n’ai rien raté, les stridences de la guitare du garçon m’ont transpercé la tête bien proprement et les hurlements de la fille, pareil. Tu décolles du sol, tu n'es plus sujet à l'attraction terrestre, j’ai adoré. Des serveurs passaient avec des plateaux de dom-p blanc ou rosé, un des tout meilleurs du genre. Je suis parti le dernier, ravi et extatique comme un socialiste devant une voiture de fonction.
Les photos : les images qui vont avec les mots, c'est grâce à mon Ni-Phone
dimanche 24 juin 2012
Ce matin, achetez le JDD
vendredi 22 juin 2012
It’s good to be the king
Voilà un premières-côtes-de-bordeaux qui ne se mouche pas du coude. Lafitte-King, en vente libre en Chine pour la misérable somme de 400 euros (soit 3 400 yuans à peu près). Et toujours le logo aux flèches de la maison Rothschild, tous cousins confondus. Une belle image à rapprocher de celle-ci qui reste en tête de la contrefaçon la plus drôle. La question : est-ce un premières-côtes ou ça aussi, c’est une contrefaçon ? Question subsidiaire : c’est bon à boire, ce machin ?
La photo : merci à la jolie Xiaoning (notre envoyée spéciale dans l'Empire du milliard) de m’avoir adressé ce témoignage vibrant de la créativité de certains de ses compatriotes.
jeudi 21 juin 2012
Dom-Pérignon, David Lynch, The Kills
(le flyer)
Tous les détails et les photos très vite, ici même. Mais ce soir avec un iPad rétif, non.
lundi 18 juin 2012
BonVivant in english. Yes.
D'ici là, j'adore l'idée.
samedi 16 juin 2012
Le classement de Saint-Émilion
(revu et corrigé)
Nous publions aujourd’hui un long article de Thierry Desseauve sur le classement de Saint-Émilion, ce qu’il est, ce qu’il peut devenir et ce qu’on aimerait qu’il soit.
En effet, les dés sont jetés. Le classement est fait, ceux qui n’ont pas progressé malgré leur demande et ceux qui ont été rétrogradés ont été prévenu par courrier la semaine dernière. Ils ont quelques jours pour faire appel et se présenter devant le jury pour faire valoir leurs arguments. Ils ont même le droit de venir avec un avocat. Quand tous les mécontents auront été entendus, le classement sera alors publié (vers la fin de l’été).
D’ici là, mille menaces pèsent déjà sur ce classement et sur la cohésion de l’ensemble saint-émilionnais. Pour le classement, on espère quand même que les pros de Veritas, en charge de son établissement, ont tout prévu pour éviter qu’il soit attaquable devant une juridiction civile. Pour la cohésion, c’est moins clair. Au détour des ruelles de l’admirable village, on entend les pires rumeurs. Certains murmurent que si Pavie et Angélus sont promus Premiers crus classés A, les deux autres se retirent du classement. Les deux autres, ce sont Cheval Blanc et Ausone. Pour connaître un peu les deux patrons de ces célèbres crus, cela me paraît parfaitement délirant. D’autres assurent que tel ou tel va, je cite
« exploser le classement ». Si tel était le cas, ce qui me semble quand même difficile, ce serait extrêmement préjudiciable à Saint-Émilion, son image, ses vins. En fait, il ne faut pas se leurrer. C’est le classement de la dernière chance. S’il est retoqué par les tribunaux, il n’y en aura plus d’autre. J'en vois d'ici qui se disent qu'on s'en fout complètement d'un classement. Courte vue de faux rebelles. Le classement est indispensable à une bonne lisibilité sur les marchés extérieurs.
Mais il est vrai qu’il y a des propriétaires qui préfèrent engager de grands avocats au lieu de se payer les services d’un bon consultant et de faire progresser leur production. Pourtant, ce n’est pas devant un tribunal qu’on gagne la confiance des amateurs, mais au fond d’un verre.
En attendant le feu d’artifice et les combats d’arrière-garde annoncés, Bettane+Desseauve prend ses responsabilités et annonce la couleur. L’article de Thierry dit ceux qui devraient connaître un meilleur sort et ceux qui devraient descendre d’un cran.
Ce qui ne devrait pas plaire à tout le monde, mais tant pis. Lisez-le et confrontez votre avis à celui de Thierry, c’est aussi un jeu amusant. Et l’occasion d’un débat sans fin.
Le classement de Saint-Émilion 2012 revu et corrigé par Thierry Desseauve, à lire sur mybettanedesseauve.fr
La photo : Saint-Émilion, vu de ma fenêtre et de mon Ni-Phone (la-gaffelière 1955, en magnum).
jeudi 14 juin 2012
Léoville-Poyferré, le mieux est l'ami du vin
Pour paraphraser une formule déjà oubliée, on peut dire qu’en Médoc, à Saint-Julien, les léovilles sont pluriels. Trois exactement. Ces trois châteaux sont le résultat d’anciens partages, une vaste propriété morcelée il y a longtemps, cette histoire de succession, d’héritage dont la France a tellement de mal à s’accommoder et qui lui fait tant de tort. Mais jusqu’à la Révolution, c’était la plus grande propriété viticole du Médoc.
Parmi les 23 châteaux dont les onze crus classés à Saint-Julien, il y a les trois Léoville. Celui de Monsieur Delon (non, pas Alain), celui de Monsieur Barton et celui de Monsieur Cuvelier. Des familles, en fait, qui sont propriétaires de Léoville-Las-Cases, Léoville-Barton et Léoville-Poyferré. Dans cet ordre, immuable depuis des années, cet ordre qui distingue la notoriété, la qualité et le prix. Mais, voilà qu’un vent de changement vient rebattre les cartes. Voilà que Léoville-Poyferré, sans doute las d’être le petit frère, vient affirmer sa volonté d’affranchissement. Ce qui n’est pas arrivé sur un caprice ou une soudaine crise de dynamisme.
La famille Cuvelier, négociants en vin à Lille, est arrivée à Poyferré en 1920, et c’est en 1979 que Didier Cuvelier prend les rênes du domaine. Il a 26 ans. À l’époque, il sortait d’un cursus universitaire sous la férule savante du grand Émile Peynaud dont Didier Cuvelier dit qu’il lui a énormément appris « et pas seulement les choses du vin, mais aussi le goût de l’observation, du travail et de la découverte ». D’entrée, le jeune homme qu’il était, déterminé, perfectionniste et instinctif, entreprend à Poyferré un très vaste programme de restauration à tous les niveaux. Il lui faudra dix ans pour que tout se mette en place et quelques années de plus pour que la vigne arrive à maturité et qu’enfin son vin avance à pas de géants. Depuis quelques millésimes et après ces années discrètes, c’est chose faite. Il est bien normal qu’il trouve que son meilleur millésime est 2009.
Laissons à Michel Bettane, fin connaisseur du Médoc, le soin d’expliquer cette histoire : « L'amélioration du vin du château Léoville-Poyferré, lente mais régulière depuis 1982, s'est considérablement accélérée dans les dix derniers millésimes, sous la direction sagement passionnée de Didier Cuvelier. Le point de départ de l'accélération a été la décision courageuse d'arracher une parcelle capitale du grand terroir du château, la plus proche de Latour, Pichon-Baron et Léoville-las-Cases, plantée sur des mauvais porte-greffes. Associée à une modernisation complète des installations de vinification (cuves mieux dessinées, plus petites, permettant un meilleur suivi parcellaire, et chai reconstruit) elle a permis, après de longues années d'attente de retrouver un âge moyen suffisant des vignes et de produire un vin digne de ces mêmes voisins. Chaque nouveau millésime depuis 2000 a vu des petites améliorations de détail dans le traitement de la vendange et les vinifications, qui ont rejoint, mais avec des moyens modernes, le chemin d'un classicisme indémodable de forme et de saveur. Cette démarche culmine dans un 2011 d'anthologie, pratiquement au niveau d'un premier cru classé. »
Là, le compliment est énorme. Si Michel Bettane est capable de dire ses quatre vérités à quelque propriétaire que ce soit, il est aussi capable d’enthousiasmes très argumentés. À propos de léoville-poyferré 2011, voici son commentaire :
« Un des vins les plus impressionnants du millésime en Médoc, grande couleur, grande texture, tanin ferme, mais mûr, magnifique persistance. Ici, l’achat en primeurs aura vraiment du sens. » Ce qui s’accompagne d’une note magnifique : 18 – 18,5 / 20. La boîte à médailles est pleine et chacun peut en tirer les conclusions qui s’imposent, Léoville-Poyferré est une valeur montante à Saint-Julien. En retrouvant le haut niveau, il renoue avec sa légende.
Cet article a été publié sous une forme différente dans le Hors-série Vin de L'Express daté juin-juillet 2012, en vente chez votre marchand de journaux
mardi 12 juin 2012
Yquem en primeurs ? Pas maintenant
La nouvelle a fait le tour du monde sur Twitter, ce matin. « Yquem sort des ventes en primeurs ». Bigre. Voilà Yquem qui rejoint Latour ? En fait, non. J’ai eu Pierre Lurton au téléphone, voici ce qu’il en dit :
« C’est une décision difficile à prendre, mais comme le ton de la campagne des primeurs est donné par les rouges, nous aurions eu beaucoup de mal à faire comprendre que 2011 est un millésime d’exception à Sauternes. Il vaut le fabuleux 2001. Mais le contexte n’est pas bon pour donner toutes ses chances à ce vin que nous aimons tous. Il ne s’agit pas pour nous de chercher à spéculer, mais nous souhaitons nous décaler pour pouvoir sortir dans les meilleures conditions. Je tiens à préciser que je ne sors pas Yquem du système des primeurs que je soutiens. Je ne m’associe pas du tout à la démarche de Château Latour. »
C’est ça qui est bien avec Lurton. Clair, net et précis. Toujours.
Nous retrouverons Yquem le moment venu, quand Pierre aura décidé que les conditions sont favorables.
Vous aussi, directeur ? L'éveil d'une vocation
Vous aussi, vous voulez diriger un château à Bordeaux ? Vous avez lu cet article et vous vous dites que vous aussi… Avant d’envoyer votre CV à tout le monde, lisez ce qui suit et demandez-vous si vous êtes capable de faire tout ce qui y est décrit. Si non, ne changez pas de métier, vous êtes très bien dans vos pantoufles.
Quelles sont les missions attribuées à ces professionnels ? Tout. Tout ce qui concerne la vie d’une entreprise vitivinicole.
La vigne, d’abord. Prendre la mesure de l’état du vignoble. Envisager les arrachages et les replantations. La hauteur du palissage. La qualité des porte-greffes. Estimer les besoins en drainage. Se pencher sur la parcellarisation du vignoble en fonction du sous-sol. L’étudier. Engager un chef de culture si le besoin s’en fait sentir. En fait, le besoin s’en fait sentir.
Le chai. Tout savoir des techniques et des matériels de pointe. Etre incollable sur le tri optique. Repenser toute la chaîne de réception des vendanges. Vouloir le gravitaire. Se faire une religion, ou pas, sur la cuvaison. Bois, inox, béton. Rencontrer des tonneliers. Savoir juger une chauffe. Commander des centaines de barriques pour une petite fortune et bien dormir, le soir même. Réfléchir à de plus grands contenants. Théoriser sur le boisé d’un vin. Engager un maître de chai (tout de suite).
La « green-attitude ». Comprendre les enjeux du bio. Tenter, peu à peu, de les appliquer. Prier le ciel. Réduire la consommation d’eau du chai. Prévoir des bassins d’épuration. Réfléchir au poids des bouteilles. Acheter une paire de percherons. Passer chez Pontet-Canet voir comment ça se passe. En faire grand cas. Hésiter. Plonger. Ou supporter le mépris de ceux qui ont plongé.
Les critiques. Le vin est un monde cruel. Partant du principe que toute activité qui requiert l’adhésion du public s’expose à des rejets, le directeur fera bien d’entretenir de bonnes relations avec tous les critiques, grands ou petits, reconnus ou autoproclamés. Tout en sachant que ça ne sert à rien, les critiques importants, c’est-à-dire utiles, ne tenant aucun compte de la qualité de leurs relations, mais jugeant seulement ce qu’ils ont dans le verre. Ils n’ont besoin que d’une minute pour ruiner une année de travail. Le savoir. Être prêt. Psychologiquement, s’entend.
Le commerce. Être présent dans tous les salons. New-York, Londres, Hong-Kong, Sao Paulo, Shanghai, Paris, Bruxelles. Recommencer ce circuit plusieurs fois par an. Aimer l’avion. Parler anglais. Avoir une carte pour les miles gratuits, la Gold Flying Blue, c’est mieux. Entretenir des rapports cordiaux avec les négociants sans céder à leurs oukases. Rencontrer des importateurs. Sécuriser les paiements. Se préoccuper des contrefaçons. Compter les sous.
La communication. Se donner une image et s’y tenir. Répondre sans bégayer aux interviews et se faire photographier. Etre photogénique, autant qu’il est possible. Changer de costume. Engager une attachée de presse. Y croire. Organiser plein de voyages de presse. Ne pas en attendre de miracles. Dîner dans de grands restaurants, convaincre les sommeliers de s’intéresser à votre vin. Réfléchir à une modernisation des étiquettes. Créer des micro-cuvées pour faire parler du domaine. Ou refuser de le faire et dire pourquoi. Avoir une stratégie lisible (c'est-à-dire facile à comprendre pour un journaliste, faites simple).
Le job. Convaincre votre patron-propriétaire que vous êtes l’homme de la situation, même par temps de grêle. Lui faire comprendre le sens de votre action. L’inciter à investir. Lui faire signer des devis stratosphériques avec un bon sourire. Faire valoir vos résultats. Former ses enfants qui, un jour, vous remplaceront ou tenteront de le faire. Vous faire augmenter. Rencontrer d’autres propriétaires, les rendre jaloux de ne vous avoir pas engagé. Saluer Bernard Magrez dans les salons. Lui rappeler que vous avez passé des années délicieuses avec lui. Ne pas tenir compte de son air dubitatif.
Être le meilleur en tout et le faire comprendre à tout le monde, tout le temps. D’ailleurs, c’est aujourd’hui le minimum requis dans tous les métiers sérieux. Sinon, il y a une autre solution, ici
La photo : Un directeur et un critique. Les relations sont cordiales, c’est déjà beau. Elles peuvent devenir plus rugueuses.
Photo Guy Charneau.
lundi 11 juin 2012
Mesdames, Messieurs, voici les directeurs
Ils ne sont pas propriétaires ou fils de, ils doivent être capables de tout faire et ils le font, leurs vins grimpent à l’assaut des classements. Qui sont ces cadres supérieurs du vignoble et du vin ?
Ce n’est pas à proprement parler une invention contemporaine. Déjà, dans les très grands châteaux du Médoc, les propriétaires confiaient les clés de l’exploitation à des professionnels compétents. On pense à Christophe Salin à Lafite ou à Jean-Bernard Delmas à Haut-Brion. Mais ce n’était pas la règle. Le plus souvent, le propriétaire assumait seul la direction de son domaine familial. Dans le cas où il possédait toutes les compétences requises ou avait eu la sagesse de s’y former, tout allait bien. Mais, dans de nombreux domaines, les choses se passaient comme elles s’étaient toujours passées, sans prendre vraiment garde aux évolutions du commerce, sans autre credo que la tradition familiale. Et ça ne suffisait pas toujours. C’est ainsi qu’on a vu bon nombre de propriétés sortir peu à peu de la shopping-list des amateurs parce que les vins étaient moins bons, que la Place de Bordeaux le savaient et en achetaient moins, puis plus du tout. Il fallait alors vendre le château, au bord du gouffre, à la casse.
Depuis quelques années, se développe une autre approche à grande échelle. Lucides, les propriétaires de beaux domaines se disent qu’ils pourraient peut-être mieux valoriser les marques qu’ils détiennent. Que ce vin à douze euros pourrait peut-être se vendre à quinze ou à vingt. Que ces chais vétustes mériteraient un coup de neuf. Qu’enfin, tout ce domaine est à reprendre de fond en comble. C’est important de ne pas laisser filer le patrimoine. Ils ont compris que le vin, et particulièrement les beaux châteaux bordelais, sont lancés dans une course à l’excellence et que ceux qui ne s’y engagent pas risquent fort de se retrouver échoués dans le sillage de leurs voisins plus réactifs. De très grandes familles bordelaises ont initié le mouvement en allant chercher un « directeur ». D’autres historiquement lointaines, on fait de même comme la famille Sénéclauze et son château Marquis de Terme, un cru classé de Margaux qui végétait gentiment. Mais où trouver ce genre de compétences ? Très évidemment, ils se sont tournés vers les quelques multi-propriétaires qui avaient déjà compris depuis longtemps ce qu’il fallait faire. Et, parmi ceux-ci, ils se sont intéressés aux méthodes et aux cadres qui gèrent les châteaux de Bernard Magrez, modèle du genre. Très vite, la structure de ce grand propriétaire est devenue un vivier dans lequel tous puisent sans vergogne des gens formés à la gestion la plus rigoureuse et la plus sérieuse. Ludovic David était l’un d’eux quand il a pris les commandes de Marquis de Terme. De ses années Magrez, il avoue de bons souvenirs : « En fait, c’était passionnant. Une bonne idée bien argumentée était toujours acceptée par monsieur Magrez et comme nous avions de gros moyens, nous pouvions faire bien et vite. » Comme dans n’importe quelle entreprise moderne. Pourquoi en irait-il autrement sous prétexte qu’il s’agit de vin ?
Regarder travailler des garçons comme Stephen Carrier au Château Fieuzal, Éric Monneret au Château La Pointe, à Pomerol ou Emmanuel Bonneau à Rollan-de-By, c’est un plaisir. Pourtant, ils dépendent de structures radicalement différentes. L’un doit convaincre un propriétaire irlandais, absent et fortuné, Lochlann Quinn. Le second rend des comptes à une grande compagnie d’assurance, Generali. Le troisième doit faire face à un propriétaire français hyper-actif, brillant et très concerné par son vignoble, Jean Guyon, un homme doté d’une vision. Tous les trois ont une solide formation universitaire, ils ont parcouru le vaste monde pour la compléter, ils ont déjà beaucoup d’expérience, ils sont précis, ils raisonnent en projets plus qu’en étiquettes. Ils ne sont pas Bordelais dans l’âme, mais dans l’exercice. Ils ont ce côté « capables de tout » qui emportent l’admiration.
Le cas de Anne Le Naour est un peu différent. Elle n’est « que » directrice technique. Mais c’est un très gros job dans une collection de châteaux, tous propriétés de la filiale CA Grands Crus du Crédit Agricole. Dans ce portefeuille de rêve, elle gère les vignobles et les chais de deux grands crus classés, Grand-Puy-Ducasse à Pauillac et Rayne-Vigneau à Sauternes. Et le célèbre Meyney à Saint-Estèphe, et le moins connu Blaignan, dans le Nord du Médoc, mais c’est une grande superficie (97 hectares) et une production qui se compte en centaines de milliers de bouteilles, auxquels vient de s’ajouter le Château La Tour de Mons à Margaux. Pas mal, mais ce n’est pas tout. Elle s’occupe aussi d’une propriété du groupe en Costières de Nîmes, mais pas du Château de Santenay, récente adjonction du groupe, il ne faut pas exagérer les grands écarts. Elle aussi bénéficie d’une grosse formation, a passé sept ans dans la Bernard Magrez Connection, se lève très tôt et se couche tard. Femme dans un monde d’hommes ? Aucune importance, assure-t-elle. Tout juste si elle concède qu’il faut faire « un peu plus » ses preuves, mais ça n’a pas l’air de la déranger beaucoup. Elle préfère insister sur ce métier qu’elle adore, à la croisée « des sciences et des cultures ».
Tous ont déjà à leur actif des progressions spectaculaires. Ludovic voit la cote de « son » margaux grimper chaque année. Stephen et ses blancs ont rejoint la très petite troupe des meilleurs. Dans un voisinage d’exception, le pomerol d’Éric pointe son museau au milieu des grands. Les médocs d’Emmanuel sont depuis un moment les trouble-fête des dégustations à l’aveugle. Et Grand-Puy-Ducasse s’est réveillé en signant trois millésimes d’affilée, signalés chaque année comme le meilleur jamais produit par la propriété.
Ils sont exemplaires, non ?
La photo : de gauche à droite, les garçons : Stephen Carrier, Emmanuel Bonneau, moi, Éric Monneret, Ludovic David. Assise : Anne Le Naour. Photo Mathieu Garçon.
Cet article est paru sous une forme différente dans le Hors-série Vin de L’Express daté juin-juillet 2012, en vente chez votre marchand de journaux.
jeudi 7 juin 2012
Bill Harlan, le héros de la Napa
Qu’est-ce qu’une icône ? Dans le monde si particulier du vin, c’est bien plus qu’une image pieuse. C’est un homme ou une femme qui concentre sur sa tête un si grand nombre de qualités qu’il ne viendrait à l’idée de personne de critiquer son travail. C’est un vigneron qui réussit à faire à la fois le mieux et le plus cher, c’est l’indiscutable, le modèle, l’envié. En France, nous en comptons quelques-uns. Aubert de Villaine est un exemple parfait. Son romanée-conti et ses autres vins forcent l’admiration de ceux qui ont eu la chance d’y goûter. Chacun s’accordera facilement sur son nom. En Italie, Angelo Gaja en est un autre. En Espagne, c’est Pablo Alvares et son vega-sicilia. Et en Californie, Bill Harlan dispute le titre à Paul Draper, autre grand homme, le pionnier, dont l’apparition remonte à 1971 avec un premier grand montebello qui avait bouleversé le monde (du vin) lors du Jugement de Paris, en 1976.
Bill Harlan, lui, a lancé l’aventure de Harlan Estate en 1984, dans la célèbre Napa Valley, à Oakville, 17 hectares de vignes plantées dans un domaine qui en compte 110, où forêts et vergers contribuent à alimenter une biodiversité poussée à l’extrême et que Bill a toujours appelé de ses vœux : « Il se trouve qu’une conscience environnementale va bien avec la beauté des lieux, mais pas seulement. Forêts et vignes se conjuguent pour donner du caractère au fruit. Il se retrouve dans le vin. »
Comme la plupart des new-comers du vin, Bill Harlan a fait fortune ailleurs avant de consacrer son énergie et son argent au développement d’un beau vignoble. Lui, il était un professionnel de l’immobilier, il l’est toujours. Il confesse volontiers que son vignoble coûte très cher : « Nous n’avons pas les mêmes caractéristiques qu’en Europe. Faire un grand vin ici est un engagement, un jeu très fort. Pour mettre le plus de chances de notre côté, nous devons être très sérieux. » Il est très lucide, en plus.
Un jour, Mondavi lui a demandé d’aller pour lui aux Hospices de Beaune acheter du vin aux enchères. Nous étions à la fin des années 70. Bill Harlan venait d’acquérir un petit vignoble, mu par ce qu’il appelle « l’idée romantique de faire du vin » et c’est au cours de ce voyage sur les côtes de Beaune et celle de Nuits que tout a changé. « L’idée romantique s’est transformée en une vision très claire. » Il a cherché le terroir qui ressemblait à ses rêves les plus fous et il l’a trouvé. Des collines pentues et des forêts denses, toutes les expositions au soleil, un sous-sol parfait à ses yeux.
Depuis 1989, il s’est assuré la collaboration du flying winemaker français et célèbre, Michel Rolland. Son premier millésime est un 1990 qui attendra 1996 pour être lancé, « Il m’aura fallu douze ans entre l’acquisition de la terre et la mise sur le marché d’un vin qui porte mon nom. » C’est beaucoup d’exigence et cette volonté, il avoue qu’elle a été entretenue par ses nombreux voyages en Bourgogne, un vignoble qui constitue à ses yeux l’alpha et l’omega de la viticulture d’excellence. Pourtant, les millésimes 1990 à 1997 étaient des assemblages basés sur le cabernet-sauvignon (en Bourgogne, c’est du pinot noir) et depuis 1998, son vin est 100 % cabernet-sauvignon.
Aujourd’hui, les plus grands critiques de vin placent les 24 000 bouteilles annuelles du grand vin de Harlan Estate dans le Top Ten mondial. Il en est peut-être content, mais il ne le dit pas. Il a ce côté très américain qui consiste à trouver normal que le succès accompagne l’engagement quand il est bien mené. S’il a connu une réussite certaine dans son premier métier, il voit dans cette vocation tardive de vigneron quelque chose comme l’expression de la maturité : « Avant, je ne pensais jamais à demain. Puis, le temps passant, on se met à vouloir du sens, de la profondeur. Avec ma vigne, ma perception du temps s’est totalement transformée. Les choses se mettent à ralentir, j’ai commencé à travailler pour un futur lointain, j’ai voulu créer quelque chose de plus grand que moi. Si on ne fait jamais vraiment ce qu’on veut, on peut s’appuyer sur une culture pour porter des valeurs à partir desquelles ce que vous faites pourra continuer et sans doute, en évoluant. On ne sait jamais ce qui est vrai et peu importe, on peut juste sentir ce qu’on peut faire et ne pas faire. » La suite de Bill s’appelle Will. C’est son fils, il a 25 ans. Il ne se vit pas comme un héritier tout désigné et réfléchit beaucoup à la meilleure façon de succéder à son icône de père : « Je commence seulement à comprendre et à réaliser d’où je viens et ce qui a été accompli par mon père. Je veux apporter quelque chose à cette histoire, pas seulement reprendre ce truc comme si c’était une évidence. Je crois que j’ai plus à prouver à moi-même qu’à mon père. »
Harlan Estate continuera comme il a commencé, dans le travail, l’exigence, la réflexion. Et une certaine discrétion bienvenue.
Bill Harlan produit deux cuvées. Un grand vin, Harlan Estate, et un second vin, The Maiden. Ces vins sont vendus à la bourguignonne selon un système d’allocations et sur liste d’attente. Les prix sont très élevés et, à la revente encore bien plus (jusqu’à 2 000 dollars le col). Pour information, une verticale de dix millésimes en magnums du domaine a atteint l’an dernier le score stratosphérique de 700 000 dollars lors d’une vente aux enchères dans la Napa Valley.
Les photos : Bill Harlan à la Villa d'Este à l'occasion du 3e World Wine Symposium, aussi connu sous le nom de Davos du vin. Photos Armand Borlant, novembre 2011.
mardi 5 juin 2012
Classement des blogs, BonVivant 4e
Du mieux. Échouer au pied du podium n’est pas glorieux, mais revenir dans le Top5 depuis la seizième place est une consolation appréciée.
Dans le sillage de mon cher Wine Paper et d’iDealWine, je ne me sens pas mal du tout. Passer sous le nez d’Olif est très amusant.
Incompréhensible number one. La posture du vieux sage m’a toujours exaspéré. La complaisance nombriliste, aussi. Depuis tout petit, j’ai du mal avec le paternalisme et les donneurs de leçons et ça ne s’arrange pas avec le temps qui passe.
Derrière, que du beau linge et c’est bien : Du morgon, Vindicateur, Œnos, Into the wine.
Et Fabrice Vin sur Vin apparaît dans le Top20, aaah.
Un regret, toutefois. Le mariage a certainement des vertus, mais pour le Glou, moins.
Lady O, au boulot. Tu te fais trop rare même si ton billet sur les vins chinois à la RVF est une merveille et le fil de commentaires qui suit est impayable.
Les résultats complets, ici
lundi 4 juin 2012
Il fait l'avion en Beaujolais
Fallait-il sauver le soldat Beaujo ? Oui, sans aucun doute. Est-il sauvé ? C’est bien parti. Le Beaujolais, en fait, revient de loin. Coincé entre une mauvaise image et les appétits des promoteurs immobiliers du nord de Lyon, miné par les errements de ses vins nouveaux, il semblait que ce vignoble magnifique allait disparaître, rongé peu à peu par le manque d’intérêt. Et la tendance s’est inversée. Les grands négociants de Beaune – Louis Latour, Bouchard Père & Fils et Louis Jadot – ont investi ou confirmé leur présence. Une nouvelle génération a repris des vignobles des mains de ses parents. Des jeunes avec des idées ont racheté à vil prix de beaux terroirs pour y appliquer des méthodes modernes, c’est-à-dire revenir à des manières anciennes pour vivre et travailler selon leurs idées. Et quelques investisseurs, des nouveaux venus, dépensent beaucoup d’argent pour redresser des terroirs magnifiques et tenter d’en faire quelque chose de significatif et, pourquoi pas, de rentable même à long terme.
Jean-Jacques Parinet se range dans cette dernière catégorie. Cet homme, venu de l’univers très normé de l’informatique et de la création de logiciels, s’est jeté corps et âme (et fils) dans ce monde fait de caprices météo, d’insectes incontrôlables, de mystères fermentaires, d’approximations de toutes natures. Il avait des clients qui exprimaient des besoins précis et à qui il vendait des solutions adaptées à leurs problèmes, la vie était simple. Il a découvert une clientèle dont le goût dépend de la pression atmosphérique, des allers et retours de la mode, du nombre de cigarettes fumées le matin même, des chaussures neuves qui font mal aux pieds, c’est beaucoup moins facile. Il dirigeait deux cents personnes depuis son vaste bureau, il sert son vin debout derrière une table mal fichue à Hong Kong ou à Rio de Janeiro. Le changement, c’est maintenant. Mais là, ça marche.
En homme d’entreprise, il a appliqué des règles qui ont fait leurs preuves. En achetant le Château de Moulin à Vent, il s’est offert une part de l’Histoire des vins de France. Il l’exploite. Le vignoble qui accompagne la belle maison, il l’a étudié pour le comprendre. Il a décidé d’en faire des parcelles et mettre en bouteilles des vins différents. Autrefois, on vendangeait tout en même temps, on mettait tout ça dans les mêmes cuves et le tour était joué, on partait à la chasse.
Au Château du Moulin-à-Vent, on vend maintenant des cuvées parcelllaires. Elles se nomment Couvent-des-Thorins (l’ancien nom du château), Les-Vérillats et Champ-de-Cour, de petites productions ciselées avec le plus grand soin. Jean-Jacques Parinet fait l'avion à réaction. Arrivé là un jour de mars, il sort son premier millésime quelques mois plus tard et, déjà, c’est très bon. Coup de chance (est-ce vraiment de la chance ?), ce premier millésime, c’est 2009, la grande année du retour pour tout le Beaujolais. 2010 confirme avec éclat qu’il ne s’agissait pas d’un accident. Un nouveau grand est né sur la colline de Moulin-à-Vent. Notre homme se prend au jeu. Il vient d’annoncer l’acquisition du domaine de la Tour de Bief. Dix-sept hectares de vignes situées sur quelques très beaux terroirs. Dont l’exceptionnel climat dit de La Rochelle. L’objectif est clair, il y est question de constituer la référence de l’appellation et, peut-être, de la région. Mais il ne le dira pas. Il se contente d’évoquer un retour du domaine dans ses dimensions historiques, l’époque ou une dame Philiberte Pommier régnait sur les lieux, son désir de mettre ses pas dans la trace de l’Histoire. Admettons. Un léger accès de romantisme ne nuit pas. Mais Parinet est meilleur quand il s’enflamme sur le caractère bourguignon des vins du Moulin, les égrappages, les élevages dans une gamme de barriques allant jusqu’à 500 litres, toute une démarche moderne et maîtrisée. Non, non, non, c’était comme ça autrefois. La preuve ? Les caves abritées par les fondations du château ne font pas plus de deux mètres de hauteur, impossible d’y loger de grands foudres. Jean-Jacques Parinet sait ce qu’il fait, il le dit et c’est très intéressant. Encore un château à suivre. Mais de près.
Cet article à été publié sous une forme différente dans le Hors-Série Vin de L'Express daté juin-juillet 2012, en vente chez votre marchand de journaux
vendredi 1 juin 2012
Voyage dans le désert du Douro
Ne vous retournez pas, c’est inutile. Vous pouvez danser, chanter, personne ne vous regarde. Les collines du Haut-Douro, autour de la rivière qui devient Duero quand elle passe la frontière avec l’Espagne, sont un désert humain. Il n’y a que des vignes ponctuées de loin en loin par les quintas* des propriétaires, de belles maisons patriciennes et historiques qui dominent leurs domaines et l’eau, omniprésente.
Ces collines découpées en terrasses étroites qui parcourent des milliers de kilomètres, portaient jusqu’ici deux rangs de vignes chacune. Maintenant qu’il y a des consultants dans les propriétés, on arrache le rang intérieur pour n’en garder qu’un, il produira de plus beaux raisins. Les vieux au visage tanné de soleil qu’on voit aux terrasses des rares bistrots des deux ou trois villages qui jalonnent la vallée hochent la tête, dubitatifs. Peu importe, le porto est devenu un enjeu mondial, la course à la qualité est lancée et rien ne l’arrêtera plus.
Le voyage commence dans une sublime petite gare couverte d’azulejos à Porto, la vieille ville du bord de l’Atlantique. Pour rejoindre cette gare de collection, on aura passé l’embouchure du Douro sur le pont Eiffel, en venant de Villanova de Gaia, le quartier des chais, passage obligé pour comprendre le fonctionnement de ce vignoble si différent qui fait vieillir son vin ailleurs que là où il est fait. Il y a une ambiance étrange à Porto. C’est une ville moderne, ses embouteillages, ses panneaux de publicité, ses animations et ses fêtes municipales. C’est une ville prostrée, assise à l’ombre du temps qui passe. Depuis l’invention du vin muté*, le porto s’attend.
Les immenses chais de Vilanova de Gaia. Ici, chez Graham's.
Les gigantesques foudres des chais contiennent des vins qui sont là pour dix, vingt ou quarante ans. Le rythme du vin est particulièrement lent, ici. Rien dans le processus d’élaboration n’a changé et ça se sent.
Le train quitte la gare pour deux heures de voyage et cent kilomètres. C’est un vieux tortillard de banlieue, avec ses sièges en moleskine et ses manivelles qui entrouvrent le haut des fenêtres. Le public mêle quelques touristes à la petite foule ordinaire de ceux qui empruntent les transports en commun. Peu à peu, le train se vide, le paysage d’immeubles et de lotissements s’éclaircit et la voie se colle au bord du fleuve pour ne plus le quitter. Une fois, elle traversera sur une passerelle antique et inquiétante. Le train ne s’arrête plus, il n’y a pas de raison, pas de village, pas de gare, rien, personne. Dans l’eau claire, on aperçoit des bancs de poissons même pas dérangés par les stridences de la micheline. Le paysage est lunaire, changement de planète.
Le belvédère qui domine la quinta de Vargelas, propriété de Taylor's
Première halte à Pinhao, le bourg qui ouvre la porte du Haut-Douro. Là-bas, sur l’autre rive, la silhouette discrète et assez bien intégrée d’un hôtel ultra-design rappelle que quelque chose se passe ici, un glissement assez net dans l’offre œno-touristique locale. Quelques hôtels et maisons d’hôtes tous très haut de gamme, sont réservés à une clientèle « exigeante ». Même à Porto, la famille propriétaire des portos Taylor’s, Fonseca et Croft, a créé au-dessus des chais de Vilanova un grand hôtel de luxe. Dans le monde entier, sauf en France, on consomme les portos « premiums ». Les vieux tawnys, les vintages, les LBV*. Le porto est donc associé à un certain art de vivre de grande qualité. En raison des performances économiques du porto, le divin breuvage passionne l’Angleterre depuis des siècles. Il y a très longtemps que des aventuriers en provenance des îles britanniques ont pris pied sur le sol portugais. Ils y sont toujours. On fait ses études à Oxford et on revient à Porto gérer les affaires familiales. Pendant la Révolution des œillets, ces Anglais ont fermé pendant quelques jours les lourdes portes de leurs hôtels particuliers, rien de plus. Chaque Portugais, fût-il révolutionnaire, sait l’importance des Anglais dans le commerce du porto. Cela posé, il ne faut surtout pas croire qu’ils se sont établis dans les collines austères du Haut-Douro. Non, leurs quintas, ils n’y viennent qu’au moment des vendanges pour témoigner à leur personnel de leur attachement aux traditions.
Le foulage du raisin au pied pendant la fermentation dans les lagares de Graham's, en haut, et de Taylor's
Parfois, ils dansent dans les lagars* avec les vignerons pour fouler le raisin au son des violons et des accordéons. Et ils passent une quinzaine de jours de vacances, au début de l’été, avant qu’il y fasse trop chaud. Plus tard, la température atteint et, parfois, dépasse les 50°C. Ce qui ne fait pas trop de tort aux raisins, la rivière assure, la nuit, une ré-hydratation bienvenue.
Les Français ne sont pas absents du paysage. Parmi la quarantaine de grandes compagnies qui assurent 90 % des volumes, les champagnes Rœderer, le groupe Vranken-Pommery, l’assureur AXA sont bien installés sur les deux rives du fleuve. Là, ils assurent une production assez large en termes de variétés. De Quinta do Noval à Rozès, en passant par Ramos Pinto, toute la gamme est représentée, chacun n’oubliant pas d’être aussi présent aux antipodes de ce qui fait sa réputation. Ces grandes propriétés ne disent rien de la réalité du vignoble. Pour 30 000 hectares d’appellation, il y a 33 000 propriétaires.
Le voyage s’achève dans la petite gare privée de la Quinta de Vargelas, un hangar historique en bois, doté d’une grosse horloge. Dans le Haut-Douro, passés les villages de Regua et de Pinhao, chaque quinta possède sa gare ou, au moins, un quai pour permettre le débarquement des passagers. Ces quais, le long de la rivière, servaient autre fois à charger les gabarres qui transportaient les barriques de vin jusqu’à Porto, au gré du vent et du courant. Là, la sensation de vide est encore plus accentuée. Il n’y a vraiment rien ni personne dans les collines qui encerclent la quinta, des mini-terrasses à perte de vue, chacune avec son rang de vigne. À Vargelas, propriété de la famille Robertson (Taylor’s), on a tout prévu pour l’hébergement du travailleur, un vrai village de vignerons occupé toute l’année et aussi ancien que le porto. On se dit volontiers que cela ferait un merveilleux village de vacances, où l’on regarderait le soleil se coucher sur la rivière en dégustant lentement un très vieux porto, ce vin de méditation dédié aux soirs les plus doux.
*Lexique pour comprendre
Tawny : assemblage de cuvées vieilli entre 5 et 7 ans en fûts au contact de l'air.
Tawny avec indication d'âge : assemblage de plusieurs portos de différentes années. L'âge indiqué est donc la moyenne approximative des âges des portos assemblés. Ces coupes vieillissent dans des foudres de chêne pendant 10, 20, 30 ou 40 ans.
LBV ou Late Bottled Vintage : Il est conservé 4 à 6 ans en fût avant la mise en bouteille. Il s’agit, en général, de vintages en excédent.
Vintage : En cas d’année exceptionnelle, le producteur déclare le millésime (comme en Champagne). Le vin vieillit deux ans en fût. On peut commencer à l’apprécier au bout de 20 ans. C'est un vin de très longue garde.
Quinta : Ce mot désigne la propriété (bâtiments et vignoble).
Lagar : grand bassin très peu profond, construit à l’intérieur des chais. C’est là qu’on dispose le raisin après la vendange et qu’il est foulé aux pieds, chaque soir par la troupe de vendangeurs. Il y reste quelques jours en fermentation avant que celle-ci soit interrompue par l’adjonction d’alcool pur. On dit que le vin est « muté ».
Les photos sont toutes signées Mathieu Garçon. Elles ont été prises à l’occasion des quelques voyages qui nous ont mené vers ce Haut-Douro qu’on aime tant. Ce texte a été publié sous une forme différente dans le Hors-série Vins de L'Express, daté juin-juillet 2012, en vente chez votre marchand de journaux.
Ce billet a été publié à l’intention du concours Amo Portugal, qui impose un certain nombre de contraintes. Ce lien en est une : www.visitportugal.com.
La publication de la pastille Amo Portugal, ci-dessous, en est une autre.