Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 28 février 2011

Piper & Charles Heidsieck, and the winner is…


Une grosse pointure. Avec la famille Descours (les marques Bonpoint et Weston, les mocassins), les champagnes Charles Heidsieck et Piper-Heidsieck ont trouvé chaussure à leur pied. Bravo, les gars. Ils ont remporté le droit d’être en « négociation exclusive » en promettant quelques centaines de millions d’euros. Au moins quatre. Et maintenant, tout le monde les regarde en se demandant ce qu’ils vont faire de notre cher Charles. Ils coulaient des jours heureux loin du ciel bas de la Champagne en hiver et les voilà sur le pont, bravant toutes les tempêtes, n’écoutant que leur courage. C’est malin.
Un court instant a couru la rumeur que, finalement, le groupe Rémy Cointreau allait surseoir à la vente. Mais, au moins en apparence, les choses ont l’air d’avancer, la vente semble en bonne voie d'achèvement. L'agitation microcosmique peut reprendre ses droits. Ouf.

samedi 26 février 2011

Des bourgognes à Paris (j'ai essayé, on peut)


Vraiment, les métiers de bouche ne sont pas amis avec les métiers du tourisme. Après ce désolant passage à Beaune (voir ci-dessous, Des rhônes à Beaune), voilà que mon amie Laurène m’emmène à l’Ambassade de Bourgogne, sans doute pour me consoler. Bien vu. Cet espèce de caviste-bistro dédié aux vins de Bourgogne est un enchantement à tous les niveaux. D’ailleurs, il en compte deux, avec le sous-sol transformé en salle de dégustation, table d’hôtes, repaire des grandes bouteilles. L’endroit a ouvert avant que les décorateurs s’en mêlent. Du coup, c’est un peu froid, un peu basique. Mais les vins sont là, du plus petit au plus grand. Je ne vais pas détailler la carte, tout le (beau) monde est là. Le premier prix doit être autour de dix euros et le plus élevé dépasse les mille. En chemin sur cette échelle qui monte au ciel, nous avons remarqué deux ou trois millésimes de clos-de-tart vendu ici au même prix qu’un 08 à la propriété. C’est très cher, un clos-de-tart, mais bon, la politique de l’Ambassade de Bourgogne est de nature à enthousiasmer l’amateur.
Ainsi, le prix est le même que vous emportiez la bouteille ou que vous la buviez sur place. Ici, ils ont déjà dépassé cette idée du droit de bouchon, comme aux États-Unis. Nous prédisons un grand avenir à cet endroit aux appétits financiers mesurés et qui se positionne bien en ami des gens. Nous avons goûté un gevrey du Domaine Arlaud à 24 euros, il était parfait et à sa place avec les gougères, les charcuteries et les fromages. La seule nuance tient précisément à l’assiette, un peu sommaire. Mais les produits sont là, y compris un beau citeaux de l’abbaye qui s’accorde si bien avec les bourgognes. Oui, même rouges. Mais il faudra quand même se pencher un peu sur l’amélioration de l’ordinaire pour offrir un partenaire flatteur aux jolis vins de la maison. Un partenaire peu flatteur, c’est moins bien, tout le monde sait ça.
Et tout ça se passe à Paris, au 6 de la rue de l’Odéon. Quartier parfait, en plus. Paris, c’est mieux.

La photo : cette photo moche n'est pas signée Mathieu Garçon

jeudi 24 février 2011

Des rhônes à Beaune

Deux jours à Beaune, trois vins d’ailleurs. Un saint-joseph Reflet 2004 de François Villard. Un cornas Terres brûlées 2000 de Jean-Luc Colombo. Un trévallon 2001. Oui, tout ça à Beaune. Ces trois vins ont été trois moments de bonheur certain, des vins adolescents ++, très expressifs, déjà avancés (mais pas très), juste en plein bombage de torse, magnifique. Ben oui, mais y avait pas de bourgognes ? Ben si, mais à moins de cent euros, le meilleur rapport qualité-prix était celui-là. Un problème de la restauration ? C’est clair. Important de préciser qu’il ne s’agissait pas de restaurants luxueux. Voire même pas luxueux du tout pour l’un d’entre eux, une auberge passée à côté du chic pour l’autre et un bistrot sympa pour le troisième. Je vois d’ici la tête du touriste de passage en refermant la carte des vins. Ça se passe comme ça à peu près partout en France, mais là, j’ai trouvé que c’était spécialement répétitif. Pour rester poli. Et moi, j’avais surtout envie de bourgogne, comme le touriste. Mais les marges sur des vins chers les rendent inabordables. La restauration doit se gratter la tête ou adopter ce pour quoi nous militons, le droit de bouchon. Sinon, on dînera à la maison.

samedi 19 février 2011

Le bio (non, ne partez pas)

Bio. Les trois lettres les plus fatigantes de l’histoire du petit commerce. Le mot, une incantation, une litanie, une déviance. À laquelle le mondovino participe, bien obligé. D’abord, le vin bio, ça n’existe pas. À Bruxelles, ils n’arrivent pas à se mettre d’accord, on comprend. Seule la viticulture, le travail à la vigne, peut être bio. On le sait déjà, mais qu’est-ce que ça signifie ? Simplement que le gars peut faire très bien dans son champ et torchonner grave son pinard au chai, ça fait rien, il a le label, la certif, et le patron du resto vous apporte le flacon, le menton en avant, l’arrogance de celui qui sait mieux, l’œil qui intime le silence. Ne dites pas non, ça vous est arrivé aussi, ils sont tous comme ça les ayatollahs du nature, du bio, on ne sait plus. Le mot bio n’est pas une garantie de qualité. Bio, ça ne veut pas dire bon. Un vin non bio peut être sans soufre – ou nature – et imbuvable et un bio tellement sulfité qu’il vous colle la migraine du siècle, le poil électrique, les yeux vitreux. Le contraire existe, heureusement.
Moi, depuis que je parcours les caves et les vignes, je ne rencontre quasiment que des gens qui font bien et bio, peu ou prou. La liste est longue, voyez les archives de ce blog, Trevallon, Huet, Chidaine, Climens, Pontet-Canet, Drouhin, Guiraud, Deiss, Anne-Claude Leflaive, Leroy, Bursin, Sipp, Richaud, plein d’autres, plein. Voyez aussi les autres leaders dans chaque appellation, Chapoutier, la Romanée-Conti, Selosse, Zind-Humbrecht, Beaucastel, d’autres, ils font tous bio. Certains depuis trente ou quarante ans. La plupart ne s’en vantent pas. Normal. Il y a une telle confusion sémantique entre bio, bio-dynamie, nature, ce côté militant, la prise de tête. Ce n’est pas très valorisant. Ceux-là, il faut aller les chercher. Louis-Michel Liger-Belair, à Vosne-Romanée : « C’est comme si j’écrivais “vieilli en fût de chêne” sur l’étiquette. » Ils savent bien que ces trois petites lettres sont un fourre-tout dans lequel se côtoient le meilleur et le pire, que le mot et ses principes ont été détournés pour se résumer à une formidable opération de marketing au bénéfice des plus mauvais, qu’une fois de plus le vignoble français est l’otage du consommateur américain et de ses relais. On a réussi à peu près à se débarrasser de Parker, c’est le bio, ses trompettes, qui prend le relais, help. Nos grands producteurs font très bien, les plus beaux vins du monde, si, si, il n’y a pas écrit bio sur l’étiquette et personne ne le leur demande, personne n’ose, et voilà tout. Tu vises un pontet-canet marqué bio, tout le monde rigolerait. Les autres réfléchissent à toute allure, ont déjà commencé les tests sur des parcelles, savent bien que c’est le sens de l’histoire, qu’il n’y a pas à barguigner, ils s’y collent de toute urgence. Tout le Bordelais est dans ce cas, la vallée du Rhône, la Bourgogne, la Champagne. Alors, oui, tous ne suivent pas à la lettre les rigueurs de la bio-dynamie selon Saint-Rudolph. S’il faut donner un coup de sécateur et que la lune n’est pas dans le bon quartier, tant pis, ils taillent. Comme Agathe Bursin, par exemple, la star montante de l’Alsace qui nous enchante avec ses jolis vins d’une grande pureté.
Mais tous, ils font propre. Voyez comme sont tenus les vignobles de Taittinger, un modèle en Champagne avec près de 300 hectares, on n’est pas dans le lopin, ou ceux de Cazes en Languedoc, un domaine appartenant au grand groupe Advini qui, visiblement, n’a pas choisi la seule rentabilité à court terme. Il n’y a pas d’autre bon choix, en fait. L’époque des intrants chimiques est révolue et ceux qui pensent que j’exagère – j’en connais – feraient bien de se gratter un peu plus la tête. Aujourd’hui, le consommateur pose la question au caviste qui la pose au distributeur qui la pose à l’importateur qui la pose au vigneron qui doit répondre maintenant.
Après, c’est chacun avec son terroir, son climat, son soleil, sa pluie, son vent, ses moyens, mais aussi avec les sangliers, le réchauffement climatique, l’administration locale, nationale, européenne, leurs formulaires, ces crocs-en-jambe (pour les détails, voir le blog d’Hervé Bizeul).
Saluons cette formidable envie de faire mieux, au chai comme à la vigne, qui se perçoit très bien, ce n’est pas une frime, le vigneron n’est pas un comédien, à part Jean-Marc Roulot, mais c’est une autre histoire. En attendant, la viticulture propre est une grosse évidence, elle a gagné définitivement sur les terroirs qui nous intéressent et c’est tant mieux, mais le bio en tant qu’idéologie contestataire recyclée en concept marchand est passé derrière nous, épuisé-épuisant. Déjà, plus personne n’en parle. On est presque au bout, courage.

dimanche 13 février 2011

L’ébranlé du bordeaux


Comme plein de gens, j’ai découvert le vin à la table familiale où mon père, paix à son âme, nous faisait boire du bordeaux et avaler des sornettes avérées et des demi-vérités de l’époque, du genre les graves, c’est sept ans et les saint-estèphe, c’est vingt ans. Il avait ses tocades, s’enthousiasmait sur des trucs qu’on n’oserait plus ingérer, s’agaçait (déjà) des prix, avait parfois raison, n’admettait pas la contradiction. Lisez les forums Vins, vous verrez, il y en a plein des comme lui, toutes ces années après, qui ont plus de goût pour le moral que pour le bon. Lui, au moins, avait les excuses de son temps, le goût du poivron, les brettes en carte d’identité de ses jajas préférés, tout ça, mais passons, je m’égare. Le bordeaux, donc, en madeleine.
Jusqu’à ces jours derniers, j’avais fait mienne cette ligne entendue de Silvio
Denz : « Le vin est un voyage, mais on revient toujours à la maison et ma maison, c’est le bordeaux. » C’était assez exagéré pour être intéressant, assez appuyé pour être provocateur, ça m’allait bien. Et puis, c’est ce même Silvio qui a enfoncé la première porte de la perception, comme une sorte de Jim Morrison assis en tailleur sur son talus de Faugères.
Vas-y, raconte
C’était un soir d’été sur la terrasse de la chartreuse, nous étions quatre ou cinq, on se marrait bien, parfaite ambiance. Du coup, ce jeune homme généreux appelle son caviste et lui murmure un truc à l’oreille. L’autre revient avec un gros tas de verres et trois bouteilles dans des chaussettes, c’était l’heure des devinettes, j’écrasais ma cigarette. Une seule indication, ce sont trois vins du millésime 1995. Le premier d’un beau rouge sombre était excentrique, follement jeune, enthousiasmant. Le second, tuilé déjà, était fatigué, barbant comme un aristocrate à côté de la plaque et de son époque. Il y a de jeunes vieux. Le troisième, foncé, était tendu comme une corde à piano, vigoureux, en pleine forme, presque facétieux. Les trois n’avaient fait qu’un voyage, du domaine à la cave de Silvio, dès leur plus jeune âge. Pure scan psychologique de notre hôte, nous n’avons pas eu trop de mal à situer le second dans son Bordelais, mais pas les deux autres. Les vins venaient, dans l’ordre, de Pingus en Espagne, de Cheval Blanc et de Harlan Estate en Californie. Et vraiment, le cheval-blanc…
La seconde brèche dans mes certitudes fût ouverte au WWS à la Villa d’Este en octobre 2010 à l’occasion de deux horizontales sur le millésime 1990. Où l’on goûtait les six crus du DRC (échezeaux, grands-échezeaux, romanée-saint-vivant, richebourg, la-tâche et romanée-conti) d’une part, et les huit premiers de bordeaux, même millésime, latour, lafite, mouton, margaux, haut-brion, ausone, cheval-blanc et petrus. Je l’ai raconté en novembre sur ce blog, voir Le Davos du vin, les détails : « Un moment rare, où les certitudes sont ébranlées. Certes, nous avions affaire aux plus grands vins du monde, mais tous n’avaient pas fait ce voyage de vingt ans en business class et, à l’arrivée, il y avait des espaces entre les uns et les autres. Si le maître de chai du Domaine de la Romanée-Conti expliquait d’un air modeste que ses vins avaient encore trente ans devant eux, il n’en était pas de même de certains des premiers crus de Bordeaux. » Oui, on voyait bien que pendant ces vingt années, certains vins avaient assez mal dormi. Et, à la réflexion, il est très douteux qu’un seul d’entre eux parvienne proprement à tourner les 50 ans.
La troisième fois date d’il y a quelques jours. Jean-Guillaume Prats et Pablo Alvares recevaient ensemble pour Cos d’Estournel et Vega Sicilia. L’affiche valait le détour. Au menu, et avant quelques merveilles de Tokaji (Oremus et Hétszölö), un cos-d’estournel 1995 et un vega-sicilia-unico 1994 s’affrontaient sans l’ombre d’une chance pour le saint-estèphe. Le scénario, légèrement répétitif, a confirmé ce que j’avais éprouvé à Faugères et au World Wine Symposium. Il y a un truc avec les bordeaux de cette période. Ils ne tiennent pas la route face aux vins décrits plus haut. Bien sûr, il arrive que passent des bouteilles merveilleuses, mais j’ai l’impression que c’est plutôt rare. Et, bien sûr aussi, on voit d’admirables choses dans les périodes qui précèdent. Ainsi, un latour 55 sifflé il y a peu a collé au plafond les trois ou quatre que nous étions, réunis dans un bonheur sans faille (Irène, Olivier, merci), mais le château-margaux 83 qui suivait était sans intérêt et, à l’aveugle, nous ne l’aurions même pas calculé. Comme quoi…
En même temps, et à propos des grands millésimes, combien de bordeaux 61 annoncés grandioses sont au niveau d’un hermitage la-chapelle de la même année ? Pas nombreux, palmer peut-être et voilà tout.
Bon, et alors ?
Alors, le renouveau qualitatif des appellations de prestige du Bordelais ne datent que de la fin des années 90. Oui, les nouveaux propriétaires mettent des moyens colossaux à la disposition des nouveaux directeurs des châteaux pour gagner la bataille de la qualité. Oui, les néo-bordeaux sont faits pour les goûts nouveaux des consommateurs. Oui, aujourd’hui, les bordeaux sont infiniment mieux faits (les prodigieux 2000 de Pavie et d’Angélus dans des styles différents, les trois derniers millésimes de Cos d’Estournel, les six derniers de Pontet-Canet ou de La Lagune, le bond en avant de Marquis de Terme, de Fieuzal, Soutard, Marquis d'Alesme, Cantemerle, etc.) que dans les décennies précédentes. Oui, le plus prestigieux vignoble du monde a tout mis en œuvre pour protéger sa position. Mais quand même, sur quelles espèces de machins cette réputation a-t-elle prospéré pendant trente ans, les années Parker ? Faut-il absolument éviter de comparer les grands bordeaux de quinze ou vingt-cinq ans à d’autres productions du même âge et du même statut ? Faut-il passer à autre chose en attendant que les 2000, 2005 et 2009 soient prêts ? Dois-je installer un pont aérien entre le nord de l’Espagne, celui de l’Italie et ma cave ? Faisons ça en attendant.

vendredi 11 février 2011

Charles Heidsieck & Piper, le Grand Teasing


Dans la série des enquêtes du célèbre détective Dick Hunter, des nouvelles neuves. Non pas sur la réalité de la vente des champagnes appartenant au groupe Rémy Cointreau, mais sur les spéculations qui l’entourent, c’est plus drôle. On apprend que la famille Descours serait sur le coup. Conditionnel d’usage. Ces gens, ce sont les propriétaires des chaussures Weston (les mocassins des minets du Drugstore, en dessous de 75 ans, vous pouvez pas comprendre) et du Château la Verrerie en Lubéron, mais depuis moins longtemps. Absolument pas crédible, même pour faire un (pauvre) jeu de mots. Le reste des élucubrations prend pour base des propos de Bernard Arnault, décryptés au microscope comme si c’était Anne Sinclair. Où il déclare que devant le succès de son pôle champagnes, il est à l’affût de chaque opportunité pour augmenter le volume de ses approvisionnements. Notez que s’il disait qu’il s’en fout complètement, nous serions très surpris et les petits porteurs encore plus. Donc, bon, un discours normal, rien de bien alarmant, pas de piste vraiment nouvelle. Dick Hunter baille d’ennui et nous aussi.

lundi 7 février 2011

Chez Marcel (Richaud)


Je n’ai rencontré ni Marcel Dassault, ni Marcel Bich. C’est dommage. Je n’ai jamais rencontré Marcel Deiss. Marcel Guigal, pas plus. J’ai failli rencontrer Marcel Lapierre. Hélas. Je ne pouvais pas rater Marcel Richaud. On ne sait jamais. En des temps éloignés, j’avais dit non, le concert de Bob Marley, pas ce soir, on verra ça la prochaine fois. Il n’y a pas eu de prochaine fois, c’est ballot. Alors, aujourd’hui, Marcel Richaud, je suis arrivé le premier pour être sûr. C’est un type charmant, calme, précis. Il pourrait faire le malin avec sa belle gueule et ses grands vins, mais non.
Bien avant de tomber dans le mondovino, j’étais client à Cairanne, le grand hangar blanc en surplomb de la petite route où on deale du carton de douze entre les chariots élévateurs et les cigales. J’ai aimé les cairannes de Marcel depuis le début de mon addiction aromatique. C’est le chef du village, le meilleur à Cairanne depuis des lustres. Marcel Richaud et sa bande recevaient le monde (presse, cavistes, sommeliers) à Paris dans un endroit agréable que je ne connaissais pas, le Macéo. Agréable veut dire qu’il y a de l’espace et du volume, une sorte de fraîcheur de l’air, une détente dans les molécules, le plafond est loin, on est au large. Là, vous vous dites que Marcel fait bien les choses pour son cairanne. C’est vrai, mais ce n’est pas (que) pour lui, c’est pour tous les cairannes. Étrange, pensez-vous, que le leader de l’appellation se décarcasse pour tous ses voisins. Vous vous dites, et vous avez raison, qu’on ne verrait pas François Pinault, Philippine ou Éric de Rothschild organiser tout un machin pour défendre l’appellation pauillac. Eh non. Mais si. Il est comme ça, Marcel Richaud. Pourquoi ? Je ne sais pas. À table, un vigneron de ses voisins avance une explication : « C’est un pur, Marcel. » Sans doute. Et pourtant. Chauffons Marcel. « Vous n’êtes pas rancunier ? » Pour dire la fois où son cairanne n’avait pas reçu l’agrément pour manque de typicité. « Je pourrais, mais non. Ça ne sert à rien de camper sur ses positions. Il faut avancer. La nouvelle génération arrive aux commandes dans les domaines, elle a des idées qui me vont bien et des objectifs qualitatifs intéressants. Nous sommes dans le même bateau. » Il ne dit pas ça pour faire genre, il y a un éclat dans l’œil qui aiguise bien le propos, quelque chose comme la revanche de l’intelligence sur le muscle. Résultat, il est là, en chef de bande qui s’en défend, mais les trois journalistes et demi qui étaient là, étaient là pour lui d’abord, c’est évident. Et la glissade a eu lieu, nous avons découvert avec plaisir des domaines que nous ne connaissions pas, c’était le but. Marcel, tout lui réussit.
Ils se sont mis ensemble au syndicat pour sélectionner, ils n’ont pas tout montré, les règles étaient claires et les vignerons recalés savent pourquoi et personne n’en veut à personne. Bon, c’est pas les bisounours, mais la vraie bagarre à Cairanne est à venir, le jour où l’INAO pondra enfin la délimitation de l’appellation. D’ici là, c’est trêve.
Les vins, c’était quatre ou cinq blancs et une quinzaine de rouges. Les 2009. Du mûr, du très mûr. Des degrés alcooliques élevés. L’étiquette du cros-de-romet annonce 16,5°, c’est très confituré et, pourtant, nous ne sommes pas dans le porto. Il y a un équilibre alcool-acidité qui rend le vin aimable et, même, assez délectable. En plongeant le nez, on entend le murmure des mûres mûres*, c’est divin. Et Marcel , comment prépare-t-il cet avenir réchauffé ? « Je plante des cépages peu producteurs d’alcool, ils entreront dans l’assemblage le moment venu. » Il est aussi en biodynamie pour 24 de ses 55 hectares et en bio tout court pour le solde parce que « la viticulture raisonnée, c’est un cache-misère ». Comme quoi, le bio, c’est tellement évident que ce n’est même plus un sujet de conversation.

(*private joke : merci à Marilyn Widcoq-Charles, aka Marilyn Johnson).

La photo : Marcel Richaud, photo trouvée sur le blog : levindemesamis.blogspot.com, merci à eux.

vendredi 4 février 2011

La Saint-Vincent Tournante à Corgoloin


C’est une tradition ancienne. Les populations des villages viticoles de la Côte d’Or se rassemblent pour fêter la Saint Vincent. Longtemps abandonnée, elle a été remise au goût du jour par la Confrèrie des chevaliers du Tastevin en 1934. Et elle est devenue Tournante en 1938 quand il s’est agi de changer de village chaque année. Dans chaque commune viticole, une société s’est constituée. Ces sociétés sont des mutuelles bénévoles de secours. Chaque membre s’engage à porter assistance à celui qui, pour cause de maladie, ne pourra mener à bien son travail dans ses vignes, à le faire à sa place.
Cette année, les festivités se tenaient à Corgoloin, dans la côte de Nuits, pas loin de Beaune. Une de ces appellations d’accès au bourgogne qui produit de jolies choses peu coûteuses. La veille, nous avions goûté quelques-uns de ces vins dans un manoir sublimement restauré et qui va accueillir, à Corgoloin, un centre d’art contemporain chinois.
Des milliers de gens se promènent dans le village entièrement décoré pour l’occasion. Une dizaine de caveaux sont ouverts au public qui se balade, un verre à dégustation en sautoir. Pas d’ivrognes, pas de braillards. Mais une joie de vivre, une sincérité, une simplicité bienveillante, jolie image du bonheur populaire le plus authentique. Dans le froid glacial, les vignerons défilent deux par deux en portant le saint de leur village sur les épaules. On s’arrête souvent pour cause d’embouteillage, ils sont 83 villages à défiler. Une vieille dame dit à sa copine, avec un bon sourire : « on est bien ».
À Paris, une longue jeune fille amusante à qui je venais de textoter le froid qui me transperçait les os pour tenter de l'attendrir un peu, me renvoie ce message : « tu aurais dû te méfier avec cette histoire de tournante. » La blague, on était bien, on riait.
Aujourd’hui, en lisant la e-letter du magazine Terre de vins à propos de l’enthousiasme chinois pour les vins français, j’ai bien aimé les « mille ponts de parfum » inventés par le rédacteur de l’édito, Rodolphe, sans doute, ou Sylvie. Nos petites fêtes paroissiales, c’est assez les mille ponts de parfums dans leur genre bien à elles.
Le soleil sur le déclin sonna la fin des agapes vers 17 heures. La Sncf, inspirée, arrêtait exceptionnellement ses TER en gare de Corgoloin pour raccompagner les participants à la grande ville, dans un sens et dans l’autre. Il faut dire que le village était cerné par les gendarmes, en casseurs d’ambiance. 60 000 personnes sont passées par Corgoloin en deux jours. Tous ensemble, ils ont bu 10 000 bouteilles. Une pour six, pas de quoi téléphoner à la préfecture ou, pire, au Professeur Got.
Pendant ce temps, et puisqu'on en parle, d’affreux petits hommes gris s’agitent en fourbes dans les couloirs des ministères pour tenter d’obtenir l’interdiction de ce genre de manifestations, des dégustations publiques et des vignerons devenus assassins désignés. C’est pour ça qu’il faut aller à tous ces événements du vignoble. Les petits hommes gris n’oseront pas. Ils essaieront encore et encore avec tout leur argent public, ils n’y parviendront pas, l'argent public est jeté par les fenêtres.

La photo a été prise à Corgoloin par Elisabeth de Meurville

mercredi 2 février 2011

Guiraud, le paradis des coccinelles


Allez. Abandonnons un instant les épuisantes polémiques dégustatoires et penchons-nous sur de l’enthousiasmant, sur du lourd. Sur du léger.
Château Guiraud annonce sa certification en bio-viticulture.
En soi, c’est tout sauf une surprise. Il y a beau temps que Xavier Planty mène Guiraud dans le plus grand respect environnemental. Nous nous sommes promenés avec lui, il y a quelques années le long des parcelles. Déjà, il avait planté des haies (six kilomètres en tout) pour favoriser l’apparition d’insectes destinés à réguler les populations de nuisibles qui s’attaquent aux vignes. Et ça marchait très bien, il avait rayé les insecticides de la liste des commissions. Nous étions en 2004. Pendant l’été 2010, une spécialiste y a recensé 675 espèces d’insectes et d’araignées, dont sept espèces de bourdon. Des nids ont été mis à la disposition des oiseaux et on a bricolé des « hôtels à insectes » pour accueillir les nouveaux habitants, guêpes maçonnes, clairons des abeilles, perce-oreilles… Autant de prédateurs qui se régalent des larves et de toutes les bestioles indésirables. À Guiraud, la bio-diversité est une réalité tangible, efficace et les coccinelles s’en donnent à cœur joie.
Nous avions aussi visité le conservatoire de Xavier Planty, une immense serre qui contient des milliers de plants de sauvignon et de sémillon, issues de sélection massale. Cette histoire date de 2001. Planty et quelques-uns de ses confrères de Sauternes et de Barsac décident de trouver une solution pour préserver la diversité génétique des cépages indigènes et assurer leur renouvellement. Et voilà. Cette pépinière permet de produire des souches de très bonne qualité et, ce faisant, elles assurent l’avenir du vignoble. C’est une bonne nouvelle pour vous, pour moi, pour tous les amateurs de ces vins d’or.
Je pourrais détailler à longueur de pages les mille et unes attentions qui président à l’élaboration des vins de Guiraud, la vérité est dans la bouteille. On y découvre la pureté d’un sauternes où la sucrosité n’est pas le maître-mot, ni la puissance, mais la finesse. Pas la richesse, mais la sensualité. Cette élégance naturelle qui favorise une explosion harmonieuse d’arômes enchanteurs.
S’agit-il d’un nouveau guiraud ? Non. C’est la suite logique d’efforts entrepris il y a longtemps qui trouvent leur aboutissement avec des vins de plus en plus sublimes. Guiraud ne change pas, guiraud s'aiguise.
Guiraud est bio, donc. Planty va le dire sur l’étiquette. À propos, espérons que ce sera sur la contre-étiquette et que pas un logo AB ou Demeter ne viendra polluer le drapeau noir qui fait la belle allure de sa bouteille. Xavier, please. Planty espère que cette certification entraînera un regain d’attention de la part d’un public décidément rétif à la consommation de liquoreux. Quelle négligence de la part de tous ceux qui, à des degrés divers, ont un devoir de prescription. Journalistes, négociants, cavistes, sommeliers ne font pas le boulot. Et le public n’est pas informé, pas assez, pas assez bien. Pourtant, au Grand Tasting, à Paris comme à Hong Kong, nous avons bien vu l’engouement des gens pour ces vins divins. Alors quoi ? Pourquoi n’y en a-t-il pas à la carte des restaurants (un seul à la Cagouille, à Montparnasse) et si peu chez les cavistes (deux chez le Nicolas de la rue des Martyrs, quartier très à la mode, huit jours avant Noël) ? Qu’est-ce qu’ils attendent ? Ce ne sont même pas des vins chers. Faites comme moi, mettez en cave tous ces beaux millésimes récents, 2005, 07, 08, 09. Donnez-leur du temps ou commencez à y goûter tout de suite, vous serez surpris. Ces liquoreux modernes sont très éloignés de l’idée périmée que vous vous en faites. Et ne craignez pas de ne pas finir la bouteille. Elle peut attendre ouverte au frigo jusqu’à quinze jours en développant des arômes insoupçonnés. Les liquoreux de Bordeaux, d’Alsace, de Loire, de Hongrie sont de très grands vins qui méritent d’être vos amis pour la vie. Vos amis des jolis soirs, au moins.

les photos de Xavier Planty sont signées Mathieu Garçon.