Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



jeudi 29 décembre 2022

Mes magnums (184)
Un rosé de grande garde pour le 1er de l'an ? Bonne idée

Domaine de la Bégude, L’Irréductible, rosé pas bandol 2019


 

 

Pourquoi lui

Guillaume Tari, le récent ancien propriétaire de La Bégude, ne fait rien comme tout le monde avec beaucoup de talent. Il signe avec L’Irréductible, un rosé de garde de haut niveau et même pas cher par comparaison aux machins globalistes qui fleurissent autour de chez lui, ici ou là. Ce bandol n’est pas un bandol. L’appellation lui a été refusée pour les motifs les plus stupides, manque de typicité, couleur non conforme et autres joyeusetés du même tabac. Vraiment, les gars, soyez sérieux. (ces mots rayés, c’est parce que ça ne plaît pas aux tenants de l’appellation, je ne veux pas d’ennuis avec la police, moi). Ce vin est un modèle et une piste de développement pour les rosés des grands gourmands que nous sommes.

 

Avec qui, avec quoi

On évitera pêle-mêle les bords de piscine, les glaçons, les plagistes de Saint-Tropez et les hallucinés du rose pâle. Rassemblez votre bande de vieux potes, la côte de bœuf et le barbecue qui vont avec et à table, voilà un réveillon qui sannonce très bien. Pour une fois.

 

Combien et combien

Environ 60 euros.
200 magnums.

 

Ce qu’en dit le Nouveau Bettane+Desseauve

Commentaires du 2018 (pas de changement majeur à attendre et tant mieux) :
Toujours aussi beau. Millésime après millésime, il épate. Ce rosé coloré transgresse les modes et clame haut et fort son indépendance d’esprit. Framboise, fraise écrasée, fruit de la passion, floral, long sur les notes épicées, il n’oublie pas pour autant la fraîcheur intrinsèque qui caractérise le beau terroir où il est né. Prometteur, splendide.
93/100

lundi 26 décembre 2022

Mes magnums (183)
Un pinot noir d'Alsace de haut niveau.
Réjouissons-Nous

Domaine Albert Mann, Les Saintes Claires, alsace 2020


 

Pourquoi lui

Le pinot noir, c’est une vieille histoire alsacienne et c’est la nouvelle grande affaire de l’Alsace. À tel point que deux terroirs alsaciens viennent de se voir gratifier de l’appellation grand cru, auparavant réservée aux cépages blancs, qu’on disait « nobles ». On parle bien d’un retour en grâce. Voir le pinot noir rejoindre enfin cette catégorie reine est assez satisfaisant. En n’oubliant surtout pas que deux terroirs, ça en laisse beaucoup à la traîne. Il va falloir y remédier, messieurs. Celui-là représente un des sommets du genre. Avec d’autres.

 

Avec qui, avec quoi

Un grand pinot noir, c’est un vin de gastronomie et de fins palais. S’en souvenir au moment de composer son menu et de convoquer les convives. Un magnum dalsace impose une certaine hauteur sous plafond. Se féliciter des petits cris de joie des amis.

 

Combien et combien

178 euros.
60 magnums.

 

Ce qu’en dit le Nouveau Bettane+Desseauve

Nez gourmand d’écorce d’orange, très représentatif de ce terroir argilo-calcaire des Saintes-Claires. Une acidité fine structure la bouche, avec un toucher tout en finesse et en délicatesse. Sans doute l’un des plus grands rouges d’Alsace.

96/100

lundi 19 décembre 2022

Mes magnums (182)
Un champagne rare et cher pour Noël

 

Champagne Henriot, Cuve 38


 

Pourquoi lui

C’est l’une des grandes idées de Joseph Henriot. Une cuve initiée en 1990, premier tirage dix-sept ans plus tard. Pendant ce temps, un volume identique de chaque récolte rejoignait la cuve n°38, sous réserve de la dégustation des vins clairs du millésime. Le principe, assez romantique, veut que les vins les plus vieux éduquent les plus jeunes qui tonifient les plus vieux. Chaque année, l’assemblage (et, donc, le tirage de l’année) comprend un millésime de plus. C’est le principe de la réserve perpétuelle, il suffit d’y croire. Voilà un champagne surréaliste qui assemble les qualités des vieux vins superbes et des jeunes en pleine forme. Sans doute le secret de la jeunesse éternelle. Sans doute pour ça que ce vin est mis uniquement en magnums.

 

Avec qui, avec quoi

Les qualités de vos meilleurs amis mérite un champagne rare. À l’apéritif ou à table. Tous les vins qui composent Cuve 38 sont exclusivement issus de quatre grands crus de chardonnay de la Côte des Blancs (Avize, Le Mesnil-Sur-Oger, Oger, Chouilly).

 

Combien et combien

595 euros.
1 000 magnums.

 

Ce qu’en dit le Nouveau Bettane+Desseauve

Il n’en dit rien, hélas. Moi, je dirais : « idéal pour Noël ».

dimanche 18 décembre 2022

La dernière page

 

Le temps est venu pour moi de prendre le large et de céder toute la place au suivant, Louis-Victor Charvet, talentueux, bosseur, lucide. Je l’ai engagé il y a quatre ans comme stagiaire, il a creusé sa voie, bravo.
Il ne me remplacera pas, il me succède. Ce n’est pas pareil, il ne doit pas chercher à me remplacer, il doit s’appliquer à tracer son propre parcours, quelque chose qui lui ressemble, qui colle à ce qu’il pense, à sa vision, à ce qu’il croit.
Je quitte Bettane+Desseauve et le mondovino le 31 décembre, quelques jours encore. Je pars sans me retourner, sans regret, sans amertume, la tête pleine d’images, de goûts, de vins, de gens, de paysages, de scènes, d’anecdotes, de rires. Quelques ricanements, bien sûr.
Dix-sept années de rédaction en chef de magazines dédiés aux vins et au monde qui les entoure. Résumées en une page, c’est possible.

 

Je me souviens d’abord de celui qui m’a propulsé dans cet univers, mon cher ami Daniel Benharros. Il m’a emmené partout, m’a présenté tout le monde, m’a confié les clefs de mes premiers suppléments vins pour Le Figaro. Sa générosité n’a eu d’égale que son amitié, sans limite pendant vingt-cinq ans. Pensées éternelles, tendresse, reconnaissance infinie.

 

Je me souviens de ma première interview « vins ». La victime était Caroline Frey au château La Lagune dans le Médoc. 2004. C’était Mathieu Garçon, déjà, qui faisait les photos et je revois la mère de Caroline penchée sur l’épaule de Mathieu pour faire ses propres photos dans le même axe. Rires.

 

Je me souviens de mon premier numéro du supplément vins du Journal du Dimanche. En Une, cette accroche : Faut-il acheter des vins chers ? C’était en 2005 ou 6. La suite a confirmé le bien-fondé de la question et Jacques Espérandieu, directeur de la rédaction du JDD à l’époque, avait adoré. J’ai conservé la responsabilité de ce supplément depuis lors.

 

Je me souviens de mon arrivée chez Bettane+Desseauve. J’étais sur un nuage, très sûr de mes immenses savoir et compétence. Il m’a fallu très peu de jours pour déchanter. Une petite quinzaine, au plus. Vite, j’ai compris que je ne savais rien. J’ai passé deux ans à faire l’éponge pour absorber un niveau suffisant et, au moins, engager une conversation avec mes collègues de bureau.

 

Je me souviens des mille et un voyages avec mon vieux complice, le photographe Mathieu Garçon. L’Écosse et le Portugal si souvent, l’Italie aussi, la Californie, l’Oregon, le Canada, l’Afrique du sud, l’Autriche, la Hongrie, le Chili, l’Argentine et la France, la France, la France, de Reims à Bordeaux, de Tain-L’Hermitage à Beaune et plus, la Corse. J’ai raté l’Australie et Madère, pas lui.

 

Je me souviens du Cercle des Bourguignons disparus, ces grands hommes qui m’ont reçu avec bienveillance et attention. Joseph Henriot, Jean-Luc Aegerter, Louis-Fabrice Latour, inoubliables. Merci, messieurs.

 

Je me souviens des débuts de ce magazine, En Magnum. Thierry Desseauve m’avait dit : « Une belle fin de carrière ». Il parlait de la mienne. Le premier numéro était très moche ; le second, beaucoup mieux et ainsi de suite jusqu’à ce numéro 30, mon dernier. À la fin, oui, fierté.

 

Je me souviens du Grand Tasting, dix-sept éditions et plus avec Andrée Virlouvet, droite comme un i aux commandes du Grand Maching, assistée d’une équipe des plus réduites, jamais un raté, le succès en bandoulière toujours, l’œil aigu, la paupière légèrement cernée par l’intensité, une amie pour la vie, l’irremplaçable copine de bureau, jamais avare d’un bon conseil.

 

Je me souviens des très nombreux suppléments vins réalisés pour L’Express avec Philippe Bidalon ; Série limitée avec Bénédicte Épinay, Gilles Denis ; Les Échos avec Jean-Francis Pécresse ; Le Monde avec une équipe qui a très vite cessé de me prendre pour un publicitaire ; Paris-Match avec Régis Le Sommier, un mec magnifique ; Le JDD, depuis 17 ans. Partout, une collab’ sans heurts, des interlocuteurs qui respectaient le travail accompli, fierté encore.

 

Je me souviendrai toujours de l’équipe, la fine équipe, qui m’a accompagné depuis le début, de ceux qui ont pris le train en marche, ceux qui ont tourné le dos, celles qui ont trahi. À chacun, merci.

 

Je me souviens des centaines de déjeuners de presse, occasions multipliées de rigolades avec mes confrères et les vignerons qui nous invitaient, de découvertes du monde enchanté des grandes tables parisiennes, rémoises, bordelaises, rhodaniennes, bourguignonnes. Me restent les images de quelques grands établissements : Guy Savoy loin devant, le Laurent que j’ai tant aimé avec infiniment d’assiduité, le Louis XV de Ducasse à Monaco dans le bocal de la cuisine, Les Crayères à Reims avec Philippe Jamesse, immense sommelier, d’autres aussi, de jeunes chefs épatants et les adresses successives de Yannick Alleno. Les sommeliers de ces établissements, vite devenus des copains.

 

Je me souviens de dizaines de voyages de presse tous azimuts. Les gares au petit jour, les confrères qui se trompent de train, les attachées de presse qui crisent. Un côté cour de récré qui nous faisaient tellement rire.

 

Je me souviens, hélas, de quelques interventions de communicant(e)s qui voulaient que je parle des vins de leurs clients, même au prix d’indignités. Ont-ils eu gain de cause ? Ils sont le plus souvent repartis avec leurs exigences autour du cou. Louis-Victor, ne te laisse pas faire, tu n’y gagneras jamais rien, pas même un merci. Le respect va toujours à ceux qui savent dire non.

 

Je ne me souviens pas de tous les milliers de vins dégustés qui m’ont fait une culture et, surtout, m’ont appris à reconnaître ce que j’aime et pourquoi. Je n’oublierai jamais les quelques inconnus qui m’ont fait briller les yeux. Graeme et Julie Bott en côte-rôtie, Stéphane Sérol en côte-roannaise, Zusslin frère et sœur en Alsace, Valentine Tardieu en Lubéron, Jérôme Brétaudeau dans la Loire, François d’Allaines en Bourgogne et, bien sûr, mon cher ami et collaborateur, Régis Franc et son chante-cocotte. Je ne les ai pas tous rencontré, est-ce vraiment toujours nécessaire ? Pas sûr. Pour eux, j’ai fait ce que j’ai pu, à raison.

 

Je me souviens de quelques vins pour autant d’émotions intenses, le goût ou l’histoire. Un seul ? Le beaune-grèves Vigne de l’Enfant-Jésus 1865 de Bouchard Père & Fils. Quelques bouteilles du même extraites par Joseph Henriot des caves austères et profondes du château de Beaune à l’occasion du fameux dîner Bouchard en ouverture des ventes des Hospices, chaque année. Un vin du XIXe siècle. Silence de chapelle, trente convives recueillis. Était-ce bon ? Nous l’avons tous bu sans barguigner.

 

Je me souviens de Michel Bettane, en pleine dégustation, me convoquant dans le labo du bureau pour me faire goûter le coteaux-champenois rouge de Francis Égly. « C’est un musigny ». Il n’a pourtant pas l’enthousiasme si facile. J’en ai acheté quelques cols. C’était cher. Faut-il acheter des vins chers ? Ah, ah. Je n’ai jamais vu le prix d’un grand vin baisser.

 

Je n’oublierai rien. Merci Michel et merci à toute l’équipe qui m’a accueilli en faisant semblant de ne pas voir que je n’y connaissais rien en vins. Et special thanks à Thierry pour la confiance que tu m’as témoignée tout au long de ces quatorze années depuis notre rencontre à la terrasse d’un bistrot des Abbesses. Une vie de rêve qui ne s’arrête pas complètement. Chaque bouteille ouverte aura le goût des bons souvenirs.

 


 

 

(Merci Georges P.)

 

lundi 12 décembre 2022

Le détail fait le style

Jeune encore, déjà riche dune immense expérience de chef de caves dans plusieurs grandes maisons, Dominique Demarville dirige aujourd'hui les champagnes Lallier, marque récemment acquise par le groupe Campari. Nul autre nest plus légitime pour expliquer comment se crée la signature dune marque.
Nous l
avons rencontré et hop, interview

 

Parlez-nous de vous
Je suis né en 1967 dans les Ardennes. En octobre 1985, Jean-Marc Charpentier me propose de venir faire les vendanges dans son domaine de Charly-sur-Marne. J’y vais avec l’envie de travailler avec un ami et j’en ressors passionné par ces vignes champenoises. J’oriente mes études vers un BTS viticulture-œnologie à Avize jusqu’en 1987, que je complète d’un diplôme national d’œnologie à Dijon. Retour en Champagne pour mon service militaire en 1990 et réalise mes premières vendanges en tant que salarié en 1991 chez Philippe Gonet. A la suite du décès de son mari, Denise Gonet me fait confiance pour la rejoindre sur l’exploitation avant que son fils Pierre ne reprenne les rênes. À son retour, j’intègre une autre maison de champagne, Bauget-Jouette, en tant que chef de cave. J’y reste un an avant de rejoindre la maison Mumm en 1994. Ils me proposent un poste de responsable cuverie et tirage aux côtés du chef de cave Pierre-Yves Harang. Lorsqu’il prend sa retraite en 1998, je deviens chef de cave et j’ai l’opportunité de participer au lancement de très belles cuvées : R. Lalou, Mumm de Verzenay et une cuvée grand cru. Jean-Marie Barrière me confie en 2003 l’ensemble de la responsabilité vigne et vin du groupe Mumm – Perrier-Jouët. Puis arrive un moment émouvant, je m’en souviens comme si c’était hier – le 23 décembre 2005, précisément – celui où je croise Jacques Peters qui commençait à penser à sa succession. Il m’avait déjà dit à plusieurs reprises qu’il souhaiterait me parler à ce moment-là. Je revois Jacques et lui confirme que je souhaite le rejoindre chez Veuve-Clicquot, chose faite en juin 2006. Une transmission s’organise alors pendant deux ans et demi, je rencontre les responsables des approvisionnements, les clients, toutes ces relations que Jacques a construites pendant 20 ans. Une période importante qui m’a permis de créer un bon relationnel avant son départ de la maison, le 31 mars 2009, à la date prévue à mon arrivée. Je prends sa suite en tant que chef de cave, en essayant de faire au mieux pour rester fidèle au style de la maison tout en prenant la liberté de retravailler certaines cuvées – la Grande Dame afin de l’orienter un peu plus vers le pinot noir – et d’en créer de nouvelles : l’Extra-Brut, l’Extra-Old. Michel Fauconnet me sollicite ensuite pour le rejoindre chez Laurent-Perrier, ce que je fais en janvier 2020. Un an plus tard, le 18 janvier 2021, je rejoins finalement la maison Lallier avec un beau projet adossé au groupe Campari. Son président Lucas Garavoglia, amoureux de la Champagne, souhaitait depuis plusieurs années acquérir une maison de champagne. Il m’a ainsi nommé directeur général et chef de cave pour m’occuper de sa nouvelle acquisition.

 

La maison Lallier ?
La maison existe depuis 1906. Elle s’est réellement développée depuis l’arrivée de Francis Tribaut en 2004. Preuve en est de la production, multipliée par dix en 15 ans ; alors qu’on ne sortait que 60 000 bouteilles en 2004, on en vend aujourd’hui 600 000. Le travail des vins s’est aussi largement amélioré, la philosophie est présente et les racines de chaque vin sont bien définie. Des fondations solides qui nous assurent une belle notoriété. La marque manque seulement un peu d’image. Il faut maintenant nous concentrer sur la reconnaissance du nom Lallier et sur la valorisation du travail et du style de nos vins.

 

Comment définissez-vous ce style ?
Il existe et se manifeste au travers du terroir et du savoir-faire de vinification de la maison. Nous avons la chance d’avoir ce sol de craie et un climat idéal pour donner aux vins fraîcheur et pureté. Concernant la vinification, on ne s’interdit rien : il y a des années avec fermentation malolactique et d’autres sans, on peut utiliser le bois ou bien l’inox. Tout ceci pour avoir un maximum de profondeur et surtout pour nous adapter à la nature et à son climat, qui évolue chaque année. Une approche complètement différente de chez Veuve-Clicquot où le vin est dominé par le pinot noir et par les vins de réserve.

 

Concrètement, comment cela se traduit-il à la dégustation ?
Je vais commencer par nos deux parcellaires. La cuvée Loridon et le blanc de blancs. Ils sont tous deux constitués à 100 % de chardonnay. La cuvée Loridon contient les vins d’une seule année et n’est pas encore millésimé. Nous avons préféré nous concentrer sur la reconnaissance de cette parcelle crayeuse qu’est Loridon. La production est microscopique, confidentielle, seulement 2 à 3 000 bouteilles par an, réservée à une cible de grands amateurs, de connaisseurs de champagne. Le blanc de blancs est plus classique, toujours très charnu, avec un dosage de huit grammes par litre. Il témoigne d’une grande pureté avec un côté aérien, très droit, assez épaulé.
Notre Grand Rosé est constitué pour 2/3 de pinot noir et 1/3 de chardonnay. Ces raisins proviennent exclusivement de parcelles en grand cru, avec les rouges de Bouzy qui apportent une grande fraîcheur et dont les tannins amènent subtilement des amers positifs.
Le dernier né de notre gamme Réflexion, R.019, contient une majorité de vins de l’année 2019 qui est une des grandes années de ce début de siècle ; on pourra la compter dans l’arène des 2002, 2008 et 2012. Elle est vieillie pendant trois ans. Sur cette cuvée, nous n’avons cependant pas la sécurité des vins de réserve ; son essence même est de capturer les caractéristiques d’une seule récolte. Alors quand celle-ci n’est pas bonne, on s’autorise à ne pas faire de Réflexion comme ce fut le cas en 2017, par exemple.
La cuvée Ouvrage est un grand cru extra-brut issu de l’assemblage de deux parcelles. Il est vieilli sur lies en bouteille pendant cinq ans. Nous avons une grande ambition pour cette cuvée. Un de mes premiers objectifs est de donner plus de temps au vieillissement, pour atteindre les sept ou huit années. L’idée est également de le millésimer puisqu’il est issu d’une seule et même récolte. Il est proposé en bouteille, en magnum et, pour la première fois cette année, en jéroboam. Le prix de la bouteille tourne aujourd’hui autour des 90 euros mais une fois tous ces projets mis en place nous la vendrons 120 euros. C’est pour moi, incontestablement, plus un vin de champagne qu’un champagne.
Notre blanc de noirs Les Sous, 100 % pinot noir, est issu d’une parcelle ainsi nommée parce que les raisins se trouvent sous le bois, en haut de coteau. Cet emplacement offre au vin un côté frais et croquant, les parcelles y sont plus fraîches. Les pinots noirs y ont une maturité plus tardive.
Le second blanc de noirs provient lui de terroirs à Aÿ et à Verzy et Verzenay. Le premier pour le côté charnu et puissant, le second pour son mordant et son saillant, typique d’un climat un peu plus froid. Ce vin est épicé, poivré avec un dosage de huit grammes par litre.

 

Toute cette gamme a-t-elle été étendue par rapport à l’ancienne gouvernance ?
Non, au contraire, je l’ai plutôt resserrée, surtout au niveau du brut sans année. Il y avait deux cuvées de brut sans année chez Lallier : la grande réserve et la série R. Avec l’arrivée du Groupe Campari, nous avons préféré nous recentrer sur une seule cuvée pour rendre la gamme plus cohérente. Nous avons décidé de ne garder que la cuvée la plus originale, celle qui présente le plus haut niveau de qualité, la série R, renommée Réflexion. C’est un brut sans année qui n’est pas classique puisque chaque tirage porte les caractéristiques du millésime. Nous avons cependant une seconde cuvée signature qui n’est pas un brut sans année, la cuvée Ouvrage. Comme je vous l’ai dit, nous avons beaucoup d’ambition pour cette cuvée, dont celle d’assembler à chaque fois les deux meilleures parcelles pour en faire un millésime chaque année.

 

Directeur général et de chef de cave, vous avez une liberté de décision totale
En effet, ce titre me donne un double avantage. Mon rôle de directeur général me permet d’avoir de l’autonomie dans la gestion, de la rapidité dans les prises de décision et de la flexibilité dans le fonctionnement. Tout cela en conservant mon poste de chef de cave qui me permet de rester proche de mon métier originel. J’ai réalisé mes premiers assemblages en 2021 avec la récolte de 2020 donc « mes » champagnes ne sont pas encore sortis. Pour l’instant, je gère seulement le bel héritage de Francis Tribaut.

 

Que conservez-vous de cet héritage ?
Il y a trois domaines sur lesquels je souhaite m’appuyer et qu’il me semble nécessaire de garder. D’abord, nous avons du raisin d’Aÿ dans chacune de nos cuvées, c’est un bel hommage au village sur lequel nous sommes implantés en plus d’être une garantie de qualité. Conserver ensuite cette proximité et cette écoute de la nature qui nous offre la liberté de ne rien nous interdire dans la vinification. Par exemple en 2021. Les raisins présentaient un taux élevé d’acidité, nous avons envoyé 90 % de nos vins en fermentation malolactique. Au contraire, 2022 fut une vendange très chaude et solaire, et seuls 70 % de nos vins sont partis en fermentation malolactique. Cette agilité nous permet de rester au plus près de ce que la nature nous offre. Enfin, la signature de nos vins est cette nature pleine de fraicheur et de pureté, garante d’un style Lallier que je souhaite perpétuer.

 

Des pistes de développement ?
J’aimerais aller plus loin dans la découverte des terroirs, oser sortir des sentiers battus et m’aventurer sur de nouvelles parcelles. Aller plus loin dans le vieillissement, également. Le temps fait partie de l’élégance et de la richesse d’un vin de Champagne.

 

Vous ne pensez donc pas qu’il y ait en champagne, comme ailleurs, un goût de plus en plus marqué pour les vins plus récents ?
Si, bien sûr. 90 % de nos ventes concernent le blanc de blancs, le rosé et la gamme Réflexion. Ce sont tous trois des champagnes frais, aériens et c’est ce qui fait le succès du champagne aujourd’hui. Les champagnes vieillis restent dans la cour des grands amateurs. Émile Peynaud disait en effet qu’un grand terroir s’exprime avec le temps. Il avait raison, les vieux champagnes sont toujours très bons et plein de surprises. Toutefois, il est très rare d’avoir la chance de boire des champagnes de 20 ou 30 ans.

 

Vous évoquez la possibilité d’embouteiller dans un futur proche une cuvée dite « de prestige ». En quoi va-t-elle se distinguer des autres cuvées de même ambition ?
C’est devenu indispensable en Champagne. Francis Tribaut avait donc commencé à y réfléchir et a réservé en cave quelques millésimes dans un flacon spécial. Elle sera millésimée – c’est très important pour ce type de cuvée – et basée sur un esprit de terroir avec une concentration sur les villages d’Aÿ et de la Côte des Blancs. Nous les avons choisis pour leurs sols très crayeux afin d’avoir dans nos vins une double approche. Verticale sur la fraîcheur, horizontale sur l’intensité. Avant tout, nous irons chercher le côté aérien et cristallin d’un grand vin de champagne.

 

Vos vins sont pour la plupart issus d’un seul millésime. Cela veut-il dire que vous n’avez pas assez de vin de réserve ou bien c’est un choix délibéré pour coller à l’année et la mettre en valeur ?
Un peu des deux. Nous avons des vins de réserve, ils vont venir agrémenter et peaufiner l’assemblage du brut sans année mais dans des très petites proportions, au maximum 30 %. Ensuite, toute une série de vins dans la gamme sera à termes millésimée. Aujourd’hui elles ne le sont pas par choix, nous préférons nous focaliser sur la parcelle. Mais chaque année est différente et nous voulons exprimer cette différence au travers du millésime.

 

Votre ambition pour la maison est-elle de développer la production ou de conserver un rythme plus lent, adapté à vos capacités d’approvisionnement ?
La capacité de production en Champagne est directement liée à l’approvisionnement. Le défi est donc de trouver avec les vignerons le bon niveau d’approvisionnement pour créer un réseau de personnes qui ont l’envie de travailler avec nous. Il faut ensuite que la machine fonctionne côté distribution. Sur ce point, Campari a les ressources, les capacités et le savoir-faire nécessaires. Nous pouvons choisir le rythme de production qui nous convient le mieux. Pour ce mariage entre Lallier en Champagne et Campari, nous préférons donc garder un rythme qui nous permet de conserver notre niveau qualitatif et notre identité.

 

Vous nous avez beaucoup parlé de nature. Êtes-vous proche d’une viticulture qui se veut plus durable ?
Il y a deux aspects dans le mot nature, il n’en faut oublier aucun. Il y a d’abord ce qu’elle nous offre, le style et le climat – ces choses avec lesquelles nous devons nous adapter. Il y a surtout cette notion de respect incontournable d’un point de vue éthique pour qu’elle continue à nous donner de belles choses. On ne pourra jamais dompter la nature, le respect lui laisse le temps de nous donner ce qu’elle a de mieux. Chez Lallier, je souhaiterais avancer sur deux grandes directions. La première concerne le sol qui est tout simplement là où les racines puisent leur énergie et expriment la minéralité aussi bien que la salinité. Ensuite, je veux laisser la biodiversité s’exprimer. La vigne est devenue une monoculture un peu partout, on en voit les limites aujourd’hui. Il est donc important de faire un pas en arrière en gardant à l’esprit que la vigne est prioritaire. Depuis que je suis arrivé, nous créons des îlots de biodiversité autour de nos sites de production.

 

Je m’aperçois que vous ne nous avez pas parlé de votre passage chez Laurent-Perrier
Joker.

 

Merci Dominique. Cette non-réponse dit tout.

 

Dominique Demarville photographié dans les caves
des champagnes Lallier par Mathieu Garçon



 

 

 

mardi 6 décembre 2022

mes magnums (181) Un pinot noir de haute finesse nous arrive de la Loire

 

Domaine de Bellevue, Jérôme Brétaudeau, Statera 2020, Vin de France



Pourquoi lui
L’as des as du muscadet, un type charmant en plus, signe une cuvée de pinot noir hors norme. Et un vin si rare que les sites de vente les plus branchés la diffusent au compte-goutte, pas plus d’une bouteille par client. Quelques rares cavistes en ont un peu. Le prix reste abordable, on voit bien que les Américains ne sont pas encore au courant. Ouf. Évidemment, chacun se réjouit d’apprendre que le
terroir de granite et de quartz du muscadet convient si bien au pinot noir.

 

Avec qui, avec quoi
Vue la rareté de cette bouteille, n’en parlez à personne. Profitez d’une absence de votre famille et, rassurez-vous, vous finirez la bouteille tout seul, extatique, ravi. Et vous remercierez EnMagnum pour ce conseil judicieux même si bien peu partageux.

 

Combien et combien
115 euros
Quantité épuisée dans ce millésime

 

Ce que dit le Nouveau Bettane+Desseauve
Un rouge issu de pinot noir, envoûtant pour ses accents de pétales de rose et de menthe, doté d’un soyeux énergétique.