L’ambiance
On frôlerait la routine si l’agenda d’Aubert de Villaine ne l’avait conduit à avancer sa conférence à 9 heures du matin. À l’heure dite, la petite foule des séminaristes de la Villa d’Este se presse à la porte de la salle, au bout du parc. Il fait beau et très frais, il est si tôt. Mauss cherche les absents d’un regard froncé. Il aurait fait un excellent surveillant d’internat ou de prison. Une vie antérieure peut-être, à Rikers avec Machin comme détenu VIP, non ? Ailleurs ? Personne n’a manqué. Mauss enchaîne. Ouf.
Les activités de la journée se sont succédé avec des festivaliers enchantés et tout aurait été parfait si une dégustation d’anthologie n’avait pas entamé l’emploi du temps. Aucune importance, mais Mauss était en nage. On ne se refait pas.
Un très beau déjeuner. Par chance, j’étais à la table de Sylvain Pitiot qui ne se déplace jamais les mains vides. Clos-de-tart 05 en magnum et 08 en bouteille, puligny-folatières 08 en bouteille, on n’a pas beaucoup goûté les friouls prévus au programme, c’est mal aimable. On ne se refait pas.
La conf’ de Villaine
L’exposé portait sur les climats de Bourgogne. Il y a quelque chose chez cet homme qui force au respect, au silence, à la concentration. Sa voix d’abord, il chuchote d’une voix douce, tu te grattes, tu rates trois mots. Son regard qui porte très au-delà de ta petite tête. Il te fait l’effet « grand maître de l’ordre ». Qu’il est, en fait, au-delà de l’extrême humilité, la simplicité et la justesse que seule confère une compétence hors norme. S’il lisait ce blog, il s’insurgerait contre cette façon de dépeindre ce qu’il fait, ce qu’il est. Comme il ne lit pas ce blog, on est tranquille, on peut bavarder entre nous. Plutôt que de gloser à l’infini, voici quelques extraits de sa conférence. C’est beaucoup plus intéressant que mes petites considérations interminables. Comme si vous y étiez.
« Un climat est un lieu, un nom, un vin. On en compte 1 247. »
« Climat vient d’un mot grec qui signifie inclinaison. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’on s’en sert pour désigner les conditions atmosphériques d’un territoire. »
« Une aventure séculaire sur un gros talus de 50 kilomètres de long. »
« Relier le vin à son origine. Nulle part, cette volonté n’a été portée aussi loin et aussi longtemps. »
« Le contexte bourguignon est défavorable à la vigne, mais les côtes de Beaune et de Nuits sont les emplacements les moins défavorables. »
S’en suit une longue théorie sur ce qu’il appelle un « carrefour climatique très chanceux ».
« Il a fallu à l’homme se servir des contraintes plutôt que de tenter de s’en affranchir, les exalter au lieu de les contourner. »
« Des siècles d’édits royaux, de règlements républicains, n’ont laissé qu’une seule opportunité au vigneron : l’excellence. »
« Chaque bouteille de bourgogne est une parcelle de souvenirs. »
Là, il parle du millésime, bien sûr, mais aussi de l’histoire, de la géographie, des générations de travailleurs.
« Le climat est l’œuvre conjointe du vigneron et de sa terre, mais il est vain de se poser la question de la préséance. »
« La science ne cesse de confirmer les Bourguignons dans leurs choix empiriques, mais savants. La science d’aujourd’hui ne fait que couronner deux mille ans de viticulture. »
« L’unité de la côte est précisément faite de son extrême diversité. »
« Le climat est une réalité et un projet, vulnérables, qui nécessitent du temps et de la protection. »
Et, enfin, ma ligne préférée :
« Il n’y a pas de grands vignobles prédestinés, il n’y a que des entêtements de civilisation. »
Évidemment, quand on sort d’une heure à ce rythme, on se sent beaucoup plus brillant qu’en entrant, on adresse un sourire bienveillant à sa jolie voisine, on pose une main calme sur l’épaule d’un ami. En même temps, on a une grosse, grosse envie d’un café bien serré.
Quelques pas dans le parc, une heure de bateau sur le lac, le vent dans les cheveux favorise la déglutition de toute cette intelligence qu’on voudrait inscrite dans notre ADN. On sait enfin pourquoi on est venu ici. Impression confirmée par ce qui suit.
Une dégustation de folie
C’est la règle au Davos du vin comme ailleurs, mais pas partout. C’est celui qui fait le vin qui est derrière sa petite table à remplir les verres des dégustateurs qui errent de cru en cuvée. Mais au Davos du vin, il n’y a pratiquement que des stars et les moins connus font l’objet de toutes les attentions de ce public de fins connaisseurs. La liste des vins est proprement délirante. Des Bourguignons : la Bande des Quatre (les bonbons de Louis-Michel Liger-Belair, le nuits de Méo-Camuzet, les pulignys de Gérard Boudot, le clos-de-tart), Erwan Faiveley avec un corton d’exception et un Bernard Hervet jamais loin, le moulin-à-vent de Jean-Jacques Parinet, comme chaque jour sans se lasser. Plus loin, Freddi Torres et son priorat côtoie Bill Harlan et son napa, trois millésimes en magnum, 92, 98, 01, tu touches plus terre. Ailleurs, un groupe d’Italiens et, parmi eux, le caberlot 96 de Moritz Rogotsky, chaque jour un vieux millésime différent, ce luxe. Stéphane Derenoncourt présentait son vin californien. Catherine Péré-Vergé et ses pomerols. Je n’ai jamais vu un rassemblement de cette qualité. Que ceux que j’oublie me pardonnent, j’ai des excuses, surtout à cette heure-ci.
D’ailleurs, puisqu’on en parle, nous reviendrons sur d’autres évènements de la journée, une autre fois. Peut-être. Un mot de Bettane, pendant la conférence qu’il partageait avec David Schildknecht, mérite qu’on développe : « L’opinion du public ne doit pas devenir une dictature. » Allez, dormez bien.
Et demain ?
Rien. C’est fini le Davos. Une édition ultra-réussie, un numéro spécial « Aubert de Villaine en ses œuvres », on est d’accord, bien sûr.
Les photos : en haut, Aubert de Villaine, après sa conférence et, en bas, Stéphane Derenoncourt, plus tard dans la journée, avec Louis-Michel Liger-Belair en arrière-plan. C'est Armand Borlant qui a pris ces photos et réalisé l'ensemble du reportage sur l'évènement.