Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 15 novembre 2011

Davos du vin, suite


Je ne voulais pas commenter la conférence de David Schildknecht, un homme de la Parker Connection. Je n’avais rien compris à ce qu’il voulait dire, ses propos sur les blogueurs me fatiguaient et me semblaient usés jusqu’à la corde, nous avons dépassé ce débat. Michel Bettane, chargé de lui donner la réplique, était pour le moins perplexe. Heureusement, Juliette Tournand assistait aussi à la conf’. Voici son ressenti.

« Je ne sais pas si c’est parce que je suis arrivée tard, dernier jour du Davos du vin, milieu de matinée, pas entendu le limpidissime Aubert de Villaine, soif de me rattraper, mais voici mon avis sur la conférence dont il est convenu de ne pas se souvenir, ma première, l’avant-dernière pour le Davos, celle de David Schildknecht dont il sera dit ultérieurement que personne n’y a rien compris. Le thème, à peu près : qu’est-ce ça change pour les critiques professionnels que les blogueurs se mêlent de donner leur avis sur le vin ?
Surprise, le Français est beaucoup plus détendu sur le phénomène Internet que l’Américain, tout en défense.
Pour Michel Bettane, il y a tellement de vins dans le monde que c’est bien normal que critiques et moyens d’expression se multiplient, et tout va bien.
David Schildknecht a préparé son speech. Les blogueurs sont une sorte de problème, trop d’information crée de la confusion et augmente le besoin de critiques professionnels qui permettent d’échapper au vertige. Donc les critiques nous sauvent des blogueurs.
Et puis voici l’argument inverse. Les blogueurs, cause de confusion et de vertige, sont devenus responsables de l’ossification du goût. À cause d’eux, on n’écouterait plus qu’un seul goût, celui de ses amis. Comme si l’amitié n’était pas une source de diversification des goûts. Et à nouveau, en sauveur, le critique de vins qui permet de désossifier ça.
Le regard perdu entre son papier et la feutrine de la table, David qui avouait son inquiétude de voir les critiques professionnels perdre leur leadership, malmenait la logique en cherchant comment le garder – en nous regardant dans les yeux David, promis, ça aide à reprendre pied. Et on avait avec lui le vertige.
Envie de le rassurer aussi. Cette nouvelle strate de commentateurs plus ou moins éclairés ne fait qu’élever celle des professionnels, en consacre la référence. David, ne vous inquiétez pas.

Voilà ce que j’ai compris sur le moment : il a peur, ça le met sur la défensive, le rend confus et l’audience de conférence, prête à l’adoration, bascule dans la déception.

Le reste, c’est après que je l’ai compris.
Après, il y a eu les vingt minutes où René Millet nous a raconté les six mois de contorsions que lui a infligé son sujet, vin et peinture ; ses tentatives pour l’attraper par un bout, un autre, rien qui tienne jusqu’à trois jours de l’échéance ; son propre vertige, son angoisse et finalement la vertu de l’urgence. C’est drôle, c’est libre, c’est présent, on ne sait pas où on va mais on y va, l’adoration trouve une prise, s’éprend.
Pendant tout ce temps il projette au-dessus de nous la photo d’un tableau. Dressée sur son lit, regard grand ouvert, une femme en chemise dont la beauté ne m’arrêterait pas dans la vraie vie. Pourtant, c’est émouvant, il y a là quelque chose de rond, cru et chaud. Mais je n’ai d’autres mots qu’un impuissant « c’est beau ».
René est arrivé dans sa conférence, fini les errances et hésitations, il est lancé, raconte à toute vitesse ce tableau tardif de Rembrandt, une servante au lit. René sait que devenu veuf, Rembrandt a épousé sa servante. Si c’est elle, le « beau » se remplit, j’aime plus et mieux. Mais que regarde-t-elle avec autant de passion ? René veut savoir, fouille les archives, trouve un autre intitulé du tableau, « Sarah ». Découvre dans les textes bibliques une Sarah dont les maris, sept fois de suite, périssent pendant leur nuit de noces avec elle. Apprend que le huitième s'appelle Tobie et a demandé le secours d’un ange. Surtout, René trouve des estampes de Rembrandt sur Sarah et Tobie. Il a compris. Sous les traits de la servante aimée, voici Sarah dans sa huitième nuit de noces, spectatrice du combat entre ange et démon dont dépend la vie de son mari, et toute sa vie à elle. Là, ce n’est pas seulement le tableau qui prend vie, mais aussi ce que disait David Schildknecht : l’expert est essentiel parce qu’il n’y a pas, ou très peu, de différence entre la compréhension et le plaisir.
Ensuite René nous a promenés à travers les siècles. Du XIVe au XVIIIe siècle, de tableaux inconnus à d’autres que nous connaissions par cœur, de peintres qui nous touchent tous à d’autres que, comme Poussin, je croyais ne pas aimer. Et où, pour la première fois, j’ai vu briller le champagne.
C’était, magistrale, la démonstration par René Millet de l’autre versant de la défense des experts par David Schildknecht. Les experts nous accompagnent dans la traversée de nos propres frontières pour aimer plus, plus loin. Et vivre plus grand.
En conférence, il y a la frontière redoutable ou divine du charme de la forme. Puis l’entraînement du public qui se conforte lui-même dans sa première impression.
Mais ce n’est pas le moindre des talents des ensembliers (François Mauss en est un) quand, de l’un à l’autre des éléments qu’il assemble, s’opère une coopération transcendante par laquelle l’un pose le principe et l’autre, sans le savoir, l’illustre et l’éclaire. Cohérence subliminale qui, par une sorte de précipitation lente, s’opère quand chacun a retrouvé sa solitude.
»

On ne saurait mieux dire.
Et merci d'avoir fait le boulot à ma place.

La photo : David Schildknecht et, en arrière-plan, Michel Bettane, perplexe. Photo Armand Borlant.

René Millet est un expert en tableaux anciens. Il est également membre permanent du Grand jury européen. Mettre ses deux passions en parallèle était très naturel.
Juliette Tournand est l’auteur de La Stratégie de la bienveillance, de Sun Tsu sens dessus dessous, un art de la paix et de Secrets du mental
(Éd. InterÉditions-Dunod)

22 commentaires:

  1. Pas de comité éditorial au WWS ?

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  2. Très bonne suggestion pour François Mauss

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  3. C'est quoi ça ?

    On va normalement sortir un DVD où il y aura tous les séminaires et autres moments principaux.
    Non, vous ne verrez pas le passage où certaines personnes ont une nette propension à effectuer certains nettoyages des nasaux : manquerait plus que ça dans votre spounz-chose éditorial !

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  4. Laurent, expliquons à François. Un comité éditorial est une réunion de gens compétents qui choisissent les thèmes et les intervenants sur la base d'une stratégie éditoriale. François, j'te jure, ce serait pas mal, le WWS est à un moment de sa croissance où il m'apparaît qu'il faut mettre en place ce genre de rigueur. C'est un peu comme un appareil dentaire chez l'ado. Ça l'ennuie beaucoup, mais en quelques mois, les dents prennent leur bonne place.

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  5. Nicolas,

    L'expression faciale de Michel Bettane ...
    Et cette sorte de concentration hésitante du conférencier.
    Orthodontie des conférences, oui, si l'on veut ...
    :-)

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  6. Laurent, la conf' de Schildknecht a laissé tout le monde et Michel assez perplexes.

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  7. Sans faire de l'auto-promo, on est encore un peu dans les indignés en chewing-gum
    ;-)

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  8. Nicolas,

    Vu les extraits relayés ici, je n'en suis pas surpris.
    Professionnels de la profession, raillait Jean-Luc Godard ...

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  9. Ne raillez pas les gens dont c'est le métier, ça n'a pas de sens.

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  10. Nicolas, après lecture de tes 3 derniers posts, comment veux-tu qu'un vigneron "normal" songe une seule seconde à t'envoyer des vins à déguster à la maison ? ;-) #vinocamp carcassone

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  11. C'est vous qui avez pourtant tiré le premier, Nicolas ...

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  12. et voila laurentg déraille ;-)

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  13. Voilà un gars qui a été marchand de vin toute sa vie. Un beau jour, il y a peine cinq ans, quand on y pense, il est adoubé par Parker. Et tout d'un coup, en plus de décider d'un pouce levé ou baissé de l'avenir de certains vignerons, il se croit investi d'une mission : dénigrer l'avis du "vulgum pecus", le "troupeau servile" dont il est la seule et unique solution, bien sûr.

    Il fait une conférence apparemment incompréhensible, pour ne pas dire autre chose, dont tu seras bien sûr le seul à parler (sic.). Bref, il se prend un beau 86/100 qui a du lui rester en travers de la gorge, car comme tous les critiques, il dénigre la critique des autres, déteste la moindre critique sur son propre travail et, pour éviter cela, s'empressent de mettre en place la censure.

    Le thème était bon. On aurait pu lui demander "d'où" il jugeait et pourquoi ? Qu'est ce qui lui donnait ce pouvoir divin qu'il refuse aux autres ? Qu'elle était sa légitimité, en fait, sur certaines régions en particulier ? S'il y prenait du plaisir ou si c'était une souffrance ? Ce qu'il apportait de plus au public ou au vigneron de plus que les bloggeurs ? Si sont travail perdurerait s'il n'était pas payé ? S'il pensait qu'il serait devenu bloggeur s'il était resté marchand de vin ? Quelle était sa grille de jugement et comment elle s'insérait dans celle de Parker ? Ou simplement comment l'on peut vraiment juger un vin si on ne le fait pas à l'aveugle... Et enfin où était l'émotion dans les notes sur 100...

    Mais bon, au WWS, on est poli. Et j'imagine qu'on pas parler de l'Espagne, de Jay Miller, de la déontologie du journaliste et de celle du bloggeur...

    Ah, il n'y avait un bloggeur qui aurait pu expliquer, lui aussi, son pourquoi et son comment ? A part toi, bien sur ;-)

    Bon, merci à Juliette. Bien rigolé.

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  14. A Regis Chaigne :

    Il y avait une quizaine de producteurs argentins, d'autres du Friuli, Marionnet, Wassmer, Huber et d'autres d'ailleurs et mathématiquement les DRC, Clos de Tart, Pavie, Trimbach, Harlan étaient en nette infériorité numérique.
    Bon, au milieu, il y avait le célébrissime Dr Bonobo qui donna à l'événement certaines notes de noblesse curieusement manquantes.

    Oui, Nicolas, tu as doublement raison parce que c'est dans mes neurones et parce que mes partenaires m'ont gentiment demandé la même chose. Avec Monsieur Pitte, toi, Michel et quelques autres, on va faire chauffer nos neurones chez Philippe Bourguignon. Et fissa !

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  15. Armand,

    Ne me dis pas que tu as soutenu le bon professeur Pellrin et sa clique d'experts en risques nucléaires à l'époque de Tchernobyl :-)

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  16. Non je me suis toujours méfier des experts, et je n'ai pas voté Sarkozy:

    Nicolas Sarkozy était chargé de mission pour la lutte contre les risques chimiques et radiologiques en 1987 au ministère de l’Intérieur. Sources : le Who’s who ?, les archives du site du Ministère des Finances, les bios de l’Express, et le Bulletin de la Société générale de Presse.

    Selon cette dernière source, il y serait resté de mars 1987 à mai 88. Cette période correspond à une grosse activité de désinformation du gouvernement français.

    D’après Michèle Rivazi, fondatrice de la CRII-rad (commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité), citée par Le Monde.fr, c’est notamment la période où le gouvernement couvre totalement le Professeur Pierrre Pellerin, directeur du SCPRI (service central de protection contre les rayonnements ionisants).

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  17. Armand,

    Une ligne éditoriale un peu orientée à l'époque, en effet (le gouvernement, les lobbies de tous poils).

    Storytelling dans sa face sombre, déjà !

    Comme disait Coluche : il n'y aura jamais de Tchernobyl en France.
    La preuve ? regardez une carte de France : il n'y a aucun lieu qui s'appelle Tchernobyl :-)

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  18. Pour revenir à nos moutons : c'est vrai que Schildknecht n'a pas du tout évoqué les points que je lui avais demandé et qu'il est parti sur un rare vaseux quasi incompréhensible, en totale opposition avec la clarté de l'exposé de Michel Bettane.

    Ce sont les risques du métier. J'ai également été déçu par l'alignement de chiffres cités par Paolo de Castro (qui, lui, sait parler clairement dans un micro) mais au moins, on a compris à quel point les zeus de Bruxelles sont loin des réelles interrogations du monde du vin.
    Le séminaire de Roberto de la Motta était bon et on a ainsi beaucoup appris sur l'Argentine.
    Bref, bien des choses à améliorer, un timing a mieux étudier, une formule "atelier" à mettre sérieusement au point, des dégustations à développer.
    Mais comme me le dit un participant : quand on est premier, le seul risque est de redescendre, tandis qu'en étant encore loin de ce rang dramatique, on a de l'espoir ! :-)
    Bon, en espérant que les vidéos seront bonnes, on produira un DVD complet avec les powerpoints et résumés des séminaires que nous prépare Marie Ahm.
    Pour l'an prochain, je compte beaucoup sur ce nouveau comité éditorial (si c'est pas sérieux un nom comme ça !) pour élaborer une ligne visible d'interventions et des speakers de renommée bien choisis internationalement pour éviter du franco-français.
    Bref, il y a du teuf !

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  19. @Hervé : en fait, cette conf' a tourné court. Personne n'a parlé de rien, tout le monde avait envie de se casser, y compris Michel. Et Mauss a emballé l'affaire au soulagement général. L'an prochain, on va se brancher une grosse conférence mieux que ça, sur un thème voisin. De toute façon, c'est le genre de thème qui branche tous les participants.

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  20. Bravo Juliette.
    La clarté même, et la bienveillance, n'en parlons même pas.
    Une anonyme qui écrirait bien en bleu si c'était possible.

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  21. Mademoiselle A, je fais les recherches avec mon geek préféré pour que tu puisses écrire en bleu.

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