Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 28 juin 2010

Hubert de Boüard, le sonneur


Angelus. Un nom qui sonne bien dans les campagnes et sur les villes. Pour l’amateur, celui qui aime, une promesse de grand bonheur, quelque chose entre le velours et la soie tendue sur une belle trame, légèrement nuancé par la certitude d’un bon trou dans la poche, angelus 2009 à 245 euros ht en primeurs, je passe mon tour.
Nous sommes à Bordeaux-Rive droite, sur les pentes douces qui descendent des clochers de Saint-Émilion. Angelus, matin, midi et soir, ce n’est pas un hasard. La France est un pays de culture chrétienne, ce qui explique aussi les cloches et les jolis vins dans tous les coins, pourvu que ça dure. Ce matin, nous avons rendez-vous avec Hubert de Boüard, co-propriétaire et opérateur de Château Angelus, cru classé de Saint-Émilion, qui produit l’une des cuvées phares de l’appellation, en même temps qu’il en tient les rênes autant que faire se peut, il ne ménage pas sa peine. L’homme a de la branche, on le comprend immédiatement. Le verbe posé, le geste calme, il a la rondeur des hommes de certitudes, et la netteté qui va avec, on ne lui marche pas sur les pieds, c’est clair. En même temps, promenons-nous dans les ruelles séculaires, on n’entendra pas que des psaumes laudateurs sous les nefs de pierre des chais centenaires. La France est comme ça, on ne réussit pas sans peines, sans soupçons, je doute donc je suis, ainsi va la vie des villages.
Angelus. Mais pas seulement. En plus de l’immense, Hubert met les mains dans beaucoup d’autres jus. Il y a son domaine personnel, La Fleur de Boüard en appellation lalande-de-pomerol, deux cuvées haute-couture à prix fréquentable. Ses autres co-propriétés à Saint-Émilion, en Côtes de Francs et en Afrique du Sud. Et tous les domaines qu’il conseille autour de chez lui (le Clos des Jacobins, La Pointe), à Pessac Léognan (le magnifique Fieuzal) ou encore en Espagne et jusqu’au Liban. En tout, une vingtaine de propriétés et, pour être sûr de ne pas bailler aux corneilles, il a des responsabilités syndicales et, depuis peu, le voilà chevalier de la Légion d’honneur. Ouf. La vie à Angelus n’a pas toujours connu ce tempo trépidant. Il fût un temps où un de Boüard promenait sa Delage frappée à ses armes dans le vignoble saint-émilionnais. Les temps ont beaucoup changé. Pour en être sûr, nous avons passé Hubert de Boüard à la question.
Le classement
« Revisiter le classement tous les dix ans est un gage de sérieux. Bien sûr, il y a ceux qui montent et ceux qui descendent. Ce qui crée des aigreurs. Aujourd’hui, effet boomerang, tout ça nous revient en pleine figure. L’annulation du classement est un problème, beaucoup d’étrangers, d’importateurs s’interrogent. Les grands ne sont pas touchés. Ausone, Cheval Blanc, Angelus, Pavie, Figeac s’en sortiront toujours. Pour les autres, le classement est fondamental. »
Les amis
« La famille Bécot (Château Beauséjour-Bécot, NDLR), Alain Vauthier à Ausone, les Bardet, Alain Nollet de l’Union des producteurs de Saint-Emilion, François Despagne. »
Les pas-amis
« François des Ligneris, il a tout mal joué (ex-propriétaire de Château Soutard, NDLR). »
Gérard Perse
« J’ai de l’estime pour ce qu’il a fait. Tout ce qu’il amène, c’est du beau, du bon. Plus il y aura de Perse à Saint-Emilion, mieux je me porterais. »
Le consultant
« Je suis un technicien avant tout. Michel Bettane m’a emmené un jour en Bourgogne, tout ce qu’il m’a montré m’a passionné. L’échange avec les producteurs bourguignons a été très enrichissant pour moi. Conseiller des propriétés très diverses me permet de progresser. »
Thunevin de garage
« Jean-Luc Thunevin a inventé le concept des vins dits de garage. Ils ont poussé les murs, ce sont des gens volontaires et travailleurs. Ils ont fait comprendre à beaucoup une chose très simple : en travaillant bien la vigne, on fait de meilleurs vins. Le concept a beaucoup apporté à Saint-Emilion. »
Mon engagement
« De 1990 à 2008, j’ai été vice-président puis président du syndicat viticole. J’ai créé le syndicat de gestion pour l’appellation et ses satellites (Puisseguin, Lussac, Montagne, Saint-Georges, NDLR). Aujourd’hui, je suis président du comité régional de l’INAO. »
Ma différence
« J’ai été un des premiers leaders de l’appellation. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Michel Bettane. J’ai innové dans beaucoup de domaines à la vigne comme au chai. L’augmentation de la hauteur de palissage, les élevages sur lies, la mise en barrique avant les fermentations malo-lactiques, etc. Est-ce que j’en fais beaucoup ? Je n’ai pas l’impression. »
La crise
« Tout le monde est touché. Angelus ne vend plus une bouteille aux Russes, par exemple. Nous ne passons pas à côté de la crise. »
La Place de Bordeaux qui achète, mais qui ne vend pas
« Cela peut mal finir. Personne n’achètera plus par habitude. On voit monter les structures fortes en fonds propres. Il ne restera bientôt plus que la cinquantaine d’étiquettes avec lesquelles personne ne perd jamais d’argent. »
Le trésor d’Angelus
« 3 000 bouteilles par millésime. Quand il en reste moins de 600, je décide qu’il n’y en a plus. »
La force de Bordeaux
« La capacité à produire des millions de bouteilles de grands vins. Bordeaux est un mythe absolu, la référence mondiale. »
Mes vignerons préférés
« Alvaro Palacio (grand d’Espagne dans le Priorat et la Rioja). Marcel Guigal. Dominique Lafon, le regretté Denis Mortet et la Bourgogne en général où je me sens bien. Je m’y reconnais. »

Prudents, on ne l’a pas beaucoup branché sur ses pratiques culturales, qu’on sait irréprochables. Comme c’est le sujet qui l’intéresse sans doute le plus, on peut y passer des heures, un peu comme avec Dubourdieu, le côté grand amphi en moins. Maintenant qu’il a mené Angelus au sommet du possible (premier cru classé A, c’est impossible pour l’instant à cause de l’invalidation du classement, il y en a pour un moment), il lui faut réussir le difficile virage de la transmission. Deux filles et un fils, il faudra qu’ils s’entendent pour prolonger l’aventure le mieux du monde, rien n’est jamais gagné en cette matière. Mais, là, on voit Hubert d’une patience d’ange, bienveillant même, en se disant que ce n’est pas forcément son mode de fonctionnement le plus habituel. Ils en ont de la chance.

La photo : Hubert de Boüard, photographié par Mathieu Garçon

mercredi 23 juin 2010

Cher monsieur Père Noël

Primeurs 09, le grand millésime, aïe, ça va faire mal. Vous avez sûrement suivi l’affaire, les prix ont encore pris un coup de boost terrible. Avec mes collègues de bureau, nous avons plongé dans nos archives. Depuis 2002, les prix ont été multipliés par 7. Heureusement qu’ils n’entrent pas dans le panier de la ménagère, sinon bonjour l’inflation. Donc, mouton à 650 euros ht, chère Philippine, je suggère que vous les gardiez par devers vous jusqu’à la prochaine crise. Vous m’objecterez que les grands amateurs chinois en raffolent. J’en suis très heureux pour le prestige de la France et très malheureux pour celui de ma cave. Mais l’amateur français n’est pas convoqué les années de grand millésime. Je me souviens pendant la Semaine des primeurs 05 à Pomerol d’un grand négociant avec un ventre aussi impressionnant que son auto et son cigare (fumer le cigare dans les chais…) qui disait avec infiniment de mépris et de satisfaction (pourquoi ?) que ce n’était pas un millésime pour les Français. La résistible (hélas) envie de lui en coller une, à cet oublieux des fondamentaux. Passons vite.
Le millésime 09, je le verrais comme en 2008, chez ceux qui ont bien travaillé sans en faire toute une histoire. Petit-gravet-aîné, un saint-émilion éclatant à 23 euros chez Legrand. Fieuzal, un pessac-léognan en plein boom à 26 euros chez Chateauonline. Le merveilleux guiraud, ce sauternes de sacerdoce, si bien fait, à 35,50 euros chez Chateauonline aussi. Et d’autres. Rouget, le meilleur rapport qualité-prix (à 32 euros quand même) de Pomerol, chez Wineandco. Encore des sauternes : doisy-daene, suduiraut, la-tour-blanche, le choix est circonscrit, mais cher. Voire très cher si on ajoute climens, extrême merveille à 84 euros chez Legrand. Un petit nouveau, le clos-des-baies à Saint-Emilion, par le maître de chai d’Ausone, à servir sous demi-chaussette : le haut de l'étiquette est moche, mais le nom est drôle. Clos des baies, Cloudy bay, vous mordez la blague ? 29 euros chez Mesprimeurs.com, le site d'une boutique de Saint-Emilion adossée à un négociant bordelais important et au propriétaire du château. Et un médoc. Ici, le choix est vaste. Marquis-de-terme, labégorce, phélan-ségur, les-eyrins, meyney, la-lagune. Tous ces vins sont très bien faits par des équipes en place depuis peu (ou un peu plus) d'années et ils ont tous parfaitement réussi le millésime. Enfin, un grand côtes-de-castillon à choisir entre ceux du Domaine de l’A et ceux du Château d’Aiguilhe. Faux choix, c’est Derenoncourt qui fait les deux. L’A est sa propriété perso, Aiguilhe est dans le portfolio de Stephan von Neipperg (avec Canon La Gaffelière et La Mondotte). Il faudrait acheter les deux et comparer dans quinze ans, pfff.
Juste un mot sur les vendeurs de primeurs. En faisant confiance à ceux que je recommande vous ne risquez pas de courir après vos flacons, le moment venu. Les prix indiqués sont hors-taxes et justes à ce jour (vérifiés). Désolé, il n'y a rien de pas cher, mais le marché est comme ça, âpre au gain.
Vous n’êtes pas obligé de faire comme moi, mais si vous le faites, vous ne perdrez ni votre temps, ni votre argent.