Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 28 décembre 2021

Maggie Henriquez quitte les champagnes Krug.
Sa dernière interview ?

 

Maggie Henriquez a quitté la maison Krug il y a quelques jours. Nous l’avions interviewée en novembre 2019. Sa dernière interview ?

 

Maggie Henriquez, présidente de la maison Krug (photo D.R.)

 

 

 

Vous avez repris la maison dans une période très difficile. En 2008, La crise des subprimes éclate pendant l’été aux États-Unis et arrive en France en septembre. On a raconté que la Champagne avait eu beaucoup de difficultés dès le premier trimestre 2009. Comment avez-vous eu le courage, ou l’inconscience, de reprendre une maison dans cet état ?

 

Je suis arrivée en 2009 sans connaître la situation de la maison, avec une expérience très marquée par les “turn around”. J’ai travaillé dans beaucoup de situations de crise, celle de 89 au Venezuela, celle du Mexique, celle de 2001 en Argentine. Je suis habituée à ces circonstances et à travailler dans des organisations très larges. J’arrive chez Krug qui est une petite maison avec cette perception de moi-même comme très experte dans la crise. 2009 était déjà une année très difficile pour la maison. Je me suis dit : « C’est petit, c’est facile ». C’est la formule des échecs. Ma première année fut l’année la plus difficile de ma carrière. À la fin de l’année 2009, on avait perdu déjà un volume important additionné à celui qu’on avait perdu en 2008. J’ai terminé l’année avec la sensation d’avoir échoué et de ne pas avoir pris les bonnes décisions.

 

Fin 2009, catastrophe totale. Quels étaient les chiffres de cet échec ?

 

En 2008, la maison avait perdu 45 % et s’attendait à ce qu’on puisse rapidement arrêter la chute en 2009. On avait accumulé 67 % de pertes en volume et 98 % de pertes en résultat. Ma situation était vraiment catastrophique. Je pense que le groupe s’est rendu compte que j’étais un peu loin de ce concept de luxe, etc. La direction m’a invitée à expliquer cette situation désastreuse. Je me souviens de ce qu’on m’a dit : « Maggie, oublie tout ce que tu as fait dans le passé, oublie l’idée que tu puisses arriver en six mois à avoir une stratégie et une vision. Tu es en face de quelque chose où le temps est nécessaire. Tu auras besoin de trois ou quatre ans pour y arriver. Le luxe c’est le temps. » Après cet entretien, de retour chez moi, je commence à lire un livre que j’avais acheté, mais que je n’avais jamais ouvert, Luxe oblige de Kapferer et Bastien. J’y découvre que le luxe, c’est quelqu’un qui est vivant à travers les organisations, que c’est une vision, celle d’un fondateur et qu’il faut connaître ses consommateurs, les comprendre au mieux. Et là, je me rends compte de deux choses. On ne connaît rien du fondateur de Krug et la maison ne cherche pas du tout à comprendre ses consommateurs. Tout ce que la maison peut offrir au marché, c’est la création et l’invention de son fondateur. C’est ce fondateur qui a voulu offrir quelque chose qui n’existait pas. J’adore dire que le luxe, c’est une lumière qui allume les chemins pour les autres. C’est toujours quelqu’un qui propose quelque chose qui n’existe pas sur le marché. J’ai donc cherché dans l’histoire de la maison pourquoi on faisait ce qu’on faisait. Voilà le début d’une belle histoire qui m’a pris beaucoup de temps et dont je suis aujourd’hui très fière. Dix ans plus tard, on en voit le résultat. Et l’évidence de ce résultat, c’est la possibilité qu’on a eu de restaurer le patrimoine de la maison. C’était beaucoup de travail, beaucoup de compréhension et de connaissance. Au final, j’ai l’évidence que le luxe, c’est le temps.

 

Chaque année où presque Krug lance une nouvelle idée. La maison invente des concepts d’une modernité extrême, comme Krug ID et sa musique. Vous avez imaginé tout ça. Pour aller où ?

 

En réalité, on ne peut pas dire que chaque année on a créé une nouvelle idée. Je suis convaincue que l’important était de retrouver notre raison d’être. On ne la connaissait pas. Elle commence par la vision d’un homme qui a dit : « Pourquoi faut-il attendre une bonne année pour produire un grand champagne ? Je veux créer le plus beau champagne que l’on peut offrir chaque année. » Cette idée a conduit à la réalisation géniale de Krug Grande Cuvée, autrefois Private Cuvée. Certes, on ne peut pas faire un grand champagne toutes les années parce que la météo change et que le climat évolue. Mais si on considère que chaque petite parcelle est respectée comme un terroir à part et qu’elles donneront un vin différent selon les années et les climats, alors le vin sera différent. Si chaque parcelle est respectée comme telle, de manière individuelle, je vais avoir un vin individuellement sélectionné, créé et gardé. Pour chaque parcelle, je vais avoir une palette de couleurs. La maison utilise les trois cépages champenois – le pinot noir, le chardonnay, le pinot meunier – et elle a accès à tous les terroirs de la Champagne. L’idée du fondateur était de faire une bibliothèque avec toutes ces couleurs. Dans cette bibliothèque, je vais recevoir toutes les années les vins issus de toutes les différentes parcelles. Ils vont me donner une palette spéciale pour l’année avec laquelle on cherche à créer cet hommage à la Champagne, ce champagne de plusieurs cépages qui est à la fois une vision personnelle et l’expression la plus généreuse. Ce projet, c’est le rêve du fondateur et la raison d’être de cette maison. C’est ce qu’il a appelé la Cuvée numéro 1. Selon lui, une bonne maison ne devrait former qu’une ou deux cuvées de la même composition et de la même qualité. Il a tout écrit dans un petit carnet, dès qu’il engage ce projet à l’âge de 41 ans. À 42 ans, il décide de quitter la maison où il travaillait. À 43 ans, il complète la négociation avec Hippolyte de Vivès afin de prendre cette maison. De Vivès était un homme connu pour avoir accès à de très bons vignerons et à de très bons terroirs. Il découvre Joseph et son idée de faire quelque chose qui n’existe pas et, complètement séduit, il l’invite à devenir le propriétaire majoritaire de la maison. Voilà comment Joseph a fondé la maison Krug, qui prend son nom à partir de 1843. Comme il sait qu’il fait quelque chose qui n’existe pas ailleurs en Champagne, il décide donc de tout écrire dans ce petit carnet, redécouvert en avril 2010. J’ai lu ce carnet avec beaucoup d’émotions.

 

Que raconte-t-il ?

Il y explique l’importance de ne pas faire de compromis. Même si, en apparence, on peut faire des bonnes cuvées issues de parcelles moyennes et même médiocres, ce sont des exceptions sur lesquelles on ne peut jamais compter. On risque d’abîmer sa réputation. Il voulait faire un champagne d’une qualité supérieure. Il était obsédé par la qualité et avait compris qu’un bon champagne commence avec la création de bons vins issus de bons terroirs et des bonnes parcelles, sans compromis dans la sélection. C’est extraordinaire parce que j’ai découvert l’histoire de ce carnet en avril 2010. Un peu plus tôt, en février, suite à la situation difficile de 2009, j’avais dit à Éric Lebel, notre chef de cave : « Invite-moi à tout ce que tu fais, peut-être que je vais découvrir quelque chose qui va me clarifier la situation. » Il m’avait répondu que je devais évidemment venir aux dégustations avec les vignerons. J’assiste donc à une dégustation avec une vigneronne de Bouzy. Il y avait trois verres qui correspondaient à trois parcelles. Le premier était un vin au fruit extraordinaire. Le second était un peu plus discret, mais fantastique, avec de la structure et une longueur formidable. Le troisième verre était issu de raisins en surmaturité. Éric dit alors à la vigneronne : « J’ai l’impression que vous avez vendangé ces trois parcelles le même jour. Pourtant, je vous avais prévenu que cette troisième parcelle est trop exposée au soleil. Elle a besoin d’être récoltée quatre ou cinq jours avant les autres. Madame, je suis désolé, mais cette parcelle chère à la maison ne fera pas partie cette année de nos champagnes. Elle ne participera pas à nos créations, parce qu’elle n’est pas au niveau. » Chaque bouteille de Krug correspond à un assemblage de vins qui sont le résultat d’une seule parcelle et des dégustations qui suivent. Si les résultats de cette parcelle n’arrivent pas au niveau, elle n’entre pas dans l’assemblage. Deux mois plus tard, je retrouve ce petit carnet où Joseph explique qu’on ne peut pas assembler des vins qui ne sont pas au niveau. Il le dit en 1848, en insistant sur le plus grand soin à apporter à toutes les étapes de la création du champagne et sur le fait qu’une bonne maison ne devrait former que deux cuvées de la même qualité. D’un côté, Krug Grande Cuvée, son rêve et la raison d’être de la maison. De l’autre, une cuvée de circonstance qui exprime l’histoire d’un millésime.

 

Avec Krug ID et les cuvées « éditions », vous avez synthétisé cette histoire incroyable léguée par Joseph Krug. C’est quoi ?

 

Après m’être rendu compte de l’histoire de notre maison, je me suis dit que la vision originale de notre fondateur existait toujours et que les gens souhaitaient la connaître. Chaque grande-cuvée a son histoire. C’est une création hors du commun issue d’une palette de 400 vins, 250 vins de l’année et 150 vins de réserve de 13 ou 14 années différentes. À partir de ça, le chef de cave sélectionne entre 120 et 190 vins pour créer, chaque année, cet hommage à la Champagne. Il y a des choses à raconter à ce sujet, comme il y en a aussi pour la cuvée numéro 2, fruit du millésime. C’est pour cela qu’on a décidé de créer Krug ID. Toutes les bouteilles portent un numéro qui permet – initialement via une application que nous avons développée en 2014, mais désormais par d’autres moyens comme Twitter ou Google – d’avoir accès à l’histoire de la cuvée et à une multitude d’informations comme des accords mets-vins, des recommandations sur le service et, depuis peu, une connexion avec la musique.

 

Et les numéros d’édition ?

 

On a commencé avec Krug ID en 2011. Quand le digital n’était pas encore utilisé pour les produits de luxe et qu’il était d’ailleurs assez éloigné de ce monde. Je crois vraiment que la technologie est au service des gens. Le digital doit être là pour nous donner l’opportunité de partager avec les consommateurs l’histoire et les détails qui existent derrière chaque bouteille. D’une édition à l’autre, il y a des différences majeures et il faut pouvoir l’illustrer avec une étiquette frontale, visible. C’était une rupture dans l’histoire de la maison. Mais nous sommes fiers de nos champagnes. Il fallait aller plus loin dans la manière d’identifier chaque bouteille, de la rendre unique. On a commencé à imprimer le numéro d’édition sur l’étiquette frontale à partir de l’année 2016. On cherche à montrer que chaque année est une nouvelle édition du rêve de Joseph.

 

Parmi toutes les choses qui portent la marque vers le public, il y a cette expérience menée avec l’Ircam (institut de recherche et coordination acoustique-musique) sur la manière de représenter musicalement les qualités organoleptiques des champagnes Krug. D’où vient cette idée ?

 

Au début, c’était une intuition. Il y a quelque chose de sensoriel et de physique dans la dégustation. On a cherché à le montrer en s’appuyant sur la science. Les laboratoires des universités d’Oxford, d’Édimbourg et Yale travaillaient déjà sur ce sujet. On a cherché à montrer qu’il y a une résonance capable de créer cet accord entre la dégustation et le son. C’est un peu le même chose pour les accords mets-vins. Ce sont les connexions entre la gastronomie et le vin qui vont créer une expérience particulière. Les équipes de la maison, le chef de cave et l’une de nos œnologues ont travaillé avec le personnel de l’Ircam pour faire une traduction des sensations dans un langage compréhensible par la musique.On a sélectionné dix parcelles en Champagne pour pouvoir illustrer les chardonnays, les pinots noirs, les meuniers. L’idée est de montrer que le pinot noir du sud de la montagne de Reims n’est pas le même que celui du nord de la montagne de Reims. La traduction de ces sensations a été donnée à un musicien afin qu’il donne une composition de ces dix terroirs différents. C’était extraordinaire de pouvoir montrer à nos consommateurs cette partie-là de la création des champagnes Krug. La musique est universelle, c’est un langage auquel tout le monde a accès. Grâce aux versions musicales de ces dix parcelles, le consommateur peut comprendre le clos du Mesnil, dans la clarté, sa finesse, sa hauteur. Il peut comprendre la différence avec le clos d’Ambonnay, très différent par sa structure. Entre ces dix pièces musicales, les tons changent parce que tout est différent.

 

Le marché du champagne en France fléchit. À quoi attribuez-vous ce ralentissement ?

 

Pour moi, il y a deux raisons. D’une part, l’agitation sociale qu’on a vécu à la fin de l’année 2018 a fait chuter la fréquentation dans les hôtels, les bars et les restaurants. On sait très bien que la fin de l’année représente presque 50 % de la consommation de champagne en France. D’autre part, et c’est une tendance mondiale, les gens cherchent à consommer des produits de grande qualité en plus petite quantité.

 

L’identité de Krug, c’est l’assemblage des cépages, des millésimes, des terroirs et cette alchimie incroyable trouvée par un chef de cave visionnaire semble durer toujours. Pourtant, des choses ont changé en dix ans. C’est quoi Krug aujourd’hui ?

 

Chez Krug, tout change et rien ne change. On a cherché à comprendre cette maison telle qu’elle a été imaginée par son fondateur. L’essence de la maison Krug est de pouvoir offrir des champagnes de très grands niveaux de qualité. En gardant à l’esprit que la Champagne n’est pas une région connue pour produire des « vins de terroirs ». Or, nous pensons le contraire, nous pensons que nos 275 parcelles donneront 275 vins différents et que deux vignerons, même voisins, produiront deux vins différents. Nous cherchons à comprendre l’individualité de chaque terroir. C’est ce que nous faisons de manière très claire au clos du Mesnil et au clos d’Ambonnay. Tout commence par cette palette de 400 vins à la disposition du chef de cave. Avec pour mission de recréer chaque année le rêve de notre fondateur, Krug Grande Cuvée, et de raconter l’histoire d’une année particulière, avec notre millésimé. Il y a aussi Krug Rosé, création inspirée de la vision de Joseph, né dans les années 1970 afin de pouvoir donner au marché un rosé très élégant, qui n’existait pas à cette période. Pour la maison, la qualité ne peut pas s’obtenir sans comprendre chaque terroir.

 

Vous présidez aux destinées d’une marque parmi les plus emblématiques de la Champagne. Mais vous avez ajouté assez récemment à vos activités la responsabilité de Estates & Wines, société du groupe Moët Hennessy qui rassemble les vignobles étrangers de la marque. Pourquoi avoir accepté cette mission ?

 

C’était une invitation de Philippe Schaus, notre président, dans le cadre d’un remplacement. Il voulait quelqu’un en qui il pouvait avoir confiance et qui comprenait le vin. Son idée était que je parte de chez Krug pour aller chez Estates & Wines. Mais Krug m’appartient dans mon émotion, c’est un travail de plusieurs années et je ne peux pas concevoir de quitter la maison à 63 ans. C’est impossible. Je lui ai donc dit que j’allais réfléchir et trouver une solution. Tout en continuant avec Krug, je lui ai proposé de l’aider à recruter quelqu’un qui pourrait gérer la division. Depuis janvier 2019, Boris Janicek est complètement en charge de la société. On cherche à construire un portefeuille plus complet, plus cohérent. Je suis ravie d’avoir contribué à cette direction.

 

Vous envisagez, sous votre gouvernance, l’acquisition de nouveaux domaines à travers le monde ?

 

Bien sûr. Nous avons un portefeuille intéressant parce que nous avons acquis des domaines pionniers dans le monde. L’idée est d’aller dans ce sens, avec des propriétés qui répondent à cette vision d’origine. Par exemple, Ao Yun correspondait à celle d’aller en Chine à la recherche d’espaces magiques dans lesquels on pourrait faire un grand vin. Ça, c’est pionnier. Ça répond absolument à la philosophie qu’on doit avoir dans tous les domaines chez Estates & Wines.

 

 

Cet article a été publié sous une forme différente
dans EnMagnum n°18

mardi 14 décembre 2021

Damien Champy, ce passionné de vin est un patron de coop de grand talent

 

J’ai déjeuné souvent avec Damien Champy. En plus de découvrir ou confirmer ses derniers tirages des beaux champagnes Le Brun de Neuville, il dégaine toujours un grand très grand vin rouge. De ceux qu’on ne boit que rarement ou jamais, les grands d’Espagne, les princes d’Italie, des magnums de mouton ou de calon-ségur, des vins californiens rarissimes et même Ao Yun, le vin chinois vu par LVMH. Il aime le vin follement et n’a pas d’autre urgence que de vous faire partager cette passion. L’autre particularité de ce garçon, être à la fois le président de la coopérative qu’il dirige d’une main ferme en Champagne et le directeur général. Avantage double, il économise un (gros) salaire et il raccourcit la chaîne de décision, il gagne deux fois, ses collaborateurs aussi. « Je suis aussi propriétaire d’un peu plus de cinq hectares de vignes, intégralement destinées à Le Brun de Neuville. L’une des règles pour être au conseil, c’est d’être adhérent à 100 % à la coopérative. » Bref, cette coopérative est bien tenue, posée là, moderniste, sur la côte de Sézanne et sur ses caves et cuvier face au village et à son clocher, devant le coteau. On voit bien la forte pente qui légitime ce mot de « coteau ».

« Tous ensemble, nos 200 coopérateurs représentent un peu moins de 160 hectares. Pour donner un ordre d’idée, notre adhérent qui a la surface la moins importante cultive de la vigne sur trois ares quand le plus important s’occupe de 10 hectares. » Damien Champy est un président actif, guidé par l’amour de son métier et du champagne. Sa préoccupation première est de sortir des vins qui ressemble aux terroirs que ses coopérateurs exploitent, des vins de lieux. Ainsi, priorité est donnée au chardonnay puisque c’est l’encépagement majoritaire du Sézannais : « La coopérative s’appuie principalement sur le chardonnay qui représente à peu près 88 % de notre encépagement total, complété par 11 % de pinot noir. Le reste est en meunier, en arbane et en pinot blanc. On vient de créer un assemblage de ces cépages et on verra selon son évolution si on en fait une cuvée. La Côte de Sézanne, c’est environ 1 500 hectares de vigne répartis entre 12 communes. Le vignoble est majoritairement planté en chardonnay, notamment dans sa partie sud. Plus on remonte vers le nord, plus on trouve du pinot noir et du meunier. Depuis deux ans, on a des apports de raisins en provenance de l’intégralité des communes du Sézannais. » Avec un point d’identité supplémentaire. Les chardonnays que Le Brun de Neuville vinifient sont différents de ceux de la côte des Blancs, ils sont plus ronds, plus solaires, « L’exposition est différente ici, plus orientée sud que la Côte des Blancs. Si je devais comparer nos vignes à un autre terroir de Champagne, je dirais que nous avons sûrement plus de similitudes avec un endroit comme Montgueux » précise Damien Champy.
De ces 160 hectares, la coopérative Le Brun de Neuville produit environ 300 000 bouteilles et magnums. Attentif à tout, Damien Champy a mis en œuvre une refonte des gammes avec un brief précis, « ancrer fortement la coopérative à son identité locale ». Il a confié l’affaire à une agence de pub qui n’est parvenue à rien de convaincant. Les filles de la comm’ de la coop ont profité du confinement et proposé de s’y coller, le résultat est bluffant, intelligent, graphiquement réussi. Et hop. C’est tout de même très ennuyeux pour les agences de pub. Bref. Voilà Le Brun de Neuville dans ses habits neufs avec quatre variations. La gamme Côte « cherche à exprimer le terroir de manière très transparente. Les vinifications sont conduites en cuves inox pour donner une image du terroir qui soit la plus pure possible. » Une autre gamme baptisée Chemin « veut montrer l’empreinte de l’homme sur les vins. On fait des choix dans la vinification, notamment en ce qui concerne la fermentation malolactique, on utilise des foudres, des fûts, etc. » Il y a aussi les millésimes, photographie de l’année en Champagne, comme souvent. Et enfin, en haut de l’édifice, les Autolyses destinées à prouver « l’empreinte du temps sur nos champagnes. Les cuvées de cette gamme ne sont pas commercialisées avant au moins dix ans de vieillissement. Elles profitent de l’autolyse, d’où leur nom, et de ce que peuvent apporter les lies de levures en se dégradant au fil du temps dans la bouteille. » Et maintenant, évidemment, l’exigeant Damien Champy songe à réduire le nombre de cuvées. Les gens qui réfléchissent n’arrêtent jamais.


Damien Champy et l'un de ses rosés



P.S. : Damien Champy est le frère aîné et très bienveillant du talentueux Boris Champy qu’on a connu bien inspiré en Californie chez Dominus et, à Beaune, chez Louis Latour (En Magnum n°9) avant de faire un passage éclair et contrariant au Clos des Lambrays, drôle d’histoire dont nous ne saurons jamais le fin mot, confidentialité oblige. Aujourd’hui, il a acquis un domaine en bio dans les Hautes Côtes de Bourgogne dont la rumeur nous apprend que c’est déjà très bien.

 

 

La photo : est signée Mathieu Garçon 

Ce sujet a été publié sous une forme différente dans EnMagnum n°23

 

jeudi 9 décembre 2021

Mes magnums (157)
Le comeback spectaculaire d'une grande marque de champagne

 

Lanson, Le Black Réserve



Pourquoi lui
Parce que Lanson. Il y a longtemps que nous suivons le redressement spectaculaire de cette maison et son attachement à retrouver la place que sa notoriété lui impose. Chaque année, le tirage est meilleur que l’année précédente et on dirait bien que tant d’efforts portent de jolis fruits. Dans le verre, c’est clair.

 

Avec qui, avec quoi
Cette cuvée créée en 2013 par Hervé Dantan, chef de caves de la maison, est faite pour s’inscrire dans l’univers de la belle gastronomie. Pour y parvenir, voilà un vin frais, tendre, tonique et ciselé. Charmant en somme. Observez vos invités et vous verrez.

 

Combien et combien
86 euros.

Nombre de magnums non communiqué.

 

Ce qu’en dit le Nouveau Bettane+Desseauve
Très fruité, dans un style plus rond et immédiatement accessible qu’auparavant, souple et harmonieux.


mercredi 1 décembre 2021

Mouton 2019, c'est très beau


 

L’artiste irlando-danois Olafur Eliasson signe l’œuvre qui orne le haut de l’étiquette du premier cru classé du château Mouton-Rothschild. Si je ne connais pas le brief, je constate comme tout le monde que le résultat est élégant et aérien, bravo Olafur.

Cette œuvre s’intitule "Solar Iris of Mouton", une série d’ellipses qui forment un anneau qui retrace le parcours du soleil autour de la Terre à l’endroit même où se situe le château, l’oculus central, à Pauillac entre sunrise et sunset. C’est ce que nous apprend le communiqué de presse. 

C’est bien vu, chic et sobre, très mouton-like. Rien à dire, c’est bien joué.

Olafur Eliasson, photo Brigitte Lacombe

 

mardi 23 novembre 2021

Sortie de crise

On le voyait comme ça. La pandémie fatale s’éloignait. Commerces, restaurants et horizons se libéraient. L’économie repartait. Les Etats-Unis revenaient sur les taxes Airbus. Le Brexit était moins grave que prévu. Le vignoble ouvrait ses volets. Un air de printemps s’installait, aidé par une fenêtre météo très courte, pleine de promesses pourtant. Ce n’était pas ça. Les Français suspicieux (toujours) étaient rétifs à une vaccination de masse, le président fronçait ses sourcils bien peignés, les menaces volaient bas. Sur les réseaux sociaux, les pro et les anti s’empoignaient comme s’il s’était agi d’un vin nature ou de levures sélectionnées. La fête battait son plein.

La restauration et ses terrasses surdimensionnées qui pourrissent la vie des riverains voyaient la vie en rose et commandaient du vin allègrement (« à prix serrés, faut nous aider ») chez les vignerons exsangues qui acceptaient parce que la trésorerie, quoi ; on verra la marge après. Patatras, voilà que le passe sanitaire (« on n’est pas des gendarmes ») limitera aux seuls vaccinés l’accès aux plaisirs des restaurants. Pas grave, ils se rattrapent d’avance sur les prix des vins à la carte en s’étonnant de la sobriété de leur clientèle. L’un dans l’autre, c’est le cas de le dire, on voyait le ciel s’éclaircir. Et ce ne sont pas les violences tordues d’une chercheuse woke féministe intersectionnelle issue d’un campus américain qui traite la gastronomie française de « raciste » sur le site de Sciences-Po (quand même), on a envie de dire Sciences-Peau, qui risquaient de les empêcher de dormir. Non, l’affaire ne se présentait pas si mal.
Nous n’avions pas les bonnes lunettes.

Une succession de catastrophes météo pointait le bout de son vilain museau au milieu de perspectives commerciales chaotiques. Le changement climatique avait un truc à ajouter. Le gel, d’abord. Je me souviens de mes chers Graeme et Julie Bott (côte-rôtie) au téléphone le lendemain de la nuit glacée. « On a tout perdu », elle était en larmes, j’avais le cœur serré comme un idiot, avec à peine un mot de réconfort. Une heure après, Paul Amsellem (condrieu) me confirmait l’ampleur des dégâts, la voix lasse. Plus tard, ici et là, au hasard toujours, des grêles ont eu raison de ce que le gel avait laissé. Quelques jours d’apaisement, d’autres de beau temps et la pluie s’installa pour un gros mois. La croissance de la plante perturbée, le mildiou qui dansait la carmagnole, les tracteurs qui ne pouvaient pas entrer dans les rangs de vigne pour traiter, partout l’humidité semait la désolation d’une saison en enfer, pensée pour les camarades bio. Verrons-nous seulement un millésime 2021 dans des quantités acceptables pour tenir les modèles économiques des vignobles de France ? C’est mal engagé, on annonce un gros - 30 % au final, toutes régions confondues. ici et là, c'est moins grave que prévu, pas terrible non plus. Un de mes très bons amis de Saint-Émilion me disait à quel point « le mildiou, c’est plus grave que les caprices des leaders de l’appellation ». Sans doute, mais ça ne dure pas la vie. Le mildiou, veux-je dire. Les postures de Cheval Blanc et Ausone sont mal comprises. Si les commentateurs habituels envoient comme toujours le pour et le contre, le vignoble ne vit pas cet épisode très sereinement. Personne ne comprend vraiment comment et pourquoi les deux premiers de cordée abandonnent la troupe en rase campagne, oubliant un peu vite qui les a faits princes. Abandonner le classement, c’est aussi faire peu de cas de l’appellation, l’une des plus porteuses de France sur tous les marchés. Et, du même geste, de toute une région qui profite de l’engouement pour les vins, mieux qu’ailleurs à Bordeaux. Ce qui permet d’asseoir une prospérité économique partagée par tous. Qui a redressé l’économie du tourisme à Saint-Émilion ? On peut comprendre sans réfléchir longtemps pourquoi l’Inao a attribué la moitié de la note finale à des items qui relèvent du développement de l’œnotourisme et l’autre moitié, à bon droit, à la dégustation. Protéger son environnement, c’est ce qui compte le plus, non ? Mon environnement commence par mon voisin, mon clocher, mon village. Cest à quoi des hommes comme Gérard Perse et Hubert de Boüard se sont attelés avec le succès que lon sait, que lon voit.

D’où qu’on tire sur le fil, on arrive à un nœud. Fallait-il s’enfuir, fallait-il rester, l’avenir le dira, ou pas. Ce que l’avenir nous dit déjà, c’est la récurrence d’une météo difficile et, parfois, pire. Rien n’indique que le ciel sera plus clément dans les années qui s’approchent. Rien n’indique le contraire, certes, mais bon. Là, il va falloir s’adapter à toute allure. Apprendre à protéger les vignes avec l’accord des instances qui devraient se responsabiliser au grand galop sur ce sujet. Plus vite, en tous cas, que le tempo habituel. Le vigneron n’est pas un mouton qu’on peut abandonner au loup et sa vie n’est pas forcément destinée à devenir un sacerdoce, voire un pensum. Soit on laisse le vigneron protéger comme il peut l’écosystème de ses vignes du gel, de la grêle, de la pluie comme l’avait fait une fois Michel Rolland sanctionné pour l’avoir fait, soit on laisse flotter les rubans avec les conséquences attendues. D’ici là, non, 2021 ne sera pas le millésime du siècle. 

 


 

 

Ce texte a été rédigé en juillet 2021

mercredi 17 novembre 2021

Mes magnums (156)
Un sancerre d'en haut

 Domaine Claude Riffault, Monoparcelle 538, sancerre 2018



Pourquoi lui
Un beau sancerre comme ça, à ce prix-là, nous ne pouvons l’ignorer. Une propriété de quinze hectares menés en bio et certifiée depuis 2016, en route vers la biodynamie, mérite qu’on s’y penche. Cette cuvée est l’une des deux parcellaires du domaine familial géré avec rigueur par Stéphane Riffault. Et il a une super-note dans le Nouveau Bettane+Desseauve

 

Avec qui, avec quoi
Chez ces vignerons, tout respire l’excellence et ce vin enchantera des convives avertis et capables de se souvenir qu’un grand sancerre est un don du ciel.

 

Combien et combien
58 euros

Nombre de magnums non communiqué

 

Ce qu’en dit le Bettane+Desseauve
Énergie quasi tellurique, présence minérale persistante, le fruit se montre à la hauteur, avec ses notes de mangue et d’agrumes. Sensuelle, cette cuvée va loin dans le raffinement.
95/100

mardi 9 novembre 2021

Mes magnums (155)
Une marque qui nous arrive du XIXe siècle

 

Champagne Édouard Brun, Blanc de Blancs premier cru


 

Pourquoi lui
Même si la maison a été fondée en 1898, convenons qu’elle a su cultiver une discrétion de bon goût. L’époque étant ce qu’elle est, c’est fini tout ça et la marque reprend des couleurs sous les projecteurs. Il se trouve que ce sont de très bons champagnes. Ce blanc de blancs à l’effervescence délicate saura séduire les plus fins amateurs. C’est pour vous.

 

Avec qui, avec quoi
Comme personne ne connaît, tout le monde pense que c’est nouveau. Au milieu des langoustines ou des huîtres, faites valoir vos connaissances.

 

Combien et combien
69 euros.

Production de magnums tenue secrète.

 

Ce qu’en dit le Nouveau Bettane+Desseauve
Cette cuvée est issue de chardonnays provenant de la Montagne de Reims et de la Côte des Blancs, des vignes qui ont la particularité d'être plantées à côté de celles des pinots, ce qui leur confère une richesse généreuse, de la souplesse et de la rondeur. Son effervescence est très délicate. L’attaque est franche et élégante. Le nez, délicat et subtil, offre des arômes de brioche, de crème et de noisette.  Sa bouche vive et séduisante aux notes citronnées se fait caresse et chaleureuse avant une finale acidulée animée d’une gracieuse minéralité. Sa longueur en bouche est remarquable.

 

 

mercredi 27 octobre 2021

Mes magnums (154)
Un grand hermitage dans un grand millésime

 

Cave de Tain, Nobles rives, hermitage 2015

 

 

Pourquoi lui
Nous sommes aux côtés de la coopération, partout où elle impose une qualité de production éclatante. En France, c’est presque partout. Et nous confessons un goût marqué pour les grands vins de la colline de l’Hermitage que nous défendons depuis longtemps. Et ce 2015 est un bel exemple de ce que cette colline (et cette cave) est capable de produire avec des syrahs bien cultivées, bien élevées. La cave de Tain dispose d
un bel éventail de vignes en propre sur lHermitage.

 

Avec qui, avec quoi
Un magnum d’hermitage sur la table ou, mieux, décanté dans une paire de carafes de bonne venue avec des verres de la même eau, si l’on peut dire, c’est un hommage rendu à vos convives. Le dîner commence bien.

 

Combien et combien
86 euros.

345 magnums.

 

Ce qu’en dit le Nouveau Bettane+Desseauve
Depuis le millésime 2014, la toute nouvelle cuverie permet enfin d’avoir un outil adapté à la taille de la vendange récoltée, et désormais sur le haut de gamme on peut vinifier en parcellaire. Dès les 2014, et plus encore les 2015, les vins ont gagné en densité, en fraîcheur, en éclat, tant en rouge qu’en blanc. À Tain-L’Hermitage, il existe une cave qui désormais doit être fière de ses vins. Ses grands hermitages n’ont pas à rougir en dégustation face aux belles maisons de la région, de cela tout le monde devrait se réjouir.

mercredi 20 octobre 2021

Mes magnums (153)
Un grand beaune avec un drôle de nom

 

François d’Allaines, beaune La Blanchisserie, rouge 2014

 


Pourquoi lui

Le plaisir du pinot noir quand il est traité avec délicatesse pour en tirer un vin fin, complexe et aromatique. L’hommage à un grand faiseur de vins que nous suivons depuis longtemps avec affection et intérêt. Au début, Michel Bettane disait que François d’Allaines traite « ses grands vins comme ses petits ». On voit bien le soigneux et c’est toujours d’actualité. Production confidentielle.

 

Avec qui, avec quoi

Cette Blanchisserie est un vin taillé pour les belles tables à la bourguignonne. On notera au passage, la poésie ménagère des noms des climats de la côte de Beaune.

 

Combien et combien

55 euros
300 magnums

 

Ce qu’en dit le Nouveau Bettane+Desseauve

Le Nouveau Bettane+Desseauve n’en dit rien pour le moment. Une mise à jour est en cours.

mercredi 29 septembre 2021

Mes magnums (152)
La nouvelle manière des jolis bordeaux

 

Château Bonnange, Pourpre, vin-de-France 2018

 

Pourquoi lui
Le château Bonnange a été repris des mains d’un célèbre publicitaire par un entrepreneur chinois épatant. Il voulait en faire sa maison pour les vacances, le vin est le plus fort et le voilà impliqué jusqu’au cou dans le développement de son vignoble. Créatif, il imagine des cuvées sans cesse. On se souvient de son étiquette « Rosé de province », vite interdite. Ce 100 % merlot élevé pour un tiers en barriques neuves et pour le reste en grandes amphores est un ovni qui mérite qu’on s’y penche avec attention. Voir plus bas la super note dans le Bettane+Desseauve. Il n’y a pas de mystère.

 

Avec qui, avec quoi
Une tablée de curieux, des passionnés de vin, de découvertes, d’innovations pinardières et une gastronomie de ménage feront l’affaire. Prévoir une certaine appétence pour le bordeaux nouvelle manière (qui fait partie des bonnes manières).

 

Combien et combien
80 euros

400 magnums

 

Ce qu’en dit le Bettane+Desseauve
Nez noble et parfumé, intense par ses petits fruits rouges et ses notes finement mentholées, corps harmonieux, souplesse et suavité des tannins, racé dans sa définition en bouche et sa finale. Grand vin.

96/20