J’ai déjeuné souvent avec Damien Champy. En plus de
découvrir ou confirmer ses derniers tirages des beaux champagnes Le Brun de
Neuville, il dégaine toujours un grand très grand vin rouge. De ceux
qu’on ne boit que rarement ou jamais, les grands d’Espagne, les princes
d’Italie, des magnums de mouton ou de calon-ségur, des vins californiens
rarissimes et même Ao Yun, le vin chinois vu par LVMH. Il aime le vin follement
et n’a pas d’autre urgence que de vous faire partager cette passion. L’autre
particularité de ce garçon, être à la fois le président de la coopérative qu’il
dirige d’une main ferme en Champagne et le directeur général. Avantage double,
il économise un (gros) salaire et il raccourcit la chaîne de décision, il gagne
deux fois, ses collaborateurs aussi. « Je suis aussi propriétaire d’un
peu plus de cinq hectares de vignes, intégralement destinées à Le Brun de
Neuville. L’une des règles pour être au conseil, c’est d’être adhérent à 100 %
à la coopérative. » Bref, cette coopérative est bien tenue, posée là,
moderniste, sur la côte de Sézanne et sur ses caves et cuvier face au village
et à son clocher, devant le coteau. On voit bien la forte pente qui légitime ce
mot de « coteau ».
« Tous ensemble, nos 200
coopérateurs représentent un peu moins de 160 hectares. Pour donner un ordre
d’idée, notre adhérent qui a la surface la moins importante cultive de la vigne
sur trois ares quand le plus important s’occupe de 10 hectares. » Damien
Champy est un président actif, guidé par l’amour de son métier et du champagne.
Sa préoccupation première est de sortir des vins qui ressemble aux terroirs
que ses coopérateurs exploitent, des vins de lieux. Ainsi, priorité est donnée
au chardonnay puisque c’est l’encépagement majoritaire du Sézannais : « La
coopérative s’appuie principalement sur le chardonnay qui représente à peu près
88 % de notre encépagement total, complété par 11 % de pinot noir. Le reste est
en meunier, en arbane et en pinot blanc. On vient de créer un assemblage de ces
cépages et on verra selon son évolution si on en fait une cuvée. La Côte de
Sézanne, c’est environ 1 500 hectares de vigne répartis entre 12 communes. Le
vignoble est majoritairement planté en chardonnay, notamment dans sa partie
sud. Plus on remonte vers le nord, plus on trouve du pinot noir et du meunier.
Depuis deux ans, on a des apports de raisins en provenance de l’intégralité des
communes du Sézannais. » Avec un point d’identité supplémentaire. Les
chardonnays que Le Brun de Neuville vinifient sont différents de ceux de la
côte des Blancs, ils sont plus ronds, plus solaires, « L’exposition est
différente ici, plus orientée sud que la Côte des Blancs. Si je devais comparer
nos vignes à un autre terroir de Champagne, je dirais que nous avons sûrement
plus de similitudes avec un endroit comme Montgueux » précise Damien
Champy.
De ces 160 hectares, la coopérative Le Brun de Neuville produit environ
300 000 bouteilles et magnums. Attentif à tout, Damien Champy a mis en
œuvre une refonte des gammes avec un brief précis, « ancrer fortement
la coopérative à son identité locale ». Il a confié l’affaire à une
agence de pub qui n’est parvenue à rien de convaincant. Les filles de la comm’
de la coop ont profité du confinement et proposé de s’y coller, le résultat est
bluffant, intelligent, graphiquement réussi. Et hop. C’est tout de même très
ennuyeux pour les agences de pub. Bref. Voilà Le Brun de Neuville dans ses
habits neufs avec quatre variations. La gamme Côte « cherche à
exprimer le terroir de manière très transparente. Les vinifications sont
conduites en cuves inox pour donner une image du terroir qui soit la plus pure
possible. » Une autre gamme baptisée Chemin « veut montrer
l’empreinte de l’homme sur les vins. On fait des choix dans la vinification,
notamment en ce qui concerne la fermentation malolactique, on utilise des
foudres, des fûts, etc. » Il y a aussi les millésimes, photographie de
l’année en Champagne, comme souvent. Et enfin, en haut de l’édifice, les
Autolyses destinées à prouver « l’empreinte du temps sur nos
champagnes. Les cuvées de cette gamme ne sont pas commercialisées avant au
moins dix ans de vieillissement. Elles profitent de l’autolyse, d’où leur nom,
et de ce que peuvent apporter les lies de levures en se dégradant au fil du
temps dans la bouteille. » Et maintenant, évidemment, l’exigeant
Damien Champy songe à réduire le nombre de cuvées. Les gens qui
réfléchissent n’arrêtent jamais.
Damien Champy et l'un de ses rosés |
P.S. : Damien Champy est le frère aîné et très bienveillant du talentueux Boris Champy qu’on a connu bien inspiré en Californie chez Dominus et, à Beaune, chez Louis Latour (En Magnum n°9) avant de faire un passage éclair et contrariant au Clos des Lambrays, drôle d’histoire dont nous ne saurons jamais le fin mot, confidentialité oblige. Aujourd’hui, il a acquis un domaine en bio dans les Hautes Côtes de Bourgogne dont la rumeur nous apprend que c’est déjà très bien.
La photo : est signée Mathieu Garçon
Ce sujet a été publié sous une forme différente dans EnMagnum n°23
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