Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



jeudi 22 juillet 2010

La solitude du dégustateur de fond


Soixante-cinq nœuds établis, quatre-vingt dans les rafales, la pluie à l’horizontale, cinglante. Quand nous rejoignons Alain Chameyrat dans la salle du petit déjeuner, ses premiers mots sont pour les jeunes feuilles des vignes du quartier qui doivent souffrir mille morts dans ce vent fou. D’autres auraient craint pour l’intégrité de leur brushing. Nous sommes dans la banlieue sud de Montpellier, riant séjour. Il est sept heures et demie du matin et Alain a rendez-vous à neuf avec les patrons du syndicat d’appellation pour la dégustation annuelle des vins représentés par cette organisation. Alain est un dégustateur professionnel, il fait profiter le Grand guide des vins de France - Bettane & Desseauve de ses talents et de son hyper-sensibilité œnologique. Vu de loin, le métier fait rêver. On imagine volontiers l’homme de l’art et ses flacons divins, papillonnant de l’un à l’autre dans l’atmosphère feutrée du lounge d’un hôtel design, distillant ses commentaires comme autant d’oracles pour un parterre de vignerons en pâmoison, les mains chargées de présents pour tenter d’infléchir l’intraitable. Une vie de patachon où l’on serait le roi du monde. Le bonheur, quoi.
La réalité est plus rugueuse. Ce matin, pour tout dire, c’est l’enfer. Nous accompagnons Alain et ses papilles gustatives jusqu’à la salle de dégustation. Le bâtiment est tout récent, une de ces œuvres architecturales dont les banlieues de France se sont fait une spécialité. Et la salle, de même. Carrelée de blanc parce que c’est plus facile à entretenir, elle est meublée de longues tables de dégustation avec crachoirs intégrés, un tous les mètre cinquante. Un éclairage au néon dispense une lumière blanche du plus bel effet. Aux murs, des affiches de promotion des évènements organisés par le syndicat viticole, les horaires des cours de dégustation et quelques conseils comportementaux au ton impérieux (fais pas ci, fais pas ça). Notre cœur se serre à l’idée de laisser notre camarade dans cet environnement hostile, seul aux prises avec quelques centaines de vins que, compte tenu de l’agenda du syndicat, il serait bien inspiré d’avoir goûtés, notés et commentés dans les meilleurs délais, quarante-huit heures maxi. Evidemment, la question qui vous saute à la figure, c’est : « comment un garçon fin et intelligent, doté d’une carrière brillante dans un vrai métier, en est-il arrivé là ? ». Après le Languedoc, la même chose l’attend en Touraine, puis en Roussillon, puis ailleurs encore. Chaque année, il passe trois mois à déguster inlassablement, loin de Paris, loin des siens, sans s’intéresser une seconde aux étiquettes, mais bien aux vins et là, il n’y a plus d’amis, de vignerons sympas, de copains, juste la réalité contenue dans la bouteille. Parfois, certains ne comprennent pas, pensaient que, croyaient des trucs. Autant d’erreurs. Un dégustateur professionnel agréé Bettane & Desseauve n’écoute que son palais. Le critique critique, le producteur s’émeut, ainsi va le monde.
Le premier élément de réponse à la question posée plus haut, le seul qui vaille en fait, c’est la passion. La passion dévorante, de tous les instants, pour le Vin, avec une majuscule pour une fois, et les plaisirs œnologiques. Avant de s’y engloutir, Alain dirigeait le département Finances et Administration d’un grand groupe, il était ce qu’on appelle un DAF. Il vivait grassement, payé à hauteur de ses compétences certaines. Déjà, pourtant, il avait contracté le virus. Un jour, juste après son dernier instant de lucidité, il s’inscrivit au concours de dégustation de la Revue des vins de France, un magazine professionnel. Dégustations à l’aveugle, questionnaires de connaissances générales ou particulières, grand oral, bref, un concours plutôt très difficile. Et, oui, il l’a gagné. L’année d’après, il y retourne. Une addiction, sans doute. Là, il finit deuxième. Il finira ainsi deuxième à chacun des concours suivants, sur une période de douze ans, remettant sans cesse le métier sur l’ouvrage. Mais là ou un Poulidor aurait été heureux, il décide de prendre une année sabbatique - le doigt dans l’engrenage - pour s’y consacrer à plein temps et convainc Michel Bettane et Thierry Desseauve de le laisser faire des dégustations pour le tout nouveau Grand guide des vins de France que Thierry et Michel lancent alors, il y a cinq ans. Les deux complices, l’ayant vu traverser les concours de dégustation qu’ils organisaient quand ils étaient les têtes pensantes de la RVF, l’engagent aussitôt et lui confie, en plus, la DAF de l’entité Bettane & Desseauve, nouvellement créée. La vie va commencer, Alain est aveuglé par son tout nouveau bonheur sur terre. Il rejoint les rangs des dégustateurs Bettane & Desseauve, ils sont huit, Michel et Thierry compris. Mais il ne se contente pas d’assurer une part importante des dégustations (le Languedoc est le plus grand vignoble français), il prend aussi en charge l’édition du Grand guide, une tâche herculéenne. Son esprit de synthèse et son sens du travail font le reste et voilà cinq ans que ça dure. A l’heure où vous lisez ces lignes, l’édition 2011 arrive en librairie et, une fois de plus, aura représenté un labeur énorme, une somme de compétences très diverses, des mois de dégustation, des ordinateurs dignes de la NASA, des centaines de litres d’eau minérale (si, si) et la gestion d’une équipe assez hétéroclite de relecteurs et correcteurs. Voilà la vie d’un dégustateur professionnel, bien loin des clichés et des fantasmes.
« Vous faites un métier formidable » a-t-on coutume d’entendre sans cesse. C’est vrai, mais seulement parce que c’est l’aboutissement d’une passion authentique. Pas plus. C’est énorme et, déjà, un vrai luxe.

La photo : Alain Chameyrat, photographié par Mathieu Garçon

lundi 12 juillet 2010

Deiss et les deissiens


Déjà, il habite route du Vin, on ne pouvait pas se tromper. En poussant la porte, on tombe sur une affiche de Rothko, fameux peintre américain. Une sorte de connivence s’installe. Un type qui met Rothko sur son mur ne peut pas être complètement mauvais. De fait, Jean-Michel Deiss est attachant avec tous les défauts des grands passionnés. Bavard, exagéré, vaguement illuminé. Et toutes les qualités. La passion en est une, en soi. Mais aussi l’implication environnementale, l’amour des beaux vins, la sincérité, l’authenticité, la créativité. Ouf. Que des grands mots. Il n’y a pas foule à pouvoir se prévaloir de tout ça en même temps. Deiss a commencé avec son père en 1976, année chaude. Dés 80, la mort de son père le propulse aux commandes du domaine, il a 26 ans, 27 hectares. Trente ans après, il a toujours la même superficie (mais pas les mêmes parcelles), il produit environ 110 000 bouteilles, sur trois grands crus et trois premiers crus, le tout en biodynamie, valeur montante (à toute vitesse) en Alsace. Il croit à des trucs oubliés. La complantation, par exemple. Sur une même parcelle, il revient aux pratiques anciennes et plante deux, trois, quatre, treize cépages, en foule. Ce qui ne se sait plus ne se fait pas, les spécialistes tiquent. Il découvre que des cépages différents plantés ensemble fleurissent et mûrissent en même temps, il les récolte au même moment. De cette observation, il tient le terroir pour responsable de tout. Et de tous ses bonheurs, pour commencer : « C’est une valeur à défendre ». Il ajoute : « Ma vigne est riche de sa diversité et elle cherche à être une. » On se prend à penser à des choses plus générales, d’autres préoccupations, y a-t-il une identité ? A un journaliste qui lui demandait le pourcentage de chaque cépage dans un de ses vins, il répondit : « Qu’est-ce que ça peut vous apprendre, le pourcentage ? C’est comme “Mozart, il y a trop de notes”. L’important, c’est qu’ils soient ensemble. » Là, je traduis en poli. Du coup, on réfléchit avant de parler, mais quand même, on le pousse. En vrac, on apprend qu’il emploie vingt personnes, que tout est fait à la main, qu’il faut comprendre où on va, on est étourdi, du mal à suivre ce fil en parthénogénèse permanente, on dirait les algues vertes de Bretagne, mais on continue, c’est riche. Il a obtenu pour 45 des 51 grands crus alsaciens un projet environnemental dédié et les producteurs ont accepté une pratique culturale spécifique sur chaque terroir. Monsieur le Président des grands crus d’Alsace, c’est lui, est content de cette première victoire, fondamentale à ses yeux. On ne se quittera pas sans goûter quelques-uns de ses chouchous. C’est un vigneron gourmand de ses vins, il en parle sans concession (« celui-là, c’est vingt ans de garde »), sans forfanterie, mais pas sans fierté, la frontière est ténue. Du dernier dégusté, il dira : « c’est l’idée qu’un grand cru est grand. » Bon, bien. Ailleurs, chez d’autres, nous comprendrons qu’il est un chef de file, qu’il fait école. Chez de jeunes vignerons, c’est à peu près normal. Mais aussi chez un directeur technique d’une grosse coopérative, ce qui est plus étonnant. Il y a des deissiens, ils sont nombreux. Bien sûr, il y a aussi des anti-Deiss, c’est ainsi, mais on les entend moins, que pourraient-ils nous apprendre de neuf ?
Et pendant vos vacances, vous allez traversé l’Alsace sans vous arrêter à Bergheim ? Ne faites pas ça.

La photo : Jean-Michel Deiss, photographié par Mathieu Garçon

jeudi 8 juillet 2010

Le four-pack des djeunes


Dans la série « le sauternes, le bonheur », voici le rayne-vigneau. Ce terroir superbe est la propriété de CA Grands crus, filiale du Crédit agricole. Cette société compte aussi dans son portefeuille les châteaux Meyney, bourgeois de Saint-Estèphe, Grand-Puy-Ducasse, 5e GCC à Pauillac et Blaignan, un médoc. L’ensemble est dirigé par Thierry Budin, un Champenois au parcours éloquent, l’homme qu’il faut au bon endroit. Voilà qu’il sort un pack de quatre flacons de 25 cl, bouchés à vis, pour vendre plus et plus facilement son rayne-vigneau à une population de jeunes gens qui, autrement, n’oseraient pas ouvrir une bouteille de 75 cl. C’est dire si l’effort d’éducation restant à entreprendre sur le sauternes est considérable. Au lieu de taper dans le produit nouveau, il aurait pu, par exemple, expliquer à la jeunesse avide d’apprendre qu’on peut ouvrir une bouteille de sauternes, en boire un verre ou deux et la laisser jusqu’à trois semaines ouverte au frigo avant d’y revenir. Le sauternes ainsi exposé n’aura pas souffert et aura, au contraire, développé des arômes qui n’étaient pas présents à l’ouverture. Pour être complet, rappelons que ce conditionnement n’est pas nouveau. Le Château d’Arche, honnête sauternes, magnifique chartreuse au-dessus du village, le fait depuis plusieurs années en pack de trois 25 cl bouchés liège. Tous ces efforts pour donner le goût du sauternes aux générations montantes sont louables et nous applaudissons.
Autre nouveauté (et vraie bonne nouvelle) chez Rayne-Vigneau. Une cuvée baptisée Gold (oui, comme la bière). Une sorte de parcellisation de parcelles qui a donné en tout trois barriques, soit quelques centaines de bouteilles d’un très grand sauternes dans le millésime 2005. Prochain millésime 2009, comme une sorte de testament de l’ancien directeur parti à la retraite ces jours derniers, l’expression ultime de rayne-vigneau. Bravo. La dernière annonce de la maison concernait l’arrivée prochaine de Le Sec de Rayne-Vigneau, à la manière de ce qui existe ailleurs, Y d’Yquem, M de Malle, S de Suduiraut, R de Rieussec, etc. Ils font tous du blanc sec, très souvent très bon. Si cela contribue au maintien du modèle économique compliqué des sauternes, nous ne pouvons qu’être d’accord.
Dernier point. Boire un verre ou deux (voire trois) de sauternes n’est pas une performance ébouriffante, c’est un bonheur au goutte à goutte. Aimer le sauternes dénonce sûrement l’amateur convenablement éduqué, celui qui a le sens du plaisir chevillé au corps, dans ses expressions les plus diverses. Si Robert de Niro dit que « once you go black, you never come back », moi je dis qu’aimer le sauternes est une quête sans fin parfaitement délicieuse qui peut s’apparenter aux préoccupations de dear Bob. Comme en témoignait l’extraordinaire 1955 aux reflets d’acajou foncé qui a conclu notre réunion, comme si elle ne devait jamais s'achever.

mercredi 7 juillet 2010

Le triste Légasse

Lu le spécial Vins de Marianne, hebdomadaire énervé. L’opus (on ne va pas parler d’œuvre) présente 100 vins qu’on connaît déjà. En voyant les bouilles rigolardes des dissidents Couly père & fils que j’ai eu l’occasion de rencontrer sur leurs nouvelles terres, je lis l’articulet qui accompagne la photo. Et là, consternation, je découvre que Périco Légasse (chroniqueur d’autrefois) traite Michel Bettane de débile ou à peu près au motif d’une divergence d’opinion sur un vin de la maison Couly. Comment ce personnage outrancier peut-il se le permettre ? La divergence d’opinion mérite-t-elle de telles insultes ? Je me souviens d’une réunion du Grand jury européen. Les 32 dégustateurs goûtaient toutes sortes de vins portugais et les notaient, tout se passait à l’aveugle, comme toujours au Grand jury. Ces dégustateurs représentent la fine fleur de la dégustation mondiale. Il y avait là des garçons de toutes nationalités et la langue d’échange était l’anglais. Après la dégustation d’une série de trente vins (deux heures d’horloge quand même) venait le moment du debriefing. Là, chacun s’exprimait sur ce qu’il avait goûté et commentait ses notes. C’est peu de dire que les avis divergeaient. Tel vin jugé le meilleur de la sélection par l’un était considéré comme le plus mauvais par l’autre. Croyez-vous qu’ils échangeaient des insultes ? Non, ils écoutaient très attentivement les commentaires de chacun, tentant d’y trouver quelque chose qui leur aurait échappé avec le respect en vigueur chez des gens de qualité qui n'assassinent pas d'un mot le travail d'un homme pendant une année. Nous sommes loin des invectives du balourd. Autant que je sache, Périco Légasse n’est pas connu pour être un dégustateur émérite. Avoir du goût pour le vin et une tribune pour le dire n’autorisent pas tous les excès de langage. Ce monsieur, qui manie la truculence surjouée avec des accents poujadistes et des références à Rabelais déjà lues mille fois, nous ennuie. Il parle d’un monde du goût qui ne nous intéresse pas. Ces émois sont d’un autre âge. Non, nous ne mangeons pas de gras-double. Mais nous n’en faisons pas un plat non plus. Nous comprenons que ces plats de ménage puissent passionner un public de nostalgiques de la somnolence post-prandiale. Mais convenons qu’il y a aujourd’hui des émotions gastronomiques autrement passionnantes. Et je ne parle pas des pirouettes pathétiques de la gastronomie à la mode, bien sûr. Périco Légasse et ses emportements calculés ne grandit ni sa toute petite réputation ni l’hebdo qui l’abrite en injuriant ainsi des gens qui ont tout à lui apprendre et qui sont unanimement reconnus. Pour se faire de la pub à pas cher, il insulte aussi Robert Parker, le traitant d'épouvantable. Rien que ça. Légasse est aussi pitoyable que Ségolène Royal à la recherche de points dans les sondages, ces jours-ci à la télé. C’est dire.

jeudi 1 juillet 2010

On ice

Moët & Chandon lance un nouveau champagne. Il serait plus judicieux de parler de nouveau concept. Le machin s’appelle Ice Imperial, comprendre qu’il est fait pour se boire avec des glaçons. Sur les plages et dans les boîtes de nuit, on appelle ça une piscine. Est-ce une bonne idée ? Pour le commun des mortels, oui certainement. S’agissant d’un demi-sec, il est dosé à 45 grammes, c’est-à-dire qu’il est franchement doux, sucré, on voit bien à quel public il s’adresse. Et très glacé, le breuvage a de l’avenir, on n’est pas loin du tonic, il ne dérangera les papilles de personne, ça sent le succès. Pour le directeur des stocks de Moët, c’est également une bonne idée. En ces années de revers commerciaux, un nouveau produit qui ne demande qu’à faire baisser le niveau de stock dans les cuves est une bonne nouvelle. Pour le directeur du marketing, un peu d’action, ça ne se refuse pas. Pour une fois qu’on lui demande autre chose qu’un lifting d’étiquette. Pour Benoît Gouez, le chef de caves, c’est l’occasion de prouver qu’il a les idées larges, qu’il comprend les aspirations de la jeunesse et les contraintes du chiffre d’affaires, bravo. Il faut dire aussi que c’est bien meilleur à boire (et bien plus sain) que l’essentiel de ce que cette classe d’âge ingurgite pour ne pas faire comme les grands. Ice Imperial, mieux que mojito, nous sommes d’accord. Pour l’avenir, c’est bien aussi. Même si ce genre d’aventure nous fait un peu frémir, force est de reconnaître que c’est un excellent marche-pied vers les vrais champagnes, qu’à force de boire ce genre de truc, viendra un moment où le public-cible poussera la curiosité jusqu’à the real thing. Et puis, disons les choses. Il ne manque plus qu’un rosé, un Ice Pink, pour rejoindre au panthéon des fantasmes le groupe Eagles qui évoquait il y a trente ans le « pink champagne on ice » dans la cultissime chanson Hotel California. C’est pour l’été prochain, Benoît ?