Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 19 septembre 2022

Les mots qui fatiguent

En s’intéressant deux secondes au langage des haut-parleurs du vin (directeurs du marketing, attachés de presse de toutes natures, brand ambassadors, journalistes), on se rend compte que le vignoble est un débutant de la communication. C’est la règle, quand on commence, on reproduit ce qui s’est fait. Mettons qu’il n’y a nul besoin de repartir d’aussi loin en empruntant un langage des plus datés. Le meilleur exemple est l’infernal « cuvée de prestige ». Prestige ? Mais de quoi, de qui ? Ce mot usé jusqu’à la trame en devient transparent, c’est-à-dire invisible, inutile, bientôt laid. Ce n’est pas le seul.

ADN, dans la phrase : « L’ADN de la maison, c’est le pinot noir (ou le chardonnay, etc.) ». Mais non, mon garçon, l’ADN de ta maison, c’est la marge nette, rien à voir. Un mot pour un autre, la mise en perspective d’univers qui ne se croisent pas, c’est une hérésie. Sauf chez les ampélographes.

PASSION, dans la phrase : « Le succès de la maison, c’est la passion » (parfois raccourcie en « une équipe de passionnés »). Là, on touche le fond de l’hypocrisie. C’est juste un truc pour passer la main dans le dos des salariés (qui n’y croient pas), du conseil d’administration (qui trouve ça très bien), des syndicats (qui espèrent y trouver un avantage).

TOUTE SA PLACE. Un néo-classique. Le dernier qui m’a fait rire, c’était dans une phrase destinée à justifier une étiquette aussi ennuyeuse que ratée : « Une étiquette qui laisse toute sa place au vin ». Bon, déjà, on ne comprend rien. On se demande comment ça fait une étiquette qui ne laisse pas toute sa place au vin. Mais on voit bien l’intention, le foutage de gueule en rangs par deux, l’abscons érigé en lever de soleil, le mot pour rien.

PRÉSERVER LE FRUITÉ. Devrait se dire d’un vigneron qui ne fait pas le boulot, qui veut des vins vite vendus, vite bus, assurer la trésorerie, vider le chai. Comme le rappelait l’inénarrable Jacques Lardière (Louis Jadot, à Beaune) : « Ce n’est pas le fruité qui nous rendra plus intelligent ». Oui, Jacques, merci pour cette piqûre de rappel. Préserver le fruité, c’est juste la page 1 du livre. Se souvenir de quelques autres bonnes idées infiniment plus intéressantes et qui emmènent le vin bien plus loin, la complexité est un bon exemple.

MINÉRALITÉ, dans « une belle minéralité ». Le minéral, c’est la pierre. Oui, mais laquelle ? Il y a un monde gustatif entre la craie de Champagne, les micaschistes de la Côte-Rôtie, les galets roulés de Châteauneuf-du-Pape, les argiles bleues (ou pas) de Pomerol, les graviers de Pessac, etc. Se féliciter d’une minéralité dans son vin, c’est au mieux une grosse paresse.

LA LIGNE DE BASE. Chaque marque a la sienne, placée en bas des annonces de publicité, sorte de résumé banal et mal foutu de la “philosophie” (voir plus bas) de la maison. En général, on n’apprend rien. Parfois, le chef des mots d’une marque enrichit le propos. Je me souviens d’un garçon que j’aimais beaucoup et qui avait fait mes débuts dans le champagne. Il disait : « Mon champagne commence où les autres s’arrêtent ». J’ai mis un moment avant de comprendre qu’il n’y avait rien à comprendre, que ça n’avait aucun sens. Il a fait école, pourtant.

PHILOSOPHIE. Chaque maison de vin n’a pas la sienne. Elles ont toutes la même, à un poil près, une variation conceptuelle de rien du tout. Où il est question, pour faire vite, de rigueur au chai et de plaisir dans le verre. Arrêtez de bailler, on va tous s’endormir. Le plus souvent, cette philosophie est assénée d’un ton pénétré, attention, on entre dans le sérieux. Soupir, lassitude.

JAMAIS, dans la phrase : « Je ne vendrai jamais le domaine ». Trois semaines après, c’est fait. Ou trois mois, peu importe. Quand on commence à regarder des rumeurs se propager, il y a anguille sous roche. En fait, tout le monde comprend pourquoi et je crois que la plupart des gens s’en foutent. Chacun a le droit de disposer de son bien, surtout à ces prix-là. Il y a mille bonnes raisons de vendre, autant d’acheter, aucune de s’en cacher.

DISRUPTIF. Le concept inventé par un publicitaire dans les années 1980 (ou 1990) faisait déjà rire les créatifs des agences de pub de l’époque. Dans le mondovino, il fait plus peur qu’autre chose. Qu’est-ce qu’un vin disruptif ? Pardon, je n’ai pas la réponse. Un vin qui s’affranchit des codes ? T’es sûr d’en vouloir ? Pas moi.

EXCEPTION. Par exemple « un terroir d’exception », cas typique du truc qui n’existe pas en soi. Ou « un vin d’exception ». Là, on voit un peu mieux de quoi il s’agit, sauf qu’employé à tort et à travers le caractère exceptionnel s’étiole, perd sons sens exceptionnel, justement.

IDENTITÉ. Le nouveau mot pour dire étiquette. En général, c’est raté. Les egos conjugués des uns et des autres (on leur a demandé un pur-sang, ils produisent un chameau), le “j’menfoutisme” des studios de création (ça ne changera rien à la facture), le mépris pour ce qui existe (on en voit même qui vire les particules des noms des marques. Pourquoi ? Pour faire peuple ?), tout ceci fait des ravages. Une identité, ça ne se construit pas comme ça, les gars. Il y faut du temps, de la constance, du talent, de l’argent.

TOSCANE. C’est un fameux influenceur qui a répertorié sur Instagram le nombre de “Toscane(s)” que comptent nos paysages français. Elles sont du Lauragais, du Beaujolais, du Rhône, du Gers, du Vaucluse, de l’Hérault, d’Auvergne, d’autres encore et plus, au bon vouloir des syndicats d’initiative ou viticoles. D’habitude, quand on lâche un Toscane dans la conversation, tout le monde s’évanouit de bonheur. Là, non.

BIO. DURABLE. PLANÈTE. Inutile de développer, on se comprend (voir EnMagnum#28).

PROMETTEUR. Se dit de mars à juin de la récolte du mois de septembre d’après. La foi du charbonnier, sûrement. Ou la boule de cristal de Madame Irma. Variante sur le même thème : « On a eu peur, mais… »

« NATURE ». S’emploie toujours avec des guillemets, on voit bien pourquoi. Un vrai modèle de détournement sémantique. Heureusement qu’il y a des vignerons qui n’y croient pas du tout et qui travaillent pour chasser le naturel au galop. Ce qui nous évite le vinaigre, le cul du poney et la pomme blette. Merci à eux.

AUTHENTIQUE ET SINCÈRE. Dans la phrase « Un vigneron authentique qui produit des vins sincères ». Un sommet. Qu’est-ce qu’un vigneron authentique ? Un gars qui est né dans les vignes ? Ce qui exclurait toute une population de néo-vignerons qui, pourtant, font un bien fou au paysage viticole français. Autre chose, peut-être, mais quoi ? Et un vin sincère ? Un vin qui croit ce qu’il dit ? Eh, oh, stop.

RUCHE. Il arrive que tel domaine convoque la cour et la campagne pour annoncer qu’il a posé trois ruches en bout de rang. On peut aimer le miel tant qu’on veut, la vigne n’est pas une plante mellifère. C’est juste pour dire que les vignes ne sont pas traitées ? Même pas sûr que ce soit une preuve.

Il va de soi que j’utilise parfois quelques-uns de ces mots qui fatiguent alignés plus haut. Nonchalance intellectuelle, faiblesse de vocabulaire ? Personne n’est parfait.

dimanche 4 septembre 2022

C’est le moment d’acheter des vins rosés

Triennes, le rosé de Provence dAubert de Villaine

 

Acheter du rosé aujourd’hui pour l’été prochain est un bon mouvement. Voire pour les étés d’après. Avec un peu d’exigence, on n’achète pas n’importe quoi. Un rosé de bonne venue mérite d’être attendu au moins un an ; ceux-là, au moins deux ou trois. Voici ce que je vais mettre en cave pour les étés qui viennent.

Des vins de grands vignerons, plus connus pour leurs rouges et/ou leurs blancs admirables, ne me paraît pas une idée sotte. J’en ai choisi cinq plus un, après avoir longuement goûté leurs productions les plus récentes et évalué leurs respectifs potentiels.

 

Le roi des chouchous de l’été 2022

C’est Marcel Richaud et son rosé en Vin de France. Une magnifique recommandation de mon caviste préféré (Les crus des vignerons à Auray) assorti d’un commentaire explicite : « Ambiance Tavel ». C’est pile l’idée, exactement ce que j’aime. La densité dans la couleur, de la matière, une aromatique complexe. Du vin, quoi. Pour mémoire, Marcel Richaud est le grand homme de l’appellation cairanne, qui lui doit à peu près tout.

Le rosé de Marcel Richaud

 

Les autres

- Un superbe rosé de syrah de la maison Coursodon, plus connue pour ses saint-joseph. Pâle de couleur, mais pas trop. Fort en arômes, il s’appelle Rose et Mauve puisque les Coursodon sont installés à Mauves.

 

- Montfrin-La Tour, le « petit » rosé du château de Montfrin, dans le Gard vers Remoulins. Pour huit euros, un joli jus tenu en couleur, de la matière, une rusticité élégante, un vin de campagne chaude. Il nous arrive d’un grand domaine de vignes et d’oliviers. Tout ce qui en sort est d’une parfaite exécution et lisibilité. J'adore la finesse de ses rouges de grenache.

 

- Un beau rosé chez les Usseglio à Châteauneuf-du-Pape. Pas loin d’avoir tout bon, celui-là. La cuvée Les Amandiers, toute de subtilités.

 

- Le fin, le joli rosé de Triennes, le vignoble provençal inventé par Aubert de Villaine (domaine de la Romanée-Conti) et Jacques Seysses (domaine Dujac). La simple lecture des noms de ces deux producteurs de vins d’exception donne des frissons. On n’imagine pas que ces deux artistes se réunissent pour faire des vins moyens. Le vin est là, très réussi, treize euros.
 

Le rosé de Jérôme Coursodon  

 

Le rosé de Jean-René de Fleurieu

 
Le rosé de Stéphane Usseglio

Dans un registre différent, mais encore dans l’univers du rosé, un vin unique produit à cent bouteilles seulement, le claret de la Villa Cocotte, la gamme accessible de Chante Cocotte. Le vignoble de Régis Franc à Fontcouverte n’en produira plus, il doit bien en rester deux ou trois bouteilles sur la boutique du site. Douze euros, on se précipite. C’est une sorte de clairet à la bordelaise, très dense en couleur, un vin adorable dans un registre « grenadine pour les grands ». Il aurait fallu l’avoir en magnum, mille magnums. Hélas.

 

Le claret de Régis Franc
  

À mes yeux, ces six bouteilles sont armées pour un, deux ou trois ans de cave avant d’être à leur apogée.

 

Les photos sont extraites de mon compte Instagram
@nicolasderouyn