Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 24 décembre 2012

Les droits de plantation, l’avis de Bettane



La France du vin, frileuse, se réchauffe. La Commission européenne a mis fin à son intention d’assouplir les droits de plantation à l’intérieur des vignobles de la communauté. Le puissant lobbying de gribouilles passéistes a triomphé et croit même avoir sauvé le vin français et, avec lui, les autres. Et il n’a pas manqué de gribouilles italiens, espagnols et même luxembourgeois pour l’aider.
Quiconque essaie d’avoir une vision à long terme ne peut que pleurer devant autant d’idiotie. Comment qualifier autrement la mécanique de raisonnement absurde qui s’est mis en branle à la suite des propositions intelligentes d’assouplir le règlement actuel concernant les vins de type « protégé » et de le libéraliser complètement pour les vins de table ?
Les mêmes qui ont laissé passer la loi Evin naguère (ils s’en mordent aujourd’hui les doigts) sous le prétexte fallacieux que toute censure sur la communication toucherait davantage les gros que les petits et les priveraient d’un avantage redouté, s’interdisent tout développement actif futur pour les vins de qualité, dans un marché demandeur, par peur que l’industrie ne les devance. Avec à la clé, l’impossibilité de créer de la richesse et de l’emploi supplémentaire et, pour l’état, de la fiscalité. Cela n’a pas gêné nos politiques, même les plus libéraux d’entre eux qui pensent à leurs électeurs, et encore moins le syndicalisme agricole qui adore diviser pour régner sur une clientèle d’insatisfaits permanents. On comprend mieux dans ces conditions pourquoi des groupes aussi dynamiques que Pernod-Ricard n’ont jamais voulu construire une grande marque de vin française que tous auraient combattu au nom de la même logique.
Chapeau les artistes et bienvenue aux pleurs de tous les artisans vignerons inadaptés au monde moderne qui vont faire faillite dans les cinq ans avec la conviction de ne pas avoir trahi la France.
Michel Bettane


La photo : des vignes, le Rhône. De la colline de l'Hermitage ou de Condrieu ? J'ai trouvé cette photo sur le mur Facebook de Caroline Frey

dimanche 23 décembre 2012

Un grand vin est né



C’est un garçon que j’avais connu il y a longtemps et que j’ai retrouvé hier soir avec le plus grand plaisir. À ses multiples talents, il a ajouté vigneron. Oh, il est très modeste sur le sujet, avoue son incurie, explique qu’il apprend. Et qu’il doit tout à quelques-uns qui ont su l’entourer avec autant d’affection que de compétence.
C’est un artiste. Il s’exprime largement sur le métier de merde, l’attente du succès, l’ego malmené. Du succès, il en a eu, pourtant. Il s’appelle Régis Franc et, il y a déjà un moment, le monde ébahi a découvert sa première BD finement intitulée Le café de la plage. Un gros badaboum dans l’univers de la BD, le voilà publié en strips dans les hebdomadaires, ses albums s’arrachent, il est connu. Le spleen élégant et pervers de ses personnages trouve un écho considérable dans la société française d’alors. Un détour par le cinéma, quelques romans dont London Prisoner, le dernier en date.
Un beau jour qu’il zonait sur la terre qui l’a vu naître, le garçon de Lézignan tombe sur une petite maison dans les vignes, quelque chose d’adorable, il la veut, il l’a. Avec la maison, quelques hectares de vignes qu’un copain le dissuade d’arracher pour planter des oliviers, son projet. Il aime le vin, n’y connaît rien.




Peu à peu, il se laisse convaincre, il fait du vin, achète une cuve, l’installe chez un voisin. Premier millésime 2010. Il baptise la cuvée Chante-Cocotte. Drôle de nom, mais il a une histoire, les coqs de la campagne qui braillent tous en même temps pour l’empêcher de dormir, Chante Cocotte, ça lui ressemble, tout va bien.

Régis Franc et son fils, par Jean-Loup Sieff

Il se trouve que ce chante-cocotte 2010, 100% merlot, est une tuerie. Une merveille de soyeux et d’équilibre, l’alcool bien tenu par l’acidité, la bouche intelligente, la longueur. Aux innocents, les mains pleines. Et cette réussite l’enchante comme un môme qui a bien fait et que tout le monde félicite. Il faut voir son regard quand il fait goûter et qu’il observe les réactions. Pour un peu, il rougirait. Un môme.



Moi, je suis très content de faire partie du tout petit nombre de gens qui pourront dire « j’ai bu du chante-cocotte 2010. » De ce millésime, il n’a produit que 875 bouteilles. Il en reste 874 ou moins.

vendredi 21 décembre 2012

Vendanges en vert, pour ou contre ?




Une question posée sur Facebook pour faire une suite aux propos d’Aubert de Villaine sur les vendanges en vert et voilà un fil de commentaires passionnant. Je le publie pour donner une dernière chance à ceux qui ne l’ont pas lu parce qu’ils ne sont pas sur Facebook. Il y en a, je le sais. En tous cas, les jeunes gens qui suivent la conversation sont là.

La question était formulée ainsi :
« Aubert de Villaine : "On a mieux fait son travail si on produit un grand vin sans vendange verte."
Qu'en pensent les jeunes vignerons ?
»  
Leurs réponses :

Fredi Fresquito Torres
« Il me semble que selon la situation géographique, il y un certain point de vue, mais personnellement je ne la pratique pas car je cherche a résoudre le problème de surcharge par un contrôle de vigeur, vu que la maturité dans ma région n'est pas un problème. »
Fredi est vigneron dans le Priorat, en Espagne (Sao del Coster)

Olivier Techer
« Si l'on taille en visant un rendement "raisonnable", la vendange verte ne devrait pas être une nécessité. Mais dans le cas d'une année très productive couplée à une météo difficile, ça me semble être indispensable pour mener les raisins à maturité (exemple : 2004 à Bordeaux). »
Olivier est vigneron à Pomerol (Château Gombaude Guillot)

Mathias Marquet
« Tout à fait d'accord avec le monsieur de Bourgogne. Malheureusement, avec des vignes héritées d'un temps où l'on pensait pouvoir faire bon à 3 500 pieds/ha, c'est plus compliqué. Mais l'idéal, c'est la bonne densité, la bonne taille pour qu'il n'y ait pratiquement plus de boulot en vert. C'est comme en vinif. Je partage son analyse, la simplicité, c'est toujours plus grand, et plus compliqué. »
Mathias est vigneron à Bergerac (Château Lestignac)

Antoon Jeantet-Laurent
« Oui, c'est vrai. Mais cela n'empêche pas une intervention au cas où pour faire un décompactage et pour trouver cet équilibre, cela dépend aussi de l'historique. Un monsieur m'a dit : si tu fait tomber à la véraison, il y a beaucoup de chance que tu saignes plus tard (Alexandre Thienpont) ; un autre m'a dit : plus tu fais tomber, plus il faudra s'habituer à le refaire, puis l'équilibre doit se faire par nature (Olivier Humbrecht). Et j'ai constaté que c'est loin d'être faux, mais chaque cas est un cas particulier où il faut s'adapter aussi. Donc complexe. »
Antoon est responsable du Libournais à la tonnellerie Vicard

Nicolas Lesaint
« Pour ma part, c'est tout le contraire. Contrairement à ce qui se fait beaucoup dans la région, je ne cherche pas à ébourgeonner à la taille pour définir dès celle-ci le rendement que je cherche à obtenir. Mon but est double : garder la main sur le millésime et homogénéiser ma maturité. Alors certes, il faut avoir les moyens de repasser dans chaque parcelle pour voir si, suite à la floraison, la coulure ou le millerandage ont modifié le nombre moyen de baies par grappe et ainsi savoir combien de grappes par pieds il me faut pour être à la charge que j'estime idéale de 1,2 kg de raisin par pied (l'idée est de produire l'équivalent d'une bouteille par pied). Mais des années comme cette année où tout le monde se plein du manque de volume, j'ai pu me caler exactement aux 35 hl/ha que je cherche sur la propriété. Par ailleurs les suivis de maturités que j'ai pu faire il y a quelques années avec J. Cousinié ont toujours montré que les raisins les plus riches (en charge minérale) et les plus précoces étaient systématiquement ceux nourris en premier sur le sarment. Je cherche donc en moyenne à avoir pour les parcelles se destinant au reignac, sept à huit grappes par pied de premier rang sur le sarment. Une parcelle au même rendement qu'une parcelle préparée comme je viens de l'expliquer, et qui a autant de grappes de premier que de deuxième rang, sort toujours moins bien que celle préparée comme je le souhaite. Pour les phénomènes de compensation, honnêtement, je ne les vois pas à condition que ces vendanges vertes soient réalisées minimum quinze jours avant le début de la véraison. »
Nicolas est vigneron dans l’Entre-deux-mers (Château Reignac)

Denis Godelu
« Déjà qu'on a du mal à finir la taille, le liage, les levages et les épamprages si, en plus on devait faires des vendanges en vert, on vendangerait au mieux en décembre ;o) Plus sérieusement, pas de vendange en vert chez nous, on ébourgeonne à la taille en estimant 30-35 hl/ha et on est systématiquement en dessous. À Beaune, lors de notre formation, on nous a expliqué qu'une fois la grappe nouée, le pied était "programmé" pour alimenter les grappes présentes : la vendange en vert ne permettrait pas de répartir l'alimentation sur les grappes restantes. En revanche, en 2013, nous allons tester la suppression de la troisième grappe sur les malbecs (particularité de ce cépage) : l'objectif est d'éviter l'entassement des grappes sur les bois. » 
Denis est vigneron en Côtes-de-Bourg (Domaine Les trois petiotes)

 Philippe Gimel
« Question très intéressante. Mon but est de conserver tous les arbres qui concurrencent mes vignes (4 ha d’arbres pour 12 ha de vignes) et de ne pas mettre d’engrais pour ne pas produire plus que 20 hl/ha. Ainsi, la vigne pousse et produit peu naturellement et je n’ai jamais besoin de faire le moindre travail en vert. Je veux que la vigne soit en équilibre dans son environnement et produise naturellement de petites grappes, de petites baies qui sont ainsi très faciles à mûrir quel que soit le millésime. La maturité des tannins est le point crucial à mes yeux et, donc, pour ça, je veux des rendements bas et je préserve une concurrence maximale naturelle et pas besoin de travaux en vert avec cette vigueur et ces rendements. » 
Philippe est vigneron au pied du Mont Ventoux (Domaine Saint-Jean du Barroux)

Philippe Betschart
« Je suis d'accord avec le principe de ne pas vendanger en vert. Sauf qu'il faut, surtout en bio, enlever les paquets, supprimer les grappes non vérées comme cette année. Pas de vendanges en vert mais des interventions ponctuelles. » 
Philippe est vigneron en Côtes-de-Bourg (Château Les Graves de Viaud)


La photo : je ne sais plus très bien où j'ai pécho cette image, mais je crois qu'elle vient du Sao del Coster de Fredi Torres

L'original de la conversation est sur mon mur Facebook, en date du 15 décembre 2012


jeudi 20 décembre 2012

2012 : Yquem vs. Climens

Face à la défection d’Yquem (qui ne millésimera pas 2012), deux attitudes se mettent en place. Les plaintifs et les toniques. Au rang des plaintifs, quelques châteaux se désolent de la décision de Pierre Lurton en expliquant que le mauvais exemple donné par Yquem pèsera à coup sûr sur les ventes des autres châteaux. Laissons cela.
Parmi les toniques, on retrouve, comme souvent, l’épatante Bérénice Lurton, cousine du premier, personne énergique et audacieuse. Elle est aux commandes du très fameux Climens, cru classé de Barsac, vrai compétiteur d’Yquem.
Elle nous a adressé ce journal de vendanges que je reproduis avec une certaine jubilation. C’est vif, drôle et ça se lit comme un roman.


Bérénice Lurton, propriétaire de Château Climens, à Barsac


« Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’année 2012 n’aura pas ressemblé à une croisière de tout repos. Tempêtes et écueils ont largement parsemé cette traversée, ce qui nous rend finalement encore plus heureux d’avoir regagné le port avec une cargaison inespérée.
Pour commencer, le printemps fut singulièrement chaotique. Chaud et sec en mars, il se fait effroyablement humide en avril et mai, nous obligeant même à traiter (péniblement) à dos d’homme, faute de pouvoir faire circuler les tracteurs sur nos argiles sablonneuses bien glissantes. Le thermomètre joue quant à lui au yoyo, et la vigne fait grise mine. Pourtant, la sortie de grappes paraît satisfaisante et nous comptons sur la biodynamie pour aider la vigne à résister aux à-coups climatiques violents auxquels nous sommes désormais abonnés.

Hélas, ce ne sera pas suffisant cette année, la fleur ayant en outre été malmenée par les excès thermiques (dans un sens comme dans l’autre) du mois de juin. Les taches de mildiou se multiplient sur les feuilles ; les grappes paraissent modérément touchées, mais c’est au cours du mois de juillet, lorsque les grains atteints noircissent en séchant, que nous constaterons mieux la situation. Les dégâts sont très variables d’une parcelle à l’autre, voire à l’intérieur d’une même parcelle, sans doute en raison d’une hétérogénéité de maturité importante. La moyenne des pertes est vraiment difficile à évaluer, sans doute autour de 30 %.

En passant en biodynamie, nous avons ôté à la vigne sa béquille chimique, elle est encore en période de sevrage, et donc fragilisée malgré tous les soins apportés. Nous avons accepté ce risque et sommes plus que jamais déterminés à avancer dans cette voie, même si la vision de ces grappes affectées est ô combien désolante pour un viticulteur.
Nous espérions un temps plus sec, nous l’aurons jusqu’à la caricature, plus de deux mois sans quasiment une goutte de pluie. Les pontes de vers de la grappe prennent des proportions inquiétantes, mais des traitements bios et bien appliqués nous éviterons plus tard d’être les victimes de ces minuscules gloutons (nous aurons bien assez d’embûches sans cela). La vigne est plutôt à l’aise avec la sécheresse, mais septembre avançant, elle commence à souffrir, surtout après un mois d’août parfois caniculaire.
Le raisin peine à mûrir, les peaux restent très épaisses, et le sieur Botrytis reste aux abonnés absents, évidemment.
Le 23 septembre, une période pluvieuse daigne arroser nos sols desséchés : 40 mm en quelques jours, cela aide notre champignon à montrer le bout de son nez, mais guère plus. Si les grappes enfin dorées se couvrent bien des taches de rousseur attendues, l’évolution ne va guère plus loin. Aussi, le 28 septembre, célébrons-nous ironiquement la fin des vendanges 2011, espérant ne pas battre le record de 1978, et son début de vendanges au mois de novembre.
Nous aurons décidément passé une bonne partie de l’année à espérer la pluie ou à la maudire. Quelques gouttes le dimanche 7 octobre nous font espérer une accélération, mais cette année la patience est de mise. Une petite consultation des archives nous rappelle que les superbes vendanges de 1988 n’ont commencé qu’au 15 octobre pour se finir dès le 29, voilà qui nous redonne le moral à peu de frais. Les dates d’ailleurs vont s’avérer quasiment les mêmes, mais les conditions resteront assez différentes.

Après une semaine de suspense et d’attente, la concentration ayant finalement fait son œuvre, nous attaquons enfin le lundi 15 octobre, sous un beau soleil. Dès le lendemain, le temps sera plus chagrin, mais cette petite bruine n’aura heureusement aucune incidence, si ce n’est sur le confort des vendangeurs. Le temps changeant et imprévisible nous donne quelques palpitations, mais nous resterons à l’abri de la pluie jusqu’à la fin de la semaine, ce qui nous permet d’avancer sérieusement dans notre première trie. En fonction des parcelles, la charge est hétérogène, de même que la qualité des raisins sur pied. Le travail de tri est donc très variable, mais dans l’ensemble, la vendange est belle, tout particulièrement dans les parcelles de vieilles vignes.

Malheureusement, la pluie arrive le vendredi 19 octobre au matin. Ne sachant si elle va s’installer durablement, nous en profitons pour faire un nettoyage sur les plus jeunes vignes. Celle de 1997 a très mal supporté les conditions du millésime et restera un de nos pires souvenirs de vendanges: les trois quarts des grappes s’avèrent à la coupe atteintes de pourriture aigre ou grise, et doivent être jetées tandis que nous pataugeons dans la boue jusqu’aux chevilles. Les autres ont dans l’ensemble bien évolué ; elles auraient juste supporté un peu plus de concentration, mais à leur stade avancé, elles ne supporteront pas la pluie. Un rapide égouttage des paniers avant le passage sur le plateau de contrôle suffit heureusement à se débarrasser de l’eau qui reste superficielle. Sous les gouttes incessantes, nous ressemblons à une petite armée à dominante kaki, couverts que nous sommes de pied en cap par bottes et cirés. Hélas, la nuit suivante est également pluvieuse, aussi décidons-nous de sauver ce samedi les quelques grappes confites qui parsèment les parcelles moins avancées : le raisin y reste joli, mais l’eau de la journée et de la nuit précédente a bien pénétré les grappes, et il nous faudra séparer le jus d’égouttage pour atteindre des degrés convenables. Au moins, sommes-nous soulagés à l’issue de cette épreuve. Nous avons évité le pire, toutes les parcelles le nécessitant ont vu passer les sécateurs.

Du lundi 22 octobre au mercredi suivants, nous retrouvons un temps plus clément, les brouillards matinaux laissant place au soleil l’après-midi, avec des températures assez chaudes pour la saison (22/23°C). Le botrytis se développe, mais l’humidité ambiante reste importante, il fait trop moite pour que la concentration ne progresse véritablement. Le ciel est plus chaotique les jeudi et vendredi, et quelques petites averses ne nous donnent guère d’espoir de progrès ; les prélèvements opérés ne sont d’ailleurs pas très encourageants. Nous craignons que cette humidité permanente ne favorise un développement de la pourriture grise au sein des grappes, qui sont en grande majorité aux stades chocolat et pourri plein. Le botrytis prend un aspect un peu noirâtre qui ne lui sied guère, et les raisins commencent à avoir un goût un peu douteux. Le reste d’une récolte déjà entamée par le mildiou est en péril, et même si nous essayons de garder espoir, le moral n’est pas bien vaillant. Le scénario 1988 n’est hélas plus envisageable. La tension n’est pas améliorée par la proximité de mon départ pour la Chine, prévu de longue date pour le lundi suivant (il y a si longtemps que nos vendanges n’ont pas été aussi tardives, que j’ai cru ne pas prendre trop de risques à partir un 29 octobre).

Le temps du samedi 27 reste menaçant, mais bien heureusement la pluie comme la grêle (qui frappe le nord du Bordelais) nous seront épargnées. En revanche le vent, que nous appelions de nos vœux, souffle à grandes bourrasques. Mais c’est encore une fois un dimanche qui va nous sauver : le vent est toujours présent, mais il a changé de cap : passé au nord-est, il a fait chuter les températures de façon très brutale et ramené le soleil. A partir de 16 h, nous arpentons le vignoble, en quête d’une trace d’évolution. À l’oeil, nous ne faisons guère de différence, mais décidons de faire de nouveaux prélèvements sur différentes parcelles pour comparer avec les résultats de l’avant-veille. Nous voici donc dans la cuisine du château, à presser nos divers sachets de grappes botrytisées, soigneusement choisies de façon à être représentatives de l’ensemble de leur parcelle.
Je dois reconnaître avoir poussé un « Yes » de jubilation fort peu orthodoxe au vu de l’affichage du réfractomètre: la concentration, quoique peu visible, a progressé en deux jours de plusieurs degrés, elle est bien suffisante pour que nous reprenions enfin les vendanges. Mieux encore, le moût obtenu est parfaitement net, ne gardant aucune trace de cette déviation que nous avions sentie en mâchant les peaux. Nous qui étions à la veille de désespérer à peine quelques heures avant, retrouvons sourire et entrain, avec pour mission en ce dimanche soir de rappeler tous nos vendangeurs, voire de recruter quelques étudiants en vacances de Toussaint pour arrondir la troupe. Nous savons avoir quelques jours de beau temps devant nous pour ramasser le reste de la récolte, « à tire » puisque les degrés sont déjà suffisants sur certaines parcelles, et que les autres devraient suivre à la faveur de ce temps hivernal.

Au petit matin du lundi, tout est recouvert d’une fine pellicule de givre ; l’ensemble de la troupe de vendangeurs est sur le pied de guerre, et les doigts gelés se réchauffent petit à petit au soleil. La qualité de ce que nous ramassons nous étonne nous-mêmes. Le contenu des paniers est plus joli qu’espéré, les raisins ont moins souffert de l’humidité qu’on pouvait le craindre. Le tri est toujours aussi précis, mais la proportion de raisins à écarter est plus faible que nous l’envisagions. Nous sommes également rassurés par les degrés des premiers jus qui coulent du pressoir, et validons la coupe à tire. Il ne nous reste plus qu’à effectuer un choix judicieux dans le déroulement de cette deuxième et dernière trie : nous vendangerons avant tout en fonction du niveau de concentration des parcelles, mais en tenant compte de la quantité de récolte encore sur pied (on ne sait jamais ce qui peut arriver).

Le lundi après-midi, je quitte Climens, le coeur gros de laisser mes vendanges pour la première fois depuis 19 ans, mais soulagée de la tournure des évènements. (Néanmoins, on ne me reprendra pas à accepter des dégustations à l’autre bout du monde avant la mi-novembre) Il ne reste plus qu’à tout ramasser avant le 1er Novembre, la Toussaint correspondant (tradition oblige ?) au retour de la pluie. Heureusement, les fermentations des premiers lots suivant tranquillement leur cours, Frédéric peut rester sur le terrain en permanence. Tout se déroule comme prévu, le potentiel des lots variant de 20° à un peu plus de 21°. La coupe « à tire » ne démérite pas : elle est aussi saine que généreuse, nous permettant d’engranger 54 barriques en trois jours soit un peu plus de 40% de la récolte. Nous nous permettrons même le luxe de terminer ces vendanges 2012 dès la fin de matinée le mercredi 31 octobre.
Ces huit jours de vendanges sur une période de seize jours (15 au 31 oct.) nous auront finalement offert un rendement (de l’ordre de 10 hl/ha) et surtout une qualité inespérés. Pour un millésime si chahuté, le bilan est franchement positif.

Il s’agit de surcroît d’un joli pied de nez aux mauvaises langues qui avaient décrété le vignoble de Climens « raclé » par le mildiou. La nature n’aura finalement pas été si ingrate. Quant à la biodynamie, sans laquelle sans doute nous aurions perdu moins de raisins pour cause de mildiou, elle a certainement aidé la vigne à mieux supporter la sécheresse de septembre, et les pluies malvenues de fin de campagne... Les dégustations d’après fermentations sont bluffantes. Mis à part deux ou trois lots plus simples mais honnêtes, l’ensemble est excellent. Pour commencer, la pureté aromatique est parfaite du début à la fin. Et pour la majorité des lots, longueur, complexité, élégance et panache sont au rendez-vous : nous aurons un très beau climens 2012, cela ne fait aucun doute. C’est donc non sans fierté que nous donnons rendez-vous aux professionnels au printemps prochain pour déguster ces différents lots à la barrique. »
Bérénice Lurton

La photo : est signée Mathieu Garçon.

mercredi 19 décembre 2012

Pour Mouton 2010, un Jeff Koons tous publics



L’exposition de tableau annuelle de Philippine de Rothschild vient d’ouvrir. Ci-dessus, l’étiquette de son mouton 2010. Cette année, l’heureux récipiendaire de quelques caisses de mouton, c’est le tarif, est l’impayable Jeff Koons, artiste outrancier et media-darling, ceci expliquant en général cela.
Inutile d’être grand clerc pour décrypter l’œuvre. Cette Vénus à l’antique détournée d’un gribouillis d’enfant au feutre argent ressemble fort à un service minimum de la part d’un artiste (je maintiens, c’en est un) qu’on a connu plus, comment dire… expressif, insolent, scandaleux. Le brief devait être plutôt serré à hauteur des tempes, on est loin des koonseries habituelles.
Cela posé, il se trouvera bien quelque mère de famille choquée, animatrice de ligue de vertu ou autre Tea Party, pour trouver offensante cette nudité déjà contrariée et exiger son retrait comme ce fût le cas pour la jeune fille nue de Balthus, sublime, qui fît la gloire du mouton 93, autrement oublié. L’étiquette avait été interdite aux USA.
En même temps, même au rabais, c’est une bonne idée d’avoir Koons pour ce 2010. C’est aussi une bonne idée depuis 1945 qu’un premier cru accompagne l’histoire de l’art contemporain et, pourquoi pas, de cette manière.

dimanche 16 décembre 2012

Edonys, la télé du vin, c’est parti

18 heures, le samedi 15 décembre 2012, Edonys émet


Trois ans de travail, tous les revers légaux et réglementaires possibles et imaginables, voire inimaginables, coincés entre les tapes dans le dos des copains et les ricanements des sceptiques, Jean-Michel Peyronnet et sa (toute petite) troupe sont arrivés au bout de leurs premières peines. Edonys, la télé du vin en français, émet sur le canal 520, du bouquet P & T luxembourgeois depuis le 15 décembre (hier) à 18 heures. Ils ont trouvé au Luxembourg l’intérêt et la bienveillance impossibles en France. Ce petit état souverain fait ainsi la preuve de son indépendance d’esprit, c’est remarquable.
Tout commence avec une interview de Hugues Mallet du château Haut-Maco, un côtes-de-bourg de petite notoriété. « Il n'y a pas d'intention cachée, affirme Peyronnet, c'est comme ça. Tout le monde sera à l'écran, mais pas que des grands et pas que des Français. »

L'habillage TV d'Edonys

Ce soir, l'antenne ne s'arrêtera pas. Les programmes sont diffusés en boucle 24/24. Les projets sont immenses, les envies aussi et le boulot à la hauteur. On sent une vraie ambition, servie par une compétence, une connaissance, on voit bien que ça va marcher, on veut que ça marche. Ces garçons et cette fille affichent une volonté sans faille. Et un peu d’émotion, mais pas tellement, il y a de la pudeur et, sans doute, un peu d’habitude. Ce début, ils l’ont répété cent fois, sûrement. Alors bon, quand c’est pour de vrai, que tout fonctionne, c’est juste normal. Mais quand même, on applaudit, on s’embrasse, on boit un coup. Un bon, bien à sa place. Un crémant de Luxembourg, pays de vins, on le sait depuis ce château-pauqué goûté à l’extase au Davos du vin.

Un crémant de Luxembourg pour célébrer

On boira du champagne un autre jour. Le jour où cette nouvelle chaîne arrivera en France. Pour l’instant, c’est le Luxembourg. Dans quelques jours, la Belgique (on comprend mieux l’empressement vers cette destination immobilière, tout d’un coup. On se dit que les réfugiés fiscaux n’ont que de vraies raisons). Bientôt, la Suisse. Souhaitons le meilleur à cette équipe qui n’a pas baissé les bras, lors même que le ciel leur tombait sur la tête à coups redoublés.
Bravo.
Et merci.
Edonys émet. C’est un beau coin placé dans le crâne des lobbies prohibitionnistes.


samedi 15 décembre 2012

Yquem ne millésime pas 2012

Le château et ses vignes, l'hiver dernier

Pierre Lurton vient d'annoncer que le château ne millésimera pas son premier cru classé supérieur de Sauternes en 2012. Il l'avait laissé entendre il y a quelques semaines. En revanche, on peut s'attendre à une bonne production du blanc sec du domaine, Y d'Yquem, très belle expression du sauvignon.
C'est le magazine Terre de vins qui relaie l'info lâchée à l'occasion de la manifestation Bordeaux Tasting, organisée par le magazine et qui, semble-t-il, fait un tabac aujourd'hui à Bordeaux.
Pierre Lurton, qui qualifie yquem de "merveilleux voyage dans le temps", impose donc (avec la météo) un petit jump à ses amateurs. Ce n'est pas très grave pour ceux-ci, on trouve beaucoup d'yquems dans tous les millésimes sur le marché des enchères et sur les sites marchands.
Souvenons-nous que Pierre Lurton avait sorti yquem 2011 de la campagne primeurs en juin 2012 estimant le moment peu favorable.

La photo : je ne sais pas qui a pris cette excellente photo du Château Yquem sous la neige, mais je l'ai trouvée sur le site de la propriété

vendredi 14 décembre 2012

La Romanée-Conti, voici ce qu’il y a dedans

Au WWS, Aubert de Villaine sert ses vins aux participants. Et à sa femme, pour commencer.

C’est un long texte, pas un tweet. (Soyons un peu cistercien). Et quand on l’a lu, on se sent plus intelligent qu’avant. Prenez le temps de cette lecture, vous ne l'aurez volé à personne.
De quoi s’agit-il ?
Au deuxième jour du Davos du vin, aussi appelé WWS, Aubert de Villaine, vigneron et co-propriétaire de la Romanée-Conti à Vosne-Romanée, remplace au pied levé un conférencier excusé, pour brosser un peu plus qu’un historique du domaine, une sorte de profession de foi vigneronne. C’était un moment rare, c’est un texte magnifique. Nous en avons fait une transcription dans la salle de conférence du Davos.

Le voici dans son intégralité. C’est Aubert de Villaine qui parle.

« Au Domaine de la Romanée-Conti, des archives permettent de suivre l’histoire depuis 1000 ans. Comme, d’ailleurs, dans les autres crus du domaine et une grande partie des autres climats de la Bourgogne viticole où on trouve cette unité dans la diversité, propre des climats de la côte. Je vais planter le décor avec trois tableaux qui cadrent la petite histoire du domaine.

Tableau 1, où l’Église rend au monde une pièce de terre 
Au milieu du XVe siècle, un monastère imposant sur les collines de Vergy. Dans l’air cristallin d’un matin d’octobre de 1651, une cloche sonne, quelques moines de Saint Vivant se rassemblent dans la salle capitulaire et, après les préambules d’usage, décident de vendre aux ducs de Bourgogne le Cros des Cloux (littéralement Creux des Clos), une vigne plantée depuis trois siècles. Moment historique, l’Église rend au monde la pièce de terre qui sera connue sous le nom de la Romanée-Conti. L’acte en rapporte tous les détails, y compris le carillon de la cloche, Le Prieuré de Saint-Vivant est un des plus importants de l’ordre clunisien, un des deux grands ordres monastiques du Moyen Âge. Pour que le visiteur puisse faire retour dans ces temps très anciens de la Bourgogne, nous essayons depuis quinze ans de sauvegarder via une association son abbaye, une belle ruine pleine de sérénité. Au moment de cette vente, Saint Vivant avait déjà une cuverie et c’est dans ces caves qu’est aujourd’hui la récolte 2011 (toujours en fûts) exactement comme l’était le Cros des Cloux élevé par les moines il y a cinq siècles. Dès après les grandes invasions qui ont suivi la chute de l’empire romain, moines et seigneurs locaux avaient déjà la notion de climat : pinot, un cépage unique. Et produisaient, comme le voulaient les ducs qui proclamaient produire les meilleurs vins de la chrétienté, les vins vermeil.

Tableau 2, où le prince l’emporte sur la favorite
1760. Dans la salle à à manger palatiale du château de l’Isle-Adam, chez le prince de Conti qui vient d’être exilé par le roi son cousin, une assemblée de courtisans dîne joyeusement. Sur le tableau exposé à Versailles, on reconnaît Beaumarchais et Jean-Jacques Rousseau parmi les convives qui, debout, lèvent leur verre à un homme de haute taille. On célèbre l’achat par le prince de la Romanée. La légende dit que la Pompadour la voulait aussi, mais que la maîtresse du roi, ennemie acharnée du prince – elle le trouvait trop proche du roi – a dû se rabattre sur le champagne. Le prince, heureux, fête son achat. À ce moment où Conti ajoute son nom à la Romanée, tout ce que les AOC graveront dans le marbre deux cents ans plus tard est déjà établi : la référence au lieu, à la parcelle, au cépage, caractéristique première des vins de bourgogne. Ainsi dès le XIVe siècle, Philippe le Hardi, qui parlait des « très chétifs lieux » opposés aux « bonnes côtes », avait interdit le gamay là où on pouvait produire du pinot.

Tableau 3, terre ruinée bien vivante
1945, époque sombre dans un pays ruiné. Animés de la volonté de reconstruire, deux hommes observent la Romanée-Conti. La terre ressemble à un champ de bataille, vieilles racines mêlées à la terre et aux pieds de vigne en décomposition. Depuis quatre à cinq cents ans, la Romanée n’avait été rajeunie que par provignage, de sorte qu’aucun cep ne mourrait jamais vraiment. La Romanée-Conti a été la dernière à essayer de conserver ses très anciens ceps. Alors quand on replante après la guerre en 1947, c’est avec des plantes dont les greffons ont été pris sur l’ancienne vigne de la Romanée-Conti, au type extrêmement fin. Le premier millésime est mis en bouteille en 1952 et cette jeune vigne produit en 1954 des vins toujours bien vivants qu’on déguste aujourd’hui avec autant de plaisir que les derniers millésimes extraordinaires. C’était très intrigant pour nous. Comment une vigne aussi jeune a-t-elle pu produire des vins pareils ? André Noblet, le directeur du domaine, avait là-dessus une idée non scientifique, mais intéressante. Il s’est souvenu du tableau, de cette image de terre ravagée et l’a vue comme une sorte de mush où les racines de la jeune vigne ont puisé leur nourriture, certes, mais aussi les caractères de l’ancienne vigne qui s’y était décomposée. Et se trouve ainsi continuée.

Un hectare huit inviolable
Depuis l’époque où elle était propriété des moines de Saint Vivant, la vigne a changé de nom : Cros des Cloux, Romanée, Romanée-Conti, et de mains : Conti, Kronenbourg, les bourguignons flamands propriétaires pendant plusieurs siècles, Ouvrard, le banquier controversé de Napoléon. Mais ce terrain de 1ha 8 a toujours été respecté dans son intégrité comme un lieu sacré, jamais partagé, indivisible. Coteau magique, elle concentre les caractères propres aux grands crus et tous ses propriétaires en ont fait la réputation. Tous ont compris, respecté, défendu et essayé de mettre en lumière ce caractère de cru unique et exceptionnel de la Romanée Conti. Même les visiteurs croient au pouvoir mythique de la Romanée-Conti.
Ainsi nous avons reçu un jour une enveloppe contenant de la terre et quelques cailloux calcaires, accompagnés d’une lettre où le monsieur, un Américain, racontait que lors d’un passage au domaine il avait prélevé un peu de terre et cailloux en passant à la vigne. Et les ennuis avaient aussitôt commencé. D’abord une panne de voiture, puis son avion avait failli s’écraser, son épouse avait eu je ne sais quel ennui et son fils aussi. Il renvoyait l’objet de son sacrilège, persuadé du pouvoir mythique de la Romanée-Conti : « s’il vous plaît, remettez tout ça où c’était ».

Contraintes bénies
Pour le vigneron, la recherche de l’expression du cru pousse à une philosophie contraignante : il faut faire des grands vins en se soumettant à une météo capricieuse s’il en est, sur une parcelle dont les limites sont inscrites, en se faisant le traducteur d’un cépage fin unique.
2 000 ans d’entêtement sur ces parcelles et ces contraintes se sont transformés en atouts incontournables. C’est la loi des grands cépages qui veulent le lieu le plus septentrional pour produire les meilleurs vins. C’est la volonté de faire parler le climat, celle d’entretenir les équilibres entre le sol et le matériau végétal, secret de grande qualité. C’est la connivence, la complicité entre le vigneron et le paysage dont il a la responsabilité. C’est surtout le respect et l’humilité, qualités premières du vigneron. Toute la philosophie est dans ce décor.

Quelques remarques avant d’aller plus loin.
C’est vrai que la Bourgogne fait l’objet d’une demande forte et que les prix sont assez élevés, que la prospérité est fondée sur le prestige, la réputation et l’image de grands crus et domaines. Je le constate pour souligner les devoirs et exigences que cela induit.
Devoir d’être en recherche, toujours, de la plus haute qualité possible. Je dis bien recherche. La tradition ne doit pas être le maintien de méthodes rigides, mais plutôt fidélité à une philosophie qui réclame un engagement total sur les contraintes. Le moteur central, c’est le terroir qui fait la qualité exceptionnelle du climat. Le terroir, clos où on est chargé de traduire un cépage unique, est au cœur de la démarche. Peu à peu, dans la difficulté et la douleur, l’expérience devenue savoir et tradition a délimité ces crus et inventé le cépage fin capable d’en traduire la personnalité dans les vins. Elle a établi une hiérarchie. Un ordre qui n’est pas inféodé à un goût, une mode ou des prix de ventes.
Toute la qualité d’expression des crus est contrainte à un lieu, un climat, un cépage. Le vigneron y devient philosophe, s’interroge. Et c’est de ce doute, de cette incertitude quant au succès des décisions qu’il doit prendre face aux méandres obscurs d’un climat, que naît ce vin parfait qui n’existe pas mais dont on rêve toute sa vie.

Petit pied de nez
Le siècle que nous venons de quitter a commencé sous le drame du phylloxéra, dont nous sortons à peine, puis nous avons connu la mécanisation et les produits de synthèse potassiques très efficaces contre les maladies. À partir d’une ouvrée de vigne, nous avons pu obtenir de beaucoup plus gros rendements tandis que le marché, de plus en plus porteur, n’a cessé de se développer depuis la deuxième guerre mondiale. Il était inévitable qu’on s’engage dans la voie d’une plus importante production qui a culminé dans les années 1970. Nous n’y avons pas échappé, à part 1971, 1978 et 1979 où la grêle a réduit naturellement les volumes.
L’acquisition par le domaine d’une table de tri avec tapis roulant qui permet de trier la vendange a été le signe d’un état d’esprit qui changeait, autant qu’un petit pied de nez à la technologie. Nous nous sommes aperçus que la table n’a d’intérêt que si le tri est déjà effectué à la vigne par les vendangeurs.
À partir des années 80 est apparue certaine recherche scientifique avec des options biologiques qui ont approfondi notre connaissance de l’alimentation de la vigne par le sol et nous ont permis de sortir des raisonnements simplistes de l’époque.
Nous avons mieux compris le lien délicat entre les apports au sol et une bonne alimentation de la vigne. Nous sommes devenus de plus en plus conscients que le sol est un patrimoine précieux et fragile que nous devons respecter. Cette perspective historique fait ressortir l’importance de l’environnement culturel : la marque du travail de l’homme sur le sol le paysage, le bâti, est très important à prendre en compte dans cette démarche.
On s’entête depuis des siècles à faire des grands vins sur ces coteaux, modifiés par la crise phylloxérique, mais inventer une nouvelle viticulture à visée d’excellence est aujourd’hui en Bourgogne un élan ancré dans la tradition culturelle et historique du climat.

Le terroir, un courant qui ne s’arrête jamais
En abordant l’aspect pratique que cela implique, notons que les crus bourguignons ont gagné leur réputation à une époque sans technologie et où tout était manuel. Ce n’est pas étonnant, s’agissant d’un sol qui est moins une terre qu’un climat, que cette supériorité du travail manuel soit évidente. D’autant plus qu’il faut marier ce sol avec un cépage fin qui doit être unique.
Les deux axes principaux du vigneron sont le sol et le matériel végétal. Il s’agit que tout soit fait dans une globalité, celle d’une philosophie. Il faut mettre le sol en situation de fonctionner en tant que terroir. Un terroir dans un climat n’est pas un état, une entité stable mais un ensemble de mouvements où nous sommes balbutiants. Il y règne règne la fragilité et l’aléatoire. C’est un milieu réactionnel qui ne fonctionne pas toujours en tant que terroir, peut être gêné par des conditions météorologiques contraires ou des pratiques contrariantes.
Il faut le regarder comme un courant qui ne s’arrête de jamais, va du sol et passe par tout ce qui va sculpter le vin, englobe toute la culture constituée au cours des siècles et jusqu’au vigneron qui va accoucher et voit se vérifier échec ou succès de ce qu’il a fait

J’ai bien dit recherche
Sans une véritable activité biologique, qu’asphyxie le compactage du passage du tracteur, il n’y a pas de bonne structure du sol. Le cheval a été pour nous une innovation intéressante, pas seulement pour le travail qu’il fait mais aussi parce qu’il a nécessité des tracteurs légers. Nous sommes arrivés à fabriquer un tracteur léger qui a été étendu au travail sur toutes les autres vignes.
Pour la gestion organique, la pierre angulaire c’est le compost. Nous avons beaucoup évolué là-dessus depuis 20 ans : les sarments, puis d’autres végétaux, puis des fumiers compostés mais vieux, maintenant des fumiers compostés très frais, on ne peut encore rien dire de définitif.
Tout ce travail sur les sols montre qu’il n’y a pas de réponse unique même sur un petit village comme Vosne-Romanée. Les Grands Échézeaux sont séparés des Échézeaux par un simple chemin, et pourtant il est impossible, d’évidence, de travailler de la même façon.
On travaille aussi sur ce que peut être le rôle des oligo-éléments sur le fonctionnement des sols. La priorité est de préserver le pinot fin dont nous avons hérité par l’ancienne Romanée-Conti et qui est utilisé dans la plupart de nos vignes. Nous travaillons à conserver ce patrimoine génétique et compris combien il est difficile de le faire seuls, dans un seul domaine. Sur 200 à 300 pieds sélectionnés visuellement une année, nous avons de la chance si un ou deux est exempt de virose. Nous nous sommes donc associés avec une quarantaine de domaines qui font la sélection chez eux de façon identique pour sélectionner des plants typiques de pinot fin de Bourgogne pour le multiplier. C’est beaucoup plus rapide que si nous sommes seuls et nous espérons avoir d’ici une vingtaine d’année du matériel très fin pour nos plantations. C’est certain que les viroses ne sont pas contraires à la production de grand vin parce qu’elles affaiblissent la vigueur de la vigne, mais parce qu’elles raccourcissent la durée de vie du cep.
Nous avons aussi essayé de changer la densité à 14 000 pieds. Est-ce une formule d’avenir ? Je ne crois pas, mais il faut attendre des années pour le savoir de façon définitive. L’idée, c’est qu’avec plus de ceps, il y a plus d’exploration du sol, donc moins de raisins par cep.
Nous travaillons sur le démontage, c’est un axe pour progresser sur les maladies du bois. Mais ce que je crois, c’est que le moment de la taille et la façon de tailler sont plus importants que des produits.

Tout ça vise à obtenir un rendement à partir de plants fins qu’on n’a pas besoin d’éclaircir.
L’éclaircissage est nécessaire pour les jeunes vignes qui ne vont pas dans les meilleures bouteilles, mais pas dans les vignes adultes, sauf pour quelques pieds qui n’entrent pas dans le vin mis en bouteille. C’est très important. Toute pratique de vendange en vert cause des phénomènes de compensation déséquilibrants pour le cep et sont à éviter si possible. Tout l’enjeu est d’obtenir un rendement équilibré dans l’année considérée. Et nous constatons que les rendements des décrets de 36 sont assez normaux pour sortir de grandes bouteilles dans le cadre de pratiques loyales et constantes.
Nous sommes en biodynamie depuis quelques années après avoir expérimenté pendant une dizaine d’années. La biodynamie n’est pas supérieure à la biologie, mais oblige à plus d’observation et à utiliser moins de cuivre. Les recherches biodynamiques sont très intéressantes dans ce domaine. La biologie est très importante pour les grands vins en Bourgogne. Quand on lutte de cette manière-là contre les maladies de la vigne, on est forcément un peu vaincu, on a de la perte, mais c’est un facteur de qualité important. L’éclaircissage par ces maladies apporte aux raisins qui restent une maturité complémentaire, c’est comme ça qu’on arrive à une finesse de maturité supérieure.

Plutôt que défendre telle philosophie, bâtir la sienne
Le vendangeur fait la dernière opération manuelle sur la récolte, nous attachons beaucoup d’importance à leur qualité. Ainsi qu’à tout ce travail des hommes nécessaire dans l’élaboration d’un grand cru.
Il est normal que dans le manuel pratique que nous avons, les méthodes de culture bio et biodynamiques apparaissent. Il ne s’agit pas de défendre telle philosophie, mais de bâtir sa propre philosophie. Nous faisons partie d’un système où le sol et la vigne sont un, tout en harmonie avec le reste du monde. C’est rejoindre ce système qui permet le bon fonctionnement du terroir.
Le précieux apport de la biologie oblige à des contraintes et permet un affinement. En cuverie, nous considérons que le raisin a une dernière sélection sur la table de tri et qu’on n’aura aucune autre qualité. Donc le raisin doit jouir du plus grand respect jusqu’à son arrivée dans la cuve après un léger éraflage ou/et un léger foulage, décidé au dernier moment, ça varie selon les années.

Rien n’est plus difficile que la simplicité
Nous faisons la vinification la plus simple possible. Le vigneron ne doit y apporter aucune autre marque que celles de sa méticulosité et de son respect. Mais rien n’est plus difficile que la simplicité, elle suppose que les raisins soient parfaits au départ, et aussi une longue expérience.
Nous n’utilisons pas de levure du commerce, le climat produit ses propres levures différentes chaque année. Les nouvelles technologies de concentration sont à bannir dans ce travail d’expression d’un climat. La qualité du travail des hommes et leur adhésion à une exécution attentive sont d’une importance capitale, et là est toute la noblesse de ce travail.
Ce qui sous-tend cette philosophie de production de vins qui est une véritable pureté d’expression, c’est d’abord l’exigence et la rigueur dans la tradition. Aucune dérogation à cette règle dont les mots clé sont sélection, contrainte, compréhension et maîtrise des méthodes, minutie, patience et surtout humilité.
Nous avons la connaissance, une certaine aisance financière et l’attente des amateurs. J’espère que nous pourrons nous entêter encore longtemps à faire des bons vins. »

Épatante cette conf’, non ?
C’est le moment des questions et un participant relance Aubert de Villaine sur la vendange verte et la compensation de la vigne, il répond :
« Vendanger en vert est une bonne chose si elle est nécessaire. Mais quand on veut faire de très grands vins, expression de leur climat, on fait plus grand si on produit à partir de ceps qui ont donné leur rendement de façon naturelle, sans avoir besoin de cette vendange verte. C’est une observation, pas une donnée scientifique. » Mais Aubert de Villaine est certain qu’on a mieux fait son travail si on produit un grand vin sans vendange verte. Il ajoute que, depuis dix ans, il vendange en deux fois dans les vignes de 50 ans où les repiquages n’ont pas toujours été faits avec les cépages les plus fins. « Ces pieds sont vendangés dans un 2e temps et certains sont marqués, là on fait de la vendange verte et on a du meilleur vin, mais c’est un pis aller. »

Un autre pose la question des bois. Réponse :
« La Romanée-Conti a fait de multiples expériences sur les origines des bois et pourcentages de fûts neufs, commencées à l’époque où on utilisait des pourcentages de 30 à 40% de fûts neufs pour des raisons financières. S’il y a une densité dans le vin comme nous essayons de faire, des rendements équilibrés, les différences en fin d’élevage causées par l’origine des bois sont absorbées par le vin. On n’a plus du tout cette impression de chêne. Les différences d’origine disparaissent et le chêne lui-même aussi, donc on peut utiliser du merrain neuf à quasiment 100%. »

La photo : un moment habituel au Davos du vin, photographié par Armand Borlant

Super-merci à Juliette Tournand sans laquelle ce texte ne serait pas arrivé jusqu'ici.

D'autres beaux morceaux de "wine intelligence" sur ce blog :
une conversation entre Jean-Paul Kauffmann et Michel Onfray, ici
une autre entre Alexandre de Lur-Saluces et Aubert de Villaine, et

Remerciements appuyés à J qui a saisi ce texte pendant la conf'.

jeudi 13 décembre 2012

Neuf jours. Et quelques…

Jean-Pierre Meyers, actionnaire du groupe qui gère 1855, ChateauOnline, Cave Privée et d’autres, a choisi de se retirer du capital de ladite holding, événement annoncé par la Revue du vin de France et largement commenté par la blogosphère et les réseaux sociaux. Disons le, la RVF fait un travail remarquable sur ce dossier.
Pour tenter de faire pièce à ce buzz nuisible à ses affaires, Emeric Sauty de Chalon, patron de 1855, a privilégié le droit de réponse pour contrer les allégations de la RVF. De son long plaidoyer pro-domo et légèrement boursouflé, je retiens cette phrase : « Par ailleurs, la qualité de service s’est améliorée : les délais de livraison constatés sur le mois de septembre 2012 ont été réduits de moitié, et sont inférieurs à 9 jours pour l’activité Vins. » 
Comme par un fait exprès, les gens sont mal aimables, nous avons reçu ceci le 10 décembre, que je reproduis tel :
« Bonjour, 
J'ai commandé des primeurs 2009 sur ChateauOnline.com en juin 2010 suite à la parrution du supplémént de l'Express spécial vin n° 3074 rédigé par vos soins. Sans remettre en cause vos infos, je me permet de vous demander si vous avez eu connaissance de difficultés rencontrées par d'autres acheteurs de ce site. A ce jour, je n'ai toujours pas reçu ma commande malgré de nombreuses relances. J'ai contacté les producteurs des vins concernés qui m'ont assuré avoir été payé et avoir livré la marchandise. 
Cordialement. » 
Neuf jours, dit-il…

Les livraisons, c'est compliqué…


Rappelons au lecteur distrait que les 2009 sont livrés depuis un an par tout le monde. Ou presque.
Un esprit chagrin pourrait croire que ceci est un fake, je tiens à disposition de qui de droit l’original du mail reçu.
Nous, chez Bettane+Desseauve, ça nous ennuie beaucoup de voir qu’un amateur de vins pas super-informé (comme tout le monde, quoi) ne peut s’empêcher de faire un amalgame entre ChateauOnline et nous.
ChateauOnline est aujourd’hui la propriété des gens de 1855, dirigée par Fabien Hyon, co-fondateur et associé historique de 1855. Il semble que les mêmes méthodes de gestion soient appliquées aux deux sites. Au grand dam des amateurs, c’est-à-dire.
Quand nous avons recommandé ce site dans le supplément cité, ChateauOnline n’était pas encore tombé dans le déplaisant giron.


Le droit de réponse de 1855 sur le site de la RVF, ici


mercredi 12 décembre 2012

Montre-moi ton sol, je te dirai…

Stéphane Derenoncourt, globe-trotter forcené, a accordé trente minutes pour une interview à Benoist Simmat, auteur de nombreux ouvrages et bandes dessinées sur le vin. C'est avec un grand plaisir que je reproduis ici cet excellent entretien.




Négociant en Californie, vigneron personnel de businessmen ou de stars (Francis Ford Coppola, entre autres), consultant de multinationales en Turquie, au Liban ou en Inde, propriétaire à Bordeaux, créateur de sa propre marque de vins de terroir, Stéphane Derenoncourt, 51 ans, est omniprésent sur la planète vin. Destin exceptionnel que celui de ce Ch’ti promis à une certaine marginalité et devenu la nouvelle star des winemakers français. Formé en Bourgogne et découvert à Bordeaux, Stéphane Derenoncourt a eu la vision prémonitoire que le terroir à la française deviendrait le vrai moteur de la mondialisation des vins, de la France à l’Argentine, du Liban à la Chine. Entretien entre deux avions.

Les vins du Nouveau Monde et les marques internationales devaient enterrer le vignoble français. Et pourtant, malgré la crise, nous n’avons jamais aussi bien exporté nos cuvées, et même imposé nos règles. Pourquoi ?
Notre conjoncture est faste, c’est vrai, et ce n’est pas un hasard. D’abord, parce que, dans une période comme celle que nous vivons, les notions d’identité et d’authenticité sont très rassurantes, ce sont des notions durables. Les crises économiques, les angoisses écologiques, tous les tourments actuels permettent à nos produits, vins en tête, de reprendre leur place naturelle de leader. Parallèlement, une ère s’achève, celle du marketing, celle de vins pour lesquels on dépense de l’argent afin de créer un besoin chez le consommateur. Partout, avec la mondialisation du vin, le niveau d’exigence des consommateurs, justement, s’élève. Ils connaissent de mieux en mieux le vin, les vins, les vignobles, et apprécient la qualité de produits issus du terroir. Et c’est là que notre pays, qu’on le veuille ou non, possède une avance qui ne sera jamais rattrapée : notre sol, nos sols, dont la première caractéristique est d’être une terre calcaire. Cette roche possède la capacité presque magique de sublimer le vin qui en est issu ; c’est elle qui a le pouvoir définitif d’opérer la meilleure transformation possible d’un cépage sur un terroir en vin. Le calcaire, ne l’oublions pas, c’est 5 % des roches dans le monde, mais 55 % de notre territoire.

Votre travail, celui de vos équipes de Derenoncourt Consultants, consiste donc à proposer, partout sur la planète, de créer des vins reflétant l’endroit où ils s’épanouiront… 
Oui, depuis le départ, mon activité consiste à dire à un client : « Montre-moi ton sol et je te dirai quel vin tu peux faire. » Je cherche toujours à anticiper le vin qu’un sol est en mesure de donner. Depuis vingt ans, nous auditons et cartographions les sols dans le monde entier. Nous acceptons des projets de création de domaine quand un lieu possède un potentiel, quand on nous donne les moyens de planter efficacement le cépage le plus adapté et quand le courant passe avec le client. L’engouement pour le vin a pris une telle ampleur que les besoins sont insatiables. Nous travaillons actuellement dans treize pays. Partout, le vin confère à celui qui cherche à en créer un statut social valorisant. C’est pourquoi nous l’orientons vers cette notion de terroir, afin d’obtenir des cuvées fines et élégantes plutôt que musclées et destinées à concourir dans des catégories poids lourds. Les consommateurs veulent du sens, nous leur en donnons.

Votre dernier projet en date, les « Parcelles Derenoncourt », a germé sur vos propres terres, en Gironde. Pourtant, Bordeaux, c’est le centre névralgique mondial du terroir, non ? 
Évidemment, mais notre réflexion a été : « Pourquoi devrait-on être riche ou simplement aisé pour déguster du bon vin ? » C’est-à-dire des vins fins et élégants, reflet d’un sol. J’ai toujours été opposé au concept de vins de marque. Ces mélanges calibrés, c’est la négation de mon travail. Mais là, nous avons créé une marque de terroir. Le concept est qu’une trentaine de vignerons partenaires nous fournissent des raisins clairement identifiés comme provenant de parcelles spécifiquement validées pour nous. Ces vins d’appellation classique, comme bordeaux ou côtes-de blaye, possèdent en commun de refléter parfaitement cette trame calcaire, et ils coûtent l’équivalent en France de 4 euros. Le succès est déjà là puisque nous avons produit 350 000 bouteilles dès la deuxième année. Je suis allé récemment les vendre à Hong Kong, ça a pris tout de suite, quatre containers sont déjà partis là-bas. Nous avons également créé une gamme premium, avec des parcelles issues d’appellations prestigieuses, comme margaux, saint-émilion ou saint-estèphe. Je mise sur une cinquantaine de vignerons partenaires dès l’an prochain.

Vous vinifiez partout dans le monde, mais une de vos terres de prédilection, c’est la Californie, où vous êtes notamment devenu le vigneron de Francis Ford Coppola. La Californie, pays des vins puissants, se convertit-elle également ? 
Oui, il y a là-bas une évolution considérable. La recherche de notion d’identité explose. C’est un vignoble où les vignerons sont plus jeunes, cherchent à faire des vins plus authentiques, plus accessibles en prix. C’est par exemple une zone où les domaines conduits en biodynamie se multiplient. Francis Ford Coppola, qui développe son domaine depuis trente ans, cherche clairement à faire de Château Inglenook un grand cru reposant sur la notion de terroir. Au départ, il n’y avait pas de notion de sol, mais la Californie n’échappe pas à la vogue du terroir. Coppola y est d’autant plus sensible qu’il est francophile, amoureux de notre gastronomie et que son domaine, Inglenook, possède déjà une histoire de plus d’un siècle sur laquelle il peut s’appuyer dans sa recherche d’authenticité. La Californie, c’est le modèle bordelais en Amérique… Et il y a les terroirs pour ça. Je suis d’ailleurs moi-même devenu négociant, j’achète mes raisins et les commercialise sous le label Derenoncourt California. J’ai par exemple trouvé des parcelles exceptionnelles de cailloux noirs volcaniques sur la zone de Lake County. Ces vins sont destinés à être commercialisés bientôt en Asie via Hong Kong, et en France par la place de Bordeaux.

Ce message, vous le vendez maintenant avec succès sur des terres aussi improbables que l’Inde…
Oui, mais attention. L’Inde, c’est le prochain géant du vin. Nous avons été contactés par Raghavandra Gowda, un homme d’affaires désireux lui aussi de créer son domaine pour lancer des vins indiens génériques et aussi des grands crus locaux. Il avait créé « Alpine Winery », un projet à l’échelle du pays, 500 hectares vers le sud de Bangalore. Ses premières expériences avaient été catastrophiques, il faut savoir qu’ils cultivaient leur raisin hors sol. Je n’ai pas eu beaucoup de mal à le convaincre qu’il était absurde de vouloir imiter les meilleurs grands crus, je lui ai dit : « Fais un vin qui ressemble à ton pays ». Nous avons testé vingt-six cépages sur un terroir d’argile ferreuse rouge et avons par exemple constaté que le chardonnay s’y épanouissait particulièrement bien, mais que le merlot, ce n’était pas la peine. Le message du terroir est maintenant universel.

La photo : Stéphane Derenoncourt chez Laroche à Chablis, photographié par Fabrice Leseigneur. Cette interview a été publiée sous une forme différente dans Série limitée de novembre.

mardi 11 décembre 2012

Robert Parker et après



Drôlement, l’annonce du retrait de Robert Parker provoque beaucoup de réactions chez ceux qui l’ont vilipendé le plus. Ils se perdent en conjectures.

Rappel des faits 
Le célèbre critique américain se retire et vend son Wine Advocate à un groupe d’investisseurs singapouriens. La responsabilité éditoriale revient à une Australienne. L’objectif est de concentrer ce Wine Advocate nouvelle manière vers les marchés asiatiques. Parker continuera à déguster les bordeaux et les rhônes. Pour les détails et la déclaration de Parker, voir le blog de François Mauss. Parmi les réactions lues ici et là, ce qui arrive en tête est la délicate question de la succession.

Qui va remplacer Parker ?
Michel Bettane a une réponse, qu’il m’a confiée hier soir avant de partir dans le Piémont, puis en Bourgogne pour un cycle de dégustations. Que dit-il ? « Robert Parker est irremplaçable. Plus jamais, un critique aura seul une telle influence. Tout ce qui a fait Parker ne se reproduira plus. La génération montante n’aura pas la même audience. Il y aura des spécialistes par pays, peut-être des collectifs, mais ils ne seront pas assez forts pour être mondiaux comme l’a été Parker. On jugera la nouvelle équipe à sa volonté de conserver les fondamentaux de Parker, ce qui est, à mes yeux, mission impossible. »
Un avis qui contredit ceux qui, comme Vincent Pousson, par ailleurs excellent, pensent que les candidats se bousculent au portillon de la succession. Même si, à la marge, tel ou tel se tortille pour se faire valoir, personne ne remplacera Parker parce que personne ne souhaite vraiment voir l’émergence d’un nouveau Parker.
Observons ce qu’il se passe pendant la Semaine des primeurs à Bordeaux. Avant même l’ouverture des hostilités, James Suckling, qui a tout goûté avant tout le monde, publie ses notes. Et tout le monde s’en fout. C’est Parker qui publie le dernier et c’est lui qu’on attend pour fixer les prix. Aujourd’hui que les hiérarchies sont à peu près en place, nul besoin d’un nouveau Parker, les prix se fixeront par rapport au marché.

Et non, Vincent, les critiques n’établissent pas une « dictature du goût », ils expriment ce que Bettane appelle « le contenu technique du vin et ils en décrivent les saveurs. » On est loin du diktat. D’ailleurs Bettane reconnaît à un très petit nombre de gens la capacité à le faire. Lui comme les autres n’imposent pas leur goût, mais leur compétence analytique, c’est très différent. Bettane, encore : « Je peux mettre de très bonnes notes à des vins qui ne sont pas à mon goût ou qui ne corresponde pas à ma vison du vin, sauf défaut, bien entendu. » 
Enfin, cher Vincent, la critique œno ne brandit pas l’étendard de la
« perfection », qui est épuisante, mais celui de l’excellence et de sa recherche. C’est très différent et beaucoup plus enthousiasmant.

Le blog de François Mauss : ici
Le blog de Vincent Pousson :

La photo : la page de garde du guide Parker des vins de Bordeaux, dédicacée.

lundi 10 décembre 2012

Ils ne sont pas en bio,
ils disent pourquoi

Une nouvelle fois réunis, la directrice technique des propriétés médocaines de CA Grands Crus et les directeurs de Rollan de By, Fieuzal, Marquis de Terme et La Pointe nous disent pourquoi, en dépit du goût du jour, les vignobles dont ils ont la charge ne sont pas conduits en agriculture biologique.

Toute la filière attend du bio, le caviste, le distributeur, l’importateur, et vous êtes toujours en conventionnel. Comment osez-vous ?
Anne Le Naour : Voilà bien notre époque, nous sommes diabolisés (rires). Il importe, à mon sens, d’être prêt pour cette conversion. On ne mène pas un vignoble en bio sans un personnel qui y croit. Une sensibilité des équipes techniques est indispensable. On ne passe pas en bio parce que c’est dans l’air.

Le bio n’est possible que sur une propriété menée par son propriétaire ? 
A.L.N : Non. Mais dans les propriétés dont j’ai la charge, tout le monde n’est pas forcément convaincu de l’intérêt du bio. Ce qui ne nous empêche pas de faire des essais sur 19 hectares. En tant que directrice technique, je ne peux pas faire ce choix seule. Il y a un risque. Sur les millésimes difficiles, la perte de rendement peut être très importante. Et il y aussi le problème du bilan carbone, pour évoquer un sujet tabou. Il est souvent meilleur en conventionnel qu’en bio, tout simplement parce que les tracteurs passent moins souvent dans les vignes. Certes, les consommateurs montrent un vrai intérêt pour le vin bio. Mais mon travail, c’est de faire de grands vins. Si je parviens un jour à faire de grands vins en bio, alors tant mieux.

Vous n’avez rien contre alors ?
Emmanuel Bonneau : Mais aucun de nous n’est contre. Le bio est une bonne chose en ceci qu’il nous a tous fait réfléchir et évoluer. Quand j’ai commencé, il y avait une énorme pression des firmes. Tout juste si le vendeur de produits phytosanitaires ne nous passait pas un savon pour ne pas avoir traité nos vignes quand lui l’avait décidé. Il y a quinze ans, je faisais trois traitements anti-botrytis dans l’année. Aujourd’hui, plus qu’un. Et les araignées, ces bonnes araignées qu’il faut garder, parce qu’elles mangent les mauvaises… Plus personne n’intervient sur les araignées rouges. C’est peut-être une question de génération, mais aujourd’hui, quasiment toute la production conventionnelle est très raisonnée. Le respect de la faune auxiliaire n’est pas réservé à l’agriculture bio. On connaît mieux nos sols et les produits qu’on nous vend. Et il y a un degré d’acceptabilité des maladies plus élevé. Autrefois, les vignobles étaient passés au Round Up et hop, le vigneron était tranquille jusqu’aux vendanges. Il pouvait passer l’été à la pêche.
Stephen Carrier : S’il y a une diabolisation de ceux qui ne sont pas en bio, elle vient de ceux qui font du bio un dogme. Plus personne ne travaille comme il y a vingt ans, de manière productiviste. C’est une caricature. On peut avoir un raisonnement écologique, respecter l’environnement, nos terres et les gens qui y travaillent, et ne pas « être en bio », au sens des labels. Il faut le dire aux consommateurs.
E.B. : C’est vrai que la vague du bio est arrivée, incluant le vin, sans que les gens soient plus informés sur la réalité de notre travail. Le consommateur s’intéresse-t-il à la flavescence dorée, cette maladie qui fait crever les vignes en deux ou trois ans ? Là, bio ou pas bio, nous sommes tous obligés de traiter, à des dates fixées par arrêté préfectoral. Pourtant, certains viticulteurs bios ne le font pas, refusant le traitement contre la cicadelle (insecte qui véhicule la maladie en piquant la vigne, NDLR), pourtant autorisé par leur cahier des charges.

Pourquoi ? Ils sont un peu intransigeants ? 
S.C. : Pour certains, oui. Et puis il y a sans doute autant de gens incompétents en bio qu’en conventionnel. Je suis d’accord pour dire que le bio nous a fait nous poser de bonnes questions. Mais je crois que si nous travaillons mieux, c’est parce que nous avons été éduqués autrement. La génération précédente a fait avec ce qu’on lui avait transmis. Nous avons une connaissance théorique des sols et des maladies bien supérieure. Ce qui fait que nous pouvons accepter aussi ce qui vient de l’agriculture bio, pour peu que cela convienne à nos vignes. J’observe de très près ce qui se passe à Pontet-Canet (l’un des deux ou trois grands crus classés certifiés en biodynamie, NDLR), même si c’est un chemin plus exigeant que celui du bio.

Qu’est-ce qui vous manque ?
S.C. : Tout et rien. Ils avaient la surface pour le faire et l’envie. Et la capacité pour supporter la frustration, comme lors de la difficile année 2007, durant laquelle ils ont du reprendre une conduite conventionnelle. J’aime beaucoup cette philosophie, comme tout le monde. Sur le papier, c’est génial. Mais dans les faits, je ne crois pas qu’il soit possible d’envisager de conduire un vignoble, en tout cas Fieuzal, en 100 % bio sur 10 ans. Sur les 4 hectares passés en bio et biodynamie en 2008, j’ai eu des rendements catastrophiques. Je n’ai jamais dépassé les 15 hectolitres à l’hectare, même en 2009 et 2010. C’est pour ça qu’ils m’épatent à Pontet-Canet. Des gens comme Jean-Michel Comme et Alfred Tesseron (directeur et propriétaire de Pontet-Canet) nous provoquent, nous stimulent.

C’est plus compliqué, le bio ?
Ludovic David : Plus précis, peut-être. Il y a l’aspect humain, déjà évoqué. Et il y a le végétal. Pour passer en bio, outre le fait d’avoir un terroir adapté, il faut avoir préparé son vignoble bien des années avant. Avoir pris conscience des équilibres environnementaux, respecter la biodiversité, refuser de polluer les nappes phréatiques ou d’abîmer la santé des hommes comme on le faisait il y a vingt ou trente ans ne suffit pas à donner de la vigueur à la vigne, à faire qu’elle se protège elle-même des maladies. A Pontet-Canet, ça marche et c’est formidable. Mais c’est formidable parce que le vin est bon. Personne ici ne revendique d’être « non-bio ». Cela n’a aucun sens.
A.L.N : La viticulture conventionnelle peut être scindée en deux. Il y a ceux qui ont intégré le souci environnemental et n’utilisent plus de désherbant ou de pesticide et ceux qui ne l’ont pas fait. Ensuite, nous travaillons un fruit, il y a fermentation, élevage, et les résidus restent dans les marcs. On le sait, on fait des analyses. Si même à ces seuils très faibles, le consommateur saute au plafond, on ne parle plus la même langue. Les légumes du marché contiennent des doses bien supérieures à ce qu’il y a dans les vins. Les matières actives homologuées en viticulture conventionnelle ne sont pas les mêmes que pour les raisins de table. Pour les raisins de cuve, il faut attendre un minimum de trente jours après le traitement pour récolter. Pour les raisins de table, c’est trois jours.
E.B. : À chaque époque, ses dérives. Il y a quelques années, on a décidé qu’on voulait consommer des fruits parfaits, sans un impact. On les a eus. Mais mieux vaut enlever la peau avant de les manger. Aujourd’hui, on est prêt à boire un mauvais vin du moment qu’il est labellisé bio.

Votre problème, c’est le label ?
Eric Monneret : C’est un manque de nuances, plutôt. On ne peut pas tous fonctionner de la même manière juste pour apposer un logo AB sur nos bouteilles, fût-il vendeur. En France, les terroirs sont différents. Ce n’est pas pour rien que l’Alsace a ouvert la voie du bio, le climat y est plus adapté. Le consommateur croit que le bio ne nous intéresse pas. C’est faux. Et c’est plus difficile de conduire un vignoble en bio ici qu’ailleurs. Je me suis renseigné tant et plus en assistant à des conférences ou en interrogeant des vignerons bio - pas toujours avec le succès escompté, ces gens-là sont secrets - avant de décider d’apprendre par moi-même et de tirer mes propres conclusions sur trois hectares. Si, sur un nombre de millésimes significatif, cela répond aux objectifs qualitatifs qui me sont assignés, alors je saurai que je peux conduire ce vignoble en bio.
E.B. : C’est tout le sujet, cette affaire de qualité. Si on ne fait pas le volume prévu, ça passe. Si le vin n’est pas bon, en revanche, on va en entendre parler, si on nous garde… Je travaille pour quelqu’un qui a acheté un vignoble de deux hectares et qui l’a porté à cent aujourd’hui. C’est un investissement. Je me vois mal lui dire qu’il n’aura pas de récolte cette année.

C’est le vin avant tout ?
E.M. : Oui, les tenants du bio ont beau m’avoir dit « t’as pas compris, c’est un rapport à la nature », ces vins me posent un problème. Soit ils sont grandioses, voire exceptionnels en biodynamie, soit ils sont très mauvais.
A.L.N : Oui, à défauts. Le plus souvent.

Le bio exige un bon vinificateur ?
Tous : Un grand viticulteur, d’abord.
E.M. : Ceux qui parviennent à faire de grands vins bio sont de vrais paysans qui connaissent leurs sols, et ensuite de très bons vinificateurs. Ils ont souvent de grands terroirs. Tout ça a peu à voir avec le fait qu’ils soient en bio. Le bio ne fait tout simplement pas de meilleurs vins. La question est donc : peut-on faire aussi bon en préservant plus ?

Alors, vous leur dites quoi, à ceux qui font un bon geste en achetant bio ?
S.C. : Que bio ne veut pas dire qualité. Tout ne se résume pas à du marketing. De nombreux domaines sont en bio depuis des années sans l’écrire sur les bouteilles. Pour faire un grand vin, il faut travailler le mieux possible avec ce qu’on a. Le bio est une méthode, pas forcément la meilleure pour tous les terroirs.
E.M. : Les viticulteurs bios gagnent sur le plan de la communication. Un peu simpliste, d’ailleurs. C’est du vin bio, c’est bon. C’est faux. En revanche, pour répondre à la démarche du consommateur, qui consiste à acheter bio pour faire pression sur les producteurs en termes de respect de l’environnement et de la santé, il nous manque un espace dans lequel exister. Celui d’un bio technique, scientifique, dans lequel nous pourrons travailler en fonction de nos vignes, de nos sols. Au cas par cas. Il n’y a pas d’un côté les fleurs et de l’autre, les pollueurs. L’important n’est pas la certification, c’est de savoir si je peux produire six ou sept ans en bio sur une décennie. Et repasser en conventionnel les années difficiles, comme en 2012.
A.L.N. : Cet espace existe aux Etats-Unis, où les vins bios ne sont pas buvables. Les vins bios européens n’y sont d’ailleurs pas considérés comme tels, puisqu’il contiennent des sulfites. En Californie, ils font de grands vins en respectant l’environnement, Pas les labels. Mais ils montrent la manière dont ils travaillent.
E.M. : L’avenir est là. Pas dans le dogme, dans cet excès de naturel à tout va, juste retour des choses après les errements de la chimie. Une fois passés d’un extrême à l’autre, nous serons enfin dans l’écriture d’une page très intéressante, plus nuancée. Celle d’un bio pragmatique et fonctionnel. C’est très excitant.


Les intervenants :



Ludovic David dirige le cru classé de Margaux, Château Marquis de Terme, propriété de la famille Sénéclauze.



Stephen Carrier dirige le cru classé de Pessac-Léognan, Château de Fieuzal, propriété de l’Irlandais Lochlan Quinn



Anne Le Naour est la directrice technique des châteaux Rayne-Vigneau (cru classé de Sauternes), Grand-Puy-Ducasse (cru classé de Pauillac), Meyney à Saint-Estèphe, Blaignan (Médoc) et, maintenant, La Tour-de-Mons à Margaux. Elle a aussi la responsabilité d’un domaine en appellation Costières-de-Nîmes. Ces vignobles appartiennent à CA Grands crus, filiale du Crédit Agricole



Éric Monneret dirige Château La Pointe, propriété de l’assureur Generali-France



Emmanuel Bonneau est le directeur technique des Vignobles de Jean Guyon (Rollan-de-By, Haut-Condissans, La Clare, Tour-Séran et, maintenant, Greysac. Et aussi Rose de By, du Monthil et de By)  

Les photos : Mathieu Garçon, bien sûr. Cette table ronde a été animée et rédigée par Amélie Couture et moi.

dimanche 9 décembre 2012

Olivier Privat et la Grande



C’était des années douces, 1993 et suivante. Uzès, un hôtel très agréable, un type m’attend à la réception, l’air malin, l’œil allumé. Il s’appelle Olivier Privat. On a un rendez-vous professionnel, on ne se connaît pas, on se marre déjà, on deviendra potes très vite. On passe la journée à visiter des maisons dans leur jus, ce mec a une vraie sensibilité pour la pierre authentique, historique.
Quelques années plus tard, il a un peu arrêté la pierre, mais pas vraiment. Avec le concours d’investisseurs, il a ouvert un restaurant dans un hôtel particulier du XVIIe siècle, toujours à Uzès. L’endroit s’appelle Les Trois salons, en référence à l’enfilade de réceptions dans laquelle il a installé ses tables. Il a engagé Peter Nilsson, un Suédois génial qui ne tardera pas à défrayer la chronique gastronomique. François Simon, fameux critique masqué du Figaro, invente même un axe Cancale – Uzès – San Vincenzo. Bretagne nord, Provence gardoise, Toscane maritime. Rollinger, Nilsson, Pierangelini. Trois grands cuisiniers. Mais Olivier a raccroché pour partie, Peter est monté à Paris pour suivre une fiancée et Fulvio s’est lassé.
Les Trois salons, très vite célèbre, ne survivra pas à la démission du Suédois et aux exigences de la clientèle uzétienne qui ne se contente pas de son remplaçant. Olivier Privat rebondit aussitôt, le voilà qui fait du vin. L’endroit s’appelle le Domaine des Lys, à Blauzac, pas loin d’Uzès toujours, on peut comprendre. Ces derniers mois, il m’a adressé quelques bouteilles et hier soir, j’ai tiré un bouchon pour voir. La chose s’appelle La Grande, c’est un rouge et c’est très bon, une belle ampleur soyeuse, une étonnante délicatesse pour des vins de soleil. Enfin, c’est exactement ce que j’aime dans les vins de ce pays et qu’on retrouve chez les grands du quartier, Trévallon, Vignelaure.
Donc, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un assemblage syrah et cabernet-sauvignon, mais au fond, je n’en sais rien. Olivier a envoyé les bouteilles, mais pas les fiches techniques. C’est pas pour t’informer, c’est pour te faire plaisir. C’est gagné.

jeudi 6 décembre 2012

BREAKING NEWS
L'actionnaire de référence du site 1855.com
jette l'éponge

Il semble que le site de la RVF ait lâché sur 1855.com une info qui se confirme.
Jean-Pierre Meyers, aussi connu pour être le gendre de Liliane Bettencourt, soutient depuis plusieurs années le très compliqué site 1855.com, spécialiste auto-proclamé de la vente de grands vins en ligne. Ce site qui se définit comme "l'Hermès du vin" (ils n'ont jamais été chez Hermès) accumulait depuis longtemps les retards de livraison, fruits d'une stratégie des plus étranges. Et, depuis peu, les condamnations pleuvaient sur 1855. Le monde du vin s'est beaucoup ému des errements du site 1855. Sur le forum La passion du vin, des dizaines de pages de commentaires, de recommandations et de mises en garde témoignent des déboires des clients abusés.
Sans doute las et un peu inquiet pour sa réputation, l'homme d'affaires se retire.


Pour tout comprendre, on s'intéressera aussi à ceci
Évidemment lire la RVF, le blog de Jim Budd, très actif dans la campagne de prévention et, bien sûr, La passion du vin.

mercredi 5 décembre 2012

Il répand du château-angélus dans la mer


Vu ce matin dans le quotidien sportif L'Équipe


Jean Le Cam est un coureur au large qui est en train de batailler ferme au sud du sud de l'Afrique du Sud. Il court le Vendée Globe, course autour du monde en solitaire sans escale et sans assistance. Il est connu pour être un fin régatier, un grand marin et un type drôle et sympathique.
Comme la plupart des marins, il est sensible aux traditions et un poil superstitieux. L'usage veut qu'on vide une bouteille de champagne au passage de la ligne qui matérialise l'équateur. Lui, il s'y connaît en vin, il sait que le champagne est un vin et que Neptune ne lui en voudra pas de troquer le vin de Champagne par un vin de Saint-Émilion.
En choisissant de disperser une bouteille de château-angélus, récemment promu grand cru classé A, il sait qu'il va s'attirer les bonnes grâces de Neptune, le dieu de la mer.
Et moi, je sais qu'il n'a pas versé toute la bouteille…

mardi 4 décembre 2012

Six millésimes de brunello vandalisés



Dans la nuit de dimanche à lundi, des voyous ont vidé dix foudres de brunello di montalcino pour une contenance totale de 62 000 litres, soit la production de six millésimes, 2007 à 2012. L’affaire se passe à Montalcino chez un vigneron-star de l’appellation, Gianfranco Soldera, qui commercialise ses vins après six années en foudre. Son domaine s’appelle Case Basse. Pour mémoire, il fût l’un des rares à sortir le scandale des faux brunello-di-montalcino, il y a quelques années.
Vendetta à l’italienne ?
Tenant d’une ligne stricte de l’appellation, c’est-à-dire des vins composés à 100 % de sangiovese, il n’est pas exclu que cette prise de position lui ait valu quelques inimitiés. Le succès que Soldera rencontre dans le monde entier avec son brunello vendu autour de 150 euros la bouteille montre bien que ces vins assez peu colorés et d’une grande finesse, loin des brunellos noirs et bodybuildés défendus par Suckling à une époque, sont une expression juste du sangiovese. Toutes choses de nature à provoquer de la jalousie. Là comme ailleurs, le succès des excellents dérange les mauvais.



Je n’ai jamais goûté les vins de Soldera, mais beaucoup ceux de Claudio Tipa (Poggio di Sotto) ces derniers jours, un brunello élaboré sur les mêmes principes. Ce sont des merveilles de dentelles et de soyeux. Répandre six millésimes sur le béton du chai est un crime. En plus, les voyous n’ont pas emporté de bouteille. Même pas une pour boire un coup après l’effort comme tout bon travailleur. Décidément…

ON SAIT QUI C'EST (MISE À JOUR DU 20 DÉCEMBRE 2012)
La police italienne a fait le boulot et identifié le coupable en moins de trois semaines. Bravo, les carabiniers. C'est un employé du domaine Soldera, vexé par une remarque de son patron et jaloux d'un autre employé, qui a ouvert les vannes. Tout ça pour ça. Quelle misère.

QUATRE ANS DE PRISON (MISE À JOUR DU 23 MARS 2013)
Finalement, le vandale n'a pris que quatre ans ferme et il fait appel. Lire ici l'article du Los Angeles Times (en anglais)

Lire les détails ici (en italien)
Une affaire aussi scandaleuse, mais en France, ici

Les photos : viennent du site de La Nazione et de celui de WA (Wine Anorak)