Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 29 octobre 2012

On a raison d’attendre les vins




Voici un saint-joseph signé Vincent Paris. Millésime 2000, il a douze ans tout juste. Rappelons que les vins naissent après la vendange, c’est-à-dire à cette période, plus ou moins selon les vignobles. J’en avais goûté il y a des années, jeune alors. Les arômes de poivre dominaient, les tanins grattaient sec, le vin 
était intenable.
Aujourd’hui, c’est une merveille de suavité, d’une jeunesse apaisée. Au nez, 
des arômes étonnants de violette et de… raisins. De table, ceux qu’on mange. 
À douze ans, il n’a pas encore développé d’arômes tertiaires, truffe, sous-bois, etc. En bouche, la cerise fraîche domine sans exagérer. Il est très « buvable », ample, tapissant, sans mollesse et d’une belle longueur.
Cette bouteille a été un moment exquis. Le vin, quand il est très bon, est un cadeau de la vie.

dimanche 28 octobre 2012

Le Miss Glou Glou de la rentrée
aura-t-il le Goncourt ?

Miss Glou Glou s'enivre des arômes de son livre neuf

J’ai lu le livre de Miss Glou Glou (son pseudo pour ce bouquin est Ophélie Neiman) et je vais en faire une critique positive.
Pourquoi ?
D’abord, parce que c’est mon Glou et que donc, bon.
Ensuite, parce qu’elle vient de se marier avec un grand garçon à épaules et que vous pouvez me traiter de lâche tant que vous voulez, je voudrais vous y voir.
Enfin, parce qu’un petit livre sur le vin qui m’apprend des trucs au lieu de me tirer des soupirs d’exaspération est une bonne chance.
Enfin (bis), parce qu’on se marre en le lisant et on bénit le ciel d’avoir un jour croisé un Glou.
Ce qui m’est arrivé.
Cette fille fait un boulot magnifique avec son blog, elle démystifie le vin et son monde. Qui n’a pas vu son interview de Pierre Lurton a raté sa vie, mais bon, YouTube est là pour une deuxième chance. Elle s’adresse aux ménagères et aux ménagers de moins de cinquante ans et la pilule tombe pile.
Voilà maintenant qu’elle publie sur du papier, passage obligé pour la considération. Et comme c’est très, très bien comme littérature spécialisée, tout le monde se jette dessus, les télévisons se la disputent, la maquilleuse s’arrache les cheveux, son agent menace de faire une crise de nerfs. Le blockbuster n’est plus loin.
Donc, comme dirait l’autre, c’est le meilleur livre du vin de la semaine. Non, je rigole. Du mois. Enfin, du genre. Comme quoi, pas besoin de donner des leçons pour apprendre des trucs aux gens (ça, c’est fait). Passons avec une pudeur charitable sur deux-trois imprécisions ou raccourcis ou exagérations, ils n’entament pas ma dévotion pour l’écriture vive, drôle et nette de cette jeune fille qui ne se regarde pas écrire.
Je vous le recommande, la librairie c’est par là.

La couverture, d'une sobre élégance

(Non, il n’aura pas le Goncourt, pourquoi ?)
(Pour les détails, voyez son blog. Excellente interview de et par l’auteur, ici)

Ce livre s’appelle « Le vin pour ceux qui n’y connaissent rien ». Il est édité par l’Étudiant, 244 pages pour 12,90 euros, c’est moins que deux paquets de marlboros légères.

jeudi 25 octobre 2012

Un rare bonheur à Angélus

Angélus dans le brouillard, mais on distingue le carillon sur le toit du chai

Hubert de Boüard n’a pas fêté le nouveau classement de Saint-Émilion qui a vu son château-angélus accéder au rang suprême de premier cru classé A, avec château-pavie. L'un et l'autre ont rejoint les deux stars de l’appellation, château-cheval-blanc et château-ausone.
Non, si nous étions réunis sur un belvédère posé sur le coteau du Château Bellevue, c’était pour assister à la consécration des dix-huit cloches du carillon suspendu à un campanile sur le toit de Château Angélus.
En effet, depuis de longs mois, Angélus est en travaux. Comme pour nombre de ses voisins, il y est question d’un nouveau chai. Quand Cheval Blanc, La Dominique et Montlabert, après Faugères, ont fait le choix de la création architecturale contemporaine, Hubert de Boüard et sa famille se sont tournés vers une exécution à caractère historique. L’usage de matériaux de récupération, poutres et tuiles, le dessin mis en œuvre par un ancien architecte des Bâtiments de France, tout concourt à l’édification non pas d'un faux château, mais d’un chai historique. J'ai entendu que l'ensemble avait des airs bourguignons, je dirais plutôt que c'est périgourdin, donc voisin.
C’est déjà sublime alors qu’il reste encore une année de travail, nous y reviendrons dans un an.


Le coteau de Bellevue, donc.
Ce matin, la brume d’automne est un franc brouillard. Il est tôt encore quand nous arrivons et, de là où nous sommes, on ne voit pas Angélus, pas du tout. Peu à peu la silhouette du bâtiment se détache en une ombre chinoise très floutée, mais guère mieux. Le brouillard s’accroche aux vignes du coteau avec une certaine obstination. Curieusement, cela ne crée ni impatience, ni sarcasme dans la petite foule des invités accrochée à son balcon. On voit là quelques propriétaires, mais peu, des officiels, des journalistes et des dégustateurs de toutes provenances, dont certaines stars du Grand Jury européen, l’assistance attend dans le plus grand calme.

Étrangement, ou est-ce un signe, il faudra l’arrivée du cardinal Ricard, archevêque de Bordeaux, pour qu’enfin le brouillard se déchire au-dessus d’Angélus. C’est assez net pour interpeller le monde et tout commence. Une soprano juchée sur une estrade devant le château entonne un Ave Maria somptueux qui finit par convaincre le brouillard d’aller se faire voir ailleurs. Des enceintes réparties dans les vignes de Bellevue retransmettent son interprétation avec force et là, dans ce décor pastoral tout brillant sous le soleil, l’émotion monte et serre les gorges de ceux qui ont la chance d’être là et de se laisser porter par la magie de l’instant. Le vallon de Mazerat dévoile son infinie beauté, la ligne de crête de Berliquet soulignée par un rang de cyprès confère à l’endroit un caractère toscan, le doux vallonnement des vignes, le carillon d’Angelus qui commence à sonner après la consécration dite par le cardinal. Tout est en place, très intense, pour voir fleurir les lunettes de soleil sur les visages et ce n’est pas ce soleil léger qui en est la raison, mais la pudeur. Il est difficile pour beaucoup de montrer au reste du monde qu’on peut pleurer de joie. L’eau des yeux est intime.

Le plaisir de (re)voir de quoi la chrétienté est capable
La beauté du monde, l’intensité du chant, les dix-huit cloches du carillon ont permis à cette petite foule cette rare communion chrétienne et je conclurai en reprenant les mots de François Mauss sur son blog : « Il eut fallu un Gabriel Chevallier pour décrire cette bénédiction. Mais pour l'ancien élève des bons pères que je suis, de constater à quel point, ici, en Saint-Émilionnais, on n'a pas peur de faire ce que l'on pense, de rappeler qu'Angelus doit son nom aux trois clochers dont on entendait les cloches à mâtine, à midi et le soir, faire bénir ce beau carillon provenant d'une fonderie d'Annecy, évoquer ainsi une culture chrétienne qui, mieux que toute autre, a compris le rôle du vin dans la vie de l'homme, il fallait l'oser, et l'oser la tête haute : alors même - chacun le sait - qu'il y a bien des pesanteurs inutiles qui veulent changer l'Histoire. »
C’est peu de dire que je souscris à cette déclaration la tête haute, moi aussi.



mardi 23 octobre 2012

Pas d’antenne sur l’Hermitage

La chapelle de l'Hermitage et, à droite, l'antenne TDF en place depuis une vingtaine d'années
Et voilà. Les instances en charge ont fait leur boulot. L’info révélée en premier par le quotidien Le Dauphiné Libéré nous apprend que le projet de l’opérateur Itastim est retoqué en raison de la procédure de classement de la colline de l’Hermitage au patrimoine national. C’est tout simple et ça vient du Ministère. Pour une ou deux de ces raisons administratives comme nous en avons le secret, cette interdiction est valable un an, mais devrait être « éternelle », comme le démontre très bien Le Dauphiné Libéré.
C’est une grande victoire pour les vignerons de l’Hermitage et surtout pour Caroline Frey (Paul Jaboulet Aîné) qui a mené le combat avec beaucoup de détermination. Au passage, on comprend que la présence de murs peints au nom des marques Chapoutier et Jaboulet, qu’ils soient de soutien ou non, ne semble pas incommoder les autorités qui s’apprêtent à classer la colline. Bon, on le savait déjà, mais voilà une confirmation.
Et puisqu’il est l’heure de se congratuler, rappelons l’engagement de quatre blogs (Vin et Cie, Sommelier-Paris, Idées liquides et solides, BonVivant) qui ont alerté l’opinion publique et les amoureux des vins et de leurs beaux sites. Et, particulièrement, Vincent Pousson, l’initiateur d’une pétition qui en moins d’une semaine a vu près de 1 500 signataires venir grossir les rangs des mécontents. Cette action a prouvé qu’en quelques heures, quatre blogueurs décidés peuvent rendre publiques et contrecarrer des décisions qui impliquent l’avenir et qui ne tiennent aucun compte des souhaits du plus grand nombre.

Tous les détails, ici et .
L’article du Dauphiné Libéré, ici

lundi 22 octobre 2012

Bernard Magrez à Sauternes

Avec l’acquisition de Clos Haut-Peyraguey, Bernard Magrez devient le seul propriétaire présent dans les trois classements (1855, Graves de 1959, Saint-Émilion de 2012) et dans quatre appellations prestigieuses (Sauternes donc, Pessac-Léognan avec Pape-Clément, Saint-Émilion avec Fombrauge, Haut-Médoc avec La Tour-Carnet).
Il ne lui manque plus qu’un pomerol et un premier grand cru classé du Médoc pour être parfaitement heureux.
Il démontre également que l’argent n’est pas son seul moteur. C’est tellement difficile à produire et si compliqué à vendre qu’on ne gagne pas (ou peu) d’argent avec un sauternes. Il y faut une passion dévorante et authentique.
En revanche, on peut espérer que l’arrivée d’un personnage de ce calibre dans l’appellation va booster l’intérêt pour ces vins magiques.
Il est assez désespérant de voir à quel point les Français ont peu de goût pour ces vins d’or, si complexes et si peu ordinaires. En revanche, qu’un amateur commence à acquérir quelque intérêt pour les grands vins et il se tourne vers les liquoreux de Bordeaux (et d’Alsace
et d’ailleurs) avec une légitime gourmandise.

La photo : l’étiquette de Clos-Haut-Peyraguey a un peu changé depuis ce millésime 99, mais très peu.

 

dimanche 21 octobre 2012

Du vin italien



À quoi sert un restaurant ? Là, les avis divergent. À éviter de faire la cuisine et la vaisselle. À manger des choses qu’on ne sait pas cuisiner. À installer une atmosphère de convivialité qu’on serait incapables de créer chez soi (pas terrible ça, mais il paraît que ça existe). Ou juste à changer le quotidien pendant une heure ou deux, voir des gens qu’on ne connaît pas, ce genre de poudre aux yeux. L’autre option, c’est la mienne, est la découverte de vins dont j’ignore presque tout. Pour les vins italiens, j’ai beaucoup cherché et j’ai trouvé. L’endroit s’appelle Divinamente italiano, c’est à côté de la Bourse et malgré des débuts difficiles, j’ai fini par comprendre pourquoi c’est le meilleur du genre. Ce petit restaurant a été ouvert il y a un peu plus d’un an par une jeune sommelière aussi compétente qu’elle est inventive. C’est chez elle que je suis épaté à intervalles réguliers par ses découvertes. C’est chez elle que peu à peu je me suis départi de quelques vieilles lubies et idées fixes que j’entretenais à propos des vins italiens. Bref, c’est là que je vais quand j’ai envie de boire un vin italien que je ne connais pas. C’est toujours intéressant, parfois très bon. J’y apprends beaucoup de choses.

L’autre soir, elle participait à une opération de promo des délices gastronomiques de sa province d’origine, l’Émilie-Romagne, pourtant peu connue pour la qualité de ses vins. En quatre plats et autant de vins, elle a fait une belle démo et nous y avons cru avec une certaine volupté.
Tout a commencé avec un blanc pétillant issu du cépage ortrugo. Léger, agréable, rafraîchissant, on est loin du grand vin, mais ça existe avec plaisir. Suivi d’un albana, un cépage blanc, qui manquait de précision, un peu trop solaire pour un blanc. Puis un rouge parfait dans le genre simple, le bursôn. Fin sur un malvoisie doux, assez idéal et même étonnant.
Voilà.
L’opération continue tout l’automne dans les belles adresses italiennes de Paris, le Caffé Armani, le Mori Venice Bar, etc. Pas sûr que ça vaille la peine de courir après la queue du mickey. En revanche, se poser chez Divinamente et suivre les conseils de la sommelière est une bonne idée. On s’y verra sûrement. Elle a 120 références sur sa carte des vins et je suis loin du compte.


lundi 15 octobre 2012

T’es belle avec tes 30 ans




J’ai bien connu ta grande sœur, celle qui a quatre ans de plus que toi, mais c’était il y a longtemps. Elle était mon premier amour. Elle passait son temps à la cave, elle adorait. Et te voilà, toi, sublime dans tes trente ans si joliment assumés.
Bon, assez ri. Il est question ici d’un pontet-canet 1982, trente ans ces jours-ci. Une grande bouteille arrivée par la grâce de mon ami Pierre-Alain, un soir d’août. Le voyage apaisé, le temps est venu d’aller y voir de plus près.
À l’ouverture, elle a tous les signes de la bouteille en pleine forme. C’est bien, on est toujours un peu inquiet quand on tire un vieux bouchon. On se souvient qu’au-delà de dix ans, il n’y a plus de grands vins, il ne reste que de grandes bouteilles. Comprendre que la prestigieuse provenance n’est pas une garantie, chaque bouteille a sa vie propre, distincte de celle de ses copines de chai. Celle-ci, je le sais, a été conservée dans une vaste cave champenoise, creusée dans l’un des plus beaux villages de la Côte des Blancs, le meilleur sommeil possible pour une bouteille. Ce qui surprend tout de suite, c’est la fraîcheur de ce grandiose pauillac. Elle va passer quatre heures ouverte dans un endroit frais et aéré, sans être décantée. Sur ce point, les avis sont partagés. Moi, je carafe toujours les vins jeunes le plus longtemps possible avant de les boire. Sur les vins âgés, je ne suis qu’une boule d’appréhension, alors je ne fais rien, suivant en cela les conseils et la pratique de François Audouze. Au moins, son expérience est crédible, il ouvre chaque année des dizaines et peut-être même des centaines de vieux flacons, il ne décante jamais, je fais comme lui avec ce pontet-canet 82.
La bouche prête après un brut nature 2002 de chez Duval-Leroy aux qualités apéritives certaines, tout est en place.
Le pauillac est là dans un verre dédié, le nouveau 100 points de chez Lalique. Couleur splendide, sans excès d’orangé. D’un bout à l’autre de cette bouteille, la surprise va durer. Il est beaucoup plus jeune que sa carte d’identité, on dirait toi. Nous, oui.
Cette interminable jeunesse confère au vin une suavité hors norme. Avec le fruit du vin jeune, il a un arrondi de tanin qui le rend vraiment aimable, sans les arômes tertiaires habituels, la qualité de la conservation, sans doute. Une finesse, une délicatesse même, un soyeux qui envoient les convives tout en haut des sensations, là où l’on s’aventure rarement. L’émotion est palpable, j’aurai du convier François Mauss.
Ce vin est parti pour durer longtemps, c’est la marque des très grandes cuvées.


dimanche 14 octobre 2012

Une belle histoire, une bonne bouteille



C’était une fin d’après-midi, dans une de ces crises de rangement de cave, un truc qui vous prend de loin en loin sans beaucoup d’efficacité, mais qui a un gros mérite, celui de remettre la main sur des bouteilles oubliées.
Voici la Ferme des Lices, belle histoire et bonne bouteille.
Oubliée, retrouvée, et en passagères clandestines, plein de bulles qui remontent à la surface, pour un éclat de rire, une déconnade, un bonheur passé.
La Ferme des Lices est une pure invention d’une jeune fille qui s’appelle Laurence Berlemont. Œnologue, elle a créé un business dédié à Brignoles dans le Var et gère un certain nombre de propriétés en Provence, vins et d’huiles d’olive. Chef d’entreprise et mère de famille, elle vit très vite, roule beaucoup, a des idées et s’enthousiasme chaque fois qu’il est nécessaire.
Un beau matin, voici que sa route croise celle d’une riche Américaine, propriétaire d’une villa agréable dans l’un de ces domaines privés, fermés et gardés comme on n’en trouve guère qu’à Saint-Tropez. Au fil de la conversation, rendez-vous est pris pour voir les vignes. Là, Laurence comprend que chaque propriétaire est détenteur de 2 à 5 000 m2 de bonnes vignes, que le raisin part à la coopérative, que la vigne est un gentil décor de vacances. Armée de son bâton de pèlerin, elle commence à convertir chacun à son idée.
Ce n’est pas simple d’expliquer à des gens propriétaires de parcelles importantes et constructibles, à Saint-Tropez en bord de mer, qu’ils vont signer un contrat à long terme pour faire un vin dont vous me direz des nouvelles, sûrement, mais pas tout de suite, donnez-moi deux ou trois ans pour y arriver. L’équation personnelle de Laurence Berlemont balaie les obstacles à force de conviction, les yeux qui brillent peuvent se montrer convaincants et une dizaine de propriétaires lui font confiance.
Il s’agit de créer le seul domaine viticole privé de la commune de Saint-Tropez. Elle paiera le raisin en bouteilles étiquetées au nom de chacun des propriétaires. La plupart sont des étrangers, ils trouvent l’idée drôle et flatteuse et vogue la galère. Laurence s’occupe de tout, investit le petit garage de l’Américaine pour mettre des cuves, la vigne est belle, les vacances sont bonnes, tout le monde est content.
L’aventure s’appelle La Ferme des Lices, Saint-Tropez sur l’étiquette est une mention avantageuse, le vignoble est mené en bio, le vin est bon dans les trois couleurs, cavistes et restaurateurs locaux s’intéressent, les propriétaires des vignes bombent le torse, l’histoire est lancée.
Cette bouteille retrouvée est un millésime 2006, il est prêt à boire. C’est un vin bien structuré, arrondi, sans excès de soleil, sans intention de faire genre. À mes yeux, l’un des meilleurs rouges de la presqu’île. Un assemblage gagnant de syrah et de cabernet-sauvignon qui, comme toujours dans ces cas-là, réclame un peu de patience pour être bu à son meilleur. 


Oui, on peut sans doute acheter du vin à la Ferme des Lices en direct, essayez via le site, ici.

jeudi 11 octobre 2012

Crushpad, c'est moi qui l'ai fait

Vu de loin, c’est le genre d’histoire qui ne m’enthousiasme guère. Sauf que. De quelque chose qui a l’air d’une embrouille à l’américaine en mode do-it-yourself, on passe à quelque chose d’assez génial, à partir du moment où l’on se penche sur l’affaire.

L'étiquette et la contre-étiquette de L'escargot manqué

De quoi s’agit-il ?
De la possibilité offerte à l’amateur de réaliser son propre vin. Pas à partir de poudre de perlimpimpin, mais bien à partir de raisins provenant d’une douzaine de parcelles réparties sur quelques appellations bordelaises du Médoc et du Libournais. Ainsi pour un prix par barrique qui va de 7 500 euros à 12 000 euros environ, le candidat choisit son assemblage à partir de quelques cuves. Il choisit son mode d’élevage entre barriques neuves et barriques d’un ou deux vins. Il réalise son étiquette. Bien entendu, il n’est pas seul avec ses pipettes. L’œnologue Éric Boissenot assiste chacun dans l’architecture de son vin. C’est ludique, mais sérieux et les résultats sont là, les vins sont bons et suffisamment différents pour justifier le concept. Une soixantaine de barriques sont élevées pour une cinquantaine de clients. Certains sont des clients historiques, telle cette belle actrice chinoise qui « fait » des barriques depuis le premier jour. L’histoire a commencé en 2005 dans la Napa Valley, en Californie, sous le nom étrange de Crushpad. Cette dénomination de console de jeux va changer, la famille Cazes (Lynch-Bages, les Ormes de Pez, L’Ostal Cazes, les Sénéchaux, Cordeillan-bages, etc.), nouvelle propriétaire de la marque, a décidé de lui donner un nom un peu plus « concerné », il n’est pas définitif à l’heure qu’il est. Les vins, de diverses provenances bordelaises sont de simples bordeaux génériques, ce qui n’affecte en rien le succès de l’opération, évidemment.

L'étiquette et la contre-étiquette de The Moment


Qui sont les clients ?
50 % d’Européens, 30 % d’Américains, 20 % de Français, tous Parisiens, sauf un Bordelais. Les motivations de ces gens sont très différentes. Du simple désir d’avoir son nom sur une étiquette inventée et dessinée par le maquettiste maison jusqu’à une sorte de training à l’usage de néo-vignerons. Ainsi, déjà deux clients sont passé à l’acte, ont acheté des vignes et poussé leur aventure jusqu’au bout. Dans l’organisation Crushpad, si le client a tout pouvoir sur la vinification, il ne peut intervenir sur la viticulture. Les étiquettes qui illustrent ce billet montrent assez le côté drôle et distancié de cette clientèle. Ainsi « L’escargot manqué », ainsi nommé parce qu’un tout petit escargot avait échappé aux doigt des trieurs. Drôle. « Babula » est le sobriquet dont sa femme affuble le client de cette cuvée. Un autre met le portrait de son épouse sur l’étiquette, chacun y va de sont trait d’humour, de son bout de vie. L’un d’eux commercialise son vin à des tarifs stratosphériques, mais on ne sait rien de ses succès commerciaux. D’autres se sont mis à plusieurs pour se payer une barrique (300 bouteilles). Notre belle actrice chinoise les vend chaque année au profit d’œuvres caritatives. Tout et le contraire de tout, c’est ça qui est bien, cette liberté absolue.

Jean-Charles Cazes, le patron du groupe Lynch-Bages, et Steven Bolger, créateur du concept aux Etats-Unis et « racheté » par les Cazes avec la marque, ont dédié l’ancien chai de Haut-Bages-Averous (second de lynch-bages), dans le village de Bages, à l’histoire ex-Crushpad, preuve de leur confiance dans cette aventure qui ne fait que commencer. D’ailleurs, Jean-Michel Cazes, dans sa bienveillante neutralité, trouve ça intéressant. Alors…

Pour mieux lire les étiquettes, cliquez dessus pour les agrandir

lundi 8 octobre 2012

Le terroir, ça se mange pas



Le classement de Saint-Émilion est passé, consacrant les uns, froissant les autres. Ainsi va le monde, le bonheur des uns, etc. Plus étrange est la réaction de certains, pourtant connus pour avoir du vin une vision plutôt équilibrée et plutôt critique. Ainsi de mon cher Bernard Burtschy, fin dégustateur et garçon mesuré avec lequel j’ai eu la chance de travailler il y a quelques années et dont j’ai beaucoup appris. Quelle mouche l’a donc piqué et poussé à écrire de cette affaire de Saint-Émilion que c’est : « un classement qui tient plus compte de la qualité intrinsèque du vin que du terroir » ? Ceci posé sur l’air de « tout fout le camp », comme si cet état de chose était regrettable.

Moi, le vin, je le bois et le terroir, je ne le mange pas.
Ce qui explique que je sois satisfait d’un classement qui privilégie la qualité du vin sur des considérations plus techniques, géologiques, etc. Dit comme ça, on croirait une grosse banalité, mais, apparemment, tout le monde n’est pas d’accord.

En fait, Burtschy rejoint une certaine mouvance qui a du mal à reconnaître qu’un grand vin, c’est surtout une affaire de grand homme (ou femme, ce n’est pas le débat). Le terroir ne vaut rien s’il n’est pas sublimé par le travail acharné et interminable du type qui le cultive. Il y a Pavie, grandiose terroir tombé en déshérence et redressé jusqu'à la suprême récompense à force de passion, d’investissements, de travail, quoi, par un homme qui n'a jamais rien lâché, Gérard Perse. Quand il avait acheté Monbousquet, la gentry locale s’était gaussée de cet épicier qui avait acquis un terroir minable. Sauf que, dès sa première vendange, il avait fait taire les ricaneurs en sortant un vin qui, vingt ans après, est considéré comme l’un des vingt meilleurs de ce millésime difficile (1993).
Voilà maintenant qu’on nous explique que Angélus, moins grandiose terroir peut-être, dérange ce podium à quatre places. Et pourquoi, s’il vous plaît ? Hubert de Boüard, très fin vigneron, n’a pas chômé, il a porté lui aussi son vignoble (et son appellation) tout en haut du possible à force de travail et de talent. Son vin, reconnu dans le monde entier, a réussi là où d’autres ont échoué. Sa nouvelle position de premier cru classé A est légitime et méritée.
Souvenons-nous de ce mot de Denis Dubourdieu : « Un terroir, c’est un terrain avec un mec dessus. »

Dans le même ordre d’idées, je ne vois pas pourquoi Burtschy regrette ce qu’il appelle « une large promotion ». Chacun sait que les vins de Saint-Émilion, sans doute mieux qu’ailleurs, ont fait des progrès considérables dans les dix années écoulées. Il est donc normal qu’un certain nombre d’entre eux accèdent au statut de grand cru classé ou de premier cru classé. Le travail accompli ici et là, la qualité des vins, justifie tout ceci et amplement. Pourquoi laisser croire que ce classement fait un consommateur floué ? En quoi, d’ailleurs ? Ça trompe qui de voir Larcis-Ducasse, La Mondotte, Valandraud et Canon-La Gaffelière avec la médaille à la boutonnière ? Ils ne sont pas assez bons pour ça ? Eh, oh, faut pas tout mélanger et, de toute façon, ces vins sont déjà tous pré-vendus à des prix « d’étrangers ». On est loin du consommateur, ce fantasme bien arrangeant.

À part la tartouille de l’intégration de La Magdelaine dans Bel-Air-Monange, ce classement 2012 est plutôt juste. Nous ne présentions pas autre chose quand nous avons publié les pronostics bien vus de Thierry Desseauve, grand connaisseur de la Rive droite, ici, ici et ou quand nous faisions état des rumeurs, sans vraiment d’erreur (merci, Marilyn Johnson), la veille de la publication du classement, ici.

La photo : Saint-Émilion a un très gros clocher, pratique pour abriter les multiples querelles (photo Ni-Phone and me).

dimanche 7 octobre 2012

Les vins qui chantent dans la nuit blanche

C’est un de ces dîners en ville comme on les aime. De ceux qu’on ne raterait pour rien au monde, pas même une pluie tenace qui vous laisse trempé à l’adresse indiquée. Mais nous ne sommes pas en sucre et l’endroit est confortable ; la compagnie, fine. Des gens de verres et de fourchettes, des bons vivants drôles et raffinés, la maîtresse de maison est l’une des meilleures cuisinières qui se puissent trouver, rien ne remplace les filles bien élevées.
L’affaire a commencé par une paire de Grande Année de Bollinger, 2004 puis 2000. Le 04 est jeune encore pour avoir trouvé sa place dans l’univers de la marque, plus tendu que vineux, quand le 00 est tout le contraire, le champagne est un monde merveilleux.

Au menu, une théorie de grands vins qui laisse rêveur.
Dans l’ordre :

- un nuits-saint-georges clos-des-corvées 99 de chez Prieuré-Roch. Comme toujours avec cette maison, c’est à pile ou face. Nous ne sommes pas bien tombés, le vin est serré, bien trop pour son millésime et son âge. Avec ce qui suivait, il n’est pas bien tombé non plus, vite oublié.


- un charmes-chambertin 99, Dugat-Py et là, nous sommes tous montés dans la fusée, le ciel et ses étoiles était notre terrain de jeu, le silence se fait. Fallait-il une preuve que le grand vin est un miracle et un cadeau ?


- un châteauneuf-du-pape, Hommage à Jacques Perrin 03, Château de Beaucastel, un vin puissant et massif, bu trop jeune, sans doute, il ne dévoilait pas tout. Cette cuvée composée à peu près exclusivement de mourvèdre nous a rappelé que les beaux mourvèdres, c’est dix ans minimum, comme nous le faisons avec nos grands bandols. Le sentiment d’avoir raté un train.


- un vosne-romanée village les-genaivrières 01, Lalou Bize-Leroy nous a renvoyé illico chevaucher la comète dans une béatitude faite de délicatesse et de soyeux et comme dirait Bettane, on a touché du bout de la langue la différence entre le très bon et le grand.


- Un côtes-du-jura vin-jaune 85, Château d’Arlay. Comme notre hôte est joueur, il a sorti ce grand vin jaune pour aller avec le fromage. Une vraie rupture. Pour un certain nombre de raisons et de rencontres, j’adore les juras depuis longtemps, celui-là a confirmé mon goût pour ses vins de grâce et de pureté. Qui ne se boivent pas froids, rappelons-le.


- Un sauternes 73, Château d’Yquem. Ce qu’il y a de bien avec les très grands vins, c’est que la qualité du millésime s’efface au bout d'un moment devant le gigantisme du cru. Bien sûr que chacun aura goûté de meilleurs yquems, mais baste. Celui-là avait bien mangé son sucre, il était épatant de complexité, il faisait un point d’orgue parfait à cette soirée. Et il a permis, si l’on peut dire, d’oublier complètement que le cognac existe.

En nous séparant, ravis, sur le seuil d'une nuit froide, blanche et humide, je me souvenais des mots de Jacques Lardière, le grand homme de la maison Jadot, rencontré plus tôt dans la semaine à Beaune :
« Et peu à peu on s’aperçoit qu’on passe d’un champ d’éventualités à un champ vibratoire, les molécules du vin s’expriment, elles chantent. On croit que c’est de l’ivresse alcoolique, mais pas du tout. C’est très différent. » Comme il a raison. Et comme ce doit être compliqué d’expliquer ça au monsieur en uniforme qui vous tend un ballon en vous demandant de souffler dedans. Dieu merci, les policiers, à la différence des escargots, ne sortent pas par temps de pluie.


Les photos : sont lamentables. Pardon à mes lecteurs, à mes hôtes d'un soir pourtant si généreux, aux producteurs de ces vins. Il faut que je fasse quelque chose dans ce registre, je vais tâcher de m'y coller.

jeudi 4 octobre 2012

C'est pure connivence

Une étiquette fin chic

Dans le genre « c’est moi qui l’ait fait », l’histoire de La Connivence est assez parfaite. Il était une fois une paire de footballeurs qui croisent dans un dîner le dernier en date des héritiers Malet-Roquefort, plus connu pour le fameux château La Gaffelière, grand de Saint-Émilion qui fait un vin de finesse comme on aimerait en voir plus souvent. Une dynastie en place depuis quatre siècles, le vin peut être une affaire de famille. Là, il n’est plus question de famille et à peine d’affaire. Nos deux sportifs se verraient bien à la tête d’un vignoble. Où il est question d’avoir son nom sur l’étiquette, de diversifier un peu son capital. Ils auraient pu tomber plus mal. Alexandre de Malet-Roquefort a l’avantage d’être un fin connaisseur des arcanes libournaises comme des mystères du vin.
Ils leur proposent d’acquérir un tout petit pomerol, l’ancien Château des Templiers, étiquette disparue depuis longtemps et vigne confiée en fermage à un voisin, bon viticulteur qui laisse une vigne en bon état. Un hectare et demi, c’est très peu, très bourguignon, mais enfin, il y en a d’autres dans ces micro-formats et du meilleur, Le Pin, La Violette… Et bon, au prix de l’hectare, hein.
Pourquoi ce nom, La Connivence ? Johann Micoud (foot, XXe siècle) : « Parce que c’était une histoire de complicité entre amis. » Bien. Et pourquoi un vignoble, pourquoi pas un lavomatic ? Johann Micoud, encore : « J’avais envie d’un vin à partager avec mes amis en toute convivialité ». Ce qu’on appelle aussi des éléments de langage. Cela dit, il vient d’une famille de vignerons du Midi et d’un club, les Girondins, où le bordeaux est servi à tous les repas. Il a des excuses.
Alexandre de Malet-Roquefort est plus habitué à ces questions bizarres : « c’était une belle opportunité, nous l’avons saisie. » Oui, c’est plus clair comme ça.

Le vin en est à son troisième millésime en bouteille, 2008, 9 et 10. Le 08 commence à s’exprimer. Le 09 dans la puissance, le 10 dans la finesse, mais on sent deux très grands millésimes en devenir. Pour faire bonne mesure, 2 000 bouteilles d’un « autre » vin sont produites sous l’étiquette La Belle Connivence. Le premier vin est commercialisé autour de 150 euros la bouteille et le second doit tourner autour des soixante. En projet, un mini-chai (dix petites cuves et trente barriques) comme il est fait obligation aux vignerons de Pomerol. Pour l’instant, on vinifie chez des copains.

L’avenir ? Tout tracé. Le chai est prévu pour vinifier 1,5 ha, pas deux ou trois. Donc, 2 000 bouteilles de grand vin et autant du second et basta, promis, juré. Ce vin est donc appelé à combler les amateurs de raretés et les grandes tables du monde, le prix suivra l’engouement. À peine entrevu, déjà parti. Vous, je ne sais pas, mais moi je resterai avec la-gaffelière, c’est très bien comme vin.