Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



dimanche 27 novembre 2011

Le terroirisme, pensée politiquement correcte du moment


Voici un grand texte de Michel Bettane sur le difficile sujet de la prééminence du terroir sur toute autre considération. Où il remet les pendules à l’heure. Et distingue une belle famille mondiale des grands vins. Écoutons.

« Le beau vin, le vin noble, c’est celui sur lequel on peut débattre à l’infini pour reprendre la belle formule de Hugh Johnson. On entend souvent dire, dans le petit monde des amateurs, que 1982 est la date charnière après laquelle les vins de Bordeaux ont changé. Et l’on accuse les "Nouveaux Mondes" d’avoir imposé un type de vin contraire à nos traditions. Chez tous ces nostalgiques, il y a la conviction que les progrès de l’œnologie et de la technique tuent l’authenticité et la remplacent par des saveurs stéréotypées, exigées par un public nouveau et inculte. Par sensibilité personnelle, je ne peux accepter un tel pessimisme. J’ai eu la chance de goûter la production de la plupart des grands vignobles européens sur un siècle ou plus, d’arpenter leurs terroirs, en compagnie des meilleurs vignerons, d’être le dépositaire de leur philosophie de production, et je sais qu’il est moins facile qu’on ne le pense de manipuler la nature. Prenons le cas de Bordeaux. Tous les reproches que l’on fait aux vins d’aujourd’hui, on les adressait déjà à la fin des années 1970 aux vins vinifiés par le regretté professeur Peynaud, considérés aujourd’hui comme les expressions les plus classiques de la tradition bordelaise. On les jugeait trop souples, incapables de vieillir et d’exprimer l’originalité du terroir et, pire encore, élaborés pour plaire aux Américains. 1982 fut une belle année avec des raisins parfaitement mûrs, ce qui ne s’était plus produit depuis 1959. Il est normal qu’elle ait servi de critère pour tous les vinificateurs qui, depuis, n’ont plus envie de vinifier des raisins imparfaitement mûrs. Le style moderne honni par certains n’est que le résultat d’une recherche plus systématique d’une maturité plus poussée du raisin, liée à une viticulture parvenant à conserver des raisins sains plus longtemps qu’auparavant, à quoi s’ajoute un réchauffement du climat, comme on en connut parfois dans les siècles précédents.
Dans un passé récent, ce type de maturité n’était possible qu’une année sur cinquante ou même sur cent. Il y a quelques années, lors d’une dégustation verticale de château-malescot-saint-exupéry, les dégustateurs présents ont été stupéfiés par l’extraordinaire ressemblance entre le 1870 et les tout derniers millésimes. Même velouté de texture, même fondu, même absence d’agressivité dans l’acidité ou le tannin. Michel Rolland, qu’on ne peut soupçonner de l’avoir vinifié, avait de quoi se demander pourquoi ses détracteurs admiraient autant un vieillard aussi proche de ce qu’il cherche à obtenir. Les critiques anglais qui ont vu naître l’extravagant 1947 avec ses quatorze degrés naturels et ses sucres résiduels n’ont jamais émis l’idée qu’il avait été vinifié pour la critique américaine et se sont contentés d’admirer une curiosité.
Certes, il serait idiot de le nier, il y a des vins issus de vendanges absurdement retardées et gonflés par l’abus de procédés technologiques, mais l’immense majorité de nos producteurs n’ont jamais aussi bien travaillé. Le long vieillissement rendra justice à leurs vins, bâtis pour vieillir harmonieusement en conservant longtemps leur jeunesse. L’opposition entre Nouveau Monde et Ancien Monde me semble tout aussi abusive, à moins de parler de ces vins produits à grande échelle et à prix modéré, pour une consommation souvent locale. Dès qu’un producteur a l’ambition de produire un grand vin, il le fait partout avec des règles comparables. Quand, dans une dégustation à l’aveugle, je confonds (et je ne suis pas le seul) un cabernet de la Margaret River avec un grand médoc, ou un grand saint-émilion avec un joli cru californien, loin de me mettre en colère contre l’uniformité de leur style, je me réjouis de les voir tous deux rejoindre cette belle famille et je pense alors que, sur cette planète, le soleil, l’air et les sols n’ont rien de métaphysiquement différent. Tout comme l’intelligence des hommes quand ils cherchent à exprimer le mieux possible ce qu’il y a de meilleur dans un raisin. Je m’imagine l’objection immédiate : "Que faites- vous de l’expression du terroir ?".
Je regrette vivement que le "terroirisme" soit devenu la pensée politiquement correcte du moment, et je plaide coupable pour notre langue d’avoir créé un mot aussi inexact. J’aurais préféré "origine", si proche de l’anglais place, paradoxalement venu du français. Tout vin naît certes quelque part, et à un certain moment de l’histoire. La nature de son origine, comme du climat, détermine le goût du raisin, mais comment expliquer alors que le chambertin de Rousseau ressemble si peu à celui de Trapet ? La nature du matériel végétal, la culture des sols, le choix de la date de vendange, les levures de caves, tout influe sur le style et le goût du vin. Pour ne se limiter qu’à la vigne, changez les densités de plantation, augmentez la surface foliaire et l’alimentation aérienne, favorisez à l’opposé l’enracinement et la façon de résister à la sécheresse ou à l’excès d’eau, et l’allure et même le bouquet du vin se modifient. Nul besoin de s’étendre sur les complexités de la vinification pour voir à quel point la notion de typicité s’applique mal à l’univers des vins de qualité. Souvent, les amateurs identifient la saveur du vin de leur fournisseur préféré à la "vérité" du terroir. C’est une solution de facilité, peut-être même un acte narcissique : je m’aime aimer un seul type de vin et être ainsi cohérent avec moi-même.
Il serait plus sage de se construire, à partir de toutes les différences constatées, un idéal global de forme et de construction et de l’appliquer à tout vin d’une origine comparable. On le jugerait alors sur la façon dont il exprime le potentiel du lieu et du millésime et non sur une idée toute faite de ce qu’il devrait être en soi et éternellement, née de l’émotion qu’une seule interprétation, un jour, nous a donnée. Vraiment, il n’y a aucune crainte à avoir devant le fait que nos bons vins se rapprochent, en Europe et dans les "Nouveaux Mondes", tant que des individus différents les ont en charge et tant que des sensibilités différentes les consomment et s’expriment. »

La photo : Michel Bettane pendant la Semaine des primeurs en 2011, photo Guy Charneau.

11 commentaires:

  1. Définir un type terroir c'est difficile! Comme il donne l'exemple entre Rousseau et Trapet. Cependant je penses que l'on trouver une typicité terroir dans un vin, lorsque le terroir prend le dessus sur le variétal (arômes cépages). Certe l'expression sera différente entre les vignerons. Surtout s'il n'ont pas la même vision et approche de leurs terroirs. Vaste sujet! Si on rajoute les techniques cultural et de vinification......

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  2. Ce sont des mots très sages de la part de Michel Bettane. Quand on parle de Terroir, ces derniers temps, je dois toujours penser aux vins de Marcel Deiss qui sont issus de vignobles en complantages.En effet, si tous les sols sont plantés avec le même mélange de cépage, on arrive peut être à voir clairement les différence causées par le Terroir en soi. Bien sûr, il est clair que là aussi, le travail et le "style" du vigneron jouent un rôle (avec choix de la date des vendange...etc..). Merci pour ce bel article.

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  3. Je suis tout de même un peu perplexe... Certes, le producteur a de l'influence sur le résultat final de son travail, mais le terroir a un sacré mot à dire là-dedans. Une dégustation parcellaire dans un domaine médocain suffit à montrer qu'avec les mêmes méthodes à la vigne et au chai, on obtient des vins très différents selon le terroir d'où ils proviennent. L'assemblage va ensuite synergiser ces vins très complémentaire : l'un apportera la puissance, l'autre la tension, un troisième l'élégance, etc...Le vin final est donc le fruit d'une "construction humaine", mais il n'empêche que derrière celle-ci, le terroir est bien là. Cela explique pourquoi Lafite est plus fin et tendu que Latour ou Beychevelle moins puissant que Las Cases.

    Pour en revenir à l'exemple bourguignon, il me semble malhonnête intellectuellement. Evidemment qu'il ne faut pas comparer un Chambertin de Trapet et de Rousseau pour voir l'influence du terroir, vu qu'il y le "filtre" du producteur et de ses méthodes. Par contre, si l'on compare un Chapelle-Chambertin de Trapet à un Chambertin du même producteur, là oui, on verra que le terroir a une influence impressionnante.

    Je rajouterai que si les raisins sont cueillis plus mûrs aujourd'hui qu'hier, c'est autant dû (voire plus)à l'utilisation quasi généralisée des anti-botrytis qu'à celle du réchauffement climatique. Si ce dernier en était le principal responsable, les vendanges aurait lieu fin août/début septembre. Or on a vu dans ces dernier millésimes des vendanges se faire entre le 15 et le 30 octobre ce qui aurait été difficilement imaginable auparavant.

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  4. Eric Bernardin confond terroir comme matrice et terroir comme lieu de production : le lieu en Bourgogne comme à Bordeaux peut être composé d'une seule vigne d'un seul tenant ou de plusieurs vignes dispersées. Ces vignes donnent lieu le plus souvent à un assemblage des vins qu'elles produisent avec pour Bordeaux un assemblage supplémentaire celui des différents cépages plantés. Il est normal que le Chambertin de TRapet diffère de celui de Rousseau car leurs vignes ne sont pas au même endroit de ce grand cru, sans parler de différences de style de vinification. Il est normal que le Chambertin et le Chapelle de Trapet diffèrent pour la même raison! De même pour le CHapelle de TRapet par rapport au CHambertin de Damoy Mais ce que EB ne veut ou ne peut pas admettre c'est que ce lieu simple ou multiple n'est pas né de l'impénétrabilité des voies d'un Créateur mais de hasards humains : La Tâche, le Musigny, et bien d'autres, tout comme le terroir de Lafite ou de Margaux sont nés de l'accumulation par un même propriétaire de terres plus ou moins voisines et plus ou moins agriculturalement semblables et que c'est cette accumulation même qui crée la typicité, ou pour user d'une meilleur mot l'origine, sans qu'on puisse séparer cette origine de choix humains à chaque étape de l'élaboration du produit. Ces choix humains lorsqu'ils ont fait leur preuve tendent à être pérennes et assurer d'un millésime sur l'autre une similitude globale, parfois déroutante : qui à l'aveugle peut reconnaître immédiatement, et sans se tromper, dans chaque millésime les cinq grands crus bordelais, dont pourtant on est persuadé de l'individualité irréductible?) Enfin une viticulture méticuleuse a souvent produit par le passé des vins de haut degré et cueillis aussi murs comme en , 1865,1870, 1893,1899, 1921, 1947 et j'en passe, et sans anti botrytis : je ne crois pas que Pontet Canet ou Lalou Bize en utilisent aujourd'hui..... Le réchauffement en revanche semble bien réel! Michel Bettane

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  5. Vous écrivez " Il est normal que le Chambertin de Trapet diffère de celui de Rousseau car leurs vignes ne sont pas au même endroit de ce grand cru". Cela, je m'en doutais un peu. Mais ça ne vous a pas empêché d'écrire plus haut : "La nature de son origine, comme du climat, détermine le goût du raisin, mais comment expliquer alors que le chambertin de Rousseau ressemble si peu à celui de Trapet ?" en omettant ce détail, car il aurait appauvri votre thèse "anti-terroiriste".

    Vous écrivez : "Enfin une viticulture méticuleuse a souvent produit par le passé des vins de haut degré et cueillis aussi murs comme en , 1865,1870, 1893,1899, 1921, 1947 et j'en passe, et sans anti botrytis : je ne crois pas que Pontet Canet ou Lalou Bize en utilisent aujourd'hui..."

    Les années que vous citez sont justement celle qui n'avaient pas besoin d'anti-botrytis puisque c'était des années de sécheresses. Par contre, les années pluvieuses, le vigneron avait le choix entre cueillir précocément (et avoir des vins "poivronnés" ou attendre (et prendre le risque de raisins pourris. Quant à Pontet Canet et Lalou Bize, leur faibles rendements (les plus faibles de leurs appellations respectives) pour comprendre que ce n'est pas eux qui ont besoin prioritairement d'anti-Botrytis : végétation peu abondante, petites baies. Les risques sont minimes, même s'il ne sont pas inexistants.

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  6. Quid de la notion de climat dans cette démonstration ?

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  7. Ce n'est appauvri en rien : le terroir ou en meilleur français l'origine, ou mieux encore, en bon bourguggnon le "climat" c'est une terre, une atmosphère et un homme, et la seule chose qui est sûre c'est que le Chambertin de ROusseau et de Trapet exprimeront pratiquement toujours des différences : mais à l'aveugle qui à chaque fois peut dire Rousseau, ou Trapet? Le terroir est là, les hasards aussi, même intelligents. C'est le charme de tout grand vin et la limite du terroirisme. Car si je suis anti terroiriste je ne serai jamais anti terroir......MB

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  8. Je souscris au propos de Mr Bettane au sens où il devient inconcevable d'opposer des vins de qualité venant de France ou des Etats-Unis. Les meilleurs vignerons de la planète souscrivent à ces techniques de respect de la terre, du raisin et du climat.
    Toutefois la notion de terroir n'est-elle pas ce qui différencie un grand vin d'un très grand vin. Le vivificateur imposera toujours sa patte, son style, mais le terroir n'imposera t-il pas une dimension supérieure, presque immatérielle, aux grands vins.
    Si il existe des différences dans un même terroir ou entre vignerons, les vins de terres les plus aptes à produire des grands vins auront toujours ce « quelque chose en plus », cette particularité, cette singularité qui feront de lui un grand parmi les grands.
    La notion de terroir ne s’exprime pas dans la personnalité d’un vin mais reste l’expression de la grandeur d’un vin, sa magnificence.

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  9. "vivificateur"… S'agissant de très grands vins, la faute de frappe est sublime. Bravo.

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  10. Un néologisme beau comme une poésie, c'est rare

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