Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



vendredi 4 novembre 2011

Un moët 1911 de folie


Comme promis, le moët 1911 a été dégusté. La maison avait convoqué une vingtaine de convives pour entourer le professeur Saillant, de l’Institut du cerveau et de la moëlle épinière, récipiendaire du produit de la vente de la mallette de six moët 1911, prochainement chez Artcurial. Un galériste, trois collectionneurs, autant d’experts-expertes et de journalistes, quelques mondains drôles et sympathiques, trois ou quatre jolies filles, on était à Paris et nous y étions bien. Le 1911 n’est pas arrivé le premier.
D’entrée, nous nous concentrons sur le millésime 2002, on le croit fait pour l’apéritif, tout en finesse, pas trop vineux, très pur. Benoît Gouez, le chef de caves, nous dit que le premier millésime Moët date de 1842, pas de documents antérieurs, et que la maison n’a sorti que 69 millésimes depuis. Puis vient le 92, l’ancien style Moët, les arômes grillés dominent, Gouez parle d’un registre brun, par opposition au 02, un registre blond. Le brun désigne-t-il l'âge et le blond, la jeunesse ? Je connais une ou deux jolies brunes qui pourraient porter le débat.
1985, en magnum, qui suit, est splendide. Le 1975, un beau fruité avec une finale saline et une belle persistance. Le 1964, en magnum aussi, est incomparable, un très grand vin, très épanoui, mûr, explosif. C’est le dernier millésime partiellement vinifié sous bois, cuves et barriques. À ce point du dîner, Benoît Gouez convoque notre petite troupe dans le salon attenant, l’heure du 1911 a sonné. Il nous explique le sens de la verticale qui a précédé la dégustation du vénérable, il voulait nous montrer « le spectre des possibilités de vieillissement pour le 2002, puisqu’au fond, on ne sait rien de ce qu’il deviendra », belle humilité, joyeux bon sens. Il nous raconte que pour sélectionner 150 bouteilles parfaites, il en a ouvert et dégusté mille. 850 bouteilles ont été écartées, direction l’évier. On sent nos collectionneurs en proie à une légère transe, on voit bien qu’ils se seraient contentés de l’une ou l’autre des bouteilles écartées.
Le 1911. D’abord, c’est un champagne, un vrai, pas un souvenir, on est loin du fantôme charmant et émouvant. Bien sûr, la pétillance est fine, mais quelle élégance. Les arômes sont bien présents, un peu fanés, mais si joliment. On ne sent pas de fatigue dans ce vin magnifique. La persistance du goût en bouche est énorme et inattendue. Ces bouteilles ont été dégorgées il y a un an, dosées à 7 g/l. Et cette information fait toucher du doigt le caractère étrange de ce genre d’exercice. Au début du XXe siècle, ce genre de brut était dosé au moins au double, une différence sensible. On ne peut pas dire, donc, que nous goûtons un vin de l’époque. Nous ne goûtons pas, non plus, un vin moderne. Un spécialiste rappelle qu’avant la Première guerre mondiale, la Champagne était cinq à six fois plus petite en superficie plantée, qu’une bonne vendange donnait le dixième du volume d’aujourd’hui et que tout était a l'avenant. Nous avons affaire à un champagne unique, sans équivalent pour le comparer, sans la moindre chance de recommencer l’expérience. Pour personne. Seuls les acquéreurs des 66 bouteilles mises sur le marché par Moët à des fins caritatives pourront faire la même expérience, c’est très peu de gens.
Comme la maison est généreuse et qu'il lui en reste, sans doute, encore un peu, une seconde bouteille est ouverte. Première surprise, c'est la même, pas d'écart d'un 1911 à l'autre. Audouze biche, Chasseuil est ému, Gerbelle se sent une âme de poète, Gouez est plus technique, nous retournons à table pour le dessert, accompagné d’un 1952, un dry, toujours dégorgé comme tel, dosé à 28 g/l, franchement sucré, fidèle à la gamme de l'époque. La pluie a cessé, il est tard. Nous nous séparons plus amis qu'en arrivant, l’œil rieur, chacun est ravi du voyage. Il y a de quoi.



Les photos : la verticale goûtée ce soir-là, 2002 à 1911 (en haut) et la malette aux six 1911 (en bas), bientôt proposée aux enchères par Artcurial au profit de l'ICM du professeur Saillant. Pardon pour la qualité très moyenne des photos, mais je ne peux pas traîner Mathieu Garçon partout.

6 commentaires:

  1. Très beau compte-rendu d'un bel événement. Il faut signaler la qualité de la cuisine (volaille à la truffe blanche sublime et très goûteux homard), ainsi que la pertinence des accords. C'est vrai que ça m'a fait mal d'apprendre que plus de 500 litres de 1911 ont été mis à l'évier alors que des bouteilles bonnes à 95% feraient notre bonheur ! Au final, c'est le 1952 qui m'a charmé le plus, car plus dans l'esprit d'un champagne ancien.

    RépondreSupprimer
  2. Ah, François ! Moi, j'ai préféré le 64, déjà goûté avec Michel Bettane la semaine précédente et qui a bien confirmé hier soir.

    RépondreSupprimer
  3. Nicolas, j'ai bu le 1964 de nombreuses fois et le 1952 beaucoup moins. J'ai donné une petite prime à l'originalité. Il est certain que le 64 sur la volaille à la truffe blanche était plus gastronomique que le 52 sur un dessert.

    RépondreSupprimer
  4. Ce que j'aime du 64, c'est son incroyable fraîcheur. Et sur la poularde Albuféra, il était très présent.

    RépondreSupprimer
  5. "Il nous raconte que pour sélectionner 150 bouteilles parfaites, il en a ouvert et dégusté mille. 850 bouteilles ont été écartées, direction l’évier". Croyez-vous vraiment les gars à cette histoire ? Jetteriez-vous autant de vieux flacons dans le caniveau d'Épernay ? Bon, mis à part les franchement dégueulasses, il est certain que je ferai du reste une excellente base pour vins de réserve. J'en mettrai même en dame-jeanne façon Drappier. Ça pourrait toujours servir. Autre chose comme je ne sais faire court : sauf erreur, il me semble que vous oublier tous de nous parler de l'effervescence de ces vieux vins et de l'impression qu'elle laisse en bouche... Alors ?

    RépondreSupprimer
  6. "Bien sûr, la pétillance est fine, mais quelle élégance." Là, je parle d'effervescence, non ?
    Il va de soi qu'après un siècle sur pointe, l'effervescence ne fait pas immédiatement penser à l'eau Perrier. Mais on peut parler d'élégante pétillance.
    Pour le reste, je laisse à vos penchants Dupont & Dupond le soin de mener l'enquête.

    RépondreSupprimer