Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



jeudi 19 juillet 2012

Perse à jour


Dans le monde du vélo, c’est comme ça. Il y a toujours une course, un criterium à courir et une jeune fille pour offrir au vainqueur un bouquet de fleurs et un baiser sur la joue. Chacun a dans l’œil ce genre de photo de L’Équipe, bien sûr. Le Tour de France, c’est tous les week-ends, dans toutes les communes de France. Ce jour-là, dans les alentours de Croissy, au bord de la Seine, le très jeune homme qui gagne la course s’appelle Gérard Perse et la jeune fille au bouquet et au bisou, Chantal. Gérard, qui ne sait pas très bien quoi faire du bouquet, en tire une fleur, la tend à Chantal. À la fin, elle deviendra Chantal Perse.
L’histoire commence. Smack et fin du flash-back.

Vingt ans après, Gérard Perse lâche un peu le Médoc (« Ma première passion, c’était le margaux »), découvre Saint-Émilion, noue une amitié avec le génial débutant Jean-Luc Thunevin. « J’ai découvert comment il vivait, j’ai découvert la nature, la beauté des sites, les saisons. Sous mes tubes de néon, j’en avais perdu jusqu’à la perception. » Il veut un vignoble pour voir. Il voit Monbousquet, fière bâtisse XVIIIe siècle, un vrai château en ruines. Et ses 37 hectares de vignes en pleine forme. Restauration de l’un, compréhension de l’autre, on est en 1992, Gérard a eu sa piqûre, c’est bon et c’est pour la vie. Quoi qu’on puisse penser de ses exploits à bicyclette, cet homme n’est pas un winner au sens où on l’enseigne dans les écoles de commerce. Il n’a jamais fréquenté un tel établissement, le commerce est compris en rendant la monnaie, et cinq qui font cent. Il n’a pas d’appétit de victoire, pas plus qu’il n’a soif de vengeance. Ce qui le pousse vient d’ailleurs.
Par exemple, d’une simple échoppe dans une rue de Boulogne-sur-Seine, avec Chantal. Un gros succès (à l’échelle de ce commerce). Bientôt, il a l’opportunité d’ouvrir un premier libre-service avec Promodès qui avait remarqué ce jeune bosseur. Au président du groupement, Paul-Louis Halley, il servira un train de bobards pour gagner sa caution. Il a été convaincant, il finira sa carrière d’épicier avec cinq hypermarchés en région parisienne. Une réussite majeure. Financièrement, bien sûr, mais pas seulement. De ses années de commerçant, petit et grand, il a appris le sens du travail et celui de l’ascenseur social. L’un attire la chance, l’autre comble le besoin de reconnaissance. Au-delà de ce qui pourrait passer pour une banalité, mais qui ne s’applique pas à tout un chacun, ce parcours exemplaire met en lumière un trait de caractère très peu partagé : le perfectionnisme. Chez Perse, c’est poussé au paroxysme. Qu’il gère un étal de fruits et légumes ou cinq hypers, la démarche est la même. Il fait le mieux possible. Il arrive à six heures du matin dans ses magasins, travaille comme un fou, a l’œil à tout, n’accepte aucune forme de laisser-faire, ni aucun conseil approximatif. Quand il a acquis Monbousquet, il était au faîte de sa gloire commerçante, un job à plein temps et au-delà. Il applique les mêmes méthodes et, avec une expérience des plus réduites, réussit l’un des plus beaux vins du petit millésime 1993, son premier, sur des terroirs auxquels personne ne croyait. Pourquoi ? Comment ? En travaillant, en réfléchissant intensément, en prenant les bonnes décisions, en innovant à contresens des idées reçues. Il dit : « J’ai la chance de ne pas faire partie du sérail bordelais, de n’en avoir ni la formation, ni la culture, ni les traditions. Cette liberté m’a tout permis. Michel Rolland, qui est mon consultant depuis le premier jour, était sidéré par ce que j’osais. Ses autres clients n’osaient pas, empêtrés dans leurs héritages. » Le contre-pied est habile, mais juste. Et apaisant. Le néo-vigneron a essuyé les tirs groupés de tous ceux qui n’acceptaient pas bien cette réussite flagrante, confirmée par les grands critiques et, particulièrement, le premier d’entre eux, Michel Bettane. Gérard Perse : « Quand j’ai lu ses premiers commentaires, j’ai compris que je ne faisais pas fausse route. Il m’a énormément aidé, je ne crois pas qu’il le sache. À ce moment-là, pour deux ou trois innovations qui sont aujourd’hui largement pratiquées, les gens me traitaient de fou. Pour moi, certains ont inventé l’expression “faire du vin avec de l’argent”. »

Les innovations dont il parle, c’est la vendange en vert. C’est-à-dire couper vers la fin de juillet toutes les grappes excédentaires pour le bon épanouissement du raisin, sa concentration. « J’ai appris ça d’un maraîcher qui exploitait des vergers. Quand un pommier peut faire cinq cents belles pommes, il est inutile de le laisser avec mille qui seront petites et pas très bonnes. Et voilà que mes détracteurs ont qualifié la méthode de technologique. Mêmes énervements avec les élevages sur lie, découverts en Bourgogne avec les vins blancs auprès de Dominique Laurent, rencontré grâce à Michel Bettane. C’est Dany Rolland, la femme de Michel, qui m’a encouragé à essayer avec mes rouges. Mes vins y ont beaucoup gagné. Et à présent, tout le monde fait la même chose. »
Gérard Perse n’a pas d’animosité envers cet establishment qui l’a si mal reçu. Il est fort d’une relation d’exception avec Chantal : « Notre force, c’est de travailler ensemble depuis le premier jour. » Aujourd’hui, Chantal s’occupe surtout de l’Hostellerie de Plaisance, le Relais & Châteaux qui a rendu son lustre à Saint-Émilion. Certes, avec ses voisins, les choses ne se sont pas passées comme il l’aurait souhaité, mais nulle aigreur dans ses propos. Il a acheté Pavie, en 1998, au nez et à la barbe des grandes familles du vignoble. C’est une autre manière, plus élégante, de régler de vieux comptes. Très vite, dès le millésime 2000, il hisse ce cru d’exception quelque peu endormi au sommet des classements. En même temps qu’il tombe amoureux du lieu. Pavie est certainement le plus beau vignoble parmi les grands du Bordelais. Ce sont trois vignobles en un, en fait. Le pied de côte apporte la finesse, la côte justement nommée Pavie se charge de la densité et le plateau, de la minéralité. Trois sols, trois façons de le soigner, et c’est précisément l’assemblage des vins de ces trois origines qui fait le caractère énorme de château-pavie, un vin aussi large que long, un monstre d’arômes et de puissance, une bête à concours qui devrait, en toute logique, grimper d’un cran au nouveau classement de Saint-Émilion, attendu pour septembre. Mais Gérard Perse ne se risque pas à un pronostic. Un an avant Pavie, il avait acquis Pavie-Decesse, une grosse maison et 2,5 hectares en surplomb du mythique vignoble. Il n’imaginait pas que, douze mois plus tard, il serait en mesure de réaliser le rêve d’une partie des puissants de Saint-Émilion, être le maître de Pavie. En revanche, quand il a commencé à traiter le dossier de Petit-Village, joli vignoble à Pomerol, là, « on » ne l’a pas laissé faire et « on » s’est débrouillé pour que ce soit l’assureur AXA qui emporte le beau bébé. Là encore, pas d’amertume, les vignobles Perse sont rentables, chacun gagne plus ou moins bien sa vie, mais aucun n’est déficitaire. Ajouter un pomerol aux sept vignobles (quatre saint-émilion et trois
côtes-de-castillon) dont il s’est déjà chargé, c’était un joli rêve pas très raisonnable. On ne peut pas tout faire très bien tout le temps.

Pourtant, bien calé dans son empire apaisé, entouré des mêmes collaborateurs depuis vingt ans (c’est un signe et c’est un exemple), celui qui ne prend jamais plus de dix jours de vacances d’affilée, celui qui vit le vin comme une compétition permanente, celui dont on affirme qu’il est un angoissé quand il est simplement dans une quête d’absolu, celui-là caresse un nouveau rêve en forme de bonne blague. Le terrain est prêt, il va planter un hectare pour faire un vin blanc, un pavie blanc. La première bouteille devrait sortir dans cinq ans des nouveaux chais qu’Alberto Pinto a conçus et qui, eux, seront prêts au printemps 2013. Chez les Perse, ça n’arrête pas.



La photo : Gérard Perse, photographié début juin à Monbousquet par Mathieu Garçon
Cet article est paru dans la livraison de juillet de Série limitée-Les Échos, sous une autre forme et sous un autre titre

2 commentaires:

  1. … et à l'aveugle, sur la moyenne de 7 millésimes dégustés par le GJE du 1998 au 2007, (avec plus de 1290 représentants du bordelais), Pavie caracole en tête avec Ausone, Valandraud.
    Mais non, ne pleurez pas : on au aussi en haut du tableau quelques rives gauches :-)

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