Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 25 avril 2022

Grosses notes et commentaires automatiques

96 sur 100, c’est plus que 92. Fort de l’imparable constat, un petit troupeau de dégustateurs a flairé la bonne affaire et s’est engouffré dans la porte laissée entrouverte par le retrait en pleine gloire de Robert Parker.

 

La chasse aux primeurs est ouverte.

Avril 2022. Bordeaux présente au monde ébahi son millésime 2021. Une étape indispensable dans le système particulier de la mise en marché des vins des appellations désirables. Très bien, chacun ses méthodes. Que le vin ne soit pas prêt à être jugé n’a que peu d’importance, c’est vrai pour tous les vins. Que certains échantillons soient préparés pour les dégustations, c’est le jeu. Que le marché des primeurs ne concerne qu’une petite partie des marques bordelaises, c’est la loi du commerce qui vend ce qui s’achète.

Venons-en aux notes de dégustation.

Longtemps, les experts notaient les vins sur 20. Maintenant, ils notent sur 100. À l’américaine. Longtemps, le bon sens a prévalu. Maintenant, c’est l’inflation qui prend le dessus, comme chez le pompiste. Tel château qui produisait des vins autour de 92 voit sa production gagner trois ou quatre points et ce n’est pas l’amélioration des vins qui lui vaut ça, puisque cette progression qualitative est à peu près partagée par ses voisins, sauf négligence. Il y a aussi ceux qui vivent sur leur réputation, j’en connais.

Alors quoi ?

Une bande de dégustateurs a bien compris ce qu’attendent les châteaux. La « grosse note » est indispensable pour une commercialisation réussie du millésime frais émoulu des chais. Autant la donner et devenir peu à peu l’incontournable allié, reçu, choyé, nourri, logé, payé parfois, même si on le mérite peu. Ces châteaux publient les grosses notes dans la grande presse et contribuent ainsi à la notoriété de ces néo-dégustateurs sortis de nulle part. On voit bien mieux le gros chiffre que le nom de celui qui l’attribue et dont tout le monde se fout. Comme ces aigrefins sont habiles, ils ne participent d’aucune déstabilisation et l’on verra sans surprise les grandes marques, les grands châteaux, les premiers des classements obtenir les plus belles notes. Pas de surprise, c’est dommage, chacun sait que certains parmi ces premiers de la classe ne sont plus au niveau des notes obtenues, ceci à tous les niveaux de la notoriété. En réalité, c’est le deuxième rideau qui profite à plein de ce nouveau système. Les châteaux approximatifs et généreux voient leur valeur grandir par un curieux mélange où le manque de notoriété du château allié à celui du dégustateur profitent aux deux. De cet attelage mal né adviendra ce que pourra.

Tout le monde ?

Non, pas tout le monde. Quelques dégustateurs, des vrais, avec le talent, l’expérience, ne jouent pas dans cette basse-cour. Parmi quelques autres, Michel Bettane a décidé il y a peu de recadrer la notation publiée par Bettane+Desseauve au risque assumé de ne plus voir les notes B+D publiées par les châteaux. Il a mis un arrêt net à l’inflation des notes, au superlatif des commentaires. Quelques Anglo-Saxons aussi, d’autres Français, très peu, un Suisse sur deux, etc. Des noms ? Neal Martin, Antonio Galloni, le nouveau William Kelley du Wine Advocate, deux ou trois gars du Comité de dégustation de la RVF, Yohan Castaing le franc-tireur, Jacques Perrin en Suisse, deux ou trois experts de chez B+D, on a vite fait le tour. En tout, ils sont très peu nombreux et on peut ajouter quelques courtiers et autant de négociants, de grands commerçants et commerçantes, c’est une affaire d’expérience immense, ces professionnels sont légitimes. Les autres… Disons qu’ils le sont moins.
pourtant, ils sont près de 6 000 professionnels, dégustateurs, acheteurs, importateurs, journalistes qui font le voyage de Bordeaux à l’occasion de la Semaine des primeurs. Beaucoup publient leurs commentaires et notes où ils peuvent, jusque sur Facebook. Qui sont ces gens ?

Et toi, et toi, et toi ?

J’ai joué le jeu de la dégustation des primeurs quelque temps avant de comprendre que ce n’était pas mon rayon. Je ne saisis rien de ces vins à peine sortis de l’œuf (béton), je n’aime ni leur goût, ni leur puissance-violence, ni leur caractère échevelé, poilu. Je ne vais plus à Bordeaux à cette occasion depuis longtemps. Je considère qu’il n’y a que 25 dégustateurs capables de juger ces vins et de nous apprendre quelque chose sur leur capacité à se développer, que les autres sont des imposteurs, que je ne fais partie ni des uns ni des autres, qu’un peu d’humilité ne nuit pas. Quand j’explique ça aux propriétaires et aux patrons de châteaux qui m’invitent et dont je décline l’invitation, ils sont toujours d’accord avec moi avec le fond de l’œil rieur. Ils savent que j’ai raison, ils le disent. Ils savent déjà ce que leur réserve l’avenir. Des influenceuses qui feront des selfies en poussant des petits cris de ravissement avec les lèvres noircies par les tanins, en parasites des gros malins sus-cités. Ce qui ne fait rêver personne.

À quoi s’attendre ?

Sans consulter une boule de cristal, on peut prédire un gros embouteillage entre 94 et 97 points. Au-delà, certains osent, toute honte bue, 98, 99, 100. On attend, haletant, les 101 points. En deçà, personne ne verra les notes. Ce qui montre à quel point ces notations sont illisibles. La mémoire de l’actu étant ce qu’elle est, tout le monde aura oublié les notes « primeurs » quand les notes « en bouteille » sortiront dans deux ans, aucun parallèle ne sera établi, les imposteurs ne seront pas dénoncés. Sujet suivant.

 


 

 

mardi 19 avril 2022

Mes magnums (163)
Un saint-émilion sous le radar,
erreur ou omission ?

Château Bellefont-Belcier 2019, saint-émilion grand cru classé




Pourquoi lui
Nous cultivons une réelle considération pour Jean-Christophe Meyrou, le patron des domaines rassemblés par un investisseur chinois, Peter Kwok, sous l’enseigne « Vignobles K ». Ce garçon fait bien sur l’ensemble des vins qu’il produit et Bellefont-Belcier, sorte de navire-amiral des vignobles K, est une pépite rare. Situé à l’est de la côte Pavie, il bénéficie d’une combe de vignes parfaitement étonnante et qui poussent sur un entrelacs de sources (Bellefont pour belle fontaine) qui leur garantissent un bel épanouissement.

Avec qui, avec quoi
Ce 2019 requiert quelques années de patience avant de donner son plein potentiel. Pas d’urgence donc, même si l’amateur très avisé lui trouvera dès maintenant toutes sortes de qualités. Le moment venu, il sera temps de vous préoccuper du menu et des convives, mais c’est pas demain.

Combien et combien
115 euros.
500 magnums.

Ce qu’en dit le Nouveau Bettane+Desseauve
Les 25 % de cabernet franc et 5 % de cabernet-sauvignon donnent une belle assise finale. Tannin dense, élégant avec une fraîcheur rebondie. Il va s’améliorer au fil des années et surprendra de belle façon d’ici cinq à dix ans. À ce stade, il convient de le carafer quelques heures.
93/100

 

 

jeudi 14 avril 2022

Tu le bois ou tu le vends ?

J’ai toujours pensé et souvent dit qu’il n’y a aucune raison qui empêche un vigneron de s’enrichir du fruit de son travail. Que ce privilège de plus en plus rare n’était pas réservé aux footballeurs africains, aux chanteurs de charme ou aux informaticiens de Californie.

La montée en puissance de gros prix impossibles fait vaciller cette conviction. Le sort réservé aux plus chères des bouteilles est aussi un sujet d’énervement. Là encore, pas question de juger ceux qui spéculent sur le vin. Ils font bien ce qu’ils veulent avec leurs bouteilles et s’ils considèrent que leur cave est un asset, ça les regarde. Le problème est ailleurs.
D’abord, dans la frénésie qui s’empare de quelques acteurs du vignoble de produire des vins à des prix stratosphériques sans que ces prix soient justifiés par l’exiguïté de leurs parcelles ou le prestige de leurs appellations. Que penser du nouveau pinot noir du Roussillon d’Hervé Bizeul avec son intitulé étrange, « Ah le monde est si beau qu’il faut poster ici quelqu’un qui du matin au soir soit capable de ne pas remuer » (c’est le nom de la cuvée, je vous jure) ? 360 euros la bouteille, ça laisse rêveur. Rapporté au prix d’un chambertin de chez Trapet (à peu près la même somme), on ne rêve plus du tout, on se marre franchement. Que dire de ces inconnus de Champagne qui sortent une cuvée de 777 bouteilles à 1 777 euros le bout pour célébrer le record de buts d’un footballeur inconnu (de moi) ? Faut-il éclater de rire ou trouver grotesque ce vigneron de Bordeaux qui lance une cuvée à 30 000 balles la bouteille ? Cet auto-proclamé legendary Loïc Pasquet ? Qui est ce légendaire inconnu ? De qui, de quoi se moque-t-on ? Où est la prochaine relance, comme au poker ? Plus 10 000 ou plus 100 000 ? On m’objectera qu’ils font ce qu’ils veulent de leurs tarifs et que s’ils arrivent à les vendre, tant mieux pour eux. Oui, sans doute, mais tant pis pour la filière, pour l’image du vin français dans les jeunes générations et à l’étranger.

Et je ne parle que des prix en vente directe ; les ventes aux enchères, c’est un autre sujet, voir plus bas. Certes, ce ne sont pas ces bouteilles qui font envie aux amateurs que nous sommes. Moi, j’achète (et je bois) le pinot noir d’Hervé Bizeul, mais l’autre, celui à 30 euros et je suis très heureux avec ça. En revanche, quand je vois sur tel site de vente un auxey-duresses signé Jean-Yves Bizot et tarifé à plus de 2 000 euros la quille, je m’étouffe un peu. Voyons son bourgogne de base. De 500 à 900 euros. Ah. Déjà, les prix pratiqués par Lalou Bize-Leroy m’agaçaient. C’était 80 euros, son bourgogne générique. On se disait que c’était Lalou Bize-Leroy, que c’était beaucoup, mais bon, sans doute justifié par l’immense talent et notoriété de la dame. Bien sûr, je me doute que les vins ne sortent pas de chez Bizot à ces prix délirants. Qu’il y a une filière qui déconne complètement, qui joue avec les vins et les marques pour leur unique profit, sans souci de l’image desdites marques et, pas plus, de celle de la Bourgogne. Cette filière est portée par une demande excentrique qui joue avec l’argent, comme d’autres avec des osselets. On commence à entendre ici et là qu’il existe un risque de bourgogne-bashing à l’image de ce qui est arrivé à Bordeaux. Sans pousser le bouchon aussi loin, on peut craindre un détournement de l’intérêt des amateurs de ces grands crus aux tarifs pire qu’inaccessibles, simplement obscènes.

Ou faut-il céder aux sirènes du lucre, acheter pour revendre après quelques années de conservation ? Un suivi attentif des ventes aux enchères, singulièrement sur le site d’iDealwine, peut faire briller les yeux de ceux qui ont quelques sous à placer et qui ne savent pas quoi en faire. C’est une option. Regrettable, certes, et loin de ce qui fait nos passions changeantes sans cesse renouvelées, mais c’est audible. Il y a un public pour ça. On raconte qu’un milliardaire nouveau éclot chaque jour. Que ce nouvel entrant veuille se parer des plumes statutaires du grand vin, très bien. Les ventes aux enchères de bouteilles mythiques sont faites pour lui. Pour ceux qui vendent, c’est l’occasion d’adapter la composition de sa cave à l’évolution de son goût, de transformer une bouteille en une ou deux ou trois caisses, de se débarrasser d’un vin qui n’intéresse plus pour se doter de douze bouteilles qui passionnent. Pour d’autres, encore, c’est l’occasion inespérée de faire main basse sur de grands vins à prix très doux, les sauternes sont un bon exemple.

On peut aussi se souvenir que chaque région viticole française ou européenne cache des merveilles à prix justes qui prospèrent à l’ombre des grands crus pour le plus grand bonheur des amateurs. Mercurey, Givry, Rully, Marsannay, Irancy, Fixin, les hautes-côtes en Bourgogne. Saint-Joseph et Crozes-Hermitage dans le nord du Rhône, certains ventoux et lubérons dans le sud. La Loire au sens le plus large de la côte roannaise jusqu’à Sancerre et au muscadet. Les appellations dites satellites à Bordeaux. D’autres, encore et partout, en Alsace bien sûr et, de plus en plus fort, dans le Languedoc et en Provence. Autant de promesses de plaisirs interminables, de découvertes sans fin. Ouf, nous ne sommes pas condamnés à l’abstinence puisque nous ne tombons pas dans tous les panneaux.

 

© Goddard Cartoons, D.R.