J’ai toujours pensé et souvent dit qu’il n’y a aucune raison qui empêche un vigneron de s’enrichir du fruit de son travail. Que ce privilège de plus en plus rare n’était pas réservé aux footballeurs africains, aux chanteurs de charme ou aux informaticiens de Californie.
La montée en puissance de gros prix impossibles fait
vaciller cette conviction. Le sort réservé aux plus chères des bouteilles est
aussi un sujet d’énervement. Là encore, pas question de juger ceux qui
spéculent sur le vin. Ils font bien ce qu’ils veulent avec leurs bouteilles et
s’ils considèrent que leur cave est un asset, ça les regarde. Le
problème est ailleurs.
D’abord, dans la frénésie qui s’empare de quelques acteurs du vignoble de produire
des vins à des prix stratosphériques sans que ces prix soient justifiés par
l’exiguïté de leurs parcelles ou le prestige de leurs appellations. Que penser
du nouveau pinot noir du Roussillon d’Hervé Bizeul avec son intitulé étrange,
« Ah le monde est si beau qu’il faut poster ici quelqu’un qui du matin au
soir soit capable de ne pas remuer » (c’est le nom de la cuvée, je vous
jure) ? 360 euros la bouteille, ça laisse rêveur. Rapporté au prix d’un
chambertin de chez Trapet (à peu près la même somme), on ne rêve plus du tout,
on se marre franchement. Que dire de ces inconnus de Champagne qui sortent une
cuvée de 777 bouteilles à 1 777 euros le bout pour célébrer le record de
buts d’un footballeur inconnu (de moi) ? Faut-il éclater de rire ou
trouver grotesque ce vigneron de Bordeaux qui lance une cuvée à 30 000 balles
la bouteille ? Cet auto-proclamé legendary Loïc Pasquet ? Qui
est ce légendaire inconnu ? De qui, de quoi se moque-t-on ? Où est la
prochaine relance, comme au poker ? Plus 10 000 ou plus 100 000 ?
On m’objectera qu’ils font ce qu’ils veulent de leurs tarifs et que s’ils
arrivent à les vendre, tant mieux pour eux. Oui, sans doute, mais tant pis pour
la filière, pour l’image du vin français dans les jeunes générations et à
l’étranger.
Et je ne parle que des prix en vente directe ; les ventes aux enchères,
c’est un autre sujet, voir plus bas. Certes, ce ne sont pas ces bouteilles qui
font envie aux amateurs que nous sommes. Moi, j’achète (et je bois) le pinot
noir d’Hervé Bizeul, mais l’autre, celui à 30 euros et je suis très heureux
avec ça. En revanche, quand je vois sur tel site de vente un auxey-duresses
signé Jean-Yves Bizot et tarifé à plus de 2 000 euros la quille, je
m’étouffe un peu. Voyons son bourgogne de base. De 500 à 900 euros. Ah. Déjà,
les prix pratiqués par Lalou Bize-Leroy m’agaçaient. C’était 80 euros, son
bourgogne générique. On se disait que c’était Lalou Bize-Leroy, que c’était
beaucoup, mais bon, sans doute justifié par l’immense talent et notoriété de la
dame. Bien sûr, je me doute que les vins ne sortent pas de chez Bizot à ces
prix délirants. Qu’il y a une filière qui déconne complètement, qui joue avec
les vins et les marques pour leur unique profit, sans souci de l’image desdites
marques et, pas plus, de celle de la Bourgogne. Cette filière est portée par
une demande excentrique qui joue avec l’argent, comme d’autres avec des osselets.
On commence à entendre ici et là qu’il existe un risque de bourgogne-bashing
à l’image de ce qui est arrivé à Bordeaux. Sans pousser le bouchon aussi loin,
on peut craindre un détournement de l’intérêt des amateurs de ces grands crus aux
tarifs pire qu’inaccessibles, simplement obscènes.
Ou faut-il céder aux sirènes du lucre, acheter pour revendre
après quelques années de conservation ? Un suivi attentif des ventes aux
enchères, singulièrement sur le site d’iDealwine, peut faire briller les yeux
de ceux qui ont quelques sous à placer et qui ne savent pas quoi en faire.
C’est une option. Regrettable, certes, et loin de ce qui fait nos passions
changeantes sans cesse renouvelées, mais c’est audible. Il y a un public pour
ça. On raconte qu’un milliardaire nouveau éclot chaque jour. Que ce nouvel
entrant veuille se parer des plumes statutaires du grand vin, très bien. Les
ventes aux enchères de bouteilles mythiques sont faites pour lui. Pour ceux qui
vendent, c’est l’occasion d’adapter la composition de sa cave à l’évolution de
son goût, de transformer une bouteille en une ou deux ou trois caisses, de se
débarrasser d’un vin qui n’intéresse plus pour se doter de douze bouteilles qui
passionnent. Pour d’autres, encore, c’est l’occasion inespérée de faire main
basse sur de grands vins à prix très doux, les sauternes sont un bon exemple.
On peut aussi se souvenir que chaque région viticole française ou européenne
cache des merveilles à prix justes qui prospèrent à l’ombre des grands crus
pour le plus grand bonheur des amateurs. Mercurey, Givry, Rully, Marsannay,
Irancy, Fixin, les hautes-côtes en Bourgogne. Saint-Joseph et Crozes-Hermitage
dans le nord du Rhône, certains ventoux et lubérons dans le sud. La Loire au
sens le plus large de la côte roannaise jusqu’à Sancerre et au muscadet. Les
appellations dites satellites à Bordeaux. D’autres, encore et partout, en
Alsace bien sûr et, de plus en plus fort, dans le Languedoc et en Provence.
Autant de promesses de plaisirs interminables, de découvertes sans fin. Ouf,
nous ne sommes pas condamnés à l’abstinence puisque nous ne tombons pas dans tous
les panneaux.
Très beau papier!
RépondreSupprimerLe dilemme se pose de plus en plus...ces cuvées iconiques trouveront toujours preneurs, même à des prix délirants...mais s'imaginer qu'il n'y aura aucun revers de médaille...au moins dans la réputation si ce n'est dans la commercialisation! Les Bourgognes génériques de Côtes de Nuits sont plus chers que, par exemple, de tout grands vins (le 0,5% d'en haut) Sud Africains ou de glorieux 2nds GCC du Médoc.
Est-ce que cela a du sens? Vaste débat, mais on a quand même vraiment l'impression que quelque chose ne tourne pas rond dans cette élite hiérarchique du vin.
Et oui pour la note d'optimisme: il y a des coins à champignons partout, suffit de se balader!!
Bizot ne fait pas d'Auxey Duresses.
RépondreSupprimerPeut-être s'agissait-il d'un aloxe-corton. Rien de grave, le blogger est toujours un peu approximatif. Mais les prix des vins ne le sont pas, eux…
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