Au fond, le hameau d'Aussières |
Nous voilà dans un gros hameau en travaux. Peu à peu, chaque maison est redressée. Déjà, la maison du bureau et celle du chef de culture sont prêtes. Le reste suivra doucement, au rythme des résultats du domaine. On est chez les Rothschild, dites-vous ? Ce n’est pas une raison pour dépenser de l’argent qu’on n’a pas encore gagné et il a fallu dix ans pour rendre la propriété viable. Les travaux ont vraiment commencé il y a deux ans. Aussières, c’est la tête de pont languedocienne des Domaines Barons de Rothschild (Lafite).
Lafite, le château dont les vins affolent les ventes aux enchères du monde entier ? Oui, ce lafite, le mythe, l’icône absolue, le vin de tous les vins. Que fait Lafite dans le Languedoc ? Pour y gagner quoi ? Pour courir le risque d’y perdre, d’écorner son image ? Christophe Salin, directeur général des Domaines, répond sans sourciller : « On ne s’est pas pris pour Jeanne d’Arc. C’est avant tout un investissement qui s’est présenté comme un défi. Quand le Crédit agricole nous a demandé de l’aide sur ce dossier, l’idée directrice était de pousser la région. Bien sûr que Lafite et ses propriétés peuvent vivre très bien sans le Languedoc. Nous l’avons fait, voilà. Et nous en sommes très contents quand on voit la qualité des vins qui commencent à sortir de nos terroirs. » C’était en 1999, il n’y avait rien. Ni vignes en production, ni stock de bouteilles pour s’étalonner, des bâtiments à l’abandon. Le domaine s’était peu à peu endormi. Après avoir tout arraché en arrivant, les équipes de Christophe Salin ont replanté des clones peu productifs pendant quatre ans, il a fallu corriger le tir. Un programme assez gigantesque qui a mené peu à peu à 167 hectares plantés sur les 570 que compte le domaine. Il reste huit hectares encore en friche et le domaine s’en tiendra là. 175 hectares, ce sera une belle propriété viticole.
Des vignes, mais pas que des vignes |
Pour l’instant, c’est la bio-diversité qui y gagne et la beauté de cette vallée, les bouquets de pins au milieu des vignes, les pentes douces à flanc de colline, les grands oiseaux noirs qui planent, le vent léger qui est l’ami du vigneron, le soleil se lève de l’autre côté du vallon. Il y a un esprit à Aussières, on s’en aperçoit très vite et l’on comprend très bien que les Bénédictins s’y soient installés. Les moines s’installaient toujours dans des endroits à fort caractère. Il y fallait de la paix et une belle lumière, tout est en place, nous y sommes.
« On essaie sans cesse de nouvelles idées, tout ici est empirique, mais tout n’est pas intéressant », martèle Christophe Salin. Faute de continuité, il a fallu ré-inventer Aussières de A à Z. Onze cépages ont été plantés pour nourrir deux gammes, un corbières et un vin de pays d’Oc. Syrah, grenache, mourvèdre, carignan et cinsault pour le corbières. Cabernet-sauvignon et franc, merlot, petit-verdot, alicante (cépage à jus rouge). Pour le blanc, du chardonnay. Ici, on est très contents de ce blanc : « C’est même une surprise, ce niveau de qualité. » Mais tout n’est pas une réussite : « Le merlot, on n’y arrive pas encore. » Formaté pour un potentiel de production de 900 000 bouteilles, le vignoble en est encore loin. Très jeune, de six à sept ans, il ne produit guère plus de 38 à 40 hectolitres à l’hectare pour un objectif fixé à 45 hl/ha. Pour l’instant, Aussières produit cinq étiquettes seulement. « Nous ne sommes pas des bons marketeurs », prétend Christophe Salin. Château d'Aussières, Blason d'Aussières, Terrasse d'Aussières, Aussières rouge, Aussières blanc. C’est suffisant pour assurer une présence significative sur les marchés et pour répartir la récolte selon les qualités du parcellaire de la propriété. Éric Kohler, directeur technique des vignobles du groupe hors Pauillac (Languedoc, Chili, Argentine, Chine), a une vision positive de l’expérience : « Le potentiel de nos terroirs ici s’est confirmé millésime après millésime. Il y a une régularité. On a des vins intéressants tous les ans, même quand c’est plus difficile. » Lui aussi, il est content de ce qui arrive à Aussières.
Christophe Salin, l'homme de Lafite |
Les vins s’affirment tout doucement, mais les propriétaires ne sont pas vraiment pressés. Christophe Salin : « Il y a dans cette maison un rapport au temps qui n’est pas le même qu’ailleurs. Nous travaillons avec plusieurs générations d’avance. » Oui, c’est l’avantage de ces grands groupes familiaux où le mot « patrimonial » a un sens qui s’inscrit dans la durée, qui fait une histoire. Saisissons la perche ainsi tendue. Et, au fait, le durable, le bio, tout ça ? Salin n’a pas d’état d’âme et son discours est audible : « Nous poussons tous les programmes bio sans accepter ce qui nous paraît aberrant. Aujourd’hui, on n’a plus la main lourde comme autrefois et les garçons ont des niveaux de formation qui n’ont plus rien à voir avec ce qui se faisait autrefois. C’est évident de travailler proprement. » Avant de nous quitter, on se demande si l’ombre tutélaire du grand Lafite plane vraiment sur Aussières ou si ce Sud rebelle s’est affranchi du grand frère, du parrain. Le mot de la fin revient au patron des Domaines : « Nous sommes tous marqués par Lafite, bien sûr. Partout à travers notre monde de vignobles, finesse et élégance sont les mots gravés dans les esprits. Ici, comme à Pauillac et ailleurs, c’est ce que nous cherchons. » Il semble que Salin et ses hommes aient trouvé un commencement de suite à leur vieille habitude de réussite.
Les photos : sont signées Mathieu Garçon.
Cet article a été publié le 1er décembre sous une forme différente dans Mes Dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche.
Bon alors ils ramassent a` la main ou machine?
RépondreSupprimerDe mémoire (ma visite d'Aussières remonte à pas mal d'années) ils vendangent manuellement. Tu confirmes, Nicolas ?
RépondreSupprimerSi tel est le cas, ca vaut vraiment le coup d'etre confirme'.
RépondreSupprimerPrecisons qu'il y a un monde entre les vendanges manuelles -- si possible en cagettes et avec des vendangeurs consciencieux -- et la machine qui ramasse tout: raisins pourris, pas murs, feuilles, escargots, coccinelles, etc.. et fait un jus infame de tout ca. Le coup n'est bien sur pas du tout le meme!
Je ne veux plus acheter de vendanges mecaniques!!!
C'était vrai avec les premières machines. Aujourd'hui, les progrès technico-technologiques du matériel embarqué permettent : 1- de récolter chaque parcelle au moment optimal (une troupe est plus difficile à garder quand elle est arrêtée ne serait-ce qu'un jour et sa capacité de travail est limitée quand il faut aller vite) 2- d'amener au chai des fruits intègres sans blessure. Les deux méthodes ont leurs intérêts et leurs inconvénients. Les deux peuvent conduire à de bons résultats. Toute la question réside dans leur gestion. Allez voir travailler les modèles de machine dernier cri bien conduits : c'est bluffant.
SupprimerCe que j'ai vu avec les machines m'a plutot fait horreur et j'ai quand meme fait pas de vendanges. Je vous l'accorde, c'est pas facile de gerer une equipe de vendangeurs.
RépondreSupprimerInfo du domaine : ils vendangent certaines parcelles à la main et d'autres à la machine, ce qui confirme le commentaire de Dirpauillac.
Supprimerc'est la bonne solution que beaucoup de propriétés adoptent
SupprimerMerci de ces precisions.
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