Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 26 avril 2021

Albéric Bichot :
"La Bourgogne est la région qui souffre le moins"

 

Albéric Bichot, vous êtes le président de la maison Albert Bichot, l’un des cinq grands négociants de Beaune. Comment la maison a-t-elle passé 2020 ?

C’est une année exceptionnelle et historique, l’année de tous les dangers et de toutes les remises en question. Comme je suis d’un naturel optimiste, je dirais que c’est aussi l’année de tous les rebonds. La Bourgogne continue d’être bénie des dieux. Si l’on regarde le chiffre d’affaires global de l’année, on constate une baisse d’environ 7 à 8 % pour le vignoble dans son ensemble, coopérateurs, viticulteurs et négociants confondus. Au printemps 2020, au moment du début de cette crise, tout le monde en Bourgogne aurait signé des deux mains pour ce résultat. Est-ce qu’il y a un modèle bourguignon de résilience, je ne sais pas. Nous essayons de trouver des solutions. L’offre de la Bourgogne reste quand même très large. Certes, il y a les grands crus, les noms connus et les climats célèbres, il y a aussi tous les autres vins de Bourgogne, les mâcons, les chablis, les hautes-côtes et les vins de la côte chalonnaise.  

 

Albéric Bichot (photo Mathieu Garçon)

 

La Bourgogne est rassurante ?

Nous avons des petites récoltes depuis quelques années. L’offre n’est pas colossale et la demande est toujours là. Honnêtement, dans les crises importantes qu’on a vécues, on voit que les consommateurs et les aficionados de la Bourgogne reviennent aux valeurs sûres et rassurantes. Dans les faits, c’est la région qui souffre le moins aujourd’hui. On ne fanfaronne pas pour autant. Nous ne sommes pas plus malins que les autres. La situation est attristante, loin d’être désespérée.

 

Les derniers millésimes permettent cette position ?

2019 vient après 2018, millésime magnifique en qualité et avec du volume. Toute la Bourgogne l’attendait depuis dix ans au moins. En général, le millésime 2019 a produit de petites récoltes. Les vignes ont souffert de la sècheresse et du manque de pluie au cours de l’été. Le pinot noir en a vraiment pâti avec une récolte à peu près inférieure de 20 % par rapport à la moyenne. Qu’est-ce qu’une récolte moyenne aujourd’hui ? On ne sait plus trop. De la même manière, si on fait une moyenne des dix dernières années, 2020 est une des plus petites récoltes pour les pinots noirs. Ils sont pourtant d’un très bon niveau de qualité avec des raisins sains, une superbe maturité sans trop de sucre et d’alcool potentiel et des équilibres qui s’avèrent prometteurs.

 

Dans ce contexte, la maison Albert Bichot suit la tendance de la Bourgogne ?

Avec un léger mieux. Notre clientèle est très diversifiée, c’est ce qui nous permet d’avoir une activité bien répartie. Aucun de nos marchés ne pèse 30 ou 40 % de la totalité de notre chiffre d’affaires. C’est une chance. Les USA, jusqu’à la crise de la Covid et jusqu’aux taxes américaines, représentaient quand même plus d’un quart de toutes les exportations de la Bourgogne. Historiquement, nos marchés ont toujours été mieux répartis.

 

C’était une volonté commerciale ?

Je dirais que c’était plutôt de la prudence et un atavisme familial. De fait, à une époque, nous n’avons peut-être pas été suffisamment performants quand certains marchés l’étaient. Cependant quand d’autres faiblissent brutalement, nous résistons mieux. Évidemment, nous déplorons la mise à l’arrêt du marché de la restauration française comme internationale. Mais nous n’oublions pas nos amis restaurateurs. Nous gardons leurs allocations en espérant qu’il puisse ouvrir à nouveau le plus vite possible. C’est dur pour eux comme pour leurs fournisseurs. 

 

La maison Albert Bichot est inscrite dans le paysage bourguignon depuis longtemps…

Deux siècles. On va fêter notre bicentenaire en 2031. La maison a été fondé par mon arrière-arrière-grand-père en 1831. À l’époque, la maison était située à Monthélie. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’on s’est installé à Beaune. La maison a traversé de nombreuses crises, en particulier pendant la deuxième guerre mondiale. Mon grand-père a perdu toutes les vignes, tout a été vendu à la fin des années 40. C’était la troisième fois que la famille perdait ses vignes, après la crise du phylloxera et la première guerre mondiale, quand le commerce allait mal. La seule manière de s’en sortir, à l’époque, c’était de vendre le peu de terres qu’on avait. Ce n’est qu’à partir des années 60 que mon grand-père et mon père ont souhaité revenir à cette aventure vigneronne en complément du négoce traditionnel. Nous sommes des commerçants depuis 200 ans, nous sommes devenus beaucoup plus vigneron ces soixante dernières années.

 

Votre vignoble en propre représente quelle superficie ?

Aujourd’hui, c’est un peu plus de 105 hectares répartis en Bourgogne. D’abord à Chablis avec le domaine Long-Depaquit. On y possède une dizaine d’hectares de grands crus dont le grand cru Moutonne. En côte de Nuits avec le domaine du Clos Frantin et le Château Gris ; en côte de Beaune avec le domaine du Pavillon ; en côte chalonnaise avec le domaine Adélie et, plus récemment, en Beaujolais à Moulin-à-vent, avec le domaine de Rochegrès. Notre idée, en reprenant l’histoire de ces domaines, est de nous inscrire dans ce modèle bourguignon de micro-parcelles avec des équipes dédiées pour chaque domaine. On cherche à mettre nos domaines sous la signature Albert Bichot, tout en respectant leurs spécificités et leurs terroirs. Le but, c’est de révéler chaque terroir avec sa personnalité.

 

Vous vinifiez combien d’étiquettes ?

Nos 105 hectares de vignes représentent 61 terroirs et climats différents, embouteillés avec leurs étiquettes propres. Pour la partie négoce, c’est à peu près la même chose. Pour tous nos grands crus, premiers crus et « grands » villages, ce ne sont maintenant que des achats de raisins, vinifiés dans nos propres cuveries. Ça peut être une cuvée de 15 ou 20 pièces (à peu près 6 000 bouteilles) mais aussi des petites parcelles qui ne feront que trois pièces (environ 900 bouteilles). Notre but ultime avec ce travail n’est pas d’ordre strictement économique. La mosaïque des terroirs bourguignons, unique au monde et reconnu par l’Unesco, c’est 1 240 climats dans une toute petite région viticole. Quand on parle d’archétype d’une viticulture de terroirs, on parle de la Bourgogne. En 2 000 ans, le travail de l’homme a façonné, créé et révélé ces micro-parcelles. Ce n’est pas du marketing, c’est la réalité des terroirs. J’en veux pour exemple le clos des Maréchaudes à Corton. C’est un monopole de deux hectares que nous avons le privilège de posséder et de cultiver. Ce clos se partage entre 1,5 hectares d’aloxe-corton 1er cru Clos des Maréchaudes et un demi-hectare de corton grand cru Clos des Maréchaudes. Est-ce du du marketing ? Non. Il y a bien une séparation géologique, le terroir n’est pas le même. Au milieu de cette parcelle, entre le haut et le bas, il y a un décrochement géologique, une sorte de marche, la roche-mère affleure beaucoup plus. Il y a effectivement plus de calcaire à ce niveau.

 

Pourquoi mettre en bouteille le premier cru Videbourse ? Pour qui ?

Oui parce qu’on explique que c’est un climat situé juste en dessous de la parcelle du bâtard-montrachet. Une petite parcelle non classée en 1936 par l’Inao, pourtant très bien placée. Même cas de figure à Vosne-Romanée avec le premier cru Malconsorts. C’est l’un de nos fleurons et l’un de nos vins icôniques. En Bourgogne, il suffit souvent de faire un pas pour que les terroirs changent. Les moines ont identifié cela d’une manière tout à fait empirique sur une très longue période d’observation. C’est assez impressionnant et époustouflant. Quand on carotte ou quand on fait des études de sols, on découvre qu’il n’y a pas d’erreur. Les moines ne se sont jamais trompés.

 

Combien coûte une bouteille de bâtard-montrachet ?

Chez un caviste, ça va de 190 à 800 euros. Le prix dépend beaucoup de la reconnaissance du producteur et de la capacité du consommateur à vouloir la bouteille ou à spéculer.

 

Et le chassagne-montrachet, mitoyen du bâtard ?

C’est cinq à six fois moins cher, entre 60 et 70 euros environ.

 

Château Gris, c’est une histoire étonnante…

Château Gris est un vignoble très pentu de trois hectares, planté en terrasses, situé à Nuits-Saint-Georges. C’est ce qu’on appelle « une petite folie », construit en 1805, pendant une crise économique importante à l’époque. Le propriétaire a agi comme un mécène, il a fait construire pour donner du travail aux hommes du village. À l’œil, c’est un peu la Côte-Rôtie de la côte de Nuits. L’essentiel est planté en pinot noir. Il y avait une parcelle de 70 ares, située dans une combe tout en haut du domaine, qui n’était pas plantée jusqu’à récemment, aujourd’hui plantée en chardonnay. Avec, on fait à peu près 2 000 bouteilles par an d’un nuits-saint-georges blanc (NDLR, 1,5 % du vignoble de l’appellation nuits-saint-georges est en chardonnay). Pour le pinot noir, c’est assez amusant, chaque terrasse a un sous-sol géologique différent. Plus on monte sur le coteau, plus on est sur du calcaire dur. Dans nos assemblages, c’est très intéressant de constater les spécificités des terrasses où la terre est légèrement plus profonde et celles où le sol est plus minéral.

 

Le bio, c’est un sujet ?

Oui. Aujourd’hui, tous nos domaines, en Côte-d’Or comme en côte chalonnaise, sont cultivés en agriculture biologique certifiée. Tout le domaine Albert Bichot est en bio. Nous sommes la maison qui offre la plus large gamme de vins bio de Bourgogne. C’est une fierté. Nous avons plus de 42 vins en bio certifiée. Cette démarche a commencé au milieu des années 2000. C’est le sens de l’histoire et du respect de la terre. La vérité de la Bourgogne, on la connaît, c’est ce qu’on a sous nos pieds, c’est le sous-sol. On peut supposer que continuer à le polluer avec des produits chimiques n’est pas une bonne chose. Est-ce que les vins sont meilleurs ? On ne peut pas l’affirmer. On constate simplement que les vins ont plus de pureté et de précision. L’enracinement se fait différemment, du fait d’une culture de la terre qui cherche à éviter les tassements des sols. La vie du sol est beaucoup plus forte. Si on veut vraiment révéler l’identité d’un sol, il faut inciter les racines à aller plus profond.

 

Tous vos confrères, les grands négociants de Beaune et de Nuits, ont fait des choix de développement qui les ont emmenés en Amérique, sauf Louis Latour. Jadot, Drouhin, Bouchard sont en Oregon. Faiveley en Californie…

Rien n’est jamais exclu. Notre développement privilégie la Bourgogne pour le moment. Aux États-unis, nous avons créé notre propre filiale d'importation et e distribution, une équipe de huit personnes à ce jour.


Cet entretien a été publié dan en Magnum #22 sous une forme différente.

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