Voici l'intégrale de la conversation Arditi-Deiss.
Jean-Michel Deiss et Pierre Arditi chez Taillevent, à Paris |
Pierre, dans votre famille d’artistes où l’on buvait peu de vin, il semble que ce soit le théâtre qui vous y ait conduit, c’est vrai ?
Pierre Arditi : on buvait du mauvais vin, proche du vinaigre, je ne comprenais pas l’intérêt d’avaler ça. Mon père qui était amateur de charcuterie allait au coin de la rue. Il y achetait ce qu’il considérait être du vin, du Canteval qui coûtait 4 Francs, il y a de cela 50 ans. C’était imbuvable mais lui trouvait ça très bon. C’est en allant travailler chez Marcel Maréchal à Lyon que j’ai fréquenté les « bouchons ». Là, je buvais des côtes-du-rhône, de bons beaujolais. Je me suis dit « si c’est ça le vin, alors j’aime le vin. » J’avais 20 ans. À l’époque, on faisait tout, on construisait les décors, en tournée on conduisait les camions, on bossait une partie de la nuit. Le matin, on buvait un p’tit coup de mâcon pour se réveiller. Lors d’une tournée, je jouais Feydeau avec Maurice Baquet. Lassé de la mode des côtes-du-rhône, il réclamait du beaujolais. C’étaient des vins simples et délicieux. C’est Jean Poiret qui m’a emmené à la Cave Legrand, une vraie rencontre. Lucien Legrand et Francine m’ont fait découvrir le côte-rôtie, le condrieu. À l’époque, ça ne coûtait rien. Le fait d’être un peu connu m’a fait rencontrer des vignerons. Les sommeliers m’ont apporté leur savoir et ma culture s’est peu à peu constituée. Je bois du vin parce que c’est bon, pas pour faire le malin. Je fais du théâtre pour embrasser le monde et, quand je bois du vin, je continue de l’embrasser. Le vin est un titilleur de l’imaginaire, un affriolant de la conscience du monde.
Partagiez-vous votre passion du vin avec Alain Resnais ?
P.A. : Resnais ne buvait pas de vin, mais il adorait le sentir. C’est un homme qui a toujours été curieux du monde. Parler du vin le passionnait, le mystère de la vinification, l’élevage l’intéressaient, mais en boire ne lui était pas bénéfique. Au fait qu’est-ce qu’on boit, Jean-Michel ?
Jean-Michel Deiss : un langenberg 2011, c’est un terroir de granit. Langenberg signifie « la longue colline ». C’est une vigne assez complexe, encore jeune qui donne un vin minéral, assez gras.
Pour vous, Jean-Michel, l’approche du vin est plus évidente, non ?
J.M.D. : il y a, bien sûr, une prédestination familiale, mais le véritable point de départ c’est la rencontre avec mon maître Jean Hugel à Riquewihr. Un jour, il est entré en colère dans son bureau, j’y rédigeais mon rapport de stage, rempli de statistiques. Jean pesait, mesurait tout, il savait au gramme près combien un pied avait porté telle année, c’était saisissant. Il s’est mis à crier : « ce sont des salopards, l’Alsace ne sera jamais une grande région. Chaque matin, il y a un mec qui se lève pour faire presque aussi bien que le voisin, mais légèrement moins cher. » Pour moi, ces mots ont fait l’effet d’un choc qui m’a propulsé dans l’envie de mieux faire, de me lever tôt pour éprouver cette joie de progresser. Ma première grande passion est la langue et son corollaire, la lecture. Dans ma vie de vigneron, la recherche intellectuelle prévaut, c’est un regret de constater que dans nos chères appellations on parle surtout d’argent. Ce vin simple que nous buvons là contient sa part de relâchement, d’humanité, de bonheur de l’autre, j’éprouve là un sentiment littéraire.
Qu’est-ce qu’un vigneron ?
P.A. : ne m’étant jamais guéri d’une frénésie d’existence, je suis d’une impatience crasse. Au contraire, le cœur du vigneron bat au vrai tempo de la vie, c’est un maître du temps. Impossible de sauter les étapes, de courir après je ne sais quoi. Si un vigneron agit comme ça, il fait de la piquette. Il est censé maîtriser des matériaux peu prévisibles qui ne disent jamais rien. Je me sers d’éléments que je peux saisir. Je vais dans des imaginaires pour dire le monde, mais ce sont des mondes transposés. Le vigneron ne transpose qu’à la fin avec le vin qui est sa création.
J.M.D. : un vigneron est dans la soumission à des forces, des influences, des intuitions souterraines. Je m’angoisse pour une cuvée, une vigne me parle, elle m’appelle comme une maîtresse exigeante. À mon sens, ces éléments dont Pierre dit qu’ils sont muets, parlent au vigneron. Ils sont tout le temps là, puissants, prégnants. Ils montrent le chemin, le fruit, la plante, le ciel, la terre, l’histoire, les anciens. Tout ce cortège d’énergie me pousse en avant, j’y suis soumis. Il y a donc un malentendu, notre temps n’associe pas la notion de soumission à celle de liberté. Or, la soumission mène à la liberté. La littérature, la musique avec leurs règles précises, rigoureuses, chaque mot, chaque note doivent être à leur place pour conduire à une harmonie totale. C’est tout à fait l’image du vin, c’est une grande discipline qui mène à la liberté.
Un texte, un terroir, ça s’interprète ?
P.A. : le texte oui, le terroir aussi, j’imagine. Si on fait dire un texte par des acteurs différents, chacun amène son inspiration. Chez Jean-Michel, c’est le terroir ; chez moi, ce sont des terroirs littéraires. Quand Jean-Michel interprète un terroir, il l’incarne.
J.M.D. : la sensibilité du vigneron est inscrite dans le droit viticole qui définit le terroir. C’est la différence avec un projet industriel qui maîtrise toutes les caractéristiques du produit, un brevet qui protège une pratique et vise à reproduire un objet dont la valeur soit proche de zéro. Le terroir est l’espace où la liberté, rêve de chacun, peut s’exprimer y compris celle du consommateur.
P.A. : le consommateur, c’est un peu le public du vigneron. Jouvet disait : « le public, c’est magnifique, mais il faut s’en méfier, il peut devenir le pire ennemi de l’acteur » et l’entraîner vers des zones de lui-même qui ne sont pas forcément les plus nobles.
J.M.D. : il faut veiller à cette exigence culturelle, éviter de tomber sous la dictature du plus grand nombre. Par exemple, les grands amers sont un objet d’apprentissage qui n’est pas inné. On n’est pas naturellement poussé vers ces saveurs.
À propos de soumission et de liberté, Emmanuel Giboulot*, vigneron bourguignon, refuse de répandre des pesticides sur ces vignes. Ce choix l’a conduit au tribunal. Qu’en pensez-vous ?
P.A. : je n’ai pas les tenants et les aboutissants, mais instinctivement, j’irai plutôt défendre un type qui dit : « je fais pas, ça tue les abeilles. » Quand elles meurent, la mort de l’homme n’est plus loin.
J.M.D. : Giboulot est un homme sensé, révolté contre une autorité administrative qui lui enjoint de traiter alors qu’il n’y a pas de maladie. Sans quoi, il l’eût fait, il l’a affirmé au juge et, j’imagine, avec un produit biologique. C’est une réaction raisonnable. Il a montré les limites du principe de précaution qui est un concept fasciste, stalinien. Avec ça, on peut tout démolir. Une fois, je me suis trouvé menotté au radiateur d’un commissariat parce que j’avais pratiqué la complantation de cépages différents dans une parcelle. Le tribunal a fini par reconnaître le bien fondé de ma démarche.
Vivons-nous dans un univers liberticide ?
P.A. : liberticide, non. Nous avons été confrontés à des hygiénistes, des adeptes de la prohibition. À les écouter, tout est risqué. Ce n’est pas la peine de se réveiller puisque commencer la journée, c’est trop dangereux. Mais enfin, le premier risque, c’est la vie. Cette société « sécuritariste » où il ne faudrait plus prendre le risque de vivre est insupportable. Je fais partie d’une génération qui ne s’est protégée de rien et sûrement pas de la vie. C’est pas comme à la Caisse d’Épargne, quand on économise on vous sert pas d’intérêts à l’arrivée, il vaut mieux avoir dépensé sa vie avant. Le discours adressé aux jeunes sur le vin dangereux est déplacé. Ils ne boivent pas de vin, mais des alcools frelatés, dégueulasses, pour perdre conscience d’un monde qui ne leur ouvre pas ses portes. Boire du vin, c’est le contraire, c’est avoir une perception accrue du monde qui nous entoure, ça n’est pas pour le perdre de vue.
JMD : historiquement, l’AOC* est un cadre à l’adresse de la collectivité des acteurs. Mais, depuis 1935, le niveau technologique est en hausse, le savoir des vignerons plus vaste, plus précis. Je prêche pour l’introduction du droit à l’innovation, fruit de la sensibilité individuelle qui invente, imagine, crée. Sans cela, l’AOC devient un espace verrouillé, incapable d’évoluer. La première réforme à faire, c’est celle de l’INAO* imprégné d’une pensée féodale insoluble dans le monde d’aujourd’hui où les prescripteurs individuels postent leur avis sur Facebook. La décision pyramidale de ce qui doit être la norme est devenu inaudible, il faut rendre la parole aux vignerons. Même si je n’en fais pas, je soutiens ceux qui élaborent du vin sans soufre, ils sont à la frontière, dans cette marge qui cherche, innove, avance. Cependant, on ne peut pas se passer d’une éthique, je la souhaite ouverte, tolérante, respectueuse des différences, un lieu qui réunisse les hommes. En ce sens, l’agriculture est le respect du sol nourricier, c’est aussi celui où l’on retourne, c’est notre culture.
PA : la première éthique est de laisser l’homme fréquenter des zones qui enrichissent ceux qui l’entourent. Notre époque étouffe l’initiative atypique. On t’a menotté pour ce geste d’agriculteur sensé, mais encore inhabituel. L’éthique consisterait à accueillir les nouvelles démarches. Je n’ai pas envie que l’on coupe les têtes qui dépassent. À un moment donné, les garde-fous deviennent fous. Vigneron, comédien, nous sommes dans des métiers cousins germains où le droit de s’exprimer doit prévaloir. La France a toujours été iconoclaste, c’est son honneur. Son talent à imaginer d’autres manières de faire fut souvent copié. Tout ce qui nous entoure aujourd’hui est fait pour réduire nos capacités à inventer, à devenir ce que Louis Guilloux appelait « l’homme nouveau ».
Le retour des cépages oubliés et le travail effectué dans la superbe collection ampélographique de Vassal*, est-ce important ?
J.M.D. : Cette collection est la mémoire végétale de la viticulture mondiale, plantée franc de pied sur des sables près de Sète. L’INRA a décidé de la déplacer. Ça n’est pas possible de déménager le Louvre surtout en y introduisant la possibilité presque assumée de supprimer les réserves. Les mêmes ont un projet, on pourrait appeler ça « les cépages résistants à peu près à tout », des cépages industriels qui sont une nouvelle camisole de force.
P.A. : on risque donc de balayer d’un revers de main, l’essence même de ce qui s’est fait jusqu’ici. Supprimer la diversité, c’est s’éloigner de la vie.
J.M.D. : d’ici 20 ans, la preuve sera faite que les végétaux proposés seront incapables de vivre tout simplement. Tout le vignoble français est greffé à 99% avec quatre porte-greffes américains qui sont des clones. C’est un peu comme si l’homme nouveau ne disposait pour s’exprimer dans sa nouvelle langue que de quatre signes dans son alphabet.
P.A. : autrement dit, on garde Homère, Euripide, Racine, Molière et le reste, on s’en fout.
J.M.D.: ça arrive aujourd’hui parce que le vignoble français est en pénurie, il n’y a pas de vin, la vigne est dans un modèle eugénique absurde, elle est incapable de produire autrement que dans la simplification et la norme. Dès qu’un nuage passe, elle ne sait plus faire, les vignerons font du vin une année sur trois. Pour les vignobles du Moyen-Âge et avant le phylloxera, la vigne franche de pied plus faible était récoltée plus tôt, dans la souffrance de son fruit. Le greffage augmente la foliation, la croissance, mais diminue la reproduction, change le goût. On a des vins moins digestes, moins mûrs. De nos jours, un raisin mûr est considéré comme un risque, il est complexe, alors on en revient à la dictature de la langue à quatre signes, le vin Coca-Cola à peine un peu amélioré.
Votre rotenberg 2000, peut-on dire qu’il aurait été différent avant la crise phylloxérique observée en France à partir de 1863 ?
J.M.D. : il aurait une meilleure acidité, serait plus rassemblé, il aurait une tension, une énergie différentes. À Bergheim, la colline de calcaire jurassique formée sous un climat tropical est comme une proue de navire face au sud, le sol est rouge comme du sang et reçoit une énorme énergie du matin au soir, c’est un endroit torride qui transporte dans le fruit, l’agrume, la mandarine, le pamplemousse. Le côté glorieux du raisin mûr est là à 15,5 ou 16°, ce riesling, ce pinot gris ne peuvent pas faire du vin sec. Il faut assumer le terroir et le vin qu’il donne. Ce raisin a le droit d’aller jusque-là, je ne vais pas l’apprêter au marché, le rendre conforme. J’assume la folie de son être.
L’agriculture sera bio ou ne sera plus ?
J.M.D. : l’agriculture, c’est prolonger la vie des sols. Le paysan accompagne cette période du mariage intime de l’humus et du minéral qui édifie le sol avant qu’il retourne à l’état de roche. Il est entretenu, fonctionne et vit du respect que l’homme lui témoigne. La bio est le minimum de cette attention qui lui est due. Je n’utilise pas d’éléments qui risquent de détruire le sol. Je travaille actuellement avec des ingénieurs sur un projet de mécanisation pour éloigner les mastodontes de 3 à 12 tonnes qui garrotent le sol. Je cherche un système qui pèse 125 g au cm2, c’est le poids d’un homme au pas. Il est possible de faire mieux qu’un cheval. Si un sol est compacté, on empêche la circulation de l’énergie qui donne l’oxygène. C’est un exemple où le paysan reprend le pouvoir.
Et la permaculture* qui prône par exemple l’abandon du labour ?
J.M.D. : je me suis engagé depuis plusieurs années dans les Techniques Culturales Simplifiées, on utilise comme une charrue la racine des adventices*. Je sème aussi du seigle qui plonge ses racines à 1,65 m de profondeur. Aucun outil ne sait faire ça. C’est l’art de remettre un sol en circulation par un couvert fleuri avec une trentaine d’espèces, ça s’appelle le modèle forestier. Une terre mise à nu monte à 42° en été. À cette température, les bactéries et les champignons nourriciers disparaissent, il n’y a plus de vie. Sur une parcelle de vigne avec plusieurs cépages, j’ai planté des arbres. Au bout, j’ai installé un pierrier, les reptiles s’y logent et attirent les rapaces. J’y ai ajouté une ruche. Le taux de cuivre dans ces sols baisse. On accuse les bios d’être irresponsables dans l’usage du cuivre, voici la preuve du contraire. Nous sommes là dans un système vertueux.
P.A. : on est du côté concerné, celui de la conscience du vivant. C’est un engagement.
Justement, pourquoi avoir accepter, à la demande d’Alain Juppé, d’être avec Robert Parker l’un des ambassadeurs de la Cité des civilisations du vin à Bordeaux ?
P.A. : c’est le pluriel des vins qui m’a séduit. Le vin ne vient pas de nulle part, il s’inscrit dans l’histoire des hommes, dans leur culture. Quand on boit du vin, on boit l’humanité. Je m’insurge contre la diabolisation du vin. Les gens qui prétendent ériger des murs autour de ce haut lieu de civilisation nient ce qui les a précédé. Songez aux moines cisterciens qui ont inventé la culture des climats et l’œnologie. Les gens comme Jean-Michel Deiss poursuivent ces gestes vignerons. Ce projet a des vertus éducatives et universelles. Ce n’est pas un engagement politique, il est culturel. Je suis une caution d’enthousiasme, un amateur, un homme aimable au sens du XVIIIe siècle, et quand j’aime, je défends la cause. Ce que le vin dit du monde, je l’espère par ma voix s’entendra.
Faut-il boire avec modération ?
P.A. : Non, il faut boire avec raison. Boire du vin, c’est aimer. Aime-t-on avec modération ? La meilleure réponse à l’hypothèse que le vin pourrait provoquer des désordres dans la vie des jeunes, c’est l’initiation, c’est-à-dire la culture du père, celle qui transmet. Ne plus parler de vin est une aberration. Certes, à la belle ivresse peut succéder la dérive moche qui abîme, comme l’amour peut abîmer, mais il ne viendrait à l’idée de personne de dire : « n’aimez plus »
J.M.D. : ce que nous tenions comme l’éloge de l’ivresse culturelle, initiatique s’est transformé en 20 ans en condamnation prohibitionniste terrifiante.
Que penser de la loi Evin ?
J.M.D. : l’hygiénisme n’est pas socialiste, il se développe sur un terreau social. Un député m’a affirmé que nous sommes au bord de l’explosion sociale qui nécessite l’éradication des signes identitaires, d’appartenance religieuse. À ma grande stupéfaction, il a ajouté, « c’est par le vin que l’on a commencé. »
P.A. : cette loi ne fait pas de détail, ne cherche pas à différencier le vin de certains alcools. Je veux bien que l’on essaye de réguler, de sauver des gens malgré eux. Mais faire de nous des irresponsables est choquant. On fait porter au vin un costume qui est beaucoup trop large pour lui. Réglons les vrais problèmes de société, celui de l’emploi, de la dignité par le travail, le logement, on s’apercevra alors que les problèmes d’addiction diminueront.
Jean-Michel, votre rotenberg est un vin d’élite, qu’en est-il des vins populaires ?
J.M.D. : on en fait à peu près 3 500 bouteilles.
P.A. : Jean-Michel fait acte d’initiation à l’UGV*. Les amateurs découvrent pour cinquante euros les plus grands vins. La romanée-conti, par exemple que Jean-Michel partage avec eux. On ne peut pas aller vers le bon vin si on ne l’a jamais goûté.
J.M.D. : je ferai du grand vin accessible, moralement défendable dans cette société inégalitaire tant que mes salariés pourront se payer la bouteille, soit au domaine 23 euros dans le millésime en cours, le 2000 coûte autour de 40 euros. De l’antiquité jusqu’en 1880, l’écart de prix entre le vin quotidien et le grand vin est de 1 à 10. De 1880 et 2000, c’est passé de 1 à 100. Depuis, c’est de 1 à 1000.
Y-a-t-il une esthétique du vin ?
P.A. : la seule esthétique qui vaille, c’est le paysage viticole. Quand on boit du vin, on boit l’architecture, les vignes, la géographie. Dans les crayères de Champagne, c’est le mystère des grandes pyramides. À la sortie, les vignes montent jusqu’au ciel. J’ai l’impression d’être invité à boire un coup avec Dieu.
J.M.D. : à l’UGV, nous avons dégusté la-tâche 99 avec Aubert de Villaine. J’ai eu la sensation d’une proportion, de pénétrer l’architecture d’un palais, une esthétique, quoi. Un peu plus tard, Michel Bettane est venu à l’Université, ce vin était à nouveau au programme. Pendant sa visite, un ami nous présente une carafe au contenu douteux, une mixture inquiétante. Méfiants, on goûte ce truc qui avait un aspect visuel démoli, une tête de boxeur groggy. Il déployait une esthétique élevée, sensible, dans une troublante filiation de beauté. C’était la-tâche 1926, le vin était encore complètement construit.
Un verre de vin ou un vers de Baudelaire ?
J.M.D. et P.A. : les deux.
P.A : ils mènent à la belle ivresse.
Propos recueillis par Jean-Luc Barde, photographies de Mathieu Garçon.
Entretien réalisé avec l’aimable complicité du restaurant Taillevent à Paris.
*Marcel Maréchal : comédien, metteur en scène, écrivain
*Maurice Baquet : acteur, violoncelliste
*Alain Resnais : réalisateur décédé le 1er mars 2014, son dernier film : « Aimer, boire et chanter »
*Emmanuel Giboulot : vigneron bio à Beaune, condamné le 7 avril à Dijon pour son refus de se soumettre à l’arrêté préfectoral imposant un traitement aux pesticides contre la flavescence dorée.
*AOC : Appellation d’origine contrôlée.
*INAO : Institut national de l’origine et de la qualité, l’instance gouvernementale du vin en France.
*INRA Domaine de Vassal, centre de ressources génétiques de la vigne. Des milliers de variétés de cépages y sont conservées.
*Permaculture : pratiques visant à une production agricole durable.
*Adventice : plante herbacée, ligneuse assimilée aux mauvaises herbes.
*UGV : Université des grands vins, elle siège en Alsace, ouvre à la découverte par la dégustation géo-sensorielle et la rencontre de grands vignerons.
Biographies
Pierre Arditi : né le 1 décembre 1944 à Paris. Acteur de théâtre, de cinéma, de télévision. Débute en 1965 au théâtre du Cothurne à Lyon avec Marcel Maréchal. Interprète fétiche de Alain Resnais, il obtient le César du meilleur acteur en 1994. Crée La Vérité de Florian Zeller en 2011 au théâtre Montparnasse. Interprète Le Sang de la vigne, série télé consacrée au vin et signe une chronique dans Terres de Vin.
Jean-Michel Deiss : né le 17 avril 1954 à Colmar. Formation chez les pères marianites. Lycée agricole de Rouffach. BTS Viti-œno à Beaune en 1972. Fait sa révolution culturelle en 1986, s’oriente vers une viticulture réfléchie. Passage en bio en 1994. Président-fondateur de l’UGV, lieu de culture et d’intelligence dédié aux grands vins.
Une partie de ce texte a été publiée le 15 juin 2014 et sous une forme différente dans Mes dimanches Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche.
Excellent! très intéressant, très bel échange entre deux personnes étonnantes!
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup votre titre: "Boire du vin, c'est aimer" qui fait écho à mon travail artistique: je crée des toiles sur le vin sous l'appellation "Art Viticole", j'intègre des maximes en sus des représentations peintes et brodées, vous pouvez avoir un aperçu sur le lien suivant: www.artviticole.com.
J'utiliserais bien volontiers la vôtre sur une prochaine toile si vous n'y voyez pas d'inconvénient!!
Bien cordialement,
Laurence Wagon
Merci.
RépondreSupprimerOn pourra lire aussi le dossier du "Monde" et l'analyse de Pascal Bruckner :
http://www.lemonde.fr/style/article/2014/06/16/pascal-bruckner-j-ai-bu-du-lait-jusqu-a-l-age-de-40-ans_4439081_1575563.html
" Il faut pactiser soi-même avec le temps pour devenir l'ami d'un breuvage qui a mûri pendant de longues années. Alors que le temps est l'ennemi de tous les aliments, le vin, lui, est l'ami du temps !"
J'adore Pierre Arditi et j'aime que le vin se boit avec amour et non avec modération.
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