Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



vendredi 23 novembre 2012

Toscane, terre de rouges

Cette région déguisée en nombril du monde, réceptacle des fantasmes vacanciers les plus partagés, destination de nouveaux propriétaires terriens, est aussi une terre de rouges. De vins, mais pas seulement.

La grande allée à la Tenuta di Arceno


Un nuage de poussière entre les deux rangées de cyprès annonce l’auto. La Toscane connaît un début d’été chaud et sec, dans une nature splendide, fleurie, épanouie. Les températures élevées ne sont pas écrasantes, ce pays est fait pour ça, ce chaud. Longer la Méditerranée est une bonne façon d’aborder la Toscane. San Vincenzo, station balnéaire archétypale, est un bon tremplin pour découvrir le vignoble historique. Commencer par là. Se souvenir du fabuleux restaurant de Fulvio Pierangelini, la critique mondiale chantait sa gloire, François Simon a écrit un roma déjanté à sa gloire. Aujourd’hui fermé, ce Gambero Rosso est dans toutes les mémoires des gastronomes, Fulvio est parti se ressourcer, on le reverra un jour. Le bord de mer toscan est plat comme la main, il faut parcourir une dizaine de kilomètres avant d’atteindre enfin la carte postale tant attendue. Collines et cyprès, oliviers millénaires et vignes, bois et vergers. Maisons patriciennes ou cabanes centenaires, aucune importance, l’image est bien nette, on comprend tout et ce qu’on vient chercher est là. Que la campagne est belle. On y produit des vins rouges pour l’essentiel et aussi une coloration politique de la même eau. Communiste de longue date, mais d’un communisme à l’italienne. Il y est plus question d’une opposition à la toute-puissance de l’Église, de Rome, que de lutte des classes. Pourtant, cette inclination se sent partout, dans les villages, dans les bars, sur les affiches collées n’importe comment. Où il s’agit d’y échapper en visitant des vignobles tenus par des étrangers qui n’ont rien à faire de ces particularismes qui leur semblent antédiluviens. Ils ont bien raison.

La villa surplombe une vallée de vignes, c'est Montepeloso


Montepeloso, le Suisse 
Fabio Chiarelotto pilote son petit 4x4 sans beaucoup d’égards pour la suspension qui proteste en couinant, la poussière intense envahit l’habitacle surchauffé. Il est Suisse ou Italien, il ne sait plus très bien, « Suisse en Italie et Italien en Suisse, ce n’est pas pratique ». Il sourit, il s’en moque. Il n’est que sept heures du matin quand au détour d’un ultime lacet la route défoncée abdique devant une combe charmante. C’est la vallée heureuse. Sur les coteaux, deux ou trois terrasses se chargent d’affiner la perspective avec les cyprès en marqueurs des courbes de niveau, on voudrait un troupeau de moutons pour forcer le trait pastoral, ce n’est pas la saison. Ouvert sur le sud, l’endroit est d’une grâce qu’on voudrait divine. Elle est géographique et géologique. À l’œil nu, on comprend que ce relief caillouteux est fait pour ce qu’il porte et c’est là que Fabio a planté ses vignes de montepulciano, de sangiovese, de grenache qu’on appelle ici l’alicante. Il dit que c’est un assemblage de variétés qui ont toujours existé, mais « aujourd’hui, les gens d’ici trouvent ça exotique ». Et cette grosse maison là-haut sur la colline, avec sa terrasse qui domine ce paysage béni des dieux, c’est la sienne et elle voit loin, par delà les collines. Tout s’éclaire. Il est dans ce pays depuis douze ans, en rupture d’université, à la recherche d’un sens. Il l’a trouvé. Il a aussi trouvé, en la personne de Silvio Denz, un Suisse propriétaire de vignobles à Saint-Émilion (Château Faugères) et en Espagne et de la cristallerie Lalique, l’associé qui le comprend. Il sait la chance qu’il a, il est à fond dans le projet maintenant que Silvio lui a donné de l’ampleur et les moyens pour faire. Ses vins sont dans le coup. De l’étiquette au verre, ils sont exactement ce que l’amateur a envie de trouver. A Quo est une entrée de gamme flatteuse et fruitée, les notes épicées dénoncent l’influence du maquis, des cigales, des sangliers. Eneo est cet assemblage toscan pour lequel Fabio se bat. Un vin complexe au sens où les saveurs développées sont multiples. Il va tout droit vers une finale suave. C’est ce que cherche Fabio, il en est content, « On cherche une élégance et une droiture pour des vins méditerranéens, des vins de soleil d’ordinaire larges et un peu mous. » Nardo est le même assemblage en sélection de vieilles vignes, destiné à une longue garde. C’est vrai qu’il faudrait que, dans le verre, la garrigue se pousse un peu pour faire place aux raisins. Une longue garde. Il faut attendre. Le dernier, le plus cher, c’est Gabbro. Destiné aux marchés internationaux, c’est un pur cabernet-sauvignon comme la Toscane en produit beaucoup et qu’on appelle aussi des super-toscans.

Le vignoble de Caiarossa. Au fond, le chai


Caiarossa, le Hollandais 
Les vins de Caiarossa ont déjà une certaine notoriété. Dominique Génot, le Lorrain qui dirige la propriété, n’a que 32 ans, mais déjà une belle expérience. Il est ici le bras armé du propriétaire hollandais, Eric Albada-Jelgersma, qu’on connaît mieux pour son château du Tertre à Margaux. Il est aussi, ce Hollandais, le fermier du grand Giscours, à Margaux également. Toutes les propriétés sont sous la responsabilité d’un autre Hollandais, très connu à Bordeaux, Alexander van Beck. Mais ici Dominique ne voit pas souvent le propriétaire ou ses représentants. Peu importe, il a repris les rênes du domaine sans se poser autrement de questions et en respectant les fondamentaux installés par le précédent propriétaire à la vigne, en biodynamie comme au chai gravitaire construit selon les principes du feng-shui. Il voit grand, Dominique. Ses seize hectares de vignes seront bientôt 32, le temps que les vignes plantées ces derniers temps entrent en production. Pas moins de onze cépages pour trois vins, un blanc et deux rouges. Le grand vin est un assemblage en forme de catalogue de pépiniériste. Sangiovese, cabernet franc, merlot, cabernet-sauvignon, syrah, petit verdot, grenache, mourvèdre. Le fin dosage de chacun de ces cépages fait un vin très bon dont le succès grandissant explique les plantations récentes. Pour s’amuser et parce qu’il voue un culte appuyé aux vins d’Alsace, Dominique a créé un blanc passerillé en vendanges tardives, quelque chose qui rappelle le passito de Pantelleria, cher à Carole Bouquet. Cette très confidentielle production, 1 300 bouteilles, fait un tabac. Dominique est un garçon énergique. Il fallait ce profil pour faire face à certaines réalités du vignoble italien. Recadrer un consultant qui se prend pour un gourou vers plus de services et moins d’autorité. S’arranger de certaines pratiques un peu limite : « Ici, la certification en bio-dynamie est très laxiste. On ne montre que ce qu’on a envie de montrer. On te propose des services annexes et payants pour faciliter la certification. Mais il a suffi de refuser et tout est rentré dans l’ordre. Je ne devais pas être le seul à m’élever contre ces méthodes. » Avec 41 cuves pour 16 hectares, la sélection parcellaire n’est pas un vain mot à Caiarossa. L’intention est très fine, finesse aussi du côté de l’élevage où Dominique a choisi des barriques deux fois plus grosses que d’habitude pour ne pas boiser ses vins exagérément. Dans le même esprit d’excellence, ses patrons ne lui imposent aucune contrainte de volume. Il s’agit de faire le mieux possible selon les résultats du millésime. Et Dominique Génot fait très bien. Ce qui devrait lui valoir une carrière assez brillante dans des délais rapprochés. Il est sans doute encore trop jeune pour se satisfaire des seuls charmes de la Toscane. On sent qu’il rêve d’une ville avec des cinémas, des théâtres, des expos. Il l’aura.

Bettina Rogosky


Il Carnasciale, l’Allemande 
En arrivant chez Bettina Rogosky, une Allemande de Hambourg qui vit à Berlin et ici, on touche le ciel. On approche aussi d’un monde différent. Là, si près du soleil, des étoiles, les préoccupations du monde d’en bas n’ont plus cours. Au Podere Il Carnasciale, le plus malhabile des directeurs financiers partirait en courant. Une petite propriété acquise pour les vacances, un cépage unique au monde découvert par hasard, une première parcelle de 3 000 m2 plantée en gobelet, puis trois hectares dans des endroits à peu près impossibles, 3 000 magnums les bonnes années vendus à guichets fermés 250 euros pièce, très peu d’opportunités pour développer et des sangliers et des chevreuils qui s’appliquent à réduire autant qu’ils peuvent cette micro-production.

Podere Il Carnasciale, la vue depuis la maison


Pourtant, le monde est aux pieds du caberlot, c’est le nom du vin de Bettina. Les grands magazines de la planète Vin classent toujours ce vin rare parmi les meilleurs du monde. Moritz, le fils de Bettina, a lâché sa marque de prêt-à-porter pour venir faire quelque chose de significatif de ce vin unique. Avec Peter Schilling, le maître de chai, un Allemand lui aussi, ils préparent un nouveau chai qui libérera la cave de la maison de Bettina. Ils s’apprêtent à louer quelques arpents de bon terroir pour produire (un peu) plus. Ils sont lancés dans cette aventure avec une vraie gourmandise. Moritz : « Personne ne sait rien de ce cépage, nous n’avons qu’une vingtaine de vendanges d’expérience. Il Carnasciale n’est pas un vignoble, c’est un laboratoire de recherche. » L’éclat de rire qui ponctue la tirade annonce la dégustation du vin rare, barrique par barrique sur chacun des quatre petits terroirs en production. La première envoie des arômes de poivre blanc. La seconde aussi, mais moins. Là, le vin est opulent, manque un peu de nerf, « Il plaît aux femmes » affirme Peter avant d’ajouter « Ce n’est pas la bonne direction ». Les deux autres barriques, les deux autres parcelles, montrent un vin ample, aromatique, élégant, persistant, un vin vibrant, c’est lui, c’est le caberlot. Bettina numérote chaque magnum à la main. Chaque client est livré avec une forte recommandation de ne pas mettre ce vin aux enchères. Gare à celui dont les numéros de magnums se retrouvent sur eBay, il n’en aura plus.

L'une des maisons de l'immense Tenuta di Arceno
 


Tenuta di Arceno, l’Américain Changement radical de décor et d’ambiance. Une immense propriété de mille hectares répartis dans le doux vallonnement des collines qui se déploient sous le clocher du village très ancien de San Gusme. Nous ne sommes pas très loin de Sienne, une Toscane qui n’est pas celle de la Méditerranée. Si la campagne est douce, l’ambiance est plus austère ; la tension politique, plus palpable. Ce qui n’a pas empêché Jess Jackson, le grand homme des droits civiques en Californie aujourd’hui disparu, d’acquérir les terres de ce vaste domaine pour en faire un vignoble d’exception. Les terres seulement. Cette propriété étonnante compte une trentaine de maisons anciennes et un château qui ont été vendus à des particuliers. Chaque maison, au sommet d’une colline ou à flanc de coteau, dispose d’un jardin. Toutes les terres sont exploitées en vignes, en oliveraies, en forêts, en vergers, en céréales. Cet immense espace est parcouru d’allées de poussière blanche bordées de cyprès si hauts qu’on veut bien croire qu’ils ont été plantés il y a très longtemps. L’ensemble soigneusement entretenu dégage une atmosphère luxueuse. Avec la lumière particulière de la Toscane et une pointe de civilisation supplémentaire pour faire une différence, il y a une affinité visuelle entre les collines de la Sonoma en Californie, où le clan Jackson est l’un des propriétaires viticoles les plus importants, et ces paysages toscans. Pierre Seillan, le Français en charge des grands vins au sein des vignobles Jackson, a trouvé là une autre occasion de faire étalage de son talent et de ses marottes, « Le message du sol ». Le sol a quelque chose à dire et Pierre Seillan sait quoi. Pour lui, cette enclave inespérée dispose de terroirs de première qualité. Il parle volontiers de Saint-Émilion pour faire une comparaison. D’ailleurs, il a élu le cabernet franc cépage vedette de la Tenuta di Arceno. Et, fidèle à sa théorie des micro-crus, largement copiée ailleurs, il a déterminé 63 parcelles réparties sur dix zones distinctes pour 92 hectares plantés. Ici, comme au domaine Vérité ou au château Lassègue, Pierre Seillan donne libre cours à son idée du grand vin. Il a un chouchou parmi tous les vins qui participent au 450 000 bouteilles de la production de la Tenuta. C’est Arcanum I, un assemblage qui privilégie le cabernet franc, et pour lequel il nourrit les plus grands espoirs, mais sur 10 à 20 000 bouteilles selon les millésimes et pas plus. Il s’amuse d’avance des résultats qu’il attend, « Je suis ici pour faire de grands vins reconnus par les professionnels du monde entier ». Ici, tout a été replanté avec un matériel végétal adapté à la fois aux spécificités du terroir et aux exigences qualitatives de l’homme de l’art. Ici, comme dans ses autres vignobles, il a su s’entourer d’une équipe de premier plan venue des quatre coins du monde. Si le chef de culture est Italien, c’est un Américain qui est aux commandes du chai. Mais la langue véhiculaire est l’italien et chacun se plie de bonne grâce à cette particularité propre au vignoble. Où qu’il se trouve, on y parle la langue du pays.



Il y a des centaines de vignobles en Toscane. Dans certains endroits, on a traversé des crises, connu des tempêtes, mais le vignoble toscan est aussi ancien que les collines sur lesquelles il pousse. C’est un élément immuable de la culture italienne et, là, tout est fait pour en assurer la promotion. L’arrivée assez nouvelle d’étrangers aux commandes de domaines très qualitatifs est une bonne chose, qui pousse les Italiens à ne pas s’endormir entre cyprès et oliviers. Toute la Toscane, comme le Piémont, est engagée dans une course vers l’excellence. Et c’est toute l’Italie viticole qui gagne des parts de marchés de plus en plus curieux de diversité.

Un voyage dans le Piémont, ici

Les photos : reportage de Mathieu Garçon
Cet article a été publié sous une forme différente dans la livraison de novembre de Série limitée – Les Échos

3 commentaires:

  1. L'occasion pour moi de saluer de nouveau Bettina et Moritz, s'ils nous lisent ici.
    J'ai un magnifique souvenir de la visite au domaine, de ces paysages, de ce repas partagé.
    Nous avions découvert Il Caberlot dans le chai sous la maison.

    Il va falloir que je me procure un magnum d'un millésime récent ...

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  2. Récent et moins récent.. une verticale 'totale' is in the works!

    http://www.cellartracker.com/event.asp?iEvent=19803

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  3. magnifique reportage qui me rappelle mes dernières vacances estivales où nous etions descendus à la villa Dievole(magnifique Hôtel/fattoria viticole) près de Vagliagli
    adresse à rajouter à celles plus haut...
    les vins toscans, ça ne laisse pas indifférent... de même que l'huile ...et la cuisine...
    Bertrand

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