Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 5 février 2013

Bargylus et Marsyas, vins de guerre


La Syrie, ce bourbier inextricable, les morts, le chaos, le dictateur délirant ou les barbus fous, tu parles d’un choix. La vie qui continue, qui doit, pas le choix. Dans la région côtière de Lattaquié au nord-ouest du pays, Karim et Sandro Saadé, deux frères dont la famille est originaire de cet endroit, exploitent une dizaine d’hectares sur les pentes du mont Bargylus, à une altitude de 900 mètres. Ils sont Libanais, vivent à Beyrouth et affichent ce fatalisme propre aux gens du Moyen-Orient, une région qui n’a jamais été stable, expliquent-ils.

« Si Dieu le veut » ou, plus prosaïquement, « On verra bien » tiennent lieu de viatiques incantatoires face au maelstrom qui s’est emparée du pays et comment faire autrement ? Que dire ? Comment expliquer que le mont Bargylus a une histoire viticole pluri-millénaire qui vaut qu’on la choie, que les vins étaient envoyés à Rome où ils avaient beaucoup de succès ? À certaines de nos questions, ils n’ont pas de réponse : « On vit au jour le jour, on verra ce qu’il adviendra des blancs. Les rouges ont plus de temps en raison de l’élevage. » Pour le reste, ils se bornent à regretter certains comportements que la situation induit, pas plus. Et sans détail. De toute façon, leur vin s’appelle Bargylus, ce n’est pas délocalisable. Ils racontent les difficultés, ils n’ont pas vu leur vignoble depuis dix-huit mois parce que c’est trop dangereux de voyager. Ils communiquent avec ceux qui sont sur place, se débrouillent pour que les salaires et les fonds nécessaires à l’exploitation soient versés « quand même », ils vendangent par téléphone et reçoivent les échantillons qui filent à Bordeaux pour analyse, rien n’est simple, ils s’en accommodent, mais sur la façon dont ça se passe, on ne les sent pas bavards, bavards. Dangereux aussi de trop en dire. Une partie des stocks a été « sécurisée » au Liban et en Europe, l’autre partie est vendue sur place.
« C’est la communauté alaouite, les chrétiens et la bourgeoisie sunnite qui boivent du vin. » Et si un pouvoir islamiste s’installe à Damas, que va-t-il
arriver ? Je ne sais pas, dit-il en baissant les yeux, le ton est las, on sent qu’il craint le pire. Pourtant, il ajoute « Syrie, Liban ou autre, on est là. Donc, on accepte les risques. Jusqu’à maintenant, on a fait le vin que nous voulions. Après… » On verra. Il faut dire que l’ambiance n’est pas à chatouiller le ventre des coccinelles ou à disserter sur les mérites de telle pratique culturale, ces trucs de pays paisibles. Pour autant, ces deux mecs se tiennent droits, pas le genre à se plaindre, à geindre. Il y a de la détermination dans leur attitude, une force, des objectifs, la vie.

Dans la vallée de la Bekaa, au Liban, c’est une cinquantaine d’hectares qui sont en culture. Pour l’essentiel, il s’agit de jeunes vignes qui ne sont pas encore en pleine production. Le nom ancien de la Bekaa, la plaine de Noé, est Marsyas et c’est aussi le nom de leur domaine. Là, ils font 40 000 bouteilles de rouge et de blanc, comme en Syrie. Le rouge est un assemblage cabernet-sauvignon et syrah avec un peu de merlot et une pointe de petit-verdot. Le blanc, c’est chardonnay et sauvignon blanc. Le pays n’est pas tout-à-fait en guerre, il n’est pas super-cool pour autant. Là encore, nos yeux écarquillés de Parisiens les étonnent un peu, mais comme ils sont bien élevés, ils n’en laissent rien paraître. Tout va bien au Liban. Dans ce monde-là, en tous cas. Karim : « Le Liban est le pays le plus stable de la région. En 1997, mon père a eu le choix. Acquérir un vignoble à Bordeaux ou créer quelque chose au Liban. C’est son caractère de faire au Liban. Si c’était invivable, nous partirions, mais le Liban d’abord. » Pour lui, Beyrouth est le centre du monde, bien sûr. Les vins ? C’est bon, assez chaud. Je laisse à Miss GlouGlou, elle était avec moi, le soin de commenter. Elle dit « Je suis bien contente de ce vin confortable, solaire, boisé, plein, entier, bon à boire. » On ne saurait mieux dire.
Pour en savoir plus, lisez le blog de Miss Glou Glou, tout y est (oui, aussi les cavistes qui vendent ces vins).

Karim Saadé photographié par Miss GG, photographiés par moi

2 commentaires:

  1. Bonjour Nicolas et merci pour ce reportage de guerre, digne d'un envoyé spécial.
    Au WWS, il y avait un producteur israélien et je me suis demandé comment on pouvait faire du vin sur un terroir miné. Sans doute que son terroir à lui était loin du champ des opérations, mais vu d'ici, ça sent la poudre.
    C'est vrai que sous cet angle de tir, les petites guéguerres de chapelles occidentales paraissent bien superficielles et que les combats que nous pouvons mener sentent le pétard mouillé.
    Jérôme Pérez

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    1. Moi, je me demande comment on peut envisager le temps de la vigne, qui est si long, avec une visibilité aussi réduite. Ce qui m'a surtout frappé chez ces garçons, c'est le calme apparent. En même temps, par comparaison avec la Lybie, le Liban est un hâvre de paix.
      Pour le reste, tu as bien raison. Nos débats sont tout petits, vus de chez eux.

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