Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



jeudi 20 décembre 2012

2012 : Yquem vs. Climens

Face à la défection d’Yquem (qui ne millésimera pas 2012), deux attitudes se mettent en place. Les plaintifs et les toniques. Au rang des plaintifs, quelques châteaux se désolent de la décision de Pierre Lurton en expliquant que le mauvais exemple donné par Yquem pèsera à coup sûr sur les ventes des autres châteaux. Laissons cela.
Parmi les toniques, on retrouve, comme souvent, l’épatante Bérénice Lurton, cousine du premier, personne énergique et audacieuse. Elle est aux commandes du très fameux Climens, cru classé de Barsac, vrai compétiteur d’Yquem.
Elle nous a adressé ce journal de vendanges que je reproduis avec une certaine jubilation. C’est vif, drôle et ça se lit comme un roman.


Bérénice Lurton, propriétaire de Château Climens, à Barsac


« Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’année 2012 n’aura pas ressemblé à une croisière de tout repos. Tempêtes et écueils ont largement parsemé cette traversée, ce qui nous rend finalement encore plus heureux d’avoir regagné le port avec une cargaison inespérée.
Pour commencer, le printemps fut singulièrement chaotique. Chaud et sec en mars, il se fait effroyablement humide en avril et mai, nous obligeant même à traiter (péniblement) à dos d’homme, faute de pouvoir faire circuler les tracteurs sur nos argiles sablonneuses bien glissantes. Le thermomètre joue quant à lui au yoyo, et la vigne fait grise mine. Pourtant, la sortie de grappes paraît satisfaisante et nous comptons sur la biodynamie pour aider la vigne à résister aux à-coups climatiques violents auxquels nous sommes désormais abonnés.

Hélas, ce ne sera pas suffisant cette année, la fleur ayant en outre été malmenée par les excès thermiques (dans un sens comme dans l’autre) du mois de juin. Les taches de mildiou se multiplient sur les feuilles ; les grappes paraissent modérément touchées, mais c’est au cours du mois de juillet, lorsque les grains atteints noircissent en séchant, que nous constaterons mieux la situation. Les dégâts sont très variables d’une parcelle à l’autre, voire à l’intérieur d’une même parcelle, sans doute en raison d’une hétérogénéité de maturité importante. La moyenne des pertes est vraiment difficile à évaluer, sans doute autour de 30 %.

En passant en biodynamie, nous avons ôté à la vigne sa béquille chimique, elle est encore en période de sevrage, et donc fragilisée malgré tous les soins apportés. Nous avons accepté ce risque et sommes plus que jamais déterminés à avancer dans cette voie, même si la vision de ces grappes affectées est ô combien désolante pour un viticulteur.
Nous espérions un temps plus sec, nous l’aurons jusqu’à la caricature, plus de deux mois sans quasiment une goutte de pluie. Les pontes de vers de la grappe prennent des proportions inquiétantes, mais des traitements bios et bien appliqués nous éviterons plus tard d’être les victimes de ces minuscules gloutons (nous aurons bien assez d’embûches sans cela). La vigne est plutôt à l’aise avec la sécheresse, mais septembre avançant, elle commence à souffrir, surtout après un mois d’août parfois caniculaire.
Le raisin peine à mûrir, les peaux restent très épaisses, et le sieur Botrytis reste aux abonnés absents, évidemment.
Le 23 septembre, une période pluvieuse daigne arroser nos sols desséchés : 40 mm en quelques jours, cela aide notre champignon à montrer le bout de son nez, mais guère plus. Si les grappes enfin dorées se couvrent bien des taches de rousseur attendues, l’évolution ne va guère plus loin. Aussi, le 28 septembre, célébrons-nous ironiquement la fin des vendanges 2011, espérant ne pas battre le record de 1978, et son début de vendanges au mois de novembre.
Nous aurons décidément passé une bonne partie de l’année à espérer la pluie ou à la maudire. Quelques gouttes le dimanche 7 octobre nous font espérer une accélération, mais cette année la patience est de mise. Une petite consultation des archives nous rappelle que les superbes vendanges de 1988 n’ont commencé qu’au 15 octobre pour se finir dès le 29, voilà qui nous redonne le moral à peu de frais. Les dates d’ailleurs vont s’avérer quasiment les mêmes, mais les conditions resteront assez différentes.

Après une semaine de suspense et d’attente, la concentration ayant finalement fait son œuvre, nous attaquons enfin le lundi 15 octobre, sous un beau soleil. Dès le lendemain, le temps sera plus chagrin, mais cette petite bruine n’aura heureusement aucune incidence, si ce n’est sur le confort des vendangeurs. Le temps changeant et imprévisible nous donne quelques palpitations, mais nous resterons à l’abri de la pluie jusqu’à la fin de la semaine, ce qui nous permet d’avancer sérieusement dans notre première trie. En fonction des parcelles, la charge est hétérogène, de même que la qualité des raisins sur pied. Le travail de tri est donc très variable, mais dans l’ensemble, la vendange est belle, tout particulièrement dans les parcelles de vieilles vignes.

Malheureusement, la pluie arrive le vendredi 19 octobre au matin. Ne sachant si elle va s’installer durablement, nous en profitons pour faire un nettoyage sur les plus jeunes vignes. Celle de 1997 a très mal supporté les conditions du millésime et restera un de nos pires souvenirs de vendanges: les trois quarts des grappes s’avèrent à la coupe atteintes de pourriture aigre ou grise, et doivent être jetées tandis que nous pataugeons dans la boue jusqu’aux chevilles. Les autres ont dans l’ensemble bien évolué ; elles auraient juste supporté un peu plus de concentration, mais à leur stade avancé, elles ne supporteront pas la pluie. Un rapide égouttage des paniers avant le passage sur le plateau de contrôle suffit heureusement à se débarrasser de l’eau qui reste superficielle. Sous les gouttes incessantes, nous ressemblons à une petite armée à dominante kaki, couverts que nous sommes de pied en cap par bottes et cirés. Hélas, la nuit suivante est également pluvieuse, aussi décidons-nous de sauver ce samedi les quelques grappes confites qui parsèment les parcelles moins avancées : le raisin y reste joli, mais l’eau de la journée et de la nuit précédente a bien pénétré les grappes, et il nous faudra séparer le jus d’égouttage pour atteindre des degrés convenables. Au moins, sommes-nous soulagés à l’issue de cette épreuve. Nous avons évité le pire, toutes les parcelles le nécessitant ont vu passer les sécateurs.

Du lundi 22 octobre au mercredi suivants, nous retrouvons un temps plus clément, les brouillards matinaux laissant place au soleil l’après-midi, avec des températures assez chaudes pour la saison (22/23°C). Le botrytis se développe, mais l’humidité ambiante reste importante, il fait trop moite pour que la concentration ne progresse véritablement. Le ciel est plus chaotique les jeudi et vendredi, et quelques petites averses ne nous donnent guère d’espoir de progrès ; les prélèvements opérés ne sont d’ailleurs pas très encourageants. Nous craignons que cette humidité permanente ne favorise un développement de la pourriture grise au sein des grappes, qui sont en grande majorité aux stades chocolat et pourri plein. Le botrytis prend un aspect un peu noirâtre qui ne lui sied guère, et les raisins commencent à avoir un goût un peu douteux. Le reste d’une récolte déjà entamée par le mildiou est en péril, et même si nous essayons de garder espoir, le moral n’est pas bien vaillant. Le scénario 1988 n’est hélas plus envisageable. La tension n’est pas améliorée par la proximité de mon départ pour la Chine, prévu de longue date pour le lundi suivant (il y a si longtemps que nos vendanges n’ont pas été aussi tardives, que j’ai cru ne pas prendre trop de risques à partir un 29 octobre).

Le temps du samedi 27 reste menaçant, mais bien heureusement la pluie comme la grêle (qui frappe le nord du Bordelais) nous seront épargnées. En revanche le vent, que nous appelions de nos vœux, souffle à grandes bourrasques. Mais c’est encore une fois un dimanche qui va nous sauver : le vent est toujours présent, mais il a changé de cap : passé au nord-est, il a fait chuter les températures de façon très brutale et ramené le soleil. A partir de 16 h, nous arpentons le vignoble, en quête d’une trace d’évolution. À l’oeil, nous ne faisons guère de différence, mais décidons de faire de nouveaux prélèvements sur différentes parcelles pour comparer avec les résultats de l’avant-veille. Nous voici donc dans la cuisine du château, à presser nos divers sachets de grappes botrytisées, soigneusement choisies de façon à être représentatives de l’ensemble de leur parcelle.
Je dois reconnaître avoir poussé un « Yes » de jubilation fort peu orthodoxe au vu de l’affichage du réfractomètre: la concentration, quoique peu visible, a progressé en deux jours de plusieurs degrés, elle est bien suffisante pour que nous reprenions enfin les vendanges. Mieux encore, le moût obtenu est parfaitement net, ne gardant aucune trace de cette déviation que nous avions sentie en mâchant les peaux. Nous qui étions à la veille de désespérer à peine quelques heures avant, retrouvons sourire et entrain, avec pour mission en ce dimanche soir de rappeler tous nos vendangeurs, voire de recruter quelques étudiants en vacances de Toussaint pour arrondir la troupe. Nous savons avoir quelques jours de beau temps devant nous pour ramasser le reste de la récolte, « à tire » puisque les degrés sont déjà suffisants sur certaines parcelles, et que les autres devraient suivre à la faveur de ce temps hivernal.

Au petit matin du lundi, tout est recouvert d’une fine pellicule de givre ; l’ensemble de la troupe de vendangeurs est sur le pied de guerre, et les doigts gelés se réchauffent petit à petit au soleil. La qualité de ce que nous ramassons nous étonne nous-mêmes. Le contenu des paniers est plus joli qu’espéré, les raisins ont moins souffert de l’humidité qu’on pouvait le craindre. Le tri est toujours aussi précis, mais la proportion de raisins à écarter est plus faible que nous l’envisagions. Nous sommes également rassurés par les degrés des premiers jus qui coulent du pressoir, et validons la coupe à tire. Il ne nous reste plus qu’à effectuer un choix judicieux dans le déroulement de cette deuxième et dernière trie : nous vendangerons avant tout en fonction du niveau de concentration des parcelles, mais en tenant compte de la quantité de récolte encore sur pied (on ne sait jamais ce qui peut arriver).

Le lundi après-midi, je quitte Climens, le coeur gros de laisser mes vendanges pour la première fois depuis 19 ans, mais soulagée de la tournure des évènements. (Néanmoins, on ne me reprendra pas à accepter des dégustations à l’autre bout du monde avant la mi-novembre) Il ne reste plus qu’à tout ramasser avant le 1er Novembre, la Toussaint correspondant (tradition oblige ?) au retour de la pluie. Heureusement, les fermentations des premiers lots suivant tranquillement leur cours, Frédéric peut rester sur le terrain en permanence. Tout se déroule comme prévu, le potentiel des lots variant de 20° à un peu plus de 21°. La coupe « à tire » ne démérite pas : elle est aussi saine que généreuse, nous permettant d’engranger 54 barriques en trois jours soit un peu plus de 40% de la récolte. Nous nous permettrons même le luxe de terminer ces vendanges 2012 dès la fin de matinée le mercredi 31 octobre.
Ces huit jours de vendanges sur une période de seize jours (15 au 31 oct.) nous auront finalement offert un rendement (de l’ordre de 10 hl/ha) et surtout une qualité inespérés. Pour un millésime si chahuté, le bilan est franchement positif.

Il s’agit de surcroît d’un joli pied de nez aux mauvaises langues qui avaient décrété le vignoble de Climens « raclé » par le mildiou. La nature n’aura finalement pas été si ingrate. Quant à la biodynamie, sans laquelle sans doute nous aurions perdu moins de raisins pour cause de mildiou, elle a certainement aidé la vigne à mieux supporter la sécheresse de septembre, et les pluies malvenues de fin de campagne... Les dégustations d’après fermentations sont bluffantes. Mis à part deux ou trois lots plus simples mais honnêtes, l’ensemble est excellent. Pour commencer, la pureté aromatique est parfaite du début à la fin. Et pour la majorité des lots, longueur, complexité, élégance et panache sont au rendez-vous : nous aurons un très beau climens 2012, cela ne fait aucun doute. C’est donc non sans fierté que nous donnons rendez-vous aux professionnels au printemps prochain pour déguster ces différents lots à la barrique. »
Bérénice Lurton

La photo : est signée Mathieu Garçon.

17 commentaires:

  1. Bérénice Lurton l'évoque dans son "journal de vendanges", je me souviens avec délice du Climens 88, j'en reboirais bien une bouteille d'ailleurs, quelle puissante délicatesse!
    Ce 2012, en tout cas, m'intrigue.

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    1. Oui, c'est intrigant. Mais c'est bien dans la manière de Bérénice, grande artiste du pied de nez (et du barsac, c'est vrai)

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  2. Ceux qui en mettront sur le marché : ce sera d'infimes quantités, très probablement.

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    1. Et tu me disais que Rieussec suivait Yquem et ne produisait pas 2012

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  3. Climens 1988 est une merveille d'élégance, sur de sublimes amers.
    Climens 1983 bu en début d'année : remarquable aussi.

    J'ai eu chance de croiser un époustouflant Climens 1966 lors d'un dîner chez Gagnaire ... Voilà pour de la vraie grande émotion, François !
    :-)
    Le plat : Pavé de bar poché au laurier - Avocat, champignons de Paris, langoustines ; jus onctueux de pamplemousse - Huile d’olive Santa tea, foisonnée au miel du désert des Agriates.
    Je précise : très réussi !


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    1. Avec les stocks disponibles, c'est pas un problème. Je me suis laisser dire que Londres était surchargé en rieussec. C'est vrai, tu crois ?

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  5. Une chose est sûre : Londres a joué à fond une croissance possible et sérieuse des prix des bordeaux. Et comme la loi a offert des avantages fiscaux aux investissements en vin, il y a là-bas, chez ces britons, des stocks majeurs.
    C'est un peu un jeu de Poker qui est de dire : un jour viendra où les nouveaux marchés vont se ruer sur ces vins.
    Le bémol à mettre : ces marchés accepteront-ils les prix qui devront inclure les frais de stockage et les marges qu'en souhaitent les gestionnaires… alors que chaque année, on a une nouvelle récolte qui arrive sur le marché ?
    La question annexe : boit-on aussi facilement un vin qu'on a acheté à plus de € 100 qu'un vin acquis à un prix inférieur ?
    Question 2 : est-on certain que ces nouveaux consommateurs vont simplement comprendre ces "vieux" vins dont les goûts sont quand même assez loin des fruités qu'on aime dans les vins jeunes ?

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    1. Mais comme le dit Lardière : "c'est pas les vins fruités qui vont nous rendre plus intelligents"

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    2. Alors en attendant de goûter, mangeons des noix

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  6. Très joli texte très vivant d'une personne simple, qui expose les faits avec talent. J'ai partagé avec elle Climens 1937 noir comme du café, beaucoup plus noir qu'Yquem 1937, et qui fut absolument splendide. Il me semble que l'absence d'Yquem 2012 va lui permettre de pratiquer un tarif élevé. A noter que les années en "2" sont fâchées avec Yquem, car depuis 1942, les seules produites sont 1962, 1982 et 2002. Les années impaires terminant pas deux ne sont jamais produites depuis 1932. Parions sur 2032 !!!
    Joyeux Noël

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    1. Je ne suis pas bien sûr que l'ambiance sera à la hausse des prix, moi

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  7. @F.A. :"Les années impaires terminant par deux" jolie formule mais pas très mathématique... Amitiés festives

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  8. Bonne remarque !! Il fallait lire : les années des décennies impaires finissant par 2. A noter sur le sujet des chiffres que j'ai bu deux fois de vins terminant par "9" que de vins terminant par "4", qui est l'année dont j'ai le moins bu, car 2004, 1994, 1984, 1974, ça ne fait très folichon.

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  9. Les "3", ce n'est pas fameux non plus, mais la différence se fait sur les 1983 dont j'ai bu largement plus que les 1984, les 1953 dont j'ai bu dix fois plus que de 1954 et les 1943 pour une raison qui m'est très personnelle :)

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  10. Bonjour et un grand merci d'avoir déposé les commentaires de Bérénice Lurton sur ce site ! Savez vous comment les dégustateurs de tous horizons ont en fait considéré Climens 2012 ? J'ai une autre question, complémentaire. j'ai encore dans ma cave un Climens 1976, mais l'étiquette est quasi invisible suite à une conservation dans une cave bien humide ... Savez vous si l'on peut obtenir une étiquette de remplacement et quelles démarches il convient de faire ? En vous remerciant encore par avance de vos conseils à suivre. Arnaud DC

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