Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mercredi 12 décembre 2012

Montre-moi ton sol, je te dirai…

Stéphane Derenoncourt, globe-trotter forcené, a accordé trente minutes pour une interview à Benoist Simmat, auteur de nombreux ouvrages et bandes dessinées sur le vin. C'est avec un grand plaisir que je reproduis ici cet excellent entretien.




Négociant en Californie, vigneron personnel de businessmen ou de stars (Francis Ford Coppola, entre autres), consultant de multinationales en Turquie, au Liban ou en Inde, propriétaire à Bordeaux, créateur de sa propre marque de vins de terroir, Stéphane Derenoncourt, 51 ans, est omniprésent sur la planète vin. Destin exceptionnel que celui de ce Ch’ti promis à une certaine marginalité et devenu la nouvelle star des winemakers français. Formé en Bourgogne et découvert à Bordeaux, Stéphane Derenoncourt a eu la vision prémonitoire que le terroir à la française deviendrait le vrai moteur de la mondialisation des vins, de la France à l’Argentine, du Liban à la Chine. Entretien entre deux avions.

Les vins du Nouveau Monde et les marques internationales devaient enterrer le vignoble français. Et pourtant, malgré la crise, nous n’avons jamais aussi bien exporté nos cuvées, et même imposé nos règles. Pourquoi ?
Notre conjoncture est faste, c’est vrai, et ce n’est pas un hasard. D’abord, parce que, dans une période comme celle que nous vivons, les notions d’identité et d’authenticité sont très rassurantes, ce sont des notions durables. Les crises économiques, les angoisses écologiques, tous les tourments actuels permettent à nos produits, vins en tête, de reprendre leur place naturelle de leader. Parallèlement, une ère s’achève, celle du marketing, celle de vins pour lesquels on dépense de l’argent afin de créer un besoin chez le consommateur. Partout, avec la mondialisation du vin, le niveau d’exigence des consommateurs, justement, s’élève. Ils connaissent de mieux en mieux le vin, les vins, les vignobles, et apprécient la qualité de produits issus du terroir. Et c’est là que notre pays, qu’on le veuille ou non, possède une avance qui ne sera jamais rattrapée : notre sol, nos sols, dont la première caractéristique est d’être une terre calcaire. Cette roche possède la capacité presque magique de sublimer le vin qui en est issu ; c’est elle qui a le pouvoir définitif d’opérer la meilleure transformation possible d’un cépage sur un terroir en vin. Le calcaire, ne l’oublions pas, c’est 5 % des roches dans le monde, mais 55 % de notre territoire.

Votre travail, celui de vos équipes de Derenoncourt Consultants, consiste donc à proposer, partout sur la planète, de créer des vins reflétant l’endroit où ils s’épanouiront… 
Oui, depuis le départ, mon activité consiste à dire à un client : « Montre-moi ton sol et je te dirai quel vin tu peux faire. » Je cherche toujours à anticiper le vin qu’un sol est en mesure de donner. Depuis vingt ans, nous auditons et cartographions les sols dans le monde entier. Nous acceptons des projets de création de domaine quand un lieu possède un potentiel, quand on nous donne les moyens de planter efficacement le cépage le plus adapté et quand le courant passe avec le client. L’engouement pour le vin a pris une telle ampleur que les besoins sont insatiables. Nous travaillons actuellement dans treize pays. Partout, le vin confère à celui qui cherche à en créer un statut social valorisant. C’est pourquoi nous l’orientons vers cette notion de terroir, afin d’obtenir des cuvées fines et élégantes plutôt que musclées et destinées à concourir dans des catégories poids lourds. Les consommateurs veulent du sens, nous leur en donnons.

Votre dernier projet en date, les « Parcelles Derenoncourt », a germé sur vos propres terres, en Gironde. Pourtant, Bordeaux, c’est le centre névralgique mondial du terroir, non ? 
Évidemment, mais notre réflexion a été : « Pourquoi devrait-on être riche ou simplement aisé pour déguster du bon vin ? » C’est-à-dire des vins fins et élégants, reflet d’un sol. J’ai toujours été opposé au concept de vins de marque. Ces mélanges calibrés, c’est la négation de mon travail. Mais là, nous avons créé une marque de terroir. Le concept est qu’une trentaine de vignerons partenaires nous fournissent des raisins clairement identifiés comme provenant de parcelles spécifiquement validées pour nous. Ces vins d’appellation classique, comme bordeaux ou côtes-de blaye, possèdent en commun de refléter parfaitement cette trame calcaire, et ils coûtent l’équivalent en France de 4 euros. Le succès est déjà là puisque nous avons produit 350 000 bouteilles dès la deuxième année. Je suis allé récemment les vendre à Hong Kong, ça a pris tout de suite, quatre containers sont déjà partis là-bas. Nous avons également créé une gamme premium, avec des parcelles issues d’appellations prestigieuses, comme margaux, saint-émilion ou saint-estèphe. Je mise sur une cinquantaine de vignerons partenaires dès l’an prochain.

Vous vinifiez partout dans le monde, mais une de vos terres de prédilection, c’est la Californie, où vous êtes notamment devenu le vigneron de Francis Ford Coppola. La Californie, pays des vins puissants, se convertit-elle également ? 
Oui, il y a là-bas une évolution considérable. La recherche de notion d’identité explose. C’est un vignoble où les vignerons sont plus jeunes, cherchent à faire des vins plus authentiques, plus accessibles en prix. C’est par exemple une zone où les domaines conduits en biodynamie se multiplient. Francis Ford Coppola, qui développe son domaine depuis trente ans, cherche clairement à faire de Château Inglenook un grand cru reposant sur la notion de terroir. Au départ, il n’y avait pas de notion de sol, mais la Californie n’échappe pas à la vogue du terroir. Coppola y est d’autant plus sensible qu’il est francophile, amoureux de notre gastronomie et que son domaine, Inglenook, possède déjà une histoire de plus d’un siècle sur laquelle il peut s’appuyer dans sa recherche d’authenticité. La Californie, c’est le modèle bordelais en Amérique… Et il y a les terroirs pour ça. Je suis d’ailleurs moi-même devenu négociant, j’achète mes raisins et les commercialise sous le label Derenoncourt California. J’ai par exemple trouvé des parcelles exceptionnelles de cailloux noirs volcaniques sur la zone de Lake County. Ces vins sont destinés à être commercialisés bientôt en Asie via Hong Kong, et en France par la place de Bordeaux.

Ce message, vous le vendez maintenant avec succès sur des terres aussi improbables que l’Inde…
Oui, mais attention. L’Inde, c’est le prochain géant du vin. Nous avons été contactés par Raghavandra Gowda, un homme d’affaires désireux lui aussi de créer son domaine pour lancer des vins indiens génériques et aussi des grands crus locaux. Il avait créé « Alpine Winery », un projet à l’échelle du pays, 500 hectares vers le sud de Bangalore. Ses premières expériences avaient été catastrophiques, il faut savoir qu’ils cultivaient leur raisin hors sol. Je n’ai pas eu beaucoup de mal à le convaincre qu’il était absurde de vouloir imiter les meilleurs grands crus, je lui ai dit : « Fais un vin qui ressemble à ton pays ». Nous avons testé vingt-six cépages sur un terroir d’argile ferreuse rouge et avons par exemple constaté que le chardonnay s’y épanouissait particulièrement bien, mais que le merlot, ce n’était pas la peine. Le message du terroir est maintenant universel.

La photo : Stéphane Derenoncourt chez Laroche à Chablis, photographié par Fabrice Leseigneur. Cette interview a été publiée sous une forme différente dans Série limitée de novembre.

4 commentaires:

  1. Tiens Nicolas,
    Voici d'où viennent les parcelles de notre ami Stéphane, diverses caves coopératives et autres producteurs indépendants qui ne l'on jamais vu passer dans les vignes. Achat en vrac sur cuve à 900-1000€ le tonneaux par la maison Bouey pour les Bordeaux et les Cotes.
    http://www.sudouest.fr/2012/10/04/le-vin-en-vrac-est-not-re-metier-839323-713.php
    Pourquoi tu crois qu'ils ont fait un Blaye 2011, pour le millésime exceptionnel? Non plutôt parce que le lot était pas cher à l'achat. Et pourquoi il ne fait pas en Castillon alors qu'il est convaincu qu'il y a un grand terroir la bas puisqu'il s'y est installé? Peut être il a pas trouvé de parcelles la bas?
    J'aime bien le travail de Stéphane mais sa gamme "Les Parcelles" quand on est dans le métier, c'est vraiment du pipeau. Et comme toute la presse en parle, le consommateur lui y croit vraiment que Stéphane il y sélectionné toutes les parcelles une à une et qu'il connait tous les vignerons fournisseurs...
    Et puis j'ai gouté, c'est correct mais à 4,50€ en GD, tu en trouves des tonnes de Bordeaux qui sont équivalents ou meilleurs. Mais tu achètes les Parcelles car tu as l'impression de boire un vin fait par un grand monsieur, alors qu'au final tu achètes une étiquette et un vin pas très différent de son voisin.
    C'est la force du marketing, d'autant plus si on achète pas la matière première pas cher et qu'on fait plein de marge..
    En tout cas, Stéphane il faudrait qu'il vienne un peu plus souvent voir les gens à qui il achète ses vins, voir comment ils ont du mal à s'en sortir en ce moment, voir que leurs enfants ne reprendront pas la propriété parce que faire du vin si tu n'es pas commerçant, ce n'est pas rentable.
    Mais ça Stéphane, il ne le vois pas et c'est bien dommage!
    C'était le coup de gueule du jour!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Peut-être avez-vous raison, peut-être pas. Peut-être encore les choses sont-elles plus nuancées que ce que vous avancez. Dans tous les cas et compte tenu de ce que vous nous dites là, il aurait été mieux de signer, surtout si vous êtes dans le métier

      Supprimer
    2. Je signerais Nicolas le jour où j'ai assez d'éléments pour vous montrer comment cela fonctionne ici. Il y a tant de choses à dire sur le monde du vin.. Ça viendra avec le temps et l'assurance d'être entendu.
      En attendant je reste anonyme comme la masse silencieuse des vignerons qui se sentent lésés par ce système. Et le problème ce n'est pas la réussite des autres, celle de Stéphane il ne la dois qu'à lui même et c'est admirable. Non le vrai problème de fond, c'est l'éducation des consommateurs et les à priori qu'il en découle.

      Supprimer
    3. Bon, bien. L'éducation du consommateur est bien sûr ce qui nous préoccupe tous. J'espère que quelqu'un d'informé sur les "Parcelles" vous apportera une contradiction, un commencement de débat. Cela profiterait à tous.

      Supprimer