Quelle activité.
Pour l’instant, ce faisceau de bonnes volontés est à l’envers de toutes les tendances. N’importe quel banquier de succursale vous le dira : « un sauternes, ça se vend pas. » C’est un problème, un gros. Il y va très simplement de la survie d’une appellation majeure. Le sauternes, c’est le rhinocéros blanc, il en reste très peu et tout le monde s’en moque. Pourtant, les grands liquoreux de Bordeaux (sauternes et barsac pour l’essentiel) sont des vins miraculeux. On ne va pas entrer dans le détail très compliqué de l’élaboration, mais il suffit de savoir deux choses. Le rendement d’un vignoble de Sauternes se situe entre 7 et 17 hectolitres à l’hectare quand ceux des châteaux du Médoc dépassent régulièrement les 45 hl/ha. Qu’on y ajoute la grande retenue tarifaire des vins de l’appellation et l’on comprend sans difficulté l’équation impossible (pas assez de vin vendu pas assez cher), l’engrenage fatal, la gestion tirée par les cheveux, la pente douce qui mène à la cession de certains domaines.
Aujourd’hui, ces vins d’or ne rencontrent pas leur public, exception faite d’une poignée de grands amateurs dans le monde entier. Eux savent tout des complexités infinies, des douceurs qui vous enveloppent les épaules, du très haut niveau de ces vins prodigieux. Et si mal compris et tant ignorés. Leur teneur en sucre est pour beaucoup dans cette désaffection qui les renvoie tout droit au rayon des produits qui font grossir. Et aussi, c’est plus grave, le manque d’enthousiasme des tenants de la gastronomie française pour marier ces nectars avec leur cuisine de haute volée quand ils ne vous glisse pas mezzo voce que ce sont des vins de vieux. Ou encore la méconnaissance du public sur ces capacités de conservation, bouteille ouverte dans le frigo, trois semaines de bonheurs quotidiens, gorgée après gorgée. Les responsables de l’appellation et quelques propriétaires ont beaucoup œuvré pour installer leurs vins dans le sillage de la cuisine asiatique. À raison, sans doute, puisque les accords sont très convaincants.
Il est temps, peut-être, de rappeler aussi qu’une belle poularde de Bresse, des huîtres chaudes, un jambon persillé, un bleu bien goûteux sont les amis des vins d’or depuis le début. Dire aussi que les vins ont changé, qu’ils sont plus légers, plus fins, plus rieurs, plus étincelants. D’une très récente conversation avec le grand œnologue Denis Dubourdieu, conseil de Silvio Denz à Lafaurie-Peyraguey, il apparaît que le sauternes, vu de leur fenêtre, a toutes ses chances. Ah. Ils en font et ils y croient. Et on peut compter sur Bernard Magrez pour ne pas être en reste, tout comme le quatuor de Guiraud.
Denis Dubourdieu, chercheur, universitaire, vigneron, consultant a mille vies et assez peu d’idées toutes faites. C’est un observateur d’une grande sensibilité et un très fin connaisseur des terroirs sauternais. On l’écoute.
« Le vin n’est pas une affaire d’artiste, c’est une histoire de gourmandise. »
« Quand on fait un vin, on veut faire planer l’amateur. Pas lui balancer un uppercut. »
« Pour éviter la lassitude des amateurs, il faut simplement faire quelque chose de stupéfiant à chaque millésime. »
« On définit l’esprit français en disant “Jamais ennuyeux”. À Sauternes, c’est un sacré challenge. Traduire la liqueur en légèreté. Parce que le sauternes, doit être un vin parfait de légèreté, d’équilibre et de brillance. Ou c’est rien. »
À propos d’un lafaurie-peyraguey aux nuances d’acajou qui tourne dans son verre, il dit :
« Ce vin me fait penser à l’adage des alchimistes “Solva et Coagula”. Il est indescriptible, on ne peut pas gloser. »
Il évoquera quand même « Les arômes aboutis, de figue et de cerneaux de noix, la fraîcheur encore, l’incroyable élégance. »
Dans un château voisin, à Fargues, Alexandre de Lur-Saluces s’alarme de l’état de l’appellation. Il publie une lettre ouverte très engagée. Il dit qu’il a vu trop de vignes pas vendangées et que la production de vin blanc sec n’est pas une solution. Lui, il veut les vins nobles, comme ceux que nous citions plus haut. Après avoir réalisé tant de millésimes au château d’Yquem, il veut l’excellence, rien d’autre. Sans doute, mais pour nombre de propriétaires, le blanc sec est une issue. Ces assemblages de sauvignon et de sémillon font des vins élégants, frais et nets, le public en raffole, c’est beaucoup plus facile à vendre qu’un liquoreux et tous les grands châteaux en font, Yquem le premier. On voit bien ce qui mène les nouveaux arrivants dans l’appellation. Ils se disent avec infiniment de simplicité que si le public boude le sauternes, ils vont faire des sauternes encore plus aboutis, encore plus fins, encore meilleurs. Et quand on regarde le parcours de chacun de ces magiciens des vins de luxe, on ne doute pas que Sauternes a une nouvelle chance.
moi aussi, je bois du sauternes souvent |
La photo : un doisy-daene 90 qui nous a enchanté. Cet article a été publié sous une forme différente dans Mes Dimanches Spécial Vin, le supplément mensuel du Journal du Dimanche.
Laisse t-on encore une chance au Sauternes pourrait on dire. A la question que gardez vous au frais en cas d'apéro ou de diner improvisé, beaucoup de négociants ( pourtant les 1er concernés par la promotion de cet or liquide et la destruction des clichés qu'il l'entoure) repondent aujourd'hui du Champagne et non du Sauternes : quel dommage !
RépondreSupprimerCe qui serait dommage c'est de servir un liquoreux en apéritif. Le sauternes est fait pour les fromages, les desserts exotiques, certains poissons en sauce ou de belles volailles crémées.
SupprimerEt un remarquable vin de méditation
SupprimerEt si le Sauternes souffrait d'abord du désamour que lui portent ceux qui le font ?
RépondreSupprimerLe désamour de ceux qui le font??? Mais il est impossible de faire un bon, un grand Sauternes sans être passionné, voire fou d'amour pour ces terroirs uniques, pour un drôle de champignon qui nous fait tourner en bourrique, pour ces vins follement difficile à faire mais à la personnalité affirmée et disons-le merveilleusement beaux. Et si différents : un contrepoint à l'uniformisation ambiante! ! Non, il n'y a pas de désamour chez les producteurs qui se respectent, il y a surtout de la frustration, voire du désespoir devant l'aveuglement de notre époque face à ces merveilles de la nature (et du travail acharné et amoureux des producteurs! ) Une productrice
SupprimerJ'aime votre commentaire. Le mien (Anonyme2 décembre 2014 19:45) tenait à la lecture de l'article : à force de prétendre alléger le Sauternes, ne risque-t-on pas de l'assécher ? Ce serait logique, donc pesant, mais peu sensible. J'aime votre commentaire
SupprimerMerci à cette productrice si peu anonyme et si passionnée de ce commentaire superbe.
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