Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 17 avril 2018

Les primeurs vus du paradis

Tout le monde connaît le phénomène des primeurs à Bordeaux et, bien entendu, chaque nouveau millésime, si important pour l'économie de toute une région, promène son cortège d’aigreurs et de menaces comminatoires. The usual suspects. Les uns dénoncent, les autres préviennent, certains menacent. Ce qui, bien entendu, n’a jamais eu la moindre prise sur le déroulé de l’affaire, elle est menée comme ils l’entendent par les tenants du système et pourquoi en serait-il autrement ? Ils sont chez eux, ils font bien comme ils veulent, même si tout le monde sait mieux. Ne revenons donc pas sur cette histoire de primeurs, parlons plutôt des bonheurs collatéraux. Il y a quatre catégories de visiteurs à Bordeaux. Les grands manitous de la dégust’, ils viennent du monde entier, sont peu nombreux, très compétents. En France, moins de 20 dont trois chez nous (Bettane, Desseauve et Hervier). Le deuxième volet réunit une vraie foule de parasites, dégustateurs des plus approximatifs, sans influence, mais avec un smartphone. La troisième bande rassemble tous les pros bordelais du vin, propriétaires, directeurs, courtiers, négociants. Dans la plupart des cas, ils sont compétents et très entraînés à juger un millésime bordelais. Le dernier carré rassemble les détendus, les story-tellers, les marrants. Assez éloignés des dégustations des vins en primeurs, ils sont surtout là pour embrasser les copines et rigoler avec les copains. Naturellement, ils assistent aux meilleurs moments. En voici quelques-uns, huit déjeuners et dîners pendant quatre jours, pas plus. Une forme de paradis.

Reignac et ses gentilles manies
Le très romantique château de Reignac accueille le printemps et quelques amis choisis dans une petite tour transformée en salle de dégustation. Yves Vatelot, le propriétaire est un inventeur et l’endroit est assez magique en plus d’être très fonctionnel. Là, nous avons goûté une théorie de vins de tous pays, sélectionnés parce qu’ils sont les lauréats d’un grand prix du tourisme viticole. Comme souvent le meilleur (Penfold’s) côtoie le pire (un machin argentin épouvantable) avec les vins de la maison (reignac et balthus) en juges de paix. Le déjeuner qui suivait a donné lieu à la traditionnelle confrontation entre reignac et deux premiers crus classés de même millésime (1999). À l’aveugle, bien sûr. Et comme toujours, c’est le reignac qui sort en tête. Cette fois devant ausone et mouton-rothschild. C’est très étonnant (et convaincant) cette permanence dans l’exploit, tellement longtemps que ça dure. Tout le monde a les yeux ronds. Le soleil qui baisse dessine une bien jolie façade, la vie est belle.



Une chanteuse chinoise et un chanteur anglais
Le soir même, rendez-vous devant le petit château Monlot à Saint-Émilion, juste sous l’altière façade du château Lassègue. Là, Zhao Wei, chanteuse très connue dans l’Empire du Milliard, reçoit ses amis (donc moi) pour une sorte d’inauguration de son domaine acquis en 2011. Mais il y avait du boulot à la vigne avant de présenter quelque chose d’intéressant, en l’occurrence son 2015, élaboré par le grand Jean-Claude Berrouet (ex-Pétrus) et très réussi. Tout commence par l’intronisation de notre artiste et du chanteur Sting, en pleine forme. Il est encore très jeune, il faut dire. C’est Hubert de Boüard qui officie avec un long discours en anglais, très documenté. Ces formalités effectuées, un verre de dom-pérignon et un autre de mission-haut-brion blanc en guise d’apéritif et hop, à table. Là, surprise, ce sont messieurs Christian Le Squer et Éric Beaumard qui sont aux manettes. Génial. Le Cinq délocalisé pour un soir, on ne pouvait pas rêver mieux. Après un rapide discours du maire de Saint-Émilion, c’est Sting qui en trois foulées souples, se pointe sur l’estrade où l’attendent une guitare sèche, un tabouret haut et un micro. Pour le plus grand plaisir d’une petite assistance (cent personnes) sidérée par la performance, il interprète l’un de ses grands tubes, évident en la circonstance, Message in a bottle. C’est sublime, l’émotion est à son comble. Le parfait dîner de campagne sera suivi d’un spectacle son et lumière sur la façade du château d’une modernité ébouriffante et d’un feu d’artifice monochrome comme je n’en avais pas vu depuis longtemps.



Oh Gaby 
L’Américain Tom Sullivan (tous les Américains ont des noms d’acteurs de cinoche) a acquis quatre propriétés dans le décor bordelais. Les châteaux du Parc à Saint-Émilion, Gaby à Fronsac, Moya en côtes-de-castillon et Auguste en bordeaux supérieur. Nous avons déjeuné à Gaby. L’endroit a beaucoup d’allure. La restauration du château a été menée sans faire d’effets exagérés et c’est bien joué. Les vins suivront forcément. Notre hôte est drôle et sympathique, très détendu et preneur de bonnes blagues comme rarement. Comme il n’avait pas invité ses copains, nous avons fait le boulot et on est reparti avec un nouvel ami.



Mangot et ses frangins
Il y a des dîners plus spéciaux que d’autres. Chaque année, c’est le cas à Mangot, une belle propriété de Saint-Émilion, tout au bout de la côte, un amphithéâtre de vignes assez extraordinaire, juste au-dessus de Château Faugères. Les frères Karl et Yann Todeschini reçoivent leurs potes (donc moi), on est douze à table, chaque année un thème différent est exploité pour les vins. Cette fois, les années en 8. Pour voir toutes les photos des bouteilles, branchez-vous sur mon compte Instagram @nicolasderouyn. Le dîner était réalisé par un ami de la maison, toujours le même, de plus en plus maître de son talent et c’était très bien. Dans les verres, une vingtaine de vins à l’aveugle, sauf les deux champagnes 1998 qui ont fait office d’apéritif. Un très beau cuvée-des-enchanteleurs de chez Henriot, en phase d’évolution marquée et un grandiose clos-saint-hilaire by Billecart-Salmon, d’une fraîcheur époustouflante. Et les bouteilles vont se succéder avec une belle harmonie, aucune n’était vraiment abîmée, une seule bouchonnée. La variété des provenances n’a pas empêché nos douze hommes (dont une fille) de découvrir à peu près ce qu’on buvait. Ils sont forts, tous ces jeunes gens. Étaient présents : un œnologue, six vignerons ou directeurs techniques, deux journalistes, deux sommeliers et moi. À une exception près, les avis convergeaient en un bel œcuménisme. L’exception étant un la-geynale, cornas 2008 de Vincent Paris qui fit se dresser les cheveux sur la tête de l’un d’entre nous, ce n’était pas négociable, nous avons enchaîné, ravis. Et ainsi de suite jusqu’à plus d’heure, dans un bonheur gourmand de jouisseurs.



Les marottes de Pierre Seillan à Lassègue
Ce n’est jamais neutre de se retrouver à table avec Pierre et Monique Seillan dans le beau château Lassègue, planté à mi-pente de son coteau, un genre de démonstration par l’exemple de ce que certains appellent à bon droit la pérennité. Là, Pierre Seillan mène sa bataille, « The message of the soil », comme il l’a fait dans la Sonoma et avec le succès qu’on sait au bien nommé domaine Vérité. Nous découvrirons quelques millésimes précédents dont un épatant 2005 et un 2009 qu’on reverra avec plaisir. Nous écouterons l’histoire de son petit domaine perso dans le Gers. Nous ferons connaissance avec les projets américains, italiens et bordelais du grand groupe Jackson et nous nous séparerons bien contents de nous être retrouvés.



Un speakeasy revisité 
C’est dans le vieux Bordeaux, ce centre historique où la moindre baraque a une belle gueule XVIIIe. Au bout d’une série d’impasses emmêlées, on lève un rideau de fer qui donne sur une rampe d’accès, en bas, une auto et le bazar d’une cave particulière. On est déjà au premier sous-sol. Un demi-étage et quelques couloirs plus bas, le saint des saints, une cave de grand volume, longue et haute de plafond, un rêve. Une table est installée au milieu, elle est dressée pour une vingtaine de convives, cernée par des bouteilles, des magnums, du sol au plafond. La moindre quille fait envie, follement. C’est le Château La Conseillante représenté par les cousins Nicolas qui avait eu cette idée et la suite sera éblouissante. De belles assiettes fraîches et réussies, c’est-à-dire faites pour les vins, réalisées par l’épouse de notre hôte, un ex-tennisman reconverti dans son autre passion, le vin. Après quelques bouteilles d’un extra-brut d’Agrapart, on verra défiler les plus beaux vins, la-conseillante 90 en magnums et 05, figeac 82 en magnum et 08, quelques splendeurs à l’aveugle puis vint le temps d’aller choisir dans les rayons ce qu’on avait envie de boire. L’un d’entre nous fit servir à l’aveugle un chambertin-clos-de-bèze 04 en même temps qu’un côte-rôtie la-turque de Guigal dans le millésime 99. Deux vins aussi opposés qu’on peut l’être qui se rejoignaient dans une sorte de vapeur d’excellence, image qui décrit assez bien l’état des convives à la fin de ce dîner d’exception. Bien sûr, un yquem vint à point nommé mettre un terme délicieux à nos agapes folles. Bravo, les cousins.



La Terrasse rouge comme chaque fois
Bien sûr, je ne peux pas tout dire, mais j’adore aller déjeuner à la Terrasse rouge, le roof-top du chai de La Dominique, conçu de la belle manière par Jean Nouvel. Le château est sur le plateau de Pomerol et Saint-Émilion, jouxte Cheval Blanc, regarde L’Évangile et La Conseillante, plus loin, c’est Vieux Château Certan et Pétrus, d’en haut la vue porte loin, l’endroit est stratégique. Là, dans la salle à manger du président Fayat, nous avons fait honneur à quelques millésimes de la-dominique, augmentés d’une ou deux bouteilles de la grande-année de Bollinger. Une fois de plus, nous avions bien fait de venir et c’est sans parler de la conversation partagée avec nos hôtes, mais bon. On ne peut pas tout dire, vous dis-je.



Dîner avec une gloire et une mémoire
L’affaire se passe au château Haut-Bailly, dans les Graves. Le belle propriété du regretté Bob Wilmers, un type charmant. Michel Roux, triple étoilé Michelin à Londres, était là, vieux monsieur passionnant dans ses expériences et ses souvenirs, un dîner adorable qui a vu passer quelques vieux millésimes de haut-bailly dont un 61 émouvant et un 82 en magnum d’une fraîcheur inouïe. La nuit s’est passée au château Le Pape, une autre étiquette du domaine, un château d’hôtes remarquablement restauré et d’un confort de palace. On s’est souvenu de Bob Wilmers, quelques années plus tôt, au moment de l’inauguration du château, il voulait absolument nous prouver que les lits étaient trop hauts. Très drôle, il exécuta une sorte de pirouette pour retomber assis sur le bord du lit, « My feet don’t even touch the floor ». Éclats de rire, lui ravi de son numéro, il fallut quand même lui expliquer que les lits hauts, c’est devenu la norme de l’hôtellerie de luxe, c’est la mode. Et contre ça, Bob, on ne peut rien.



Tout ça pour dire
Que le millésime 2017 est hétérogène, marqué par des réussites remarquées et des flops embarrassants. Que Bordeaux en pareille circonstance est vraiment un endroit parfait. Que les vins de Bordeaux ont encore tout à dire et plus rien à prouver. Que rien n’égale un vieux millésime d’un grand bordeaux et que rien n’indique que les choses vont changer.

Mes pensées vont à 
Celles et ceux qui ne sont pas aux Primeurs parce qu’ils n’ont pas millésimé 2017, le gel, etc. Ce genre de déconvenue catastrophique. Anabelle Cruse à Corbin (Saint-Émilion), Bérénice Lurton à Climens (Barsac), Stephen Carrier à Fieuzal (Pessac-Léognan), d’autres encore, ma chère Coralie de Boüard, en particulier, avec son Clos de Boüard tout neuf et ravagé.

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