Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 18 avril 2011

Ici, la chimie, c'est fini


Pontet-Canet est un de ces châteaux où les pièces de réception sont au premier étage sur entresol, à la manière des hôtels particuliers parisiens. Quand il contemple sa mer de vignes, Alfred Tesseron ne peut s’empêcher de vous faire remarquer que, de là, on voit la Gironde. Il a fait percer une trouée dans les arbres au bout de la propriété parce que « les grands châteaux voient tous l’estuaire puisque les meilleurs terroirs occupent une bande de terre d’à peine six kilomètres de large le long du fleuve ». Même si c’est un peu exagéré, c’est très beau. Tous les grands châteaux du Médoc sont très beaux, d’ailleurs. Leurs propriétaires ne rechignent pas à les entretenir, ils ne lésinent pas sur les moyens. Mais à Pontet-Canet, c’est autre chose.
Nous sommes en 2004. Alfred Tesseron a compris que l’avenir de son vin passait par l’excellence. Que, s’il voulait franchir encore des seuils de qualité, il fallait inventer quelque chose. Avec la complicité de son régisseur, l'excellent Jean-Michel Comme, il a décidé de faire un grand pas… en arrière. De rendre à ses sols leur virginité d’antan, d’en finir avec les pesticides, les engrais, les insecticides et toute cette modernité chimique qui rend les sols durs comme du béton, morts, vitrifiés. Ils se sont inspirés des pratiques de Jean-Michel Comme dans sa propriété personnelle de Sainte-Foy, le château Le Champ des Treilles, une sorte de laboratoire de la biodynamie pour Pontet-Canet.
Comme par hasard, le millésime 2004 fut unanimement salué par les dégustateurs anglo-saxons et français. Certains n’ont pas hésité à dire que pontet-canet 2004 était le meilleur pauillac du millésime. Dans une appellation qui compte trois premiers crus classés (latour, lafite et mouton), le compliment n’était pas mince. Les trois millésimes qui suivirent ont confirmé l’intérêt de la biodynamie, avec une bonne amélioration des vins à la clef. Même 2007, millésime difficile, s’est très bien passé.
Pour aller au bout de cette histoire, Alfred Tesseron et Jean-Michel Comme ont décidé il y a peu d’acquérir de magnifiques chevaux de trait bretons pour le travail dans les vignes. Pour faire joli ? Non, pour éviter de tasser la terre entre les rangs. En effet, les machines modernes sont de plus en plus lourdes et la terre médocaine les supporte de plus en plus mal. Mais la culture du cheval de labeur s’est perdue en France. Il a fallu tout réinventer à commencer par les harnachements en cuir. Les premiers, achetés avec les chevaux, n’avaient pas duré deux jours. Les deux compères eurent alors l’idée lumineuse d’aller voir chez les Amish aux États-Unis, les derniers au monde qui travaillent la terre avec des chevaux. Puis, ils se penchèrent sur l’outil que le cheval devait tracter. Pour des vignes plantées en rangs serrés (un mètre), ils ont inventé une sorte de sulky enjambeur équipé d’un soc de charrue (et d’un panneau solaire pour les besoins électriques imposés par la réglementation). Ce qui rend le travail moins difficile pour l’homme qui mène le cheval. Naturellement, dans les prestigieux châteaux alentour, on se gaussait de ces efforts jugés passéistes. Pourtant, en peu d’années, le pontet-canet a gagné à la fois en profondeur et en précision et tout le monde (du vin) le dit. Le guide Bettane & Desseauve parle de « la beauté de texture et de saveur des derniers millésimes, vraiment impressionnante… Pontet-canet n’a jamais été aussi bon ». En fait, il est clair que ce vin signe tout simplement la plus belle progression qualitative de tout le Médoc. Du coup, alerte rouge, on se met à réfléchir dans le vignoble et Alfred Tesseron nous a avoué qu’il ne se passait pas de semaine sans que des représentants des beaux domaines du Médoc ou du Libournais ne viennent lui rendre visite, pour essayer de comprendre et d’évaluer la possibilité d’en faire autant. Jusqu’ici, si l’intérêt est vif, personne n’a encore bougé et Alfred Tesseron regrette de ne pas trouver à qui parler. « Je me sens seul », dit-il. Il voudrait que ses pairs se lancent dans l’aventure de la biodynamie à leur tour pour être en mesure d’échanger des expériences, pour pouvoir avancer à plusieurs.
En France, la biodynamie est une pratique culturale (et uniquement) assez peu répandue et dont les résultats sont très divers. Du meilleur au pire. Pour le meilleur, retenons seulement quelques noms de domaines très prestigieux, la Romanée-Conti, Lalou Bize-Leroy, Anne-Claude Leflaive, Drouhin. Les meilleurs de la Bourgogne, pas moins, et Chapoutier dans le Rhône nord, ou Huet à Vouvray, rejoints par Tesseron le Bordelais, grand du Médoc. Et dire qu’ils ne se connaissent même pas. Sauf Jean-Michel Deiss, l'Alsacien, son copain.

La photo : l'un des chevaux de Pontet-Canet, photographié par Mathieu Garçon.

18 commentaires:

  1. Sur Facebook, très intéressant commentaire de Catherine Leconte des Floris, vigneronne émérite à Pézenas, qui dit ceci : "Au-delà des bienfaits de la biodynamiesur la terre et le produit, je suis sûre que le plaisir de s'engager dans ces pratiques a une incidence sur la qualité du vin." Moi aussi, c'est le délicieux syndrome de la bienveillance qui agit en boomerang. Bien vu, Catherine.

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  2. Mine de rien, je serai le cheval, je ne serai pas content.

    "Mais qu'ai-je fait à Mathieu pour qu'il me prenne sous cet angle qui me rend court sur pattes avec une tête répudiant toute la finesse de mes géniteurs ?"

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  3. Très bel article qui nous rappelle à quel point les mentalités peuvent être longues à évoluer...

    A ce sujet, on peut lire les excellentes "Cartes Blanches" de JM Comme qui décrit au jour le jour ses progrès et ses questionnements. http://lapassionduvin.com/phorum/read.php?37,318982

    Également quelques photos du domaine sur mon blog-du-dimanche : http://la-terre-vue-du-vin.blogspot.com/2008/09/visite-de-grands-domaines-2-chteau_10.html

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  4. @François : je suis bien d'accord, c'est le côté tueur de mythes de Mathieu.
    @la terre vue du vin : le plus simple est sûrement d'aller faire un tour sur le blog de Corinne Comme, référencé dans la colonne de droite de votre blog préféré.

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  5. @François : plus je regarde cette photo, plus je trouve le concept un peu exagéré. Un cheval transformé en teckel, bon, mais en teckel de labour…

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  6. "Naturellement, dans les prestigieux châteaux alentour, on se gaussait de ces efforts jugés passéistes.(...) Du coup, alerte rouge, on se met à réfléchir dans le vignoble et Alfred Tesseron nous a avoué qu’il ne se passait pas de semaine sans que des représentants des beaux domaines du Médoc ou du Libournais ne viennent lui rendre visite, pour essayer de comprendre et d’évaluer la possibilité d’en faire autant" Ah qu'ils se sont bien trouvés ces deux là: Alfred Tesseron et Jean Michel Comme!
    Dans la plupart des grands progrès l'origine se trouve dans une rencontre, une communion entre deux personnes aux préoccupations et aux motivations identiques...
    De toute façon le vin est avant tout une rencontre.
    Par contre que les autres veuillent copier, imiter, c'est de bonne guerre, mais le terroir de Pontet Canet à pris quelques années d'avance.

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  7. Joli billet, Nicolas. Rémy Fauchey, à Château L'inclassable, en Médoc, s'efforce de travailler proprement également. Comme je l'ai constaté cette semaine, il n'a cesse de marteler "respect du sol et du terroir ; expression du fruit ; égard en vers la nature". Il est d'ailleurs sorti de l'appellation "Cru Bourgeois" à cause de cette démarche économique et non qualitative. Ses vins respirent, sont amples, gourmands et d'une certaine complexité, déjà dans leur jeunesse, avec un bois bien intégré.

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  8. Oui, Fabrice, et l'inclassable sort bien dans les dégustations primeurs.

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  9. Merci pour ce très intéressant billet! Et bravo à tous ces vignerons qui s'intéressent à l'essence de leurs nectars, la terre!
    Cependant je désire m'insurger contre votre titre! En effet, chaque dégustateur, chaque jour, tente de gagner en précision dans les termes utilisés, dans l'expression de ses ressentis. Alors comment est-ce possible d'usurper pareillement le mot CHIMIE?! Ce mot qui cristallise toutes les angoisses...
    Alors que la chimie c'est merveilleux, c'est vous, c'est nous, c'est tout, donc c'est aussi et surtout le vin! Rien ne peut exister sans réaction chimique. N'ayons pas peur de la chimie, jamais!!! Mais méfions-nous juste de l'utilisation outancière de la connaissance chimique, de son exploitation. En gardant en mémoire que si l'on se méfie à juste titre de certains traitements chimiques, personne n'a eu de couteau sous la gorge pour les utiliser à ce que je sache.
    Petite constatation, sans prise de position: ces capsules gorgées de phéromones utilisées pour la confusion sexuelle et tolérées dans l'agriculture biologique (biodynamie je ne sais pas?) ne sont-elles pas issues de l'industrie chimique???
    Ne soyons pas extrêmes et intolérants pour lutter contre les abus que nous décrions!
    Et vive les hommes de la terre qui la vénèrent!!!

    Nicolas Jeckelmann

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  10. Serait ce la faute à un quelconque procédé chimique que ce brave animal ait une si mauvais mine !

    Claude

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  11. En vérité, cher Claude, cette pauvre bête n'aime pas les photographes et voilà tout.

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  12. Nicolas, n'oubliez pas Fonroque, à Saint Emilion; Alain Moueix vaut le détour, car sa biodynamie à lui est très pragmatique, et c'est un type attachant.

    http://hlalau.skynetblogs.be/archive/2009/03/31/fonroque-grand-cru-biodynamique.html
    et
    http://www.chateaufonroque.com/

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  13. Bien sûr, Hervé. Je n'ai pas la chance de le connaître, mais le buzz lui est très favorable.

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  14. La photo, j'adore! Cheval de Sancho Pança ou chevaux de Rousseau, à étique dans le dico : "les chevaux étiques expiraient sous les coups" ?
    Il bouge le coeur, il est de la bd, de la poésie,déjà du vin...

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  15. Un tres bel article... bravo!

    Je suis toujours heureux que l'on parle de la terre et de son respect.
    Ce qui me surprend, c'est que l'on a l'impression de découvrir la biodynamie et le travail au cheval. Il y a des "maîtres" et des "leaders" en la matiere en france et depuis fort longtemps.
    L'article donne l'impression d'un achat kit cheval clef en main.
    Aller chercher du matos chez les amish... étrange...
    Ceci dit, j'ai participé aux primeurs 2010 à Pontet canet et j'ai adoré le vin et la philosophie du lieu.
    Un immense coup de coeur pour les Cognacs tesseron aussi.
    En tout cas, merci pour l article même si il est un peu "naïf" sur le sujet.

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  16. Ce qu'il faut surtout retenir, Dies Irae, c'est qu'il est le premier propriétaire de crus classé 1855 à être passé en biodynamie. Que ceci vous paraisse naïf, tant pis pour moi.

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  17. Oui cest vrai. Vous avez raison. C est une grande avancée.
    ce sera plus une interogation qu'une affirmation mais pourquoi le monde de Bordeaux vit dans un vase clos. C'est cette sensation de découverte du Bio et de son potentiel gustatif et spirituel qui me dérange.
    Finalement, je crois que l article n'est pas en cause (apres lecture et relecture), c'est les bordelais qui sont naif. Et dieu sait que leurs vins m'ont donnés beaucoup d'émotion. Il y a du gachis dans tout ca.
    Désolé pour cette aigreur. Vous n'en etes pas la cause.
    En esperant d'autres articles tout aussi sympa.

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  18. Ce serait tellement bien que le phénomène se propage à Bordeaux. On n'en est plus aux savants fous des années 70 / 80, de nombreux vignerons ont fait leurs preuves en la matière : une grande partie du terroir bourguignon, et des "stars" comme Lapierre, Casteix, Richaud, Josse et bien d'autres, dans toutes les régions. Bordeaux est complètement à la traîne des autres régions en la matière, alors qu'ils ont eux aussi tout à y gagner en termes non seulement de vin, mais surtout de santé publique et de durabilité des terres.

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