Premier exemple (qui commence mal pourtant)
C’est un de ces ratages dont la France compte trop
d’exemples. Un urbanisme de misère, pas vieux, déjà mort, bien coincé entre
rocades, centres commerciaux, éléphants bleus, éoliennes, centrales atomiques.
Cette triste plaine déroule ses gâchis de Valence à Tain-L’Hermitage ou presque, c’est
sinistre.
C’est pourtant là, du gros fleuve aux contreforts du
Vercors, qu’une appellation aligne les succès, volume et valeur, plus de huit
millions de cols bien vendus. Une appellation qui, avec sa sœur d’en face
(saint-joseph), est celle qui a connu la plus belle progression en 2015. C’est crozes-hermitage et ça va bien. Sans ce succès, il y a de fortes chances pour que
l’appellation disparaisse au bénéfice du mitage organisé, pas de valorisation
des vignes et hop, c’est vendu à un promoteur et l’appellation
se dissout dans le pavillonnaire, il y a une logique.
Crozes-hermitage, c’est une production importante de vins
consensuels assez pour rencontrer un public de plus en plus vaste, Parisiens
adeptes de la « bistronomie » en tête de cortège, comme toujours, ceux-là
même qui ont fait (et défait) la gloire du bouzy, du riesling, des loires, du
beaujolais, du « nature ». En plus, les syrahs du quartier vieillissent
bien. Et dans crozes-hermitage, il y a hermitage qui tire toujours un soupir de
ravissement aux connaisseurs. Et plus d’un millier de vignerons dont un bon
tiers portent son raisin à la cave de Tain-L’Hermitage, une coopérative parmi
les meilleures de France. Et quelques vignerons au top – comprendre qu’on
connaît leurs noms. C’est Yann Chave,
l’un d’entre eux (aucun lien de parenté avec Jean-Louis Chave, l’idole de
l’Hermitage) qui les nomme : « Laurent
Combier, Domaine du Colombier, Alain Graillot, Domaine des Entrefaux, Domaine
des Bruyères, François Tardy, Gilles Robin. Et les grandes maisons, bien sûr.
Jaboulet, Ferraton, Delas, qui font beaucoup de bien à nos affaires communes. »
Il oublie juste de se citer lui-même, tout en précisant à raison : « Cette notoriété est un puissant
facteur de reconnaissance pour l’appellation. » Dans la catégorie
émergente, nous avons rencontré deux inconnus avec infiniment de plaisir. Le domaine Melody, il s’appelle comme ça à
cause des pêchers Melody arrachés pour construire la cave. Un jeune couple qui
fait très bien. Et l’étonnant Gaylord
Machon et ses productions auto-psychanalytiques. Son blanc s’appelle
« La fille dont j’ai rêvé » parce qu’il n’a eu que des garçons
(qu’alliez-vous croire ?). Crozes-hermitage, l’appellation, a même de la
place pour des vignerons créatifs, c’est dire la réussite.
Deuxième exemple (qui
commence mal aussi)
C’est une drôle d’histoire comme on voudrait bien ne plus
jamais en voir. Des vignerons, conscients de leur besoin et de leur singularité
obtiennent une appellation contrôlée intitulée coteaux-du-tricastin. C’est alors qu’une centrale nucléaire trouve
judicieux de prendre le même nom, Tricastin. Des démarches sont entreprises par
le président de l’appellation. On lui fait comprendre qu’il n’est pas question
que la centrale change de nom au motif que c’est mauvais pour l’image de
l’appellation. « Admettre le
changement de nom, c’était admettre qu’il y avait un problème d’image avec le
nucléaire » lâche, pensif, un important vigneron de l’appellation,
Jean-Luc Monteillet au Domaine de Montine. Cette fin de non-recevoir d’Areva s’assortit
d’une enveloppe sur le montant de laquelle les vignerons sont d’une sobriété
inattendue, nous n’en saurons pas plus. Cette largesse de madame Lauvergeon se
présente comme une aide à la communication pour la nouvelle appellation sortie
des entrailles de l’INAO en deux ans à peine, un record. Avec rétroactivité sur
un millésime, en plus.
Ce sera Grignan-les-Adhémar,
contraction des noms des villages qui bornent l’aire d’appellation, Grignan et
La Garde-Adhémar. Bien sûr, tous les habitués du malheur prédisent le pire avec
un nom aussi difficile à prononcer-retenir, un nom à coucher dehors autant
dire.
Et tout finit bien (ouf)
Et puis, peu d’années ont passé et le silence se fait, on ne les entend
plus. Ça marche très fort, l’appellation toute neuve, voilà pourquoi. Les
marchés approuvent cette appellation au nom poétique, provençal, historique.
Et, là comme ailleurs, un doux mélange de production tenue et de recherches
tout azimut se mettent en place. Si les domaines de Montine et de Grangeneuve
(celui de Henri Bour, président héroïque de l’appellation pendant 18 ans)
représentent une grosse part de l’appellation avec une production diversifiée
et une qualité irréprochable, il y en a de plus petits, mais largement aussi
passionnants. Nous en avons visité deux. Du premier, Bonetto-Fabrol, nous avons failli ne
jamais repartir, nous étions au paradis. Une sorte de zéro faute sidérant. Un
domaine créé il y a quatre générations par un aïeul venu du Piémont si voisin,
un vignoble qui n’a jamais été traité par quiconque, une sorte de viticulture bio originelle, comme dans un rêve d'écolo.
Pas de voisin, une grande biodiversité, pas une habitation à la ronde, à vue. La
maison orientée plein sud derrière son gros platane. Une Provence de campagne
follement belle sous un pâle soleil d’hiver. Très convaincant, Philippe Fabrol
et ses vins ne contredisent pas cet environnement rare. Le second, c’est le domaine Rozel codirigé
par le fils de la famille, Matthieu. Il revendique le titre de plus ancienne
famille vigneronne de la région. 1464, presque six siècles. Président des
Jeunes Vignerons Indépendants, il nourrit de l’ambition pour son appellation,
son développement. Tout passera par une prise de conscience exigeante de
l’environnement, il en est persuadé et comment lui donner tort ? Il vient de remplacer Henri Bour qui, pour la quatrième fois, ne se
représente pas, mais cette fois, il ne veut plus.
La génération montante serait donc appelée aux commandes pour confirmer le succès et accompagner la deuxième vie des vignerons de l’appellation, le deuxième étage de la fusée, celle dans laquelle des gens ont compris que le coût élevé du travail en France doit s’assortir d’une qualité inégalée. Tiens, c’est une piste pour tout le reste, ça.
La génération montante serait donc appelée aux commandes pour confirmer le succès et accompagner la deuxième vie des vignerons de l’appellation, le deuxième étage de la fusée, celle dans laquelle des gens ont compris que le coût élevé du travail en France doit s’assortir d’une qualité inégalée. Tiens, c’est une piste pour tout le reste, ça.
Cet article a été publié sous une forme et sous un titre différents
dans le numéro 3 de ENMAGNUM.
Le numéro 4 est en vente chez votre marchand de journaux
depuis quelques jours, ne le ratez pas, le voilà :
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