Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 5 mars 2013

Le joli come-back de Lanson


Philippe Baijot

Les marques, c’est comme les gens. Quand elles sont maltraitées, elles rentrent dans leurs coquilles, se renfrognent. De désespoir, elles ne font plus attention à rien, elles sortent dans la rue en cheveux et les enfants cruels leur lancent des cailloux. Les marques sont fragiles et leur puissance, revendiquée parfois avec beaucoup d’arrogance, est mal assurée. Elles peuvent très facilement avoir connu les sommets, les trompettes de la renommée, les yeux doux des jolies filles et, sur un faux pas, sombrer dans un marigot d’où plus rien de bon ne sort.
Ainsi de Lanson.
Il aura fallu 250 ans pour faire le trajet sommet-marigot et retour. Inscrite au panthéon des belles maisons de Champagne pendant des lustres, il a suffi d’une parenthèse assez courte dans l’histoire de la maison pour faire plonger l’image. Mais pas la notoriété. Lanson = champagne est une vérité tangible. Ce constat a poussé un beau jour Philippe Baijot à reprendre la maison.
C’est qui, ce monsieur ?
Un homme de Champagne. Cavalier, marin et bon vivant. Un type en pleine forme qui a le mérite immense de n’avoir pas sa langue dans sa poche. Sauf dans les interviews, bien sûr. Mais, en off, l’homme est drôle et incisif. Il est tonique. Ce qui tombe plutôt bien si l’on considère la sorte d’Himalaya qui se dresse devant lui à l’heure où il décide de relancer Lanson. Le constat est assez sévère ; la tâche, immense.

(Naturellement, ami lecteur, tu te demandes pourquoi. Pour te faire une réponse intelligible, il faut faire un petit détour. Allons-y.)

Une maison de Champagne, ce sont des vignes (jamais assez) et des livreurs de raisins. C’est-à-dire des contrats passés avec des vignerons indépendants qui garantissent l’approvisionnement en matière première de la maison qui assure la vinification et le commerce du champagne. Un système vertueux en Champagne (depuis déjà longtemps et après bien des bagarres) qui assure la prospérité de tous. Une maison de Champagne est astreinte à un certain nombre de règles fixées pour l’essentiel par l’appellation. Respecter ces règles est le seul moyen d’obtenir l’agrément de l’appellation. Par exemple, le champagne n’est autorisé à la vente qu’après quinze mois de conservation en cave pour un brut sans année et trois ans pour un millésimé. Mais comme le secret n°1 du bon champagne est le vieillissement, la plupart des grandes maisons, dont Lanson, soucieuses de la qualité de leurs produits allongent ces délais jusqu’à trois ans pour un brut et cinq ans ou plus pour un millésimé. Tous les chefs de caves vous le diront, arqueboutés qu’ils sont sur leurs trésors, répugnant à les livrer aux équipes commerciales, les laissant toujours partir à regret.
Bref, c’est le patron d’une maison qui fait le vin, à la fin. S’il exige du chef de caves de mettre les vins sur le marché au bout des quinze mois réglementaires, le chef de caves ne peut que se soumettre ou se démettre. Peu se démettent pour d’évidentes raisons. Un patron de maison, lui, a toujours mille bonnes raisons (le coût des stocks, la sécurisation des parts de marché, la nouvelle Audi, etc.) pour justifier de mettre les vins trop tôt dans les flûtes des consommateurs.
Sauf que.

Jean-Paul Gandon


Tout au long de la chaîne qui va du commentateur au consommateur, le désamour opère vite. Un champagne trop jeune, ce n’est pas bon, pas assez, trop de verdeur, d'acidité. De commentaires disgracieux en silences assourdissants, d’aigreurs d’estomac en changements d’habitudes, une marque a vite fait de s’estomper, le consommateur est volage. On l’a compris, c’est le propriétaire qui décide. On a vu certaines très grandes maisons historiques connaître des éclipses inquiétantes et se redresser à la faveur d’un changement d’actionnariat. La grande chance de Lanson dans son malheur tient à deux facteurs. Un, des stocks de vieux millésimes assez conséquents et deux, un chef de cave qui a traversé toutes les époques, impavide. Au creux de la vague, il veillait autant que faire se peut sur la qualité des stocks. Cet homme est en poste depuis 25 ans, c’est Jean-Paul Gandon. Discret à la limite du taiseux, il devient prolixe voire pédagogue dès qu’on aborde ses sujets favoris, dont la fermentation malolactique qu’il ne pratique pas. Ce choix de vinification, très peu partagé par ses confrères champenois, permet de conserver les qualités du fruit et des acidités élevées, gages d’un potentiel de vieillissement plus important. C’est aussi la garantie d’avoir des vins puissants, mordants, tranchants, vifs et vineux. Gandon est un homme avec des convictions, il y tient et n’en bouge pas. Bien maîtrisées, ce sont des qualités et il impose ce qu'on appelle un style.
Si l’on ajoute dans la corbeille les quelques hectares de vignes bien situées, Lanson dispose de beaux atouts pour un éblouissant come-back.
Ce n’est pas si simple. Pour remonter l’image de la marque, il faut du temps et des efforts énormes. Philippe Baijot a commencé tout de suite.
Premier geste, s’appuyer sur les fondamentaux de Lanson pour relancer la conversation (en marketing, on dit reprendre la parole). C’est une nouvelle gamme, intermédiaire, qui sera le fer de lance du renouveau. Ornée de la croix de Malte des premières heures de la maison, cette gamme dite Extra-âge se décline sur trois bouteilles, un brut, un rosé, un blanc de blancs.
Deuxième idée forte, la mise sur le marché d’une collection de douze vieux millésimes de 1976 à 1997. En magnums. Bien sûr, c’est tellement mieux. Si ces grandes bouteilles ne sont pas données, elles ne sont pas exagérément chères pour la qualité et la rareté de ces vins.
Troisième piste de progrès, le Clos Lanson. Un hectare de chardonnay dans l’enceinte de la maison, au cœur de Reims. Une viticulture aux ciseaux à ongles et déjà quelques millésimes qui attendent tranquillement leur heure. Baijot et Gandon prennent des airs de conspirateurs pour en parler. À l’évidence, ils attendent beaucoup de ce blanc de blancs en devenir. Mais, patience, on ne verra rien, on ne goûtera rien avant un long moment.
Tout ceci, c’est la partie émergée, amusante, glamour en somme, de l’énorme iceberg. Oui, une maison de Champagne c’est aussi :
- un marché mondial qui implique la présence de ses dirigeants autant que possible. Lanson est la deuxième marque de champagnes en Grande-Bretagne, qui est le premier marché du champagne. En tout, Lanson exporte 76 % de ses cinq millions de cols par an. Il faut les emmener sur place en les tenant par la main.
- Des stocks énormes, cauchemar des directeurs financiers et des banquiers. Chez Lanson, vingt millions de bouteilles dorment dans un labyrinthe de caves souterraines de sept kilomètres.
- Un éclatement des lieux de production à travers la Champagne. Pas moins de cinq pressoirs au plus près des vignobles, au cœur des crus. Et une cuverie capable de contenir 100 000 hectolitres. De grosses immobilisations, quoi.
Bref, une maison de Champagne est une machine extra-large qui fait l’objet de multiples contraintes réglementaires et qui n’est pas délocalisable. Alors qu’est-ce qui peut bien pousser Philippe Baijot à continuer ? D’abord, c’est un métier, un beau métier et c’est le sien. Puis, il y a le reste, du domaine des conjectures, des symboles. Le champagne est une production emblématique d’un art de vivre, de traditions séculaires, d’un savoir-faire sans équivalent. Toutes choses qui peuvent être autant de motivations très fortes pour quiconque est ému par ces valeurs. Il m’a semblé que c’était le cas de Philippe Baijot. Qu’on y ajoute un goût irrépressible pour les gens qui font, qui imaginent, qui rêvent et là, il devient très sympathique. Saluons au passage l’engagement de la  maison Lanson aux côtés de l’estimable Alain Thébault, concepteur et porteur du parfaitement génial projet de L’Hydroptère depuis plus de vingt ans. Pour ceux qui viennent de passer ces vingt années au cachot, L’Hydroptère est le voilier le plus rapide du monde et Alain Thébault est un héros. Mais nous n'avons pas tous les mêmes people.

C'est ça, L'Hydroptère. Un voilier qui vole.


Les photos : sont signées Mathieu Garçon, sauf celle de L'Hydroptère (A.Pilpre, Sea & Co)

1 commentaire:

  1. la renaissance d'une bien jolie Maison, ça fait plaisir à voir.
    Claire

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