Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



mardi 15 mai 2012

Le bio expliqué à ceux qui viennent d’arriver


Ce qu’il se passe dans nos épiceries mérite d’être qualifié de révolution douce. On ne veut plus avaler n’importe quelle couleuvre ni n’importe quel pesticide. Dans nos campagnes, puis dans nos villes, il est question de cultiver propre pour manger mieux. S’agissant de progression à deux chiffres, l’industrie agro-alimentaire s’en mêle et « démocratise » le phénomène. Le monde du vin n’est pas absent de ce bouleversement des habitudes. Aujourd’hui, c’est devenu une nécessité et il est bien vu par le négoce pinardier d’être bio, celui-ci se faisant l’avocat du public – une fois n’est pas coutume.
Bio. Un étendard qui s’accommode parfaitement du désir de décalage, sinon de rébellion, qui n’a jamais quitté l’esprit, sinon l’âme, de cette population que la presse qualifie aujourd’hui de « bobo », version urbaine et modernisée du « baba ». On veut manger sain, on veut boire propre. Et on veut qu’on nous le certifie.

Quoi et qui
Bien sûr, dans le vignoble, le mouvement se fait assez progressif. Déjà, il faut trois ans de culture en bio pour obtenir une certification (AB, par exemple). Et il y a le doute qui pousse le viticulteur à remettre à plus tard l’application de pratiques culturales qui le dépassent parfois. C’est en général le fait de la nouvelle génération, celle qui reprend les rênes du vignoble familial ou celle qui opère un retour à la terre. Rares sont les vignerons installés de longue date qui se déclarent partisans du bio, mais il y en a. Éloi Dürrbach à Trévallon, en Provence est un de ceux-là. Rares aussi les grands propriétaires terriens qui ont inscrit la conversion bio au premier rang de leurs préoccupations. Le groupe Advini, présent presque partout en France, fait figure d’exception, avec ses 1 500 hectares de vignes déjà cultivés en bio pour moitié et en conversion pour l’autre moitié. De même, très peu nombreux sont les propriétaires de châteaux prestigieux qui ont osé la démarche. Alfred Tesseron, au Château Pontet-Canet a converti son cru classé de Pauillac, Xavier Planty pour Guiraud, son cru classé de Sauternes a fait de même, on pourrait citer aussi Alain Moueix et Fonroque à Saint-Émilion ou la famille Techer et son Gombaude-Guillot à Pomerol. D’autres étudient la question ou songent à se la poser et, au bout du compte, ils ne sont pas nombreux, moins de 10 % des exploitations, mais avec une belle progression annuelle.
Cet attentisme provoque l’apparition de chapelles. Les pour et les contre, comme souvent. L’idéologie s’en empare jusqu’à la caricature. Ceux qui freinent des quatre fers ont imaginé une étape intermédiaire, la culture dite raisonnée, qui limite le nombre de traitements. Ricanements des tenants du bio au motif qu’ « on est bio ou on ne l’est pas ».

La confusion avec le vin nature
Jusqu’au très récent changement de la réglementation européenne, le label « bio » ne certifiait que le travail fait dans les vignes. Ainsi, un vigneron pouvait parfaitement être exemplaire dans la conduite de sa vigne et très « chimique » dans le travail de vinification. Cela dit, ce n’est pas l’esprit qui prévaut dans la plupart des domaines bio. Puisqu’on se décide à faire un geste à caractère écologique, on pousse le concept jusqu’au chai et on travaille proprement en vinification, sans manipulation chimique. L’étape d’après est la suppression du soufre dans les cuves, dans les barriques, dans les bouteilles. Et là, ça se complique. Le soufre stabilise le jus de raisin fermenté en l’empêchant de tourner vinaigre. Ne pas en ajouter, un peu, le moins possible, est une gageure dont se sortent très peu de vignerons adeptes de cette vinification dite « nature ». Dans beaucoup trop de cas, le vin ainsi maltraité présente des déviances aromatiques désagréables, parfois maquillées sous l’étiquette « goût de terroir ». L’écologie a bon dos. Comme le précise le spécialiste Bruno Quenioux : « Cela ressort de l’expérimentation et doit rester au labo. » De l’autre bord, on avance qu’il n’y a pas plus de mauvais vins « nature » que de mauvais vins « conventionnels ». Un débat sans fin. D’autant plus qu’aujourd’hui, le label « vin bio » introduit un risque de confusion entre vin issu de raisins cultivés biologiquement et vin « nature », ce qui provoque la colère des uns comme des autres.

C’est meilleur, le vin bio ?
Au-delà de l’indispensable préservation de l’environnement que personne ne songe à remettre en cause, la bonne question concerne le goût du vin. La viticulture biologique profite-t-elle au vin ? Un dégustateur émérite comme Michel Bettane trouve qu’elle favorise la profondeur dans le vin et rappelle opportunément que la qualité du travail au chai est fondamentale pour extraire le meilleur de cette démarche. D’autres professionnels du goût parlent d’une meilleure expression du fruit et d’autres encore, d’une amélioration de la fraîcheur des vins. Il semble que si ça ne fait pas de bien, ça ne fasse pas de mal. Et devant le caractère inéluctable de cette conversion vers plus de propreté dans toutes les formes d’agriculture, on peut penser qu’il est temps maintenant d’adapter les méthodes de vinification. En attendant, voici les mots de la nouvelle réglementation.

Bruxelles dans le texte
« Il y a lieu d’exclure de la production de vin biologique les pratiques et procédés œnologiques susceptibles d’induire en erreur sur la véritable nature des produits biologiques. Cela vaut pour la concentration par le froid, la désalcoolisation, l’élimination de l’anhydride sulfureux par des procédés physiques, l’électrodialyse et l’utilisation d’échangeurs de cations, ces pratiques œnologiques modifiant en effet de manière considérable la composition du produit, au point de pouvoir induire en erreur sur la véritable nature du vin biologique. »
« Le recours aux pratiques, procédés et traitements œnologiques mentionnés ci-après est autorisé dans les conditions suivantes : en ce qui concerne les traitements thermiques (…), la température ne dépasse pas 70 °C ; en ce qui concerne la centrifugation et la filtration avec ou sans adjuvant de filtration inerte (…), la taille des pores n’est pas inférieure à 0,2 micromètre. »
« La mise en œuvre des pratiques, procédés et traitements œnologiques suivants est réexaminée par la Commission avant le 1er août 2015 dans la perspective de leur abandon progressif ou de leur limitation accrue : traitements thermiques (…), utilisation de résines échangeuses d’ions (…), osmose inverse. »



La photo : Alfred Tesseron et l'un de ses chevaux qui assurent la totalité du travail dans les vignes au château Pontet-Canet à Pauillac, l'un des très rares grands crus classés à être mené en biodynamie. Photo Mathieu Garçon. Et remerciements à Amélie Couture pour son aide. Ce texte a été publié sous une forme différente dans Le Journal du Dimanche du 13 mai.

8 commentaires:

  1. Bravo, bien résumé et didactique.
    En revanche, je ne comprends toujours pas pourquoi Bruxelles veut absolument créer une cassure entre des vins Bio ou des vins natures et les vins hors de ces référentiels quand on sait que bon nombre de ces procédés techniques ne nécessitent aucun ajout de produits chimiques, et ne sont pour certains que des traitements mécaniques ou thermiques pouvant permettre de diminuer considérablement l'ajout, par exemple, de soufre ou de colles. Il ne faut pas associer vins Bio et vins Natures à des techniques passéistes que l'on ne devrait pas faire évoluer. Si j'étais producteur de vin sans soufre et que la recherche découvre une technique physique sans adjuvant me permettant de m'en dispenser totalement tout en pouvant conserver mon expression arômatique, je serais le roi du monde. Or, là, on est en train de bloquer ces gens dans leurs pistes d'améliorations et je trouve cela vraiment regrettable.
    J'ai pratiqué la Cryoextraction sur Sauternes, qui est donc ici interdite, qu'on m'explique en quoi congeler pendant 24h des raisins triés pour ensuite les presser à froid pour pouvoir augmenter "naturellement" le degré potentiel des moûts avant fermentation, est une tromperie et un mensonge sur la capacité du terroir à donner de grands vins? Ou alors il ne faut plus maintenant que rentrer du raisin, voir ce qu'il est capable de faire seul et être fataliste sur les déviances qui ne tarderont pas à arriver.
    Bientôt, peut-être dans ce fameux cahier des charges, y aura-t-il écrit que seul le propriétaire ayant planté la vigne dont est issu le raisin est capable de réaliser les remontages durant la fermentation de la cuve concernée...

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    1. Ce que vous dites est très intéressant

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    2. Premièrement je pense qu'il faut cesser de taper sur Bruxelles, la charte a été décidée par des professionnels, certains "lobby" (et j'insiste sur les guillemets) ont marqué leur influence. Pour revenir sur ton commentaire, il est évident que le taux de sucre est un indicateur de la qualité des terroirs mais pas le meilleur et surtout insuffisant. Par contre tout vin bio ne doit pas être un grand vin. Ce qu'on lui demande c'est d'être du vin, cohérent, avec une réelle implication du producteur tant dans sa technique que dans son engagement personnel et son identité culturelle (la c'est le consommateur qui parle) et, OUI il est nécessaire que le bio reste un produit de producteur (ce qui n'empêche aucunement que les structures soient gérées par des techniciens), et ça la charte ne le stipule pas laissant la place libre aux gros faiseurs. Le bio ne doit pas être qu'une méthode de production parmi d'autre, c'est aussi un état d'esprit!!

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    3. Et comme à l'accoutumée certains sont meilleurs que d'autres pour prétendre codifier un état d'esprit

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    4. Ce n'est pas l'état d'esprit qui est codifié, mais ce qu'on donne à ingérer à la population. Ne confondons pas tout, s'il vous plaît.

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  2. Je rejoins les propos de Nicolas ,notamment sur la cryoextraction.
    Qu'en est-il de l'apport d'oxygène dissous dans le vin? si on ne peut pas amener des frigories au môut , pourquoi pourrait on amener de l'oxygène au vin.
    Je rajouterai qu'il est interdit de chauffer la vendange à + de 70°c et une thermo a 69°c est , elle , autorisee!!!!!!
    cette réglementation me parait douteuse à bien des égards .

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  3. Les chevaux n'assurent pas la totalité du travail dans les vignes de Pontet Canet. On est à environ 1/3 de la surface, ce qui est déjà pas mal.

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  4. A ma meilleure connaissance, la cryoextraction est autorisée à Sauternes à titre expérimental, comme un moyen de sélection [extraire le jus des raisins les plus noblement concentrés sans en augmenter le degré] et non pas comme un procédé de "concentration par le froid". Elle ne serait donc pas en contradiction avec le texte cité.

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