Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 23 juillet 2012

Michel Rolland et Jean-Claude Ellena,
dégustation à quatre mains


Après les échanges généraux sur les arômes et les saveurs, place à la dégustation, place aux travaux pratiques. Autour de trois vins de Michel Rolland dans trois millésimes. Deux pomerols, le sien et l'un de ceux de Catherine Péré-Vergé, et un toro, vin espagnol des bords du Duero. Bonne occasion pour se dire encore des tas de choses.

POMEROL, CHÂTEAU BON PASTEUR 2007


J.-C.E. : Evidemment avant de le boire, je sens le vin, je trouve là un peu d’épices, la vanille, un léger cuir, et le bois de chêne, ce sont les odeurs premières qui m’atteignent. On est sur un profil classique, c’est un vin qui offre des sensations qui me sont familières, confortables, qui me rassurent. On peut voyager ensemble pendant quelques heures. Par rapport à mes conceptions de parfumeur, nous sommes là dans un bon concerto, on va faire tranquillement du Rachmaninov.
M.R. : C’est un vin encore un peu jeune où subsistent en effet des notes vanillées, légèrement fumées, qui ne sont pas péjoratives, mais logiques à ce stade. Si, à ses débuts, un vin qui a grandi dans le bois neuf pendant son élaboration n’en a pas le goût, il faut faire un procès au tonnelier ! C’est nécessaire, parce que les vins n’atteignent une certaine complexité que par le passage dans le bois. On n’a jamais vu de grands vins rouges se priver de ce séjour. Il est là à son équilibre harmonieux et il ne faudra pas m’en vouloir si, comme je l’ai précisé, on ne peut plus le boire dans vingt ans !

Le vocabulaire des odeurs, des arômes, n’est-il pas trop étroit ?
Doit-il s’élargir ?
J.-C.E. :
C’est nécessaire. Pour aborder les odeurs, les parfums, il faut disposer de toutes les interprétations possible, avoir le discours le plus ouvert et ne pas l’enfermer dans un système. Les parfumeurs ont classé les parfums, avec par exemple des notes fleuries, boisées… C’est ennuyeux, ça ne parle à personne, sauf aux spécialistes qui se rassurent, je lutte contre ça. Le mot vert fait exception, il y a une relation directe entre les formes d’odeur de la famille végétale, sa couleur, et les images évoquées, mais c’est le seul moment où ça marche. Pour le reste, c’est la puissance de la métaphore qui s’exerce.

Et la dégustation à l’aveugle ?
M.R. :
Je ne suis pas un farouche défenseur de ce procédé, mais c’est cependant un moyen pour les professionnels de se recadrer. En effet, on ne peut pas échapper à ses propres tendances gustatives, qui entraînent dans des directions familières, donc je pratique ce procédé par vigilance.
J.-C.E. : En tant que professionnel, j’ai besoin de retrouver les repères de l’outil, mais il n’a rien à voir avec la partie créative qui prend sa source dans l’imaginaire. Ce sont deux mondes indépendants et je crois que, pour celui qui déguste, la seule chose qui compte c’est l’imaginaire. Avec les présentations de parfums à l’aveugle, on veut vous faire croire que vous êtes objectifs, c’est un vœu pieu. Vous dépendez de votre culture, de vos références imaginaires, du parfum que portait votre mère quand vous étiez enfant, donc l’objectivité n’existe pas.

TORO, CAMPO ELISEO 2004

M.R. :
Ce vin espagnol de la région de Toro naît sur les bords du Duero, qui devient au Portugal le Douro, celui des portos. C’est fait avec le cépage tempranillo, et seulement celui-là. Ce vin va vieillir, sa structure l’annonce, il est musclé, c’est sa nature.
J.-C.E. : Ca sent le soleil, le récit est plus court, on affirme nettement quelque chose, nous sommes presque dans l’ordre du slogan.
M.R. : C’est la définition de son terroir, un sol moins divers et complexe qu’à Pomerol, un climat continental ensoleillé. Mais ces vins font partie de la famille. Quoique plus simples, ils méritent d’exister. S’il y a créativité, elle est forcément plus limitée que sur les sols et les climats privilégiés capables de donner des vins complexes. Nous avons la chance en France, à l’exception du riesling que nous partageons avec l’Allemagne, d’avoir les plus grandes références : les meilleurs cabernet-sauvignon poussent à Pauillac, les meilleurs merlots sont à Pomerol, les meilleurs pinots et chardonnays sont en Bourgogne et les plus belles syrah s’épanouissent en Côte du Rhône septentrionale.

POMEROL, CHÂTEAU LE GAY 2009

M.R. :
C’est un vin jeune né sur l'un des immenses terroirs de Pomerol, dans un immense millésime.
J.-C.E. : Le discours s’allonge, c’est stendahlien ! On sent qu’il peut raconter encore beaucoup de choses. Dans cinq ans, il me dira autre chose, l’histoire se poursuit. Je ne suis pas œnologue, mais je sens ça. Par rapport à 2007, à la complexité claire, précise, voisine ici une complexité sous-jacente, bien détachée, les choses se recouvrent, ce vin contient des devinettes. Dans les colognes que je fais, je suis dans la matière pour la matière, l’odeur pour l’odeur, je suis allé au bout de l’histoire et la personne qui va les sentir va aimer ce caractère immédiat de l’olfaction. Dans les «Hermessences» qui paraissent simples, se rajoutent une chose et encore une autre, c’est une fausse simplicité, une épure complexe.

Nietzsche affirme que philosopher, c’est avoir du nez. Pensez-vous que vos démarches contiennent une vision du monde ?

M.R. : Quand on arrive dans son domaine à un niveau de recherche, un degré d’expérience étendus, cela oblige à avoir des considérations, des visions un peu différentes, des chemins s’ouvrent.
J.-C.E. : Je partage cette façon de voir. Dans le Journal du Parfumeur (3), ce que je ne pouvais pas exprimer par des parfums, je l’ai fait avec des mots. J’y ai exprimé une certaine vision du monde. Je suis un pessimiste heureux, je regarde le monde de manière lucide et malgré tout avec joie, pas celle d’un hurluberlu ou du « ravi » de la crèche provençale, mais avec légèreté. En introduction de «Terre d’Hermès», pour son lancement, j’avais «écrit» cette image : allongé sur le sol, les yeux dans les étoiles.


La photo : nos deux protagonistes, Jean-Claude Ellena et Michel Rolland, photographiés par Jean-Luc Barde.

Pour lire la première partie de cette conversation passionnante, cliquez ici

1 commentaire:

  1. Un bel échange, 2 pros avec des yeux d'enfants - c'est peut-être ça le secret : en tout cas, j'attend vivement la prochaine rencontre. Dans un mode plus business : Michel Reybier vs Bernard Laporte ?

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