Il aura suffi qu’un vigneron explique au reste du monde qu’il mettait un terme à une expérience de culture bio de plusieurs années pour déclencher une de ces paniques dont Facebook a le secret, mélange de mauvaise foi et d’outrance, pratique habituelle de la patrouille des bien-pensants. Et démonstration une énième fois, s’il en était besoin, des grandes difficultés de nos contemporains connectés à comprendre ce qu’ils lisent. Basile Tesseron a expliqué à mon excellente consœur Béatrice Delamotte, rédactrice en chef adjointe de la Revue du vin de France, qu’après des années de tentatives diverses, il mettait un terme à l’usage du cuivre, arguant que celui-ci mettrait des siècles à se dissoudre dans les sols, ce qui le dérange beaucoup. Bref, rien qu'on ne sache déjà. D’autres ont fait ce pas de côté avant lui, pas de quoi affoler la cour et la campagne.
Ben si.
Panique électronique
Le plus ennuyeux, c’est que la charge est menée par trois vignerons que j’aime beaucoup, autant que leurs vins respectifs, c’est dire. Des garçons intelligents avec des vraies convictions et toute ma considération depuis longtemps. Pour ne pas déclencher une nouvelle panique, je ne mentionnerai pas leurs noms. Il suffit de savoir que l’un est le roi du bordeaux sup’ de haut vol, le second est le king du bio très bon à Pomerol et le troisième, la nouvelle étoile qui brille dans le ciel de Saint-Émilion. Ceux qui savent, savent. Évidemment, leur notoriété et la qualité de leurs productions respectives agrègent autour de leur avis, une foule d’indignés en chewing-gum qui y vont tous de leur aigreur et n’ont pas de mots trop forts pour qualifier les propos de Basile. Je comprends bien que ces garçons défendent leurs convictions, mais Tesseron ne les attaquait pas et ce qu’il dit est mesuré, intelligent, lisible. On peut certainement en débattre, sûrement pas lâcher les chiens. Je connais Lafon-Rochet et Basile depuis plus de dix ans et je l’ai toujours vu se passionner pour plus de propreté dans ses pratiques culturales. Il a été l’un des premiers à acquérir des petits tracteurs légers, par exemple. Et l’exemple du domaine de son oncle Alfred (Pontet-Canet) n’était pas étranger à cet engagement. Il n’a jamais engagé une conversion en bio en termes administratifs, mais n’a jamais cessé de chercher à faire plus, à travailler mieux. Ceci sans alerter tout le monde, posture habituelle pour de nombreux autres. Aujourd’hui, ce qu’il décide est le fruit de dix ans d’expérience. Chacun jugera, l’idéal étant de juger en toute connaissance de cause, ce qui est très difficile évidemment.
« Fils à papa », comme tout le monde ou presque
Dans le vignoble, très peu nombreux sont ceux qui ne sont pas des héritiers. À part François Pinault, Régis Franc, Hervé Bizeul, quelques capitaines d’industrie ou du commerce, quelques audacieux (très peu) qui ont acquis leurs vignes, tous sont des « fils à papa », comprendre des gens qui ont hérité de leur père et, souvent aussi, de leur mère. En soi, traiter Basile de fils à papa est une erreur de jugement. Du coup, c’est toute la critique qui est démonétisée puisque, au fond, tout part de là. Allez, I love you, les gars.
Mise à jour importante :
Celui que je désigne comme le roi du bordeaux sup' (il faut bien dire qu'il produit des bêtes à concours) me précise dans l'oreillette qu'il est d'accord avec Basile, qu'il a publié un fac-similé de l'article de la RVF pour se joindre aux propos tenus, pas pour les dézinguer. En somme, son intention a été dévoyée par le fil de conversation, ce qui arrive souvent sur Facebook.
Pour que chacun se fasse son opinion, je reproduis ci-dessous l’article de la RVF qui contient les déclarations controversées de Basile Tesseron pour son château Lafon-Rochet. Quiconque sait lire dira comme moi qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat et ceux que le sujet intéresse pour de vrai, comme moi, adorerait lire un vrai débat sur le sujet. Dommage, il n’a pas eu lieu.
Pour lire mieux, cliquer sur l'image |
Assez d'accord avec vous! il est quand difficile de comprendre cela dans le titre...votre consoeur aurait pu faire moins "punch"
RépondreSupprimersi l'objectif était d'en parler, c'est réussi!
si l'objectif était d'expliquer pourquoi, c'est loupé!
Vous avez sans doute raison
SupprimerTrouver sa voie est compliqué, reconnaître son chemin, tenter de l’atteindre en fonction de la vie que l’on traverse est souvent impossible.
RépondreSupprimerCroire que cela est facile est une utopie. Imaginer qu’il suffit de décider et de vouloir pour y arriver en est une autre.
Au milieu de tout cela toi tu es là. Petit homme au milieu d’autres, toi à qui on a donné des responsabilités de successions parce qu’avant toi il y avait quelqu’un d’autre, peut-être même ton père, le père de ton père ou de lointains ancêtres en train de te regarder du haut de leur nuages pour vérifier que de tes actes continue de briller la renommée familiale. Mais assailli de toute part, secoué par des millésimes de plus en plus chaotiques on t’explique, sans pour autant bien cerner les contraintes de ton travail, ce que tu dois faire. Ce que tu devrais on s’en moque, on sait pour toi, on devine que si tu as mordu la poussière c’est de ta faute, ton manque de professionnalisme, ton absence d’empathie pour tes ceps.
L’axe est donné, la direction est certaine, on frappe et tu te tais. D’arguments entendables de toute manière il n’y a plus, alors on se focalise sur des cibles ou des indicateurs pas toujours pertinents, ici le glyphosate en oubliant qu’une majorité de ses résidus toxiques viennent de la vie même de ceux qui le dénoncent, là le cuivre peut-être bientôt interdit en le décrivant comme une arme de destruction massive alors que non aux doses utilisées ce n’est plus cela, ce même cuivre dont on dit qu’il est naturel alors que pour faire du sulfate il faut bien une phase de synthèse utilisant le l’acide sulfurique. De la définition d’un pesticide on se moque, de sa quantité d’utilisation en fonction de son classement toxicologique et des indicateurs qui en découlent encore plus, on mélange, on amalgame, les coûts de production on s’en moque, l’agriculteur peut bien revenir au tout manuel, il embauchera, cela fera de beaux moments humains et sociaux voilà tout. Alors comment fera-t-il ce viticulteur pour ne pas répercuter cela sur ses bouteilles ? Qui demande les baisses des prix ? Qui pousse à un développement de la grande distribution ? Qui est à l’origine de ce qu’il se passe ? Nous. Vous. Moi. Mais pas les autres...
Alors on déferle sa haine, alors on vomit ses convictions et tant pis si après on va s’en griller une sur le balcon en jurant après ceux qui nous font boire des CMR dans nos litrons de rouges.
Oui je crois en effet qu’il n’existe pas encore de modèle cultural qui soit suffisamment développé pour être présenté comme LA solution actuelle à une production nationale de vins totalement indemnes de tout impact écologique dans un vignoble structuré comme nous l’avons aujourd’hui. La contrainte de dimension, de réactivité, de capacité à s’adapter à une nouvelle génération de produits phytosanitaires par la masse salariale et l’investissement économique que cela nécessite confronté à cette disparition de main d’œuvre en France font que cela ne peut se faire en un claquement de doigts. Et même si le tribunal populaire des Facebookiens le souhaite. Alors forcément l’été indien efface tout et l’on ne comprend pas les pertes de rendements et la réalité du terrain qui montre clairement les limites des systèmes culturaux proposés aujourd'hui aux techniciens que nous sommes. J’espère qu’on arrêtera de lyncher sur place ceux qui par leurs échecs font avancer les choses.
La volonté finit toujours par se confronter à une réalité économique et sociale, désormais il y a le mur des réseaux sociaux que l’on voit toujours mieux lorsque l’on se trouve à son pied. Vouloir le franchir frontalement est utopique, le traverser pour mieux se faire entendre et comprendre l’est tout autant.
Nous sommes viticulteurs et nous faisons du mieux que nous pouvons.
On peut donc être d'accord avec les conclusions de Basile sans être d'accord avec ses arguments c'est mon cas. Mais en tant que viticulteur je respecte ses choix et ses décisions.
Merci, Nicolas pour ce magnifique commentaire, juste, humble et "sourcé". Tu fais un travail magnifique et tu le fais avec infiniment de nuance et d'intelligence
SupprimerCOMMUNIQUE DE PRESSE
RépondreSupprimerÀ BORDEAUX, LE 09 NOVEMBRE 2018
LES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES BIO DE NOUVELLE-AQUITAINE S’INSURGENT CONTRE LES ALLÉGATIONS DU CHÂTEAU LAFON-ROCHET
À la lecture de différents articles parus cette semaine dans la presse, relatifs à « l’abandon » du bio du Château Lafon-Rochet, les professionnels de la Bio Nouvelle- Aquitaine souhaitent rétablir quelques vérités, concernant à la fois, la réglementation qui encadre la certification Bio en France, et l’utilisation du cuivre en agriculture biologique.
CERTIFICATION AB : RÉGLEMENTATION, CONTRÔLE ET COMMUNICATION
Le Château Lafon-Rochet n’a jamais été certifié en bio ou en conversion vers la bio. L’Agence BIO, organisme national référent dans le recensement officiel des agriculteurs bio sur le territoire est formelle : « nous n’avons jamais enregistré le Château Lafon-Rochet dans notre annuaire officiel des opérateurs notifiés en Agriculture Biologique, ni jamais été en contact avec ce château pour un quelconque accompagnement ou demande de certification ».
Monsieur Tesseron, propriétaire du Château Lafon-Rochet, ne peut donc pas affirmer qu’il a « abandonné », « quitté » ou « stoppé » sa conversion en bio.
En effet, la règlementation européenne en agriculture biologique est très stricte : Seule la certification permet à un château de communiquer sur le fait d’être en bio. Pour communiquer sur des produits issus de l’agriculture biologique, tout opérateur (producteur, préparateur, distributeur ou importateur) doit avoir été contrôlé par un organisme certificateur agréé par les pouvoirs publics et disposer des certificats correspondants. www.agencebio.org/les- controles-et-les-organismes-certificateurs.html
Il y a deux voies possibles : le conventionnel ou le bio. Soit on utilise des produits chimiques de synthèse, de manière raisonnée et raisonnable et auquel cas, c’est un système de production conventionnel, soit on utilise des produits naturels, et auquel cas on fait le choix de se faire certifier Bio.
LE CUIVRE : UN PESTICIDE NATUREL ENCADRE
Contrairement à ce qu’affirme Monsieur Tesseron, le cuivre n’est pas « issu de la pétrochimie ». Il s’agit d’un produit naturel, d’un oligo-élément indispensable à la vie humaine (il existe même une dose journalière recommandée, comme pour le calcium). Cette molécule a en effet des propriétés anti-fongiques reconnues. A ce titre, elle est largement utilisée en viticulture, pour se protéger du mildiou.
Les 3⁄4 du vignoble de Bordeaux sont traités avec du cuivre alors que la viticulture biologique représente aujourd’hui 8% des surfaces.
Les viticulteurs ont conscience que cette molécule n’est pas parfaite : pour en limiter les effets, les quantités utilisées ont été considérablement réduites, de 30 à 60kg/ha (dans les années 60), 4 à 6kg/ha par an aujourd’hui.
Concernant le stockage du cuivre dans le sol, la position de Basile Tesseron est certainement liée à son manque d’expérience de la bio et à une vision fragmentée qui ne fonctionne pas en bio, où l’on réfléchit l’utilisation du cuivre par rapport à la conduite globale du vignoble. On sait ainsi que le stockage du cuivre dans le sol, sa mobilité, sa biodisponibilité peuvent être modifiés de manière positive grâce à des apports exogènes de matière organique (humus).
On le voit, les questions que Basile Tesseron rattache uniquement à la viticulture bio concernent, en fait, toute la viticulture française. Il est contre-productif d’opposer les systèmes : la diminution de l’utilisation des pesticides chimiques de synthèse, l’interdiction des produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques ne pourront avoir lieu qu’à la condition de disposer d’alternatives.
A court terme, le cuivre est la seule branche sur laquelle repose le changement de modèle agricole. A plus long terme, les moyens doivent être effectivement alloués à la recherche.
Vous jouez sur les mots. Voilà dix ans que Basile Tesseron est au boulot vers une viticulture de plus en plus propre. Il n'est pas passé sous vos fourches caudines pour "certifier", "déclarer" ses intentions ? La belle affaire. Ils sont des dizaines dans ce cas. Vous avez une vision hors-sol de la réalité du vignoble. Monsieur Tesseron a voulu comme personne passer son vignoble en bio. Il est arrivé dans une impasse. Il n'a pas les moyens de sacrifier une récolte pour complaire aux diktats émanant d'ici ou de là. Je vous renvoie à l'excellent texte ci-dessus. Faites-en le meilleur usage.Et puis évitez, s'il vous plaît, les phrases comme "Il s’agit d’un produit naturel" à propos du cuivre. Vous savez très bien, nous savons tous, que celui qui est épandu passe par un traitement chimique. Ne vous couvrez pas de ridicule. En tous cas, pas sur mon blog, ça fait du sale. Merci.
RépondreSupprimerLe problème ici je pense, n'est pas tant le débat du bio mais une mauvaise communication.
RépondreSupprimerPourquoi sortir tambours battants de l'agriculture biologique alors qu'on n'y est jamais rentré? Pourquoi vouloir toujours opposer le conventionnel et le bio. Est ce que les vins biologiques "attaquent" sans cesse les conventionnels sur leurs pratiques ? Les bios font au mieux pour respecter l'environnement, et il me semble que le cuivre (produit chimique NATUREL et non de synthèse, voila la différence) utilisé depuis des centaines d'années (la vigne est toujours là) est bien moins nocif (ne l'est pas) pour l'homme, quant au sol, aux doses d'aujourd'hui, il est négligeable. Le cuivre à l'avantage de son défaut d'être un métal lourd, une fois dans le sol il est absorbé en grande partie par la vie macro et microbienne. Les produits phytosanitaires utilisés par les conventionnels, s'échappent dans les cours d'eau autour et polluent bien plus.
Bref, chacun fait ses choix, prend sa propre direction. Mais avancer que le bio pollue plus que le conventionnel est un propos irresponsable. On ne peut pas mélanger le débat avec des phrases bateaux telles que prendre le train plutôt que l'avion pour vendre son vin, ce n'est pas sérieux. Que tous les vins de Bordeaux soient mis en BIB car le bouchon , les bouteilles, la mise etc etc sont encore plus polluants. Faire au mieux avec les moyens à disposition, c'est déjà bien, et faire avancer la conscience collective dans le bon sens.