Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



jeudi 12 janvier 2012

Le prix du vin expliqué aux sceptiques


« L’Italie, ses vins. La France, ses blogueuses », billet publié sur ce blog le 21 décembre a provoqué un certain nombre de réactions, sur les vins surtout, évidemment. Dont un commentaire de Franck Bayard (très bon caviste en ligne découvert grâce au Vindicateur) qui mettait en cause les pratiques tarifaires de Jean-Emmanuel Simond. Celui-ci, qui n’a pas pu suivre le débat quand il a eu lieu, m’a demandé de publier sa vision des choses en une sorte de « droit de réponse ». Je m’exécute avec plaisir.

Le commentaire de Franck Bayard
"A propos de "l'excellent" Jean-Emmanuel Simond, il est à regretter que ses tarifs pros soient plus élevés que les tarifs particuliers en Italie....A telle enseigne que d'autres distributeurs vendent en France les mêmes vins, dont ceux d'Elisabetta, à des tarifs bien plus raisonnables, et que d'autres, ayant été choqués par ses marges, ont décidé de vendre en direct. Dommage....."

et

La réponse de Jean-Emmanuel Simond
Il n'est malheureusement pas toujours possible, même dans un monde ou certains frontières semblent abolies, de proposer dans un pays voisin (la France) des vins étrangers (italiens en l'occurrence) à un tarif équivalent à celui destiné aux particuliers dans le pays d'origine.

En tant qu'importateur, j'effectue un travail qui immobilise beaucoup de capitaux en m'engageant tous les ans à acquérir, avant de les revendre en France, des volumes importants de la production d'une trentaine de vignerons étrangers. Dans un pays si sûr de sa supériorité en matière de vins (notre fameuse arrogance, si souvent stigmatisée par nos voisins....), cela représente une gageure.

Les vins sont enlevés chez les producteurs et transportés aux frais de notre société Œnotropie en camions réfrigérés jusqu'à un local que nous louons dans un entrepôt en région parisienne où les vins sont conservés dans des conditions elles aussi optimales en termes d'hygrométrie et de température constante. Tout cela a un coût : transport, manutention, location d'espace dans un entrepôt et gestion des stocks par leurs soins, frais de douane et d'accises obligatoires (je précise que la législation impose le stockage de vins étrangers dans un entrepôt assermenté auprès des douanes, les revendeurs, cavistes ou restaurants qui n'auraient pas ce statut auprès des douanes étant passibles de poursuites et d'amendes lourdes), sans compter ensuite des frais de manutention, d'expédition et de livraison jusque chez les clients. Notre société travaille avec un franco de livraison assez bas, ce qui signifie que nous supportons également des coûts qui ne sont facturés à nos clients que lorsque les volumes ou la valeur achetée sont très faibles. En travaillant avec des salariés et des agents commerciaux, nous leur versons des commissions sur les ventes effectuées par leurs soins et intégrés dans nos prix de vente. Ainsi va le commerce.
A cela s'ajoute un travail long et fastidieux, dont le coût n'est pas négligeable, de services, de promotion, de représentation, de longue construction de l'image et de la notoriété des domaines dont nous nous faisons l'ambassadeur, ce qui passe par de nombreuses dégustations, des échantillons offerts aux clients, etc.
Je précise que les sélections de domaines et de vins que nous avons effectuées sont le reflet de notre goût et de l'intérêt que représente à nos yeux leur connaissance par des amateurs français. Il s'agit de choix de long terme, d'engagements personnels sur la durée envers des domaines pratiquement jamais distribués en France auparavant.

Vouloir dans ces conditions retrouver en France des vins au même tarif que ceux proposés en Italie par des producteurs aux particuliers qui viendraient acheter directement au domaine, cela me semble aller à l'encontre des impératifs de l'économie réelle et gravement méconnaître les réalités du commerce du vin et des intermédiaires qui en font partie intégrante.

À cela s'ajoute également le fait que des domaines étrangers n'intègrent pas toujours dans leurs tarifs des différentiels de prix suffisants pour permettre à leurs clients professionnels de consolider des marges suffisantes pour travailler dans les meilleures conditions. En quoi l'importateur étranger, qui achète à un tarif grossiste pour revendre à des professionnels à l'étranger, devrait-il être concerné par les choix tarifaires de ces mêmes domaines auprès des particuliers sur leur marché domestique ? Chaque domaine est libre de vendre ou non aux particuliers, et si c'est le cas, de fixer les prix comme il l'entend.
En tant qu'importateur, notre politique commerciale est claire, elle applique le même niveau de marge moyen à tous les vins que nous revendons, avec une marge dégressive lorsque les vins atteignent des prix plus élevés.
Les politiques tarifaires et les structures de prix diffèrent grandement d'un pays à l'autre. Permettez-moi à ce titre de rappeler ici l'incroyable différentiel de coéfficients multiplicateurs pouvant exister entre les professionnels français et italiens : un restaurant italien achetant un vin 10 € HT le revendra souvent 16 à 18 € sur table, alors qu'à prix d'achat équivalent le restaurateur français fixera allégrement le prix du même vins à 35, 40 €, voire parfois beaucoup plus.

Notre travail n'est pas celui d'un agent. Nous achetons les vins, et les payons même souvent AVANT leur enlèvement dans les domaines. Lorsque vous supportez des stocks destinés à servir au mieux de nombreux clients (près de 25 000 bouteilles en permanence dans notre cas), vous ne pouvez pas casser vos prix et vous aligner sur les tarifs les moins chers. Sans compter qu'il existera toujours un marchand isolé, qui pour économiser 2 ou 3 euros insistera pour se fournir en direct et proposera en très petits volumes quelques bouteilles équivalentes à un prix inférieur au vôtre. Il n'est pas possible de plaire à tout le monde et le succès appelle toujours quelques jalousies.

Je regrette que Monsieur Bayard considère que nos marges sont choquantes. Il ne fait sans doute pas le même travail que nous.
Pour être parfaitement transparent, Oenotropie propose le teroldego 2008 de Foradori à 12,70 € HT la bouteille aux professionnels, ce qui doit permettre à nos clients cavistes de le proposer autour de 23-24 € TTC prix de revente aux particuliers. Et cela sans prendre en compte des remises quantitatives conséquentes que nous proposons à partir de 36 ou 48 bouteilles achetées sur ce vin, ni les échantillons ou les frais de port offerts à nos clients. Que ce même vin soit parfois disponible en Italie à un prix inférieur est une situation normale, même si cela doit déranger des marchands français qui ne prennent pas en considération les usages locaux et les choix commerciaux des domaines sur leurs marchés domestiques.
Lorsque qu'il évoque "d'autres distributeurs", Monsieur Bayard fait sans doute référence à sa propre activité marchande. Si Monsieur Bayard considère qu'en vendant ce même vin à 21-22 € TTC il met ses clients à l'abri des marges choquantes que nous pratiquons, c'est son droit de l'exprimer. Mais lorsqu'il s'en plaint auprès du domaine, il ne fait pas preuve de lucidité ni d'un grand respect envers le travail qui a pu être accompli par nos soins.
En France, les cavistes ont l'habitude de travailler avec des producteurs français qui, si ils vendent également aux particuliers, organisent un différentiel suffisamment important entre ce prix particulier et le prix caviste, bien moins important : diversification des réseaux de distribution, volonté de protéger les revendeurs et de leur permettre de travailler avec des marges conséquentes et légitimes. Malheureusement, hors de France, ces habitudes commerciales n'ont pas forcément cours. Il arrive que certains domaines ne proposent leurs vins qu'avec 2 ou 3 € d'écart entre le prix professionnel et le prix pour le particulier qui viendrait acheter à la propriété. Ce sont là des choix tarifaires qui sont propres à chaque domaine. Dès lors, le revendeur situé dans un autre pays peut parfois se retrouver perturbé lorsqu'il compare systématiquement les prix. L'importateur doit-il alors, pour faire plaisir à ceux qui sont si prompts à se plaindre, aller jusqu'à rogner ses marges au risque de perdre de l'argent ? Ce serait un choix néfaste, si il ne peut plus travailler correctement, il met en péril son activité et dessert le domaine étranger qu’il représente.

Compte tenu du travail fourni par le domaine Foradori et de la qualité éclatante et indiscutable de ce vin, je ne pense pas qu'Elisabetta Foradori soit choquée par le prix auquel ses vins sont vendus en France. C'est au contraire une valorisation évidente dont tout producteur soucieux de son image de marque doit se réjouir. Peut-être Elisabetta a t-elle été par contre étonnée d'apprendre que les cavistes français pratiquent des coefficients multiplicateurs largement supérieurs à ceux pratiqués par leurs homologues italiens, mais cela est une autre histoire, presque une différence culturelle.
Je ne pense pas non plus qu'un Français amateur ayant acheté ce teroldego chez un caviste ou l'ayant découvert au restaurant, se soit déclaré choqué par le prix auquel ce vin a été proposé, au regard de la qualité réelle de ce qu'il a trouvé dans la bouteille. Cela aussi, la justesse du prix perçu et l'adéquation à une qualité perceptible, c'est une autre histoire.

Nous nous efforçons de faire connaître le meilleur de l'Italie viticole sur le marché français, nous sommes sollicités en permanence par de nouveaux domaines qui souhaitent que nous les représentions en France. Le critère principal permettant à un producteur de juger du travail d'un importateur ne réside pas dans l'appréciation des niveaux de marge pratiqués par celui-ci, mais dans la qualité du travail et le suivi, la régularité des commandes passées pour développer la notoriété et l'image de marque d'un domaine et la diffusion de ses vins sur un marché étranger. Et si le domaine est satisfait de ce travail, il doit protéger l'importateur et lui donner les moyens d'effectuer son travail de qualité dans la durée. Mais cela ne calmera sans doute jamais les critiques et récriminations de certains marchands qui ne comprennent peut-être pas où se situe le plus juste intérêt des domaines efficacement représentés par l'importateur.

L'article original est ici et le site de Franck Bayard est . À titre d'information, voici l'adresse du site de Jean-Emmanuel Simond, mais il est normalement réservé aux professionnels et aux particuliers qui souhaitent acheter des quantités plutôt importantes.

La photo : le morei d'Elisabetta Foradori, un vin des Dolomites à découvrir de toute urgence.

14 commentaires:

  1. Les anti-sceptiques ça fait pas "nature": ça va encore faire jaser Olif.

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  2. Je connais Monsieur Simond depuis le début de ses activités dans le vin, et lui-même vous confirmera à quel point je l'ai aidé dans l'établissement de relations positives en Italie avec des producteurs que je connais depuis 1985, dont Sandrone, Voerzio et autres.
    Je l'ai vu ce soir à la manifestation de la RVF au Bristol et nous avons parlé de ce problème de marges.
    D'abord, un grand merci à Nicolas d'avoir accepté son commentaire ici.
    Ensuite, il n'est que normal que quiconque se lance dans ce marché particulièrement difficile de promouvoir des vins italiens en France et à leur juste valeur, doive a minima assurer sa survie financière. Monsieur Simmond est loin , très loin d'avoir fait fortune.
    Et surtout, personne n'empêche Monsieur X ou Y d'aller en Italie et d'acheter directement.
    Donc, encore une fois, personne ne met un pistolet sur la tempe de quiconque et laissez un passionné - qui prend des risques (mais je sais : ce n'est pas votre problème) - essayer de montrer en France qu'il y a vraiment de très beaux vins en Italie méritant largement les prix demandés, vu que c'est quasi un service porte à porte.

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  3. J'ai pu être du même avis que M. Bayard à une certaine époque. Ayant ensuite entrepris de lancer également une entreprise d'importation de vins principalement italiens en Belgique, j'ai ensuite très rapidement pris conscience de la validité des points soulignés par Jean-Emmanuel. Et pourtant, notre activité était d'une importance bien moindre. Sélectionner, importer, promouvoir, stocker, livrer tous ces vins prends du temps (beaucoup) et de l'argent. C'est donc normal que cela se retrouve dans le prix final.

    Comme le dit François, personne n'a de pistolet sur la tempe, et c'est ensuite aux domaines de faire le choix des partenaires qui les distribuent, pour savoir quel type d'approche ils souhaitent privilégier dans leur réseau de distribution à l'export (le prix le plus bas, le service le meilleur, la diffusion la plus large, le buzz le plus efficace, etc...)

    François R

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  4. très intéressé par ce billet et je voudrais témoigner dans un sens opposé à Franck Bayard
    il se trouve qu'une enseigne de la grande distribution à 15km de chez moi distribue un nombre assez important de références venant toutes de chez oenotropie et c'est là la surprise; le teroldego 2007 foradori=13.90 euros la 75cl(moins cher qu'en italie!!) barbaresco pajore sottimano 2006=42 euros et son dolcetto 2009 delicieux=9.50 euros; bon c'est là aussi que j'ai trouvé frederic emile 2005 à 29 euros
    je ne peux helas pas vous donner l'adresse car je vais me reapprovisionner régulièrement; j'adore ce teroldego et encore plus à ce prix
    alors...merci monsieur Simmond!
    amitiés
    Bertrand le goffe

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  5. et ce ne sont ni des offres promotionnelles, ni occasionnelles
    je me dois de le rappeler, c'est toute l'année avec un suivi de stock et je suis tout à fait certain que cette enseigne qui commence par un L et finit par un C ne perd par d'argent donc c'est que c'est possible . les bouteilles présentent la contre etiquette de l'importateur(oenotropie) je pense qu'elle a du acheter de belles quantité avec un tarif intéressant; il se trouve aussi que le patron est un grand fan des vins italiens
    bertrand

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    1. Vous avez raison, ça dépend des régions et des magasins. Vous êtes où, vous ?

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  6. je suis sur Quimper là où la terre se finit... et ces vins se trouvent à Fouesnant(post à supprimer si vous le jugez nécessaire)
    amitiés
    bertrand

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  7. C'est idiot, la réponse de Bertrand a été supprimée par ma faute et par erreur. Nous ne saurons jamais... Bon, je vous laisse, j'ai un petit voyage à organiser, moi !

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  8. Dès que je suis dans le quartier, on fait ça, Bertrand !

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  9. Ce type d'opérations ± permanentes (des soldes ?) est également courant sur Cdiscount.

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  10. Je pense que la discussion du coéfficient multiplicateur des prix des vins sur les tables francaises c'est une belle question! C'est vraiment choquant de lire sur les carte des vins de n'importe quel resto à Paris les prix 4 fois plus chèrs du prix d'achat...payer 40 euro pour une bouteille de 10 euro fait avoir envie de boire de l'eau! En effet en Italie les marges des resto sont beaucoup plus petites, on parle d'une moyenne du 200%. En plus je trouve pas du tout éthique que sur la meme bouteille de vin, le producteur qui a travaillé le vignoble,vinifié,elevé et mis en commerce la bouteille pendant une,deux, trois années ou plus, arrive faire une marge de 3-4 euro et pour la meme bouteille le restaurateur - qui a fait le "grand effort" d'acheter la bouteille, la garder normallement pas plus d'un mois, de l'ouvrir et servir dans deux verres aux clients (souvent meme pas par un sommelier professionnel) - arrive faire une marge de 30 euro.Les restaurateurs doivent arreter de soutenir économiquement leur enterprises sur les vins et pas sur la nourriture; s'ils voulaient ça, ils pouvaient faire les cavistes et pas les restaurateurs! Luigi Veronelli avait tout compris quand il avait proposé il y a une dizaine d'années le "prezzo sorgente" - "prix source" à écrire par les producteurs sur les etiquettes des bouteilles...

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  11. Oui, viva il prezzo sorgente et vive le BYOB (bring your own bottle) et vive le droit de bouchon.

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