Le blog de Nicolas de Rouyn
Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées. Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui. (Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées. Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui. (Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn
dimanche 12 juin 2011
L’armagnac, une belle histoire agricole
Écoutez, c’est la volupté qui gagne, peu à peu, sur la raideur triste des Landes, cette forêt plantée au cordeau qui porte les traces des ouragans, les arbres noirs laissent la place à une campagne avenante. On n’y est pas encore. Pour l’instant, on est arrivé chez Marc Darroze, le frère d’Hélène, demi-star parisienne des fourneaux. Vite, il nous dira l’histoire de l’Hôtel des Voyageurs, 1928, le roi Jean, son grand-père, ça ne nous intéressait pas tellement, on était venu pour l’armagnac. Son père Francis a créé l’affaire dans les années 70. Darroze, c’est une maison de négoce. Comprendre qu’ils ne sont pas propriétaires de vignes, ils achètent des vins et les distillent, ou bien ils achètent des eaux-de-vie et les élèvent et c’est lui qui envoie le distillateur chez le vigneron. Marc nous expliquera que son père était « le premier négociant-éleveur à mettre en avant le terroir, la propriété d’origine et le millésime. » Nous le croirons volontiers, même si on ne voit pas très bien l’effet millésime pour des alcools distillés. Il n’en fallait pas plus pour que Marc se lance dans une explication détaillée, pour ne pas dire savante, sur les différences entre les eaux-de-vie à la sortie de l’alambic. Que ce sont ces particularités qui justifient des élevages adaptés et jamais tout à fait semblables. Et, donc, la mention du millésime sur l’étiquette. Avec Marc, nous apprendrons tout de l’armagnac, les fondamentaux pour commencer.
Dix cépages autorisés, dont trois essentiels. Le baco 22 A, un hybride créé au début du XXe siècle ; la folle blanche, cépage historique ; l’ugni blanc, comme à Cognac. Trois étapes de la vendange à la barrique : la vinification, la distillation, le vieillissement. Le sulfitage comme la chaptalisation sont interdits par le décret d’appellation. Cette histoire existe depuis sept siècles. Les trois appellations de l’armagnac sont le Haut-Armagnac, le Ténarèze et le Bas-Armagnac. On y produit six millions de bouteilles par an (à rapprocher des 180 millions de bouteilles de cognac).
Bon, bien. Et à part ça ?
Chez Darroze, on pratique la simple distillation parce que « ça nous permet de confirmer l’effet-millésime, l’effet-terroir », puis les eaux-de-vie passent douze à treize ans en barriques. Et commencent dans du bois neuf pendant deux à six ans, selon les qualités de l’eau-de-vie. C’est à ce moment de son élevage que l’armagnac gagne sa couleur. Marc Darroze n’ajoute pas de caramel pour teinter son armagnac. Inutile, en effet, de chercher à conserver une couleur constante quand on joue le millésime. Parfois, il parle comme le vigneron des Graves qu’il est aussi, il dit : « Mon but n’est pas de produire des tisanes de bois, les eaux-de-vie sombres ne sont pas toujours très qualitatives. » Il produit de 40 à 45 000 bouteilles par an, l’âge minimum pour sortir de chez lui, il l’a fixé à douze ans. Il vend la moitié en France et l’autre dans 26 pays, dont trois surtout, l’Angleterre, la Suisse et la Russie. Et il est en train de créer une nouvelle gamme très pédagogique, de huit à soixante ans d’âge, pour permettre au public de comprendre l’armagnac.
Nous nous plierons à l’exercice difficile de la dégustation. Les eaux-de-vie, ce n’est pas comme le vin. Dès le second verre, on a l’impression de se brûler les papilles et nous préférons de beaucoup la dégustation olfactive qui permet de comprendre les trésors que recèlent les bons armagnacs et leur évolution dans le temps. Ainsi d’une belle verticale de 1998 à 1945. Au nez, on perçoit très bien le lent gommage des caractères propres aux différents terroirs et son assimilation progressive à la grande famille des eaux-de-vie vénérables. L’après-midi avance, il est temps de quitter Marc Darroze, en route pour Condom et la maison Ryst-Dupeyron.
On se retrouve dans la campagne française, celle qu’on aime, le divin mélange de travail et de tendresse. Doux vallonnements, les champs de toutes les couleurs, ces jours-là ils ont mis le jaune du colza, on monte et on descend dans l’or végétal, les bois ici et là, on ne fonce pas, les fenêtres sont ouvertes sur le printemps balbutiant, c’est ravissant. Les chants, les piailleries des oiseaux envahissent l’habitacle par vagues légères, les moineaux le disputent aux pinsons, nous nous regardons, nous sourions. Il faudrait partager tout ça avec de longues jeunes filles impressionnables. Ici et là, des bouquets de grands arbres signalent les belles maisons, les voûtes des cèdres d’un vert dense, profond, ponctué par le noir immense des sequoïas, le luxe végétal existe, il a toujours été question de toiser le manant, ainsi va la civilisation. Plus loin, nous glissons entre un bois et une vigne. Une biche légère traverse la petite route, le palissage l’empêche de s’enfuir dans la vigne. Elle nous regarde, elle fait front, elle est belle, mais non, elle ne fait pas de l’auto-stop, elle habite ici, nous continuons, l’âme enfuie dans les yeux de cette biche.
Jacques-François Ryst est assez proche de l’idée qu’on se fait de l’hyper-actif. À 55 ans, cet expert-comptable vit plusieurs vies en même temps à un rythme effréné. La maison existe depuis 1850. Elle est connue à Paris pour un très beau magasin, rue du Bac. L’un des cavistes les plus historiques de la capitale. Jacques-François est passionné par le commerce. Dès l’âge de 25 ans, il s’envole pour la Chine alors secrète et troque l’armagnac de la maison contre des meubles et des porcelaines. Il en fera un business. Quand la nouvelle appellation Fine blanche d’armagnac a vu le jour, il a sauté sur l’occasion pour lancer une eau-de-vie blanche intitulée « Just better than vodka », tout simplement. Il a aussi imaginé un armagnac de 1979, fini dans des barriques ayant contenu du rhum à la manière des Écossais et de leurs single malts. Dans la même veine, il en finit un autre dans des barriques ayant contenu du château-d’yquem, mais comme la maison a refusé qu’il se serve du nom d’Yquem, il a juste écrit sur l’étiquette « premier cru supérieur de sauternes » et comme il n’y en a qu’un… À Larressingle, vieux village gersois tapi derrière de hauts murs, qu’on appelle une bastide, il a acquis quelques maisons très anciennes pour y créer un musée de la vie quotidienne à l’époque où l’Anglois faisait des ravages dans la région. L’infatigable Ryst a également créé une maison de négoce de vins à Bordeaux et deux magasins. À ses moments perdus, il se penche sur la reconstitution d’un alcool à flamber pour la gastronomie. Son père l’avait créé pour Raymond Oliver, l’ancêtre de la chef-mania. Il en a retrouvé un flacon oublié dans un coin, c’est un assemblage d’armagnac et de décoctions d’herbes aromatiques assez étonnant. Le nez dans le verre, et vous êtes mort de faim.
Le lendemain, c’est encore vers un autre genre de producteur d’armagnac que notre enquête nous mène. « Nous sommes des paysans » prévient Jérôme Delord, 39 ans, Gersois de souche. La maison Delord possède des vignes, trente hectares, qui couvre la moitié de ses besoins en distillation, le reste est acheté ici et là, à des vignerons. Avec Jérôme, nous visitons la maison et nous tombons sur un joli moment de pur artisanat. C’est jour d’embouteillage, chez Delord. Sur la ligne, le père, la mère, le frère de Jérôme. Un ouvrier qui compte trente ans de maison comme l’armagnac qu’on met en bouteilles aujourd’hui. Et un autre, un jeune, qui s’occupe de l’alambic, d’habitude. On honore une commande de 360 flacons en bouteilles noires pour une chaîne de cavistes. Le père râle un peu : « on passe trente ans à faire attention à tout, le bois neuf, les vieilles barriques, on peaufine la couleur pendant des années et on passe en bouteilles noires, pfff. »
La maison Delord produit 585 hectolitres d’alcool pur, soit environ 210 000 bouteilles à 40°. Jérôme Delord est content de son sort, mais il n’oublie pas d’où l’armagnac revient : « Pendant longtemps, on s’en moquait. C’était la gnôle du Gers, rien d’autre, un truc qui brûlait la gueule. Tout le monde en avait quelques barriques au fond du garage. C’était une sorte d’épargne. On vendait un tonneau au négociant quand on avait besoin d’argent. La donne a changé, maintenant la maison exporte la moitié de sa production. » Jérôme Delord nous expliquera la drôle d’histoire des fiançailles de l’armagnac, ce travail patient et très attentif qui emmène l’eau-de-vie jusqu’à sa formule définitive. On instille peu à peu une eau-de-vie à 17° dans l’armagnac qui titre environ 54° à la sortie de l’alambic. Cette eau-de-vie s’appelle les « petites-eaux » et la réduction dure des mois, degré par degré jusqu’au 40° couramment pratiqué.
Nous quitterons le divin Gers et ses belles eaux-de-vie sur ces paroles d’espoir. Le spiritueux français se porte bien partout, sauf en France. Et encore l’armagnac a proportionnellement plus de chance avec nos concitoyens que le cognac. Un jour viendra où les Français redécouvriront les vertus de ces beaux alcools. Mais quand ?
La photo : une dégustation d'armagnac chez Darroze, photographiée par Mathieu Garçon. Cet article a été publié, sous une forme différente, dans le Hors-série Vin de L'Express.
Lire aussi Carte postale à une amie, sur le cognac.
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Superbe article didactique et passionné, la quadrature du cercle des écrivains oenophiles.
RépondreSupprimerChapeau!
Merci, Hervé
RépondreSupprimerEn effet, très bel article lu avec beaucoup de plaisir dans sa version papier. On parle d'Armagnac, et on en parle bien ! Bravo
RépondreSupprimerVous aurez noté que, sur ce blog, l'article est complet.
RépondreSupprimerOlivier:
RépondreSupprimerPour penser aussi aux autres alcools cela vaut un aussi belle article sur le cognac et le calvados.
Bientôt ou déjà publié?
Pour le cognac, le lien en pied d'article (Carte postale à une amie). Pour le calvados, rien encore.
RépondreSupprimerSuper papier mon cher Nicolas. Bravo!
RépondreSupprimer40 ans après EUROSCOPIE...
Bien amicalement
Jacques Sallé
Ah ah ah ! Euroscopie, les souvenirs, on rigolait bien, on nous racontait la civilisation des loisirs… Jamais tant bossé, moi.
RépondreSupprimerOlivier:
RépondreSupprimerOui, c'est vrai article magique aussi!
J'ai oublié les vieux rhums de Martinique aussi, mais j'ai l'impression que les très vieux y en a plus tout le monde a déjà tous sifflé plus que des 15 ans d'âges...
Comme c'est bucolique ...J'aime tant l'Armagnac !
RépondreSupprimerMagnifique article.
Catherine alias Le Pinson ;)
Très bel article !
RépondreSupprimerGrand merci
SupprimerUn beau parcours de ce terroir qui m'est cher !
RépondreSupprimerArticle complet, merci !
RépondreSupprimerYour blog is extremely brilliant. Quality contents are here.
RépondreSupprimerMeilleur Armagnac
Very knowledgeable blog information about wholesale clothing, i like this.Visit: Meilleur Armagnac
RépondreSupprimerLa diversité d'expression d'un terroir se mesure dans l'offre large que propose l'Armagnac...
RépondreSupprimerAbsolument. Les appellations d'armagnac en témoignent.
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