
C’est l’été indien et, bien calé dans le fauteuil qui fonce vers l’Est, à côté d’une attachée de presse délicieuse et bien élevée (je sais, je connais son cousin, le meilleur monde), je me dis que j’ai eu le nez creux de refuser d’y aller en hélicoptère. Ce n’est pas tant le bilan-carbone catastrophique, le caractère limite obscène de cette idée épate-gogos, le bruit qui empêche de se parler, le confort spartiate, l’image guerrière des quatre hélicos en rase-motte comme dans Apocalypse Maintenant, le voyage plus long qu’en TGV, l’impossibilité de lire Bertrand de Saint-Vincent, François Simon, Virginie Mouzat et le Carnet mondain, les rubriques les plus instructives du Figaro du matin. Non, ce n’est pas pour toutes ces raisons que j’ai refusé l’hélico. Je me suis surtout dit qu’en cas de fait-divers, je supporterais mal qu’on dise qu’ici-gît Nicolas de Rouyn, brutalement arraché à l’affection des siens parce qu’il allait boire un coup à Reims, RIP.
Vous imaginez l’effet désastreux sur les promeneurs de la Toussaint, les enfants jetteraient des cailloux sur ma mémoire, certains n’hésiteraient pas à cracher sur ma tombe en bombant le torse pour la citation. Impossible de me dire qu’au soir de mon trépas, on aurait plus ricané que pleuré. Non, le train, c’est une question de standing.
C’est l’été indien et nous sommes arrivés à Reims sans encombre et à l’heure, bien avant les hélicos. Ce déjeuner chez Mumm, pour découvrir leur nouvelle cuvée sobrement nommée Brut Sélection. Il s’agit d’un assemblage de cinq grands crus, deux blancs (Avize et Cramant) et trois noirs (Aÿ, Verzenay et Bouzy). Un joli vin qui prend place dans la même gamme que les deux magnifiques, le blanc de blancs de Cramant et le blanc de noirs de Verzenay. Bref rappel à l’intention de ceux qui viennent d’arriver et pour faire simple : le blanc de blancs est un champagne issu uniquement de raisins blancs du cépage chardonnay et le blanc de noirs, de raisins noirs du cépage pinot noir (pour ceux qui souhaitent approfondir, il y a un tas de blogs très documentés sur le sujet, dont l’excellent Blog à bulles).
Goûté en salle de dégustation, le Brut Sélection est exactement ce qu’annonce son auteur, le chef de caves Didier Mariotti, un parfait champagne d’apéritif avec tout ce qu’on en attend de fraîcheur, d’incisif, un bel « ouvreur ». Pile l’idée qu’on se fait d’un champagne quand on en a soudain envie, et là, on n’est pas déçu du tout.
Le déjeuner était mis en œuvre par les deux garçons les plus talentueux de la Champagne, Philippe Mille, le cuisinier et Philippe Jamesse, le sommelier, tous deux au Château des Crayères. L’idée qu’ils ont apporté étant de découvrir ce Brut Sélection dans quatre états, c’est-à-dire quatre niveaux de température de service, de 8°C à 14°C, ils ont ainsi démontré tout l’intérêt qu’il y a à boire les meilleurs champagnes pas trop froids, le froid est un cache-misère. Ce n’était pas forcément le but de l’opération, mais peut-être que si. Jamesse est un très fin connaisseur des champagnes, très érudit, un poil didactique, il parle des champagnes comme personne et ça ne m’étonnerait pas que telle était, en effet, son intention secrète et pédagogique. Je lui poserai la question, un jour.
C’est l’été indien et c’était divin.
La photo : la nouvelle cuvée de Mumm, Brut Sélection (42 euros) a été embouteillée dans la très belle bouteille historique du Mumm de Cramant.