Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
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Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
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(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 10 janvier 2022

Il n'y aura pas de dom-ruinart 2008

Frédéric Panaiotis, chef de caves de Ruinart à Reims, a décidé de ne pas millésimer 2008 dans la cuvée iconique dom-ruinart. Interview.

Frédéric Panaiotis en 2021

 

Vous êtes le chef de cave de la maison Ruinart à Reims. Il se trouve que vous avez décidé de ne pas millésimer 2008. Qu’est-ce qui justifie ce choix ?

Il y a plusieurs raisons. En Champagne, les trois cépages ont vraiment des comportements différents d’une année sur l’autre. Un cépage peut bien réussir une fois et être en-dessous de nos attentes l’année d’après et inversement. C’est encore plus rare de voir les trois cépages bien marcher ensemble la même année. Je suis arrivé chez Ruinart en 2007, année où l’on a décidé de faire un millésimé. C’est intéressant parce que c’est un millésime considéré comme difficile et que ne suis pas d’accord avec cette affirmation. 2007 était une grande année pour les blancs, 2008 est un millésime avec des niveaux d’acidité assez élevés. Je me souviens de ma satisfaction d’avoir récolté des raisins parfaitement mûrs et qui conservaient ces niveaux d’acidité. Souvent, ça fait fantasmer certaines personnes en Champagne, des journalistes et des sommeliers, qui pensent que c’est le Graal d’avoir cette maturité haute en même temps que ce niveau d’acidité élevée, qui permet au vin de vieillir. D’après moi, on peut en douter. J’ai longtemps pensé aussi que l’acidité était un facteur déterminant. J’ai ouvert les yeux sur cette question en dégustant des vieux millésimes comme les grandioses 1947, 1949, 1959, ou encore, plus près de notre époque, 1976 ou 1989. Tous ces vins ont bien vieilli. Pourtant, les acidités n’étaient pas très élevées. En parallèle, des années avec des acidités fortes comme 1955 ou 1988 ont magnifiquement évolué. Le constat que je fais à partir de là, c’est que l’acidité n’est pas seule garante du vieillissement et du potentiel.

 

Certains considèrent ce millésime comme celui de la décennie en Champagne.

Certes, l’année a la réputation d’être un très grand millésime. Je ne le conteste pas. Seulement, je me souviens assez bien de la période de dégustation des vins de base de l’année. On s’est aperçu que, de manière générale, les pinots noirs et les meuniers étaient plus aboutis que les chardonnays. C’est l’impression qu’on a eue. Les pinots noirs, assez époustouflants, possédaient une matière vraiment importante, avec une telle structure et une telle qualité de fruité que les chardonnays paraissaient en retrait. Le style Ruinart, c’est de trouver de la rondeur, d’avoir ce toucher de bouche orienté vers la suavité. L’envie, c’est de donner à nos champagnes un style abordable. Y compris lorsqu’il s’agit de la cuvée Dom Ruinart. On veut toujours retrouver l’identité de la maison, avec cette matière large, cette texture et ces éléments de plaisir. Le millésime 2008 ne correspondait pas tout à fait au style que nous recherchons. Quand on décide de millésimer une cuvée, il faut aussi prendre en compte un autre élément important, ce qu’il y a en cave. Nos stocks s’échelonnent sur dix à quinze ans. Nous ne voulons surtout pas avoir un trou de quatre ou cinq ans. D’abord, parce que ça poserait des problèmes de commercialisation, ensuite, parce qu’on ne veut pas sortir des vins trop jeunes, ce qui n’est pas acceptable.

 

Ce n’est pas un problème commercial d’être absent du concert des 2008 ?

C’est discutable. Le but n’est pas de singulariser la maison par un effet d’annonce. Bien sûr, d’un point de vue commercial, il serait plus facile de proposer un 2008 au marché. Le millésime est attendu comme le messie par certains. Chacun se fera son avis. Même s’il y a de belles réussites dans les blancs de blancs, je trouve que, globalement, 2008 a mieux convenu aux cépages noirs et un peu moins au chardonnay. La Champagne est plantée à 70 % de cépages noirs et à 30 % de chardonnay. Quand l’année est réussie dans les cépages noirs, un style va forcément dominer qui ne sera pas idéal pour Dom Ruinart. En revanche, si elle est réussie seulement pour les chardonnays, ça change tout. Par exemple, 2007, 2010 et 2017, trois années moyennement appréciées par les spécialistes de la Champagne, sont intéressantes pour nous parce que les chardonnays étaient bons. Pour toutes ces raisons, il est impératif d’avoir une image beaucoup plus précise de la réussite d’un millésime en Champagne. Dans les années 1980 et 1990, l’équation était différente. Il y avait des grands millésimes seulement tous les deux ou trois ans. Avec le réchauffement climatique, nous n’avons plus de crainte à ce sujet. Depuis le début des années 2000, je crois pouvoir dire qu’on peut raisonnablement millésimer huit à neuf années sur dix. Depuis 2010, il y a eu des années compliquées comme 2011. Et pourtant, nous avons fait un bon millésime. Idem pour 2014, avec ses problèmes de drosophile. Compliquée pour les pinots, 2017 a pourtant donné de beaux chardonnays, à la hauteur d’un champagne millésimé. La Champagne a perdu cette habitude d’attendre encore et toujours ses grandes années. Nous pouvons donc nous affranchir plus facilement de cette obligation de faire un millésime quand nous considérons que le style de l’année ne convient pas au style de notre maison.

 

Si l’année est favorable au pinot noir, pourquoi n’avoir pas millésimé Dom Ruinart dans sa version rosée ?

Pour une raison simple, la base de la cuvée Dom Ruinart rosé, c’est Dom Ruinart blanc, à laquelle on ajoute on ajoute du vin rouge. Le rosé n’existe pas si on ne fait pas le blanc. Pourtant, les vins rouges de 2008 étaient très bons, mais l’identité de Dom Ruinart ne doit pas changer.


La photo est signée Mathieu Garçon, comme souvent.
Ce sujet a été publié sous une forme différente dans
EnMagnum n°25

 

6 commentaires:

  1. Intéressant mais décevant: quand on fait une cuvée millésimée c’est dans le but de retranscrire les conditions de l’année et bien sur cela veut dire que le style du vin sera différent chaque année. L’essence de la champagne est de faire des assemblages afin de garantir un style maison constant, mais lorsque l’on s’engage sur la voie millésimée il faut accepter d’elargir l’approche style maison sinon il ne faut pas faire de millésimé !

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    1. Certaines maisons millésiment tous les ans pour faire valoir les caractéristiques de l'année Dom Pérignon, par exemple). D'autres ne millésiment que les grandes années comme Ruinart. C'est le choix d'un chef de caves. Pas de déception à ressentir. Si Panaiotis décide que ces chardonnays ne sont pas au niveau de sa grande cuvée dom-ruinart, c'est son libre arbitre. S'il choisit de ne pas "élargir l'approche style maison" comme vous dites, c'est aussi son droit le plus strict. Ce qu'il y a de bien, c'est que chacun fait en son âme et conscience pour le plus grand plaisir de l'amateur.

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    2. Dom perignon a créé des millésimes 48 fois en 100 ans, ce que fait domperignon est de toujours essayer de faire un millésime, mais pas de le créer automatiquement.

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    3. Maintenant, Dom-Pé millésime tous les ans pour donner, en quelque sorte, une photo de l'année en Champagne.

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  2. Les cépages sont capricieux, difficiles à cerner. Le réchauffement climatique en est pour quelque chose?

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